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Finale à La Havane

Nous revenons lentement vers l’hôtel, toujours à pied. Nous aurons marché environ six heures et parcouru plus de vingt kilomètres aujourd’hui ! La circulation de ce vendredi après-midi se fait dense, comme la chaleur, revenue. Les primaires garçons quittent leur chemise dès qu’ils le peuvent, et leurs chaussures aussi, les débardeurs refleurissent.

garconnet pieds nus torse nu cuba

Nous traversons les rues entre les vieilles américaines, des Chrysler, Buick, Dodge, Plymouth, et même une Studebaker. J’étais un fan d’automobiles en modèles réduits quand j’étais petit. Nous voyons de multiples « chameaux », ces camions-bus à huit roues dont la remorque fait deux bosses pour absorber les trains de roues. Trois cents personnes peuvent y tenir debout, dit-on. Un jeune garçon déguisé en pirate des Caraïbes slalome en rollers entre les voitures qui avancent au pas, avec deux de ses copains en débardeurs. Lui s’est coiffé d’un foulard rouge serré sur la tête, a chaussé des lunettes fumées vertes et s’est attifé d’un polo de nylon brillant rouge bonbon largement ouvert en V. Ainsi grimé, poussant hardiment sur ses roulettes, il apparaît et disparaît comme un diablotin parmi ces lourdes voitures.

la havane etudiants

Précédés de deux motards aux sirènes hurlantes, passent en trombe et dans un grondement enfumé, une soixantaine de bus oranges offerts par le Québec avec leurs inscriptions en français. Ils sont tous bourrés de militaires en tenue et armés. Ce convoi traverse la ville sous les regards mi amusés mi agacés des passants pour aller de façon très urgente on ne sait où. Nous apprendrons le soir, par Philippe qui regarde la télé en espagnol, que l’ambassade du Mexique a été « envahie » dès mercredi soir par 21 Cubains qui y sont entrés en bus – en défonçant les grilles – afin de demander l’asile politique imprudemment « promis » par le ministre mexicain des affaires étrangères lors de l’inauguration du centre culturel mexicain. Il avait déclaré que « les portes de l’ambassade du Mexique à La Havane étaient ouvertes à tous les Cubains, tout comme le Mexique ». Plusieurs centaines de personnes avaient alors convergé vers l’ambassade et, le soir même, les jeunes avaient volé un bus pour enfoncer les grilles. Castro a eu beau accuser « des éléments antisociaux » et les provocations de Radio Marti depuis Miami, c’est bien le signe que, dès qu’une possibilité existe, une grande partie de la population est prête à affronter le vaste monde, « impérialisme » et « mondialisation » compris.

relations usa cuba 1959 2015 afp

En 1980 déjà, l’occupation de l’ambassade du Pérou avait provoqué l’exode de 125 000 Cubains vers la Floride à partir du port de Mariel. Après les restrictions dues à l’effondrement du soviétisme, plusieurs ambassades avaient aussi été occupées, à la suite de quoi 35 000 balseros avaient eu l’autorisation de fuir par radeaux. Des pays d’Amérique latine ont demandé une enquête à la commission des droits de l’homme à l’ONU, sur Cuba. Déjà condamné à trois reprises en 1999, 2000 et 2001 pour « persister à violer les droits de l’homme et les libertés fondamentales », Cuba a risqué d’être condamné une fois de plus et, cette fois, par des pays tels que l’Uruguay, le Guatemala, le Costa Rica, l’Argentine, le Chili, l’Équateur et le Pérou ! L’heure n’est plus au machisme révolutionnaire mais au respect de quelques valeurs mondiales de base. En mars 2010, le Parlement européen a voté une résolution demandant à Cuba la libération des prisonniers d’opinion – en vain. Et pourtant, en 2013… Chine, Arabie saoudite, Cuba et Russie sont élues au Conseil des droits de l’homme du Machin ! C’est dire combien il est une bureaucratie de blabla sans possibilités d’actions. Quant à Hollande, il préfère se « montrer à gauche » en célébrant Che Guevara que promouvoir les principes de gauche des « droits de l’homme ».

