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Patrice Gilly, Ciné-narration

L’auteur, thérapeute narratif dans la lignée de la Gestalt-thérapie, décrit son expérience des ateliers de ciné-narration. Il s’agit de voir un film en petit groupe de volontaires, puis d’en parler ensuite selon un schéma guidé par le thérapeute afin d’extérioriser le soi de chacun. L’idée fondamentale, plus qu’une cure psychanalytique légère, est de recréer du lien social, de faire communauté au prétexte d’un film.

Comme le cinéma est à la mode (tout le monde en parle et les stars sont adulées comme des dieux de l’Olympe) et comme voir un film est facile (il suffit de s’asseoir et de se laisser faire), cette façon de rassembler qui le désire pour aller plus loin et penser hors du consensus mou a de l’avenir. Je note cependant que les ateliers décrits semblent accueillir plus de retraités et d’âge mûr que d’adolescents ou de jeunes. Mais peut-être est-ce une particularité du lieu où ils ont lieu ?

Ce livre court et vivant est divisé à peu près en deux parts : les effets d’un film sur le spectateur du chapitre 1 au chapitre 6, la façon d’en parler du chapitre 7 au chapitre 11. La seconde part, plus concrète, entre dans le sujet en décrivant les réactions des uns et des unes (et des autres). « Ce livre entend décrire le processus et les ressorts de la ciné-narration. Le spectateur actif de films que je suis a pris le pas sur le praticien des thérapies narratives » p.12. Celles-ci sont décrites dans un précédent ouvrage, Le cinéma, une douce thérapie.

Regarder un film ensemble est dire et rebondir, découvrir de nouvelles significations à son histoire personnelle grâce à une histoire de remplacement. Selon Paul Ricoeur, cité p.58, « les récits garantissent la permanence de l’identité ; ils assurent une continuité au-delà des changements. Se raconter clarifie une séquence d’événements et assied une cohérence identitaire, issue de narrations subjectives ». Au-delà du jargon, les histoires de cinéma objectivent des situations réelles et elles entrent pour cela en résonance avec le vécu de chacun.

Le film fait surgir des fragments de soi par l’émotion. Les images, en effet, appellent par leur immédiateté-choc l’affectif plus que la raison… Quant aux sensations, elles se limitent au visuel et à l’auditif, faisant l’impasse sur tout le reste. Le cinéma est une reconstruction de réalité, pas une tranche de réel, et sûrement pas un « acte total » comme dit p.50 (nous ne sommes pas dans l’opéra antique). Ce pourquoi je reste un peu sceptique sur la « typologie des spectateurs » proposée par l’auteur (rationnel, émotionnel, crédule, savant, novice, aguerri, ravi). Car tous sont emportés par l’image ; celle-ci résonne plus ou moins en eux mais sollicite avant tout l’émotionnel – le rationnel ne peut venir qu’ensuite, avec le recul et avec l’éducation.

Mettre des mots après le film peut permettre d’analyser, de comprendre, voire de dominer ses émotions, de les replacer à leur juste place dans sa propre existence. Mais plus l’identification est forte avec un personnage ou avec une scène, moins c’est facile. L’échange verbal peut se faire en couple, en famille et en groupe. La dynamique de groupe en ateliers organisés aide peut-être mieux à accoucher de la vérité vécue en la replaçant dans un cadre plus neutre, plus général. Support d’autoanalyse, le film débloque les filtres inconscients sur une histoire qui dérange. La vie par procuration du cinéma aide à vivre la vie réelle.

« Voir un film ensemble, découvrir les récits personnels du film, reconstruire son histoire personnelle et reconsidérer sa façon d’être au monde, telle est l’ambition raisonnable des ateliers Cinémouvance. La méthode fait ses preuves » p.74. Pourquoi ne pas essayer ?

Patrice Gilly, Ciné-narration – Du récit de film à la conscience de soi, 2017, éditions Chronique sociale (Lyon), 116 pages, €12.90

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Vanille et monarque à Tahiti

Article repris par Medium4You.

