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V pour Vendetta de James McTeigue

S’inspirant de l’historique Conspiration des poudres déjouée in extremis le 5 novembre 1605 à Londres, et plus immédiatement du « comic » V pour Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd publié de 1982 à 1990, cette histoire conte la résistance d’un homme seul contre une société devenue fasciste.

Nous sommes au Royaume-Uni quelque part vers un demain proche (et de plus en plus proche en cette année 2019, treize ans après la sortie du film). Les Etats-Unis sont en proie à une nouvelle guerre civile raciste et sociale. L’Europe est absente. Au Royaume-Uni, un parti conservateur se crispe à l’appel du Norsefire (le feu nordique) et un leader à la Oswald Mosley surgit, croyant, éructant, imposant la vertu et l’ordre. Pour arriver au pouvoir, il agit comme Poutine (et Hitler) : terroriser la population par des émeutes, des incendies et une bonne vieille épidémie répandue exprès dans une école, une station de métro et une station d’épuration des eaux qui tue près de 100 000 personnes, dont de nombreux enfants. La société a peur, les citoyens votent pour l’ordre comme en 1933.

C’est ainsi que le Premier ministre (John Hurt) devient Haut chancelier comme sous les nazis, Adam Sutler vocifère comme Adolf Hitler. Tous les immigrés, les « païens », les musulmans, les malades mentaux, les homosexuels et les lesbiennes, les anarchistes et tous les intellectuels critiques sont bannis, emprisonnés ou fusillés lors de l’Assainissement. Comme sous Bush après le 11-Septembre, les libertés fondamentales sont supplantées par la sécurité nationale et la « lutte contre le terrorisme » – dont la définition est élargie au gré du pouvoir. Une seule chaine de télé, la BTN dans une tour comme un donjon qui surplombe Londres, diffuse la propagande naze du conservatisme paranoïaque aux accents d’Apocalypse. Protero (Roger Allam), un ex-militaire, enrichi par les vaccins contre l’épidémie répandue et qui se fait appeler « la Voix de Londres » se vautre dans des imprécations à la Céline contre tous les déviants qui menacent le pouvoir blanc, chrétien et anglais. Une ligue de vertu dirigée par l’évêque anglican Lilliman censure les œuvres d’art et retire des musées tous les nus, même religieux, comme saint Sébastien torturé de flèches, jugé trop lascif, Bacchus et Ariane du Titien, la Dame de Shalott de Waterhouse ou une copie de la Vénus de Milo dont les seins nus sont provocants.

Une milice politique bien armée nommée le Doigt maintient la paix civile et contraint au couvre-feu. Ses agents en civil arborent l’insigne à croix de Lorraine rouge aux deux branches horizontales égales sur fond gris. Ils ont tous les droits passé l’heure fatidique. Y compris celui de violer à loisir la belle égarée avant de la relâcher au matin, déchirée et matée. C’est ainsi qu’ils découvrent Evey (Natalie Portman), assistante à la BTN, qui brave le couvre-feu en tête de linotte pour aller dîner avec son producteur Gordon (Stephen Fry). Quatre agents du Doigt le lui mettraient bien profond dans les orifices mais un mystérieux homme en cape noire au visage masqué de Guy Fawkes (Hugo Weaving), surgit de la nuit et, tel Zorro, sauve la fille sur le point d’être poinçonnée par des inspecteurs trop zélés. Il la convie à venir voir sur le toit le feu d’artifices qu’il a préparé, précédé par l’Ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski passée sur les haut-parleurs à la chinoise, installés pour la propagande dans toutes les rues. Les gens sortent, attirés par le bruit incongru, et l’Old Bailey, la plus vieille cour de justice criminelle de Londres, saute en beauté sous leurs yeux. Il faut détruire la vieille « justice » qui s’est dévoyée au service du pouvoir pour en instaurer une neuve. Dans un an, prophétise V, ce sera au tour du Parlement de sauter pour l’anniversaire de Guy Fawkes.

La fille est épatée, elle ne le croit pas, puis se laisse circonvenir. C’est que son frère a été l’une des victimes de l’épidémie inoculée à l’école et que ses parents, lui écrivain critique, elle devenue activiste, sont morts sous la répression. Elle accepte de faire entrer avec son badge celui qui se fait appeler « V » (pour vendetta) afin qu’il lance sur les ondes de la télé un appel à résister au régime hypocrite et corrompu. Au moment où V, après quelques péripéties, est mis en joue par un inspecteur, elle le sauve en détournant l’attention puis s’évanouit, frappée par le policier. V la ramène dans son antre, un souterrain au cœur de Londres.