garcon de cuba

Nous suivons l’avenidad qui deviendra Salvador Allende mais commence avec un autre nom. Nous sommes en plein quartier populaire à l’heure de pointe de sortie des bureaux. Ce ne sont que queues d’attente aux arrêts de bus, adolescents sortis du lycée s’exerçant au poirier sans chemise dans les parcs, après des heures habillés et confinés dans des classes ennuyeuses, des filles affairées, des gamins joueurs. Deux filles tiennent chacune un bras du même garçon. Ils ont tous quinze ans. Le garçon paraît gentil. Est-il le frère de l’une et le petit ami de l’autre ? Le cousin des deux ? Le petit-ami potentiel de l’une ou l’autre ? Un simple copain plus adorable que les autres ? Il est doux d’échafauder un petit roman immédiat sur cette scène attendrissante. Plus loin, un treize ans à peine tient par la main la fille de son cœur. Ils sont encore enfants et pourtant adultes déjà, possédés de cet éternel amour que chantent les hormones, poussées plus vite sous ces Tropiques. Dans la cohue du vendredi soir, deux chiens jaunes, bâtards, sont couchés en rond, la tête sur les pattes, sur le trottoir. Paisibles dans l’agitation ambiante, ils sont un symbole des Cubains.

la havane femme au balcon

Les façades lépreuses des immeubles Art Déco ont leur lot de vieilles et de ménagères aux balcons. Elles regardent l’agitation au-dessous d’elles ou bien s’occupent à étendre du linge. Chemisettes et petites culottes pendent comme des lèpres sur les façades. Parfois, le vent détache l’un de ces vêtements qui tombe sur le trottoir ou sur le fragment d’herbe sale au pied des immeubles. Le vêtement devient alors une loque que personne ne ramasse ou n’ose même regarder. Et le passant étranger se demande, incongrûment, pourquoi la gamine ou le gamin, ont laissé là leur petite culotte ! Passé le carrefour de Las Avenidad, le quartier change. L’avenue est plus large, les immeubles plus hauts et plus récents, les bâtiments officiels (université, hôpital, administration) plus nombreux. Les gens se font plus rares sur les trottoirs. On s’y ennuie à marcher, le grand cimetière, la « Necropolis de Colon » des plans, se fait attendre. Nous ne voyons les sculptures du cimetière que par les grilles car il est bien tard. Nous ne verrons pas cette « véritable cité des morts, hérissée de tombeaux extravagants, de temples grecs, assyriens, de mausolées pompeux, grand musée en plein air où se côtoient tous les styles artistiques des 19ème et 20ème siècle », dont parle le guide de Marie-Josée.

gamin gamines en joie cuba

Nous rejoignons l’hôtel Kohly trois quarts d’heure plus tard pour une chaude douche, suivie d’un repas plantureux en salades et en fruits, où nous retrouvons les autres. Ils sont allés au musée de peintures qui est intéressant, selon eux. Le serveur, qui parle mal même en espagnol, tente de nous faire avaler du paon pour de la dinde, mais le serveur suivant, plus futé, rectifie.

Le séjour a été varié, prouesse dans ce pays si peu fait pour marcher et où la suspicion administrative et idéologique reste omniprésente. La contrepartie en est la durée des transports et les faibles contacts avec les gens – mais cela est voulu. L’idéologie tolère mal la comparaison. Il aurait fallu sortir le soir mais, décidément, cette musique salsa ne me séduit pas. Pour le reste, je retiens un pays vide, superficiel, qui ne vit que dans le souvenir de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme. On ne vit pas impunément dans l’éternel ressentiment : deux générations après « la » révolution castriste, où est le progrès humain ? il s’agit bel et bien d’une régression socialiste, comme trop souvent hélas avec l’idéologie – même en France sous Hollande !