C’est la meilleure du monde dit de la vanille le ministre de l’agriculture de Polynésie. Elle a été introduite dès 1848 par le contre-amiral Hamelin. En 1874, elle n’était encore que des plans de vanilla planifolia, vanilla odorata et vanilla pompona – tous originaires des Philippines, des Antilles, du Mexique et du Jardin des Plantes de Paris. Quelques dizaines d’années plus tard apparaît la vanille de Tahiti, vanilla tahitensis, fruit d’une hybridation entre deux différentes espèces : planifolia et odorata. En 1933, J.W. Moore la décrit ainsi : une tige plus fine, des feuilles plus lancéolées, des fleurs plus jaunâtres que son ancêtre vanilla planifolia, la vanille de Tahiti était enfin née ! En 2011, 50 tonnes de vanille mûre soit 17 tonnes de vanille séchée exportée pour 219 millions de FCP l’année dernière et 5 tonnes écoulées sur le marché local pour 93 millions de FCP. L’objectif pour cette année ? Un doublement de la production d’ici deux à trois ans ! Mais, en 10 ans, 30% des serres ont été abandonnés, aujourd’hui, il en reste à peine 5%. Site internet : www.vanilledetahiti.com

Devenez parrain d’un monarque : La SOP-Manu lance un appel pour parrainer chaque oiseau suivi [le monarque est ici une bête à plumes naturelles, pas un humain emplumé qui se croit supérieur – Argoul]. Le parrain recevra une fiche d’identification de son filleul et pourra le « suivre » avec un bilan chaque mission. Neuf individus bagués cherchent encore leur parrain. Si vous souhaitez aider cette espèce au bord de l’extinction, contactez Tom par mail : tghestemme@manu.pf

Le poisson-pierre, qu’il s’appelle Synancera verrucosa, stonefish, ou nohu (tahitien) il n’en demeure pas moins monstrueux. Le nohu a un corps globuleux, verruqueux, recouvert d’excroissances cutanées. Sa photo : une énorme tête, une bouche qui s’ouvre vers le haut, des yeux en position dorsale ; le monstre est peut visible à l’œil nu, de couleur blanche, brune, violette, jaune, rose, verte ; il peut atteindre 30 à 40 cm ; ses prédateurs sont les requins ou les raies. C’est le poisson le plus rapide du monde pour se nourrir. En 0,015 secondes il aspire les petits poissons, les crevettes avec son immense gueule. C’est le poisson doté d’un appareil venimeux le plus dangereux, sa piqûre est très douloureuse voire mortelle. La douleur est atroce, le venin est un puissant neurotoxique qui paralyse le muscle et attaque le système nerveux. Les Anciens savaient préparer un antidote à base de nono. Mais le venin restera dans l’organisme environ un mois… Soyez patient. Ici on évite de tuer le poisson-pierre car il s’enfuie à l’approche de l’homme mais si une personne l’a tué, alors les Polynésiens le mangent… afin que sa mort ne soit pas vaine.

Hiata de Papeete

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Lawrence Durrell, L’esprit des lieux

Il est né le né le 27 février 1912 et l’on fêterait son centenaire s’il n’était mort il y a douze ans déjà, le 7 novembre 1990 à Sommières dans le sud de la France. Cette célébration virtuelle permet cependant d’évoquer un auteur injustement oublié car trop hédoniste dans une époque qui ne pense qu’à la thune et la frime.

Lawrence Durrell savait vivre. Anglo-irlandais né aux Indes, il n’aimait pas l’Angleterre, découverte à la prime adolescence, sa brume et son puritanisme frileux. Il a choisi d’habiter ailleurs et autrement, choisissant le métier de diplomate. Il se sentait plus proche des méditerranéens et sa terre d’élection fut successivement Corfou, Le Caire, Chypre, la Yougoslavie, l’Argentine puis le Gard. Lumière crue, lignes dures, odeur forte des plantes et fade de l’eau qui coule toujours. Pays de l’huile, du vin, des légumes et de la convivialité. Il lui fallait tout cela pour se sentir heureux de vivre.

