
Un long et curieux film britannique adapté d’une pièce de théâtre d’Anthony Shaffer, créée en 1970 au Music Box Theatre de Broadway sous le nom de Sleuth (le sleuth-hound est un chien limier). Il s’agit d’une double histoire policière avec retournement, suivies d’un final doublement retourné. Difficile d’en dire plus sans violer la fleur vulnérable de l’histoire.


Au départ Andrew (Laurence Olivier), un aristocrate anglais dans son manoir, auteur de roman policiers traditionnels, convoque Milo (Michael Caine), un coiffeur pour dame londonien qui est l’amant de sa femme. Il veut le convaincre de la prendre pour qu’il puisse s’en débarrasser et divorcer mais, pour la garder, il devra assumer. La femme est frivole et dépensière, il lui faut de la fortune. Milo est à l’aise, mais sans plus. Andrew lui propose alors de voler chez lui les bijoux qu’il garde en coffre et d’aller les revendre chez un receleur de ses relations, lui assurant ainsi une somme suffisante, en espèces et net d’impôts. L’impôt est en effet la plaie du Royaume-Uni sous les Travaillistes avant Margaret Thatcher. Lui sera indemnisé par l’assurance et tout le monde sera content.


Sauf que, dans sa tête, il s’agit d’un jeu, figuré par la première scène du labyrinthe. Andrew est en effet l’un de ces nobliaux suffisants, sans activité productive autre que de dicter au magnétophone des énigmes policières snobs, lues par son milieu d’initiés. Il est resté en enfance, n’ayant jamais travaillé, entouré d’automates comme le Jolly Jack, marin qui rigole d’une voix grinçante, et de divers jeux comme le billard, les échecs, le puzzle. Il aurait été enchanté des jeux vidéos si cela avait existé à son époque révolue, une manière radicale pour lui de se couper du monde et d’ignorer les béotiens et les immigrés.
Car Milo, s’il est né au Royaume-Uni, est fils d’immigré italien parvenu dans les années 1930 à quitter le fascisme mussolinien. Milo n’a pas été dans les collèges huppés ni n’a fréquenté la haute société fermée, ni ne manie l’humour subtil aux références culturelles de l’entre-soi, mais a fondé sa propre entreprise, ouvrant un second salon de coiffure à Bristol après Londres. Mieux, c’est un latin lover, un charmeur empathique, loin de la froideur méprisante acquise entre garçons de 9 à 19 ans dans les collèges anglais. Il est plus jeune, plus moderne, plus séduisant que le vieil aristo conservateur confit.


Le « jeu » est donc pipé puisque c’est l’aristo qui fixe les règles. Il n’a pour but que d’humilier et de se venger de la perte de sa femme, laquelle préfère un amant vigoureux et affectif à un mari quasi impuissant et dédaigneux. Ce pourquoi Andrew entraîne Milo à la cave pour le faire se déguiser. Il choisira un costume de clown, après avoir hésité entre une robe de femme et une veste de bouffon. Il le fera grimper à une échelle pour découper un carreau afin de pénétrer dans le bureau où se situe le coffre-fort, lequel est malhabilement camouflé en cible pour fléchettes, le seul jeu de la pièce que Milo trouve immédiatement. L’auteur de detective novels se trouve pris en défaut, son intelligence logique pour tout maîtriser n’embrassera jamais tous les possibles réels.


Il faut simuler une bagarre, casser des vases et renverser des meubles pour faire « vrai » devant la police et l’assurance, mais l’auteur du jeu manipule sa marionnette pour un but bien précis : tuer l’amant de sa femme – mobile classique des romans policiers. Effectivement il tire, Milo à genoux le suppliant de ne pas le faire, suprêmement humilié.
Alors débute la seconde histoire. Un inspecteur se présente à la porte du manoir pour enquêter sur une disparition, celle de Milo. Andrew nie le connaître puis, devant les indices accumulés, avoue qu’il l’a rencontré pour un jeu, puis qu’il a voulu lui faire peur et le soumettre, mais qu’il ne l’a pas tué. Un monticule de terre fraîche au jardin, plus des impacts de vraies balles dans les murs et des traces de sang dans l’escalier sont autant d’indice graves et concordants pour accuser Andrew. Lequel est déstabilisé et veut s’échapper. L’inspecteur le maîtrise, et…


Mais c’est là qu’il faut s’arrêter, contrairement aux gros pieds dans le plat des auteurs et censeurs Wikipédia que je vous conseille de surtout NE PAS lire avant d’avoir vu le film, sous peine de violer le suspense. Or le viol est de plus en plus mal vu dans la société – sauf chez les,intellos pour les matières d’intellos semble-t-il. Contradictions habituelles des gens de bureau sur les gens sur le terrain. Prix Edgar-Allan-Poe du meilleur scénario, le film n’est joué qu’avec deux comédiens, les autres cités au générique sont fictifs, destinés à dérouter le spectateur avant le film – ce pourquoi il importe de ne pas déflorer l’intrigue.
Sorti en 1972, le film n’avait jamais paru en DVD (seulement en VHS), ce qui est désormais fait en septembre 2023. Une première ! C’était le dernier film de Mankiewicz. Deux heures sans jamais s’ennuyer, les chats sur les genoux adorent.
DVD Le limier (Sleuth), Joseph Mankiewicz, 1972, avec Laurence Olivier, Michael Caine, Alec Cawthorne, John Matthews, Eve Channing, Colored Films 2023, 2h12, €14,99 Blu-ray €19,99





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