cuba beaute metisse

Chaque libération est une victoire, certes, d’où le foin qui accompagne la dernière, celle de Fidel et du Che. Mais il manque encore une révolution : celle qui libérera Cuba du communisme. L’épanouissement humain commence par la liberté, celle de penser et d’aller et venir comprise. De plus, toutes ces « libérations » sont peut-être utiles mais elles ne sont que du négatif. Où est le positif de ce pays ? l’apport à l’humanité tout entière ? Il y a des plages, des cocotiers, du rhum et des femmes, une musique facile et rythmée qui plaît aux masses. Rien de plus.

Certaines m’apprennent plus tard qu’elles sont revenues de Cuba avec une Castro-entérite. Cuba, nouvel Eldorado ?

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Baracoa de Cuba

L’atmosphère est très venteuse ce matin. Les nuages courent le ciel. Si nous ne sommes pas dans la nature, pour une fois, la météo reste quand même pour nous la première préoccupation du jour. Les autochtones s’en moquent, toujours vêtus de même, car le climat ici ne connaît pas les contrastes de nos contrées. Point d’hiver, tout juste une saison des pluies et des cyclones, mais il y a du soleil en moyenne 330 jours par an et la température reste égale avec un minimum de 22° en janvier et un maximum de 27° en août.

Baracoa est un nom indien qui signifie selon Sergio « la ville de la mer ». Elle a été fondée par les Espagnols après le débarquement de Christophe Colomb dans la baie de Mata. Parti le 3 août 1492 de Palos de Moguer, Colomb aborde Cuba le 28 octobre au niveau de l’actuel San Salvador, venant du nord. Il prend l’île pour Cipango – la Chine – et entreprend de longer la côte vers le sud-est. C’est ainsi qu’il arrive dans la baie de l’actuel Baracoa le mardi 27 novembre 1492.

fleurs baracoia cuba

J’ai retrouvé dans son Journal de bord ce passage : « Il arriva là où il croyait l’ouverture et il trouva que ce n’était qu’une grande baie (le port de Baracoa) avec, à son extrémité sud-est, un cap portant une montagne haute et carrée qui semblait une île (le mont de Yunque) ». À son arrivée, des Indiens tout nus qui vivaient dans des cases en palmes s’enfuient. Le Journal ajoute : « la beauté de la terre et des arbres, parmi lesquels des pins et des palmiers (…), la vaste plaine qui s’étend au sud-est et n’est pas plane comme le sont ordinairement les plaines, mais ondulée de collines basses et aplaties qui en font la plus belle chose du monde avec, jaillissant partout, les nombreuses rivières gonflées qui descendent des montagnes. »

Il reste quelques jours dans la baie, retenu par les vents, poursuivant les Indiens nus pour tenter de prendre contact avec eux. Avant de quitter le site où nous sommes aujourd’hui, plus de 520 ans plus tard, « sur des roches vives il planta une grande croix à l’entrée de ce port qu’il nomma, je pense, Puerto Santo. » Nous verrons dans la cathédrale Nuestra Senora de la Asuncion (qui date de 1512) une croix de bois du passage de Colomb. Peut-être est-ce la même ? Une analyse au carbone 14 a montré que le bois de cette « Cruz de la Parra » était d’origine locale et datait d’avant 1530.