Son roman le plus connu est ‘Le Quatuor d’Alexandrie’ mais ‘L’esprit des lieux’ est le livre qui le montre en entier, celui que je préfère encore aux romans. Recueil de lettres et d’articles qui montrent le bonheur de vivre. Lorsqu’il évoque les Grecs, il se décrit lui-même. Leurs deux qualités primordiales sont, selon lui, « curiosité infinie et sensualité ». Ce sont ces qualités qu’on retrouve dans ses livres, perdus aujourd’hui dans le matérialisme de crise. Sa prose fluide est riche d’évocation. Il décrit minutieusement sa sensation et injecte son impression dans les phrases. Rien de froidement photographique mais le regard chargé d’affect. Derrière les mots se profile une sensibilité, un auteur chaud et vivant, un être de passion. Il captive parce qu’il veut faire partager ce feu qui couve sous la cendre. Paysages et personnes, jamais les uns ne vont sans les autres : le pays est façonné de mains d’hommes avec les siècles, chargé de mythes et d’histoire. Les gens sont façonnés par le paysage dans lequel ils évoluent, au point de se demander même qui est premier de la symbiose entre une terre et un peuple.

Durrell traverse les pays comme un élément rapporté, mais jamais étranger. Il a la vertu du voyageur, ce qu’il appelle « l’identification ». Il assure qu’une dizaine de minutes, assis sur l’omphalos de Delphes, l’esprit silencieux, font plus que vingt années d’études des textes grecs antiques pour comprendre la Grèce. Contempler le paysage alentour en imposant silence au moi, pour s’en laisser pénétrer, donne une empathie avec l’âme du pays. Cette attention compréhensive, respectueuse, est ouverture à ce qui est autre, accueil de l’étrange, seule façon efficace de connaître et de comprendre. Ainsi disait Heidegger.

D’un battement de paupières, laver l’œil de toute image antérieure. Rendre son esprit vierge d’échos pour accueillir ce qui vient. Recueillement de la conscience qui fait taire ces idées surgissant toujours comme des bulles. Il ne faut rien de plus pour « être » dans un paysage, en accord avec la terre et au diapason des bêtes, des enfants, des gens. Il faut faire silence en soi pour dompter ces mots toujours prêts à surgir, impérieux, tranchants et catégoriques, des mots qui nomment et déforment sans laisser être la chose ou la personne. Ce que Durrell voit n’est jamais confirmation d’a priori. Cela ne le fait pas penser à une lecture ou à une opinion. Ce qu’il voit « est » tout simplement, tel qu’en soi-même le présent l’offre, tout nu dans sa vérité première.

Ce pourquoi la Méditerranée a inventé la vérité et la démocratie avec la lumière, ce pourquoi toute compétition s’effectuait nu, tout débat avait lieu au grand jour, devant tout le monde, sur l’agora.

Cette capacité rare de saisir l’être des choses est celle du regard. Effacer son ego pour laisser venir à soi la réalité qui s’offre. Tel est la vigilance, œil libre, vierge de toute référence, de toute habitude comme de tout jugement. Les poètes, les guerriers et les maîtres ès arts martiaux ont ce regard qui « voit ». Pour un artiste, ce sont les mots qui se trouvent difficiles à manier. Transmettre un peu de cette expérience unique est ardu tant les expressions dérivent vers le tout fait, vers le convenu, vers la connotation qui tord le sens. C’est en parlant de lui, de ce qu’il, a fait, de ce qu’il a vu, de ce qu’ils ont dit, les autres, que Lawrence Durrell réussit le mieux à donner au lecteur une part de la vérité des paysages et des gens qu’il rencontre. Cela se nomme empathie.

Sa disponibilité lui permet des rencontres uniques, celles d’initiateurs. Il voit le palais du Facteur Cheval avec le directeur d’un journal de province. Son propre plombier Recul lui fait découvrir Avignon. L’ineffable Pepe l’initie à la Provence profonde, lui qui s’est fait tatouer une carte du pays sur l’abdomen. Les vignes sont le mystère du vieux Mathieu. Grenoble, la patrie de Stendhal, ne se trouve vraie qu’avec Martine et ses copains étudiants. La Gascogne serait bien fade sans Prosper, voyageur de commerce et spécialiste des bons restaurants, amateur du vin de pays…

Réceptif, Lawrence Durrell s’enrichit de tout ce que la vie lui offre : les paysages et les gens, les expériences uniques et les amitiés sans nombre.

Voyager, connaître, c’est laisser venir à soi.

Lawrence Durrell, L’esprit des lieux, 1969, Gallimard 1976, 489 pages, €17,38 

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