Il se présente à elle comme l’émule d’Edmond Dantès, devenu comte de Monte-Cristo, revenu se venger des traîtres qui l’ont emprisonné et torturé à tort. Le régime, en effet, avait raflé tous les marginaux pour entreprendre sur eux des expériences de vaccins contre l’épidémie, comme on le faisait volontiers à Auschwitz quelques décennies auparavant, dans les camps japonais en Mandchourie et dans le goulag soviétique sous Staline. Résistant physiquement, résistant mentalement, le jeune homme avait fini par faire sauter et incendier le laboratoire-prison de Larkhill où il occupait la cellule 5 (V en chiffre romain) et s’en échapper, gravement brûlé. D’où le masque et les gants qu’il porte en permanence. Sa vie est foutue mais il veut délivrer celle des autres.

L’inspecteur Finch (Stephen Rea) enquête, soumis aux foudres du Haut chancelier lors de conseils restreints par vidéo-conférence. C’est un bon flic, épris d’ordre mais aussi de justice. Il va peu à peu découvrir que V n’est pas un vulgaire terroriste mais plutôt un résistant politique, et que l’épidémie qui a semé la terreur est peut-être le fait du parti conservateur pour instaurer le régime autoritaire qui permet tout pouvoir et enrichissement assuré à ses dirigeants.

Evey suit V jusqu’à ce que les meurtres systématiques de tous les affreux lui paraissent trop : Protero, Lilliman, la docteur Surridge nouveau Mengele de la prison-labo… Elle se réfugie chez Gordon – qui lui présente sa chambre secrète où trône un Coran et où sont affichées des reproductions de sadisme homosexuel (cette cohabitation en dit long sur les préjugés britanniques). La police perd sa piste mais arrête Gordon qui n’a pu s’empêcher de ridiculiser le Haut chancelier dans une émission de divertissement : tandis qu’Evey se réfugie sous le lit, comme lorsque sa mère a été arrêtée, elle voit Gordon à qui l’on enfile un sac noir sur la tête (comme à Guantanamo), signe qu’il va disparaître sans jamais revenir dans les geôles du régime. En fuyant par la fenêtre, Evey est arrêtée par un homme en noir.

Elle se retrouve en cellule et on lui demande chaque jour d’avouer le nom de V ou les indices qui permettraient de le trouver. Elle n’a rien à perdre, que la vie, et résiste, aidée par les lettres écrites sur papier cul d’une lesbienne emprisonnée avant elle qu’elle découvre dans un trou à rat. Si bien qu’un jour elle est libérée… C’était V qui voulait l’éprouver. Une fois que l’on accepte l’idée de mourir, c’est alors que l’on est vraiment libre.

V va utiliser le chef de la milice Creedy (Tim Pigott-Smith) pour amener le Haut chancelier à fuir par les souterrains – où il va le cueillir. Creedy croit pouvoir posséder le justicier solitaire et prendre la place de Haut chancelier tout en éliminant la résistance, mais tel est pris qui croyait prendre. V ne s’en sort pas mais a réussi son pari : le fasciste est mort, la population se répand dans les rues où la milice, sans ordres, ne tire pas, et Evey abaisse la manette qui fait partir le métro sous le Parlement pour le faire exploser.

C’est un bon thriller romantique de science-fiction (si l’on ose ce rapprochement inattendu), malgré l’air ahuri de Natalie Portman dans presque toutes les scènes. Le pouvoir des idées transforme l’acte terroriste en acte de résistance, bien que « les idées » puissent être mises au service de toutes les causes. La vengeance est-elle révolutionnaire ? Et s’avancer masqué est-il le meilleur moyen d’être démocrate ? Ce sont ces contradictions qui font la profondeur de cette histoire plus que les effets spéciaux qui réjouissent les ados. Chacun y verra midi à sa porte : les anars, les démocrates, le parti communiste chinois (qui l’a diffusé à la télé en 2012 !), les Anonymous (qui ont repris le masque).

Mais la montée de la peur par contamination (des immigrés, des croyants, des idées subversives, des peintures de nu, de la violence black bloc, des virus), la théorie du Complot qui se répand, la surveillance généralisée, la pudeur qui s’hystérise en censure, les lois de « sécurité nationale » de plus en plus rapprochées et sévères votées par une large majorité de consentants, les fausses vérités de la propagande télévisée officielle, la corruption hypocrite des puissants – tout cela est de plus en plus actuel et nous mène vers un néo-totalitarisme de moins en moins feutré. Le néofascisme est-il analogue au virus informatique qui déforme, paralyse et immobilise l’esprit ? L’intelligence humaine na-t-elle être dominée par l’intelligence artificielle manipulée par quelques-uns ?