facades pastel baracoa cuba

La fondation de la ville de Baracoa par Diego Velasquez, venu sur l’île en 1510 pour la conquérir, date du 15 décembre 1511. Elle est l’une des sept premières villes de la colonie. Le commerce s’est développé par la contrebande avec les corsaires. Sur un mur est un slogan anti-commercial pour conforter les clercs : « l’éducation sème les sentiments » – sauf que l’éducation sème aussi la pensée personnelle, donc l’aspiration à la liberté, autre nom de la responsabilité. Dommage que « le socialisme », sous toutes les latitudes où il veut se « réaliser », soit convaincu que les gens ne savent pas ce qui est bon pour eux et que seuls les « élus » (au double sens citoyen et divin) soient les intermédiaires obligés pour « accoucher de l’Histoire »… Une centaine de familles françaises de Haïti se sont installées dans cette ville en 1791 et après, au moment de l’abolition de l’esclavage sur les territoires français. Elles ont amené leurs esclaves pour les faire travailler dans de nouvelles plantations de café et de cacao. Et c’est pourquoi tous ces gens que nous voyons aujourd’hui sont d’ex-français ! Les bâtiments actuels datent du 19ème siècle seulement car les précédents étaient en torchis et n’ont pas résisté à la pluie.

rue pastel baracoa cuba

Nous visitons la vieille ville, lentement. Longtemps isolée, jusque dans les années 1960 avec le percement de la route « révolutionnaire », Baracoa a gardé un cachet colonial et provincial à la fois. Les maisons sont précédées de jardinets parfois, des cocotiers ombragent les squares, les rues sont étroites, faites pour préserver l’ombre, à l’espagnole. Les façades sont colorées comme les vêtements des habitants. Est-ce une caractéristique des îles ? J’ai noté que dans toutes les îles les couleurs chantaient, qu’elles soient situées au nord (l’Irlande), au sud (les îles grecques, Madère, le Cap Vert), ou à l’ouest (les Anglo-Normandes, Belle-Île, Ré, Oléron, les Antilles…) Est-ce la lumière particulière aux îles ? Est-ce le besoin d’ancrer la contraste de la terre dans la couleur, face à la mer uniforme, toujours couleur de ciel ?

Sergio joue au guide ; il parle et parle, et je décroche. Je ne tarde pas à m’éloigner pour prendre des photos des façades pastels, des gens dans la rue et des filles qui passent comme des papillons exotiques, toutes voiles dehors. Une galerie de peintures offre ses naïfs très colorés, la cathédrale son ombre lumineuse très peu recueillie.

hatuey baracoa cuba

Une tête en bronze d’Hatuey, le martyr indien, dresse son mufle en bec d’aigle sur une colonne face au parvis de l’église. Une plaque indique qu’il fut le premier « rebelle » du pays. Cacique des Indiens de la région de Bayamo, il a été capturé et brûlé par les Espagnols le 2 février 1512. Un Franciscain lui a demandé s’il voulait croire en Dieu. Hatuey a demandé si les chrétiens allaient au ciel ; le Franciscain a répondu que les bons chrétiens y allaient. Hatuey a alors déclaré qu’il préférait aller en enfer pour ne plus les rencontrer. Ce sont aujourd’hui des Cubains qui préfèrent braver les requins et la houle sur des radeaux de fortune, plutôt que de vivre en esclaves dans le « paradis » socialisme du castrisme obstiné. Décidément, plus je vois le socialisme réalisé ailleurs, plus j’éprouve de l’aversion pour ceux qui se réclament de cette doctrine en France et qui voudraient la réaliser selon leurs voeux.

ado debardeur aux cornets de glace cuba

Les vitrines des commerces sont aussi « socialistes » qu’au temps de Brejnev : elles sont pauvres, réduites et poussiéreuses. Trois louches en fer blanc, quatre entonnoirs, deux bidons de détergent, se battent derrière la vitre d’un bazar. Tout est basique, on vit de peu avec peu, sans espoir que cela change sinon dans un « avenir radieux » toujours repoussé à la génération suivante « à cause » des impérialistes, du climat, du je m’en foutisme, et autres boucs émissaires – mais jamais à cause des dirigeants ni des vices de construction du régime, pouvoir oblige ! Garée le long du square en face, une Lada socialiste, à huit portes, attend les clients collectifs. Elle ne part que si elle est suffisamment remplie. Ici, il n’y a pas de « client roi », seulement des abrutis d’assujettis comme devant les guichets de nos administrations. Ils n’ont aucun « droit » et ne payent pas un « service » mais subissent le bon vouloir des fonctionnaires garantis à vie qui ne font qu’obéir à des règlements abscons, établi par un parti omniscient et centralisé, selon des horaires syndicaux. Vu l’état des routes de la région, je ne serais pas étonné de retrouver cette Lada, bien trop longue pour ses quatre seules roues, cassée en deux sur un cahot un peu trop violent…

