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Arts et société aux îles Marquises

mata hoata expo 2016 musee quai branly

Le « musée du quai Branly » (quel vilain nom !) est consacré aux arts premiers. Il expose jusqu’au 24 juillet 2016, « le visage et les yeux » (mata hoata en marquisien) de la culture des îles Marquises. Objets anciens et objets créés après contact avec l’Occident du 18ème siècle à nos jours, ce sont près de 400 œuvres issues des réserves du musée et de collections françaises et étrangères qui viennent de cet archipel Pacifique parmi les plus isolés au monde.

La construction des maisons se fait en bois depuis les temps immémoriaux, les poteaux de soutien sont surmontés d’une poutre faîtière (Hiva Oa). Ces poteaux ont souvent forme humaine, ce sont les tikis. On les trouve également à la proue des pirogues. Les grands yeux sont symboliques, puisqu’associés aux ancêtres. Les tikis jalonnent aussi les meae, ces sites religieux ou funéraires réservés aux prêtres et aux chefs. Ils sont le plus souvent sculptés dans le bois, mais aussi en pierre, en os ou même en dent de cachalot. Représentant un homme ou une femme, tous ont de grands yeux, un nez large et une bouche de grenouille entrouverte d’où passe le bout de la langue.

La généalogie depuis les origines mythiques était valorisée car elle donnait la place de chaque individu dans la société (au total peu nombreuse, environ 100 000 personnes au meilleur, environ 10 000 personnes aujourd’hui). Les généalogies étaient récitées lors des grandes fêtes familiales et la mémoire se servait de pelotes de fibre de coco tressées et nouées pour fixer les souvenirs. À chaque nœud sa génération, à chaque cordelette sa lignée ; le corps central contient les dieux.

tiki akau edgar tamarii coll part

La vie quotidienne aborde pour le vêtement le tapa (écorce battue en fibres), pour l’alimentation le pilon de pierre, le récipient kotue, le bol à kava, et enfin pour la pêche et les voyages la pirogue.

Le kotue servait à conserver le popoi, la teinture ou le crâne d’un chef…

Le kava est une plante (Piper methysticum) qui donne une boisson narcotique très usitée par l’élite. Elle était réservée aux chefs, aux aînés, aux prêtres et aux guerriers, et consommée dans des maisons taboues (sacrées). C’était le rôle des jeunes garçons que de préparer le breuvage. Ils mâchaient les racines, les recrachaient et ajoutaient de l’eau douce. Une fois filtrée, la boisson était présentée dans un plat en bois ovale (tanoa), dont la poignée rappelle l’ornement de pirogue à la proue. Chacun buvait dans un bol décoré d’usage sacré, parfois en os humain (ivi po’o) provenant soit d’ennemis, soit de parents.

bol a kava musee quai branly

La pirogue (vaka) servait à tout : à l’identité puisque les origines remontent au débarquement, à la survie puisque les esquifs servent chaque jour pour la pêche en mer, à la religion puisque l’instrument de navigation relie les hommes entre eux et hommes et dieux. Les embarcations les plus courantes étaient petites avec un seul balancier ; les plus grandes, avec deux balanciers pour la stabilité, pouvaient contenir une dizaine de personnes et naviguer en haute mer. Mais la navigation lointaine nécessitait des pirogues doubles encore plus grandes, encore plus stables, les coques réunies par un plancher et actionnées par un mât supportant des voiles en feuilles de pandanus tressées.

ornement de pirogue musee ethno geneve

Les instruments de la fête sont présentés au musée sur la reconstitution d’un tohua (aire collective). Chacun se pare de bracelets, de colliers, d’ornements de tête et d’oreilles, de tatouages car le sujet central de l’art des Marquises est le corps humain : tikis supports et tikis funéraires, bijoux, peau ornée. Danse, musique et poésie sont des activités éphémères, mais aussi sacrées que la sculpture, le tissage ou le tatouage. Cet art a été transmis par les dieux et l’on commence dès l’adolescence à tatouer son corps pour ne terminer qu’à un âge avancé. Chaque étape importante de la vie s’inscrit sur la peau et protège le mana, l’énergie vitale. Ornement d’identité, de statut social, de place dans le clan, de sensualité pour attirer une femme, le tatouage avait un sens global. Bien autre chose que l’affichage narcissique d’aujourd’hui.

Les guerriers étaient armés surtout de frondes et de massues.

homme tatoue de nuku hiva 1804

L’exposition montre aussi des journaux de bord du capitaine Cook et du capitaine Marchand, des gravures et des peintures (Gauguin), des photographies. L’art local s’adapte aux nouveaux matériaux importés comme le métal, le tissu, les perles de verre. Un artisanat commercial accompagne la colonisation, comme les maquettes de pirogues, les casse-tête ou les noix de coco sculptées.

Musée du Quai Branly, 37 quai Branly, 75007 Paris, RER Pont de l’Alma

  • Ouvert mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h00 et jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h00
  • Tarif exposition 9€, tarif réduit 7€, billet unique collection + exposition 11€, réduit 9€
  • Dans le cadre du plan Vigipirate, toutes les valises, tous les sacs de voyage et grands sacs à dos sont interdits.