DVD V pour Vendetta (V for Vendetta), James McTeigue, 2006, avec Hugo Weaving, Natalie Portman, Stephen Rea, Stephen Fry, John Hurt, Tim Pigott-Smith, Rupert Graves, Roger Allam, Warner Bros 2006, 2h08, standard €6.99 blu-ray €7.99

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Dan Brown, Deception Point

Dan Brown Deception Point

Entre Anges et Démons sur la papauté et le Da Vinci Code sur le Christianisme ésotérique, Dan Brown a un instant délaissé le médiéval pour se vouer à l’entière modernité. Il met en scène un autre monstre sacré, purement américain : la NASA. Ce mammouth scientifique, perpétuellement en pertes et trop souvent en échec, est ce qui reste de sacré pour le public positiviste des États-Unis où ce qui fait rêver reste l’espace. Il est aussi une formidable machine à faire travailler des spécialistes disparates et un gisement de découvertes sans nombre, à usage militaire aussi bien que civil.

La NASA est donc l’objet d’enjeux politiques, de préoccupations de sécurité nationale et de problèmes récurrents de financement. C’est dans ce labyrinthe d’intérêts et de rêves que se déploie le talent de Dan Brown. Il invente un Complot, fort intelligent ; il le démonte en un temps très court avec des gens motivés qui combattent le Pouvoir et l’Argent par la générosité et la démocratie.

Le bien, le mal, les valeurs, « US first », vous avez là un thriller tout à fait classique, parfaitement découpé et haletant, sans un temps mort. La psychologie des personnages est nette, l’histoire plausible, les détails vérifiés. C’est un excellent exercice de spécialiste et vous aurez grand plaisir à le lire. Il y a des sentiments et des moments d’humour, distillés avec une parfaite maîtrise. Le savoir compliqué est traduit en mots simples, à petite dose à la fois. Tous les acteurs sont d’ailleurs de vrais professionnels, du Président à ses conseillers, des savants aux journalistes, des commandos Delta aux secours en mer. C’est un bonheur de lire une histoire qui se passe entre gens parfaitement intelligents et si professionnels. De quoi vous donner envie de travailler comme eux.

Vous découvrirez même pourquoi l’Amérique reste l’Amérique : capable de mobiliser des milliards de dollars pour expérimenter, tester, aller toujours plus loin. Pourquoi l’Américain est fier de son pays neuf : capable de susciter les initiatives, de les fédérer et d’aboutir à conserver une large avance technologique. Un moustique robot existe, qui prend des photos compromettantes où il veut, ou peut injecter une dose mortelle d’un poison invisible quand il veut à qui il veut. Un avion militaire existe qui vole à mach 6, six fois la vitesse du son. Une arme automatique existe qui utilise comme munitions ce que son servant trouve alentour, neige ou sable. Un réseau d’écoutes existe qui permet de localiser tout téléphone portable allumé dans un rayon de 3 m. Tout lecteur de Dan Brown ne peut qu’être impressionné.

A se demander pourquoi le FBI a délivré un visa de séjour à l’un des terroristes du 11-Septembre trois mois après la chute des tours ; pourquoi Zarkaoui n’a été éliminé que par un bombardement du type de la Deuxième Guerre mondiale ; pourquoi la CIA a été incapable de savoir si oui ou non l’Irak possédait des armes de destruction massive ; pourquoi le renseignement militaire ignore si la Corée du Nord en a qui sont opérationnelles ; pourquoi le Département d’État ne sait dire si l’Iran est prêt ou non à en produire… Mais ce sont des questions trop réelles qui n’ont pas lieu d’être dans la magie fictionnelle.

Le thriller est ce conte de fées contemporain pour citoyens à qui il est nécessaire de raviver le patriotisme. Il est aussi l’analyse sociologique de base qui montre que l’intelligence et le savoir ne suffisent pas s’ils ne sont pas coiffés par une culture, donc par un sens moral. Pour comprendre la psychologie américaine, plus subtile que la caricature que les Français en ont, il est éminemment utile de lire ce genre de livre. D’ailleurs, il n’existe pas de thriller français où l’on puisse être aussi fier de son pays depuis les récits de la Résistance. Peut-être est-ce pour cela que la société française se délite en égoïsmes ?

Chapeau, l’Américain ! Un bon livre de train, d’escale d’aéroport ou de plage. Un livre découpé comme un film. On ne s’y ennuie jamais.

Dan Brown, Deception Point, 2001, Livre de poche 2008, 704 pages, €8.17

CD audio (en anglais – pour apprendre la langue), Simon & Schuster 2010, €21.23

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