Il fait chaud maintenant, bien plus chaud qu’au matin. Les garçons qui sortent de l’école s’empressent de se débarrasser de leurs chemises d’uniforme. D’autres ne portent que de grands débardeurs lâches, très colorés eux aussi, comme les vêtements des femmes, mais à trous. Seuls les hommes adultes ont la vêture anonyme, héritière de l’uniforme « bourgeois » simplifié : pantalon gris ou kaki, marcel blanc ou chemise blanc-cassé. Sur le môle face à la mer, les embruns ont rongé les façades et les vagues se lancent encore à l’assaut du parapet. La route est pleine de creux. Un glacier s’est installé sous les arbres, face à la forteresse et des mamans emmènent leurs petits en acheter une. Il y fait doux, des vieux discutent sur un banc en regardant cette jeunesse. Des adolescents passent en vélo, des filles sur leurs hautes semelles snob, tortillant de la croupe, rythme qui fascine les jeunes mâles.

Dans la forteresse en bord de mer, le Fuerte Matachin, est installé le musée de la ville. Une centaine d’espèces de bois sont représentés sous la forme de petits cubes dans une vitrine. Dans une autre, ce sont des dizaines d’escargots des arbres, les polimitas, aux rayures différentes. Dans une troisième, les différents marbres tirés de la sierra. Des illustrations reproduisent la vie des Indiens Taïnos qui résidaient ici avant l’arrivée des Espagnols. Ils creusaient par le feu des barques dans un tronc brut, dont ils durcissaient ensuite le bois à l’aide de pierres chaudes jetées dans l’eau qui remplissait le tronc creusé. Le dessinateur a parsemé ses vues de petits enfants tout nus se roulant sensuellement sur les bancs ou caressant les mamelles de leur mère. Les enfants portent tous sur le front une planchette collée étroitement par un bandeau, pour leur aplatir le crâne.

Passant ensuite à la période coloniale, une suite de présentations montre Cuba en septième producteur de cacao mondial, Baracoa étant la principale province de production de l’île grâce aux Français venus d’Haïti qui l’y ont introduit. Le climat chaud de la région, humide avec ses 3000 mm de pluie par an (trois fois la moyenne de Cuba), favorise la pousse de la fève.

Le reste du musée est consacré aux héros de l’indépendance, fin 19ème siècle, et à la Révolution castriste. Cette dernière prend bien trop de place dans ce musée pour son importance dans l’histoire. Le guide du musée (pour quelques dollars de plus) se plaît à nous raconter dans son français hésitant mais fleuri l’histoire de « la Russe », princesse sous le tsar, enfuie en Turquie puis à Cuba où elle commerce la banane avec son mari. Elle enseigne le chant, dont elle a la nostalgie car il n’y a pas d’orchestre dans ce bled, et elle sort parée comme si elle allait à la Cour, ce qui impressionne tout le monde. Son histoire édifiante veut que – de princesse naïvement exploiteuse du peuple – elle se soit « convertie » à la révolution de Castro avec le même naïf enthousiasme. Mais cela, c’est de la morale pour écolier et j’ai un peu honte de voir que certains du groupe le prennent au sérieux.

Il y a aussi « el Pelou » – le velu – un homme qui, après je ne sais quel vœux (ne serait-il pas révolutionnaire justement ?) avait juré de ne se couper ni la barbe ni les cheveux. L’écrivain Alejo Carpentier a aussi sa vitrine. Mi-breton, mi-russe, il s’était exilé sous Batista et n’est revenu que sous Castro, dont il a été ministre conseiller à l’ambassade de Cuba à Paris. Il est inhumé dans le cimetière Colomb à La Havane et n’est présent ici que pour l’un de ses livres dont le titre, dont j’ai oublié l’intitulé, contient le mot « printemps ». Peut-être parle-t-il de la région ?

