Marie, mère de Dieu, se fait discrète dans les Evangiles. Hors le moment de la naissance et de la mort de Jésus, peu d’informations. C’est que Marie est une femme et qu’en milieu juif patriarcal la femme reste effacée. Christian Makarian était grand reporter au Point lorsqu’il a conçu ce livre. Spécialiste des religions, il n’est cependant pas chercheur mais journaliste, d’où les quelques erreurs du livre. Sur la place des femmes en Grèce qui fleure bon le préjugé, sur les mots grecs ou hébreux qui désignent les frères à propos de Jésus. Mais son livre reste utile sur Marie, cette grande oubliée de l’exégèse, et sur l’interprétation du Dogme par l’église catholique.
Les quatre Evangiles sont ceux retenus par le Canon de l’église. Ce sont les plus symboliques, ceux qui se préoccupent plus du Dogme que de la réalité humaine ou historique. Tout est parabole et sens caché dans les histoires sur le Christ, contées entre 50 et 100 ans après sa mort par les quatre compilateurs (dont le dernier, Jean, est probablement une équipe). De plus, le Dogme s’est construit à partir de l’interprétation des textes par les docteurs de l’église et durant les multiples conciles. Ainsi de la « virginité » de Marie, que Paul n’évoque jamais dans ses épîtres, pourtant écrites quinze ans AVANT le premier évangile retenu, celui de Matthieu. Ou de l’Annonciation, qui ne fait que répéter une « belle histoire », celle de Jérémie, d’Abraham, de Moïse, de Zacharie père de Jean-Baptiste. « Matthieu est particulièrement soucieux de lier l’un à l’autre l’Ancien et le Nouveau Testament » p.110.
Marie était-elle « vierge » ? C’est le grand mystère de la foi. Si Dieu a voulu s’incarner – ce qui fait scandale chez les juifs comme chez les musulmans qui y voient une profanation du Dieu infini – c’est que, dans le dogme chrétien, il a voulu renouveler l’Alliance avec les humains. Il ne s’est plus réservé à un « peuple élu » mais à toute l’humanité. Makarian analyse le milieu juif de Judée Samarie au temps de Marie. Les femmes étaient majeures à la puberté, soit 12 ans et demi. Marie a été fiancée à 13 ans, tout de suite enceinte car les fiançailles donnaient le droit d’avoir des relations sexuelles, puis a accouché à 14 ans. Elle était « sous l’emprise » de Dieu pour reprendre le vocabulaire des féministes d’aujourd’hui « violées » au même âge avec leur consentement. La virginité n’a été introduite dans le Dogme qu’après l’établissement de « la lignée de David » par Joseph – qui est donc initialement le père biologique de Jésus. Ce sera même un dogme papal de 1854 que l’immaculée conception… avant que ne surgissent les « apparitions » de la Vierge à Lourdes (1858), à Pontmain (1871), à Knock (1879), à Fatima (1917), à Beauraing (1932), à Banneux (1933) ! Paul puis Marc, Luc, Jean, mentionnent les frères et sœurs de Jésus, citant même les prénoms des mâles ; ce n’est que la traduction catholique des Evangiles qui va tordre le sens des mots hébreux pour en faire des demi-frères ou de vagues cousins, refusant que Jésus soit pleinement humain comme les autres.
Luc – près d’un siècle après les faits… – va établir le dogme de l’ange Gabriel annonçant à Marie qu’elle va devenir enceinte SANS avoir connu de mari. « A cet instant, le bouleversement historique s’enclenche, selon Christian Makarian. Jamais dans la tradition biblique, un ange ne s’adresse à une femme, encore moins à une jeune vierge aussi humble, à peine adolescente. (…) Elle symbolise une rupture avec le monde antique de la Bible. C’est toute la fragilité humaine face à la puissance divine » p.85. De plus, Marie doit donner son consentement – et elle se soumet, signe que la foi est tout et l’individu rien. La seule soif des justes doit être l’amour de Dieu seulement. « Pour Luc, l’allégresse de Marie doit préfigurer celle de tous les chrétiens devant l’avènement du Christ » p.90. La virginité de Marie n’est donc ni un fait historique, ni un point de doctrine (puisque ni Paul, ni Marc ne le mentionnent), « Marie conçoit effectivement du Saint-Esprit dans la mesure où, par la foi, son corps et son âme se situent dans une autre perspective qu’une grossesse ordinaire » p.100. C’est une nouvelle naissance pour le monde avant de l’être pour elle-même, l’affirmation que l’on peut, par la foi, surmonter l’impuissance de sa condition que la nature ou la société nous imposent.
Aujourd’hui Marie et ses longs voiles triomphe, mère rassurante plus proche des humains que Jésus un brin illuminé et mort en martyr, à poil et torturé sur une croix de bois. « Marie ressurgit quand l’inquiétude s’accroît, quand le doute s’installe, ou quand l’heure est grave » p.140. Et le mois de Marie, le mois de mai, était le mois d’Artémis, tout comme le 25 décembre, date supposée de la naissance du Christ, était celle du solstice d’hiver. Dans le Dogme, tout fait sens pour enfermer le croyant dans la Foi.
Christian Makarian, Marie, 1995, Livre de poche 1997, 159 pages, €4.03
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