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Kiev

A près de mille kilomètres au sud de Saint-Pétersbourg, abritant 3 millions d’habitants, la vieille ville capitale est bâtie sur une colline qui domine le Dniepr.

kiev metro
Natacha nous emmène au centre-ville par le métro. Les lignes sont enfouies profondément sous terre, peut-être par souci de créer ces abris antiatomiques dont les années 50 étaient friandes. Pas de tickets, mais des jetons en plastique qui remplacent les anciennes pièces de monnaie. On les achète aux guichets, je ne vois pas quel est le progrès. Le métro est très animé, bondé sur la ligne qui va au centre. Banlieusards, familles, jeunes à quelques-uns, filles en couples, gamins solitaires, empruntent la ligne où presque tout le monde est debout, les rares banquettes étant disposés le long des parois. C’est très « collectif ».

kiev jeunes
On se côtoie, on se frotte, on se bouscule. Rien, ici, de cette phobie parisienne de « se toucher ». L’idéologie « prolétaire » et la longue pratique du collectivisme ont façonné des comportements plus directs, moins portés au quant à soi. Nul n’hésite à exhiber son corps par des décolletés plongeants, des chemises ouvertes ou des débardeurs filet. Même les tout jeunes adolescents, si honteux chez nous d’exposer leur poitrine fluette alors que leur groupe d’âge rêve de ressembler à ces supermen des films américains, n’hésitent pas, en Ukraine, à montrer leur jeunesse sous une vague mousseline. Les filles n’hésitent pas à promouvoir une image de « vamp ». Je me souviens d’une jeune femme, blonde décolorée, en mini short de jean, vraiment très mini, « californien », sous un haut blanc à bretelles moulant, vraiment très moulant pour mettre en valeur son opulente poitrine. Ses lunettes noires en amande cachaient volontairement une partie de son visage pour attirer les regards là où elle voulait, sur ses meilleurs attraits : une paire de jambes interminables montées sur sandales, fuselées, s’arrêtant au jean tout à fait en haut des cuisses…

kiev police
L’artère principale, Khreschatyk, est vide de voitures et envahie par les piétons les samedis et dimanches après-midi. Plus écologique que Delanoë, le maire de Kiev a osé rendre le centre ville « sans voitures » un jour et demi par semaine. L’origine légendaire de la ville veut qu’elle fût fondée par trois frères, Kii, Schtchek et Khoriv, et leur soeur Lybed. Elle existait déjà dès le Vème siècle, et payait le tribut aux Khazares turkmènes. Elle est vite devenue le chef-lieu d’un pays indépendant en relations avec Byzance. Oleg s’en empara pour en faire la capitale de toute la Russie en 882. Sviatoslav son petit-fils et Vladimir-le-Saint ayant soumis les peuples voisins slaves, ont donné à Kiev la prépondérance politique et militaire. Ce fut Vladimir 1er, son troisième petit-fils qui introduisit officiellement le christianisme à Kiev en faisant baptiser tout le monde dans un affluent du Dniepr en 988. La religion y avait pénétré depuis un certain temps déjà de Constantinople mais Vladimir est devenu « saint » orthodoxe pour ce bain collectif et royal.

kiev maidan
Notre hôtel, le Kozatskiy, ouvre sur la place principale de l’Indépendance. Nous allons y déposer nos bagages. Ce Maidan Nezalezhnosti est la grand-place de la ville. Une colonne droite de marbre blanc supporte une statue ailée, représentation allégorique de l’Ukraine, inaugurée lors du 10ème anniversaire de l’indépendance le 22 août 2001. Tout le quartier est neuf, les décombres des immeubles fumaient, le 6 novembre 1943, lorsque Kiev fut libérée des nazis après 200 000 morts et 100 000 déportés. Mais il a été refait par les architectes populaires staliniens dans le style traditionnel – pas comme Le Havre, rebâti par un architecte lui aussi stalinien qui se contentait d’imaginer « le peuple » au futur.

kiev monastere saint michel
Nous montons aussitôt la rue Mikhaïlivska, bordée de façades viennoises, jusqu’au monastère Saint-Michel du nom du protecteur de Kiev. Brillent au-dessus des immeubles les bulbes dorés de sa cathédrale. A l’extérieur, les mariages se prennent en photo et déambulent. Nous, qui avons laissé ce cérémonial dans les années 60, retrouvons un parfum d’enfance dans ce qui se déroule sous nos yeux. Une demoiselle d’honneur à peine adulte passe en hauts talons rose bonbon, assortis à son bandeau de tête et à son discret rose à lèvre. Sa robe, très déshabillée, fanfreluche autour des cuisses, à la mode « ciseaux ». Une délicieuse adolescente de moins de quinze ans, s’est emballée en confiserie dans une longue robe mousseline rose pâle, serrée à la taille, laissant la gorge novice découverte et bouffant aux épaules. De petites roses sont cousues sur le devant, ici et là, n’attendant que d’être cueillies par son petit copain adonaissant, très sage comme il se doit en ce pays où les mœurs sont restées conservées dans le traditionnel, « vertu » communiste oblige.

kiev fille adonaissante
La cathédrale abritée en son centre est, dit-on, l’une des plus belles de l’Ukraine. Elle aussi a été entièrement reconstruite – fin 1999, après la chute du communisme – sur le modèle du bâtiment des XIIe et XIIIe siècles détruit en 1934 sous Staline. Elle brille désormais de tous ses feux, bleu pastel, blanc et or, faisant la fierté du néonationalisme ukrainien. Les anciennes fresques et mosaïques conservées au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg ont été en partie restituées.

kiev mariage
Sous le porche d’entrée nous accueille un saint Michel archange, saluant de la main droite, tenant de la gauche une brassée de lys. Ses lèvres adressent au visiteur un sourire sibyllin tandis que son regard, lointain, semble vous passer au travers pour sonder votre âme particulière au tréfonds. Le monastère Saint-Michel est tout frais redoré et repeint. A l’intérieur, un public nombreux fait le tour des icônes avec bougie et prière à chacune. Il est sensé abriter les reliques de sainte Barbe. Alentour, alignés le long des façades ou entassés dans le kiosque du parc, des mariages endimanchés se font photographier pour la postérité. Un couple de sept ans, garçon et fille d’honneur qui se font isolément tirer le portrait, sont frais et emballés à croquer.

kiev mariage photo
Qui serait venu à Kiev il y a 20 ans encore n’y reconnaîtrait aujourd’hui pas grand-chose : la place Kalinine est devenue la place de l’Indépendance, la place des Komsomols léninistes place Evropeiska. Les magasins se sont multipliés, les devantures brillent de verre transparent et les vitrines attirent, les gens ne sont plus vêtus comme des sacs. Une nouvelle jeunesse souffle indéniablement sur le pays malgré les ratés démocratiques : il est dur de vivre sa liberté lorsqu’on a toujours été élevé dans la hiérarchie et l’obéissance.

Au centre de la place du monastère Saint-Michel, un ensemble architectural représente Sainte-Olga, première grande-duchesse baptisée de la Rous kiévienne, les moines Cyril et Méthode, inventeurs de l’alphabet cyrillique, et Saint-André qui avait prédit le futur développement de Kiev. Les statues ont cet air rigide et sévère typique de la sculpture stalinienne où il s’agissait d’être « sérieux », concentré, tendu vers la construction de l’avenir – très « petit-bourgeois » selon Roland Barthes, en somme.

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