Exposition Mata Hoata

France-Culture, émission le Salon noir sur l’archéologie des Marquises avec Marie-Noëlle Ottino, historienne UMR Paloc du CNRS et Pierre Ottino-Garanger archéologue, chargé de recherche à l’IRD. À écouter en podcast

Le livre : Carol Ivory (commissaire de l’exposition), Mata Hoata – arts et société aux îles Marquises, 2016, Actes Sud, 320 pages, €47.00

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Île de Batz, jardin Georges Delaselle

Au sud-est d’Enez vaz, l’île basse de Batz, se dresse le jardin colonial, appelé aujourd’hui ‘Georges Delaselle’ du nom de son fondateur – et pour faire politiquement correct. C’est un beau jardin grâce au Conservatoire du littoral, qui l’a acquis en 1997. C’est aussi une belle histoire…

Imaginez ! Un assureur parisien, perdu dans les chiffres et les calculs d’actuariat sur les malheurs du monde, découvre l’île de Batz grâce à un ami en 1897. Coup de foudre ! Moins pour l’ami que pour le pays, où les marins ont déjà acclimaté quelques plantes ramenées de leurs voyages au long cours. Il décide d’acheter une parcelle dans l’endroit le plus chaud et le moins cultivé, isolé face à Roscoff.

Il met vingt ans pour faire creuser le sol et ériger un cordon dunaire littoral qu’il plante de cyprès de Lambert, ceux qui protègent bien du vent. A l’intérieur, il acclimate des centaines de plantes exotiques qu’il fait venir des quatre coins de la planète (qui est ronde et point carrée, mais on dit comme ça quand même…). En mai 1918, avant l’armistice du 11 novembre, il se découvre atteint de tuberculose et plaque la finance et la capitale pour se réfugier en son paradis. Il vend l’endroit en 1937, très affaibli, et meurt en 1944 à 83 ans. L’oasis exotique reste à l’abandon jusqu’à ce qu’une association entreprenne de la sauver.

Il existe aujourd’hui plus de 2500 espèces dont les deux-tiers proviennent de l’hémisphère sud. La Manche a les eaux douces grâce au Gulf Stream, mais l’air âpre à cause des tempêtes atlantiques. Nous faisons partie en 2012 des 30 000 visiteurs annuels dont la majorité, femmes et enfants compris, est ravie de ce petit coin exubérant de paradis dans la rudesse du paysage. Un jardin adolescent, telle est l’impression première. Ça pousse, ça vit avec vigueur, ça pointe fièrement ses feuilles au soleil. L’atmosphère de vitalité végétale saisit quiconque, des petits de 6 ans aux ados de 16, et jusqu’aux vieillards qui retrouvent ici une jouvence.

Un dépliant vous invite à visiter dans le sens des aiguilles d’une montre. De l’accueil, vous passez par la nécropole, un petit dolmen de l’âge du bronze daté de 1800-2000 avant notre ère. Découvert lors des travaux de terrassement du jardin, il a été fouillé par un archéologue début XXème siècle. Il renfermait des cendres funéraires et des poteries cassées. La pierre laisse le souvenir de l’éternité, tandis que la pelouse, d’un vert cru après les pluies de juillet, exhibe la vie en plein renouveau.

Nous entrons ensuite dans la palmeraie. Les palmiers à chanvre venus de Chine sud offrent leur beauté lattée.

Des bananiers montrent que le climat ne connaît jamais le gel.

Un bassin recueille l’eau glougloutante d’une fontaine au-dessus, plantée de végétation gorgée d’eau dans un décor quasi japonais. La pelouse centrale s’ouvre brusquement, vert reposant et bancs qui tendent les bras tandis que les kids s’amusent d’une feuille. Vers le nord s’ouvre une lande fleurie, ouverte sur le large.

Poursuivons par le jardin maori. Le lin ‘de Nouvelle-Zélande’, découvert par le capitaine Cook, est un phormium utilisé par les Maoris de Tahiti qui utilisent sa filasse pour fabriquer tissus, cordages et filets de pêche.

Les petits garçons aiment à se saisir d’une lanière sèche, tombée et brunie, coupante comme une lame. Ils en font une épée, assurant que, côté tige, « ça ne coupe pas ». La vie exubérante appelle la mort, celle qu’on donne par enthousiasme, celle qu’on accepte par excès d’énergie. La mort, la vie, les enfants ressentent d’instinct ces appels du jardin.

La cacteraie offre ses plantes grasses qui, fin juillet, sont fleuries.

Les agaves aux feuilles épaisses et griffues sont comme des plantes dinosaures, lourdes, puissantes, bien établies. Originaires du Mexique et ramenées par Christophe Colomb, ces plantes dodues recèlent bien des secrets : de leurs feuilles, les indigènes tirent la fibre de sisal qui sert à tisser et à faire des chapeaux ; de leur cœur tendre, l’alcool distillé de tequila. De la vie naît la mort et de la mort la vie. Squelette de plantes qui sert à vêtir, sang végétal qui sert à oublier, eau de vie, eau de feu, excès de vivre jusqu’à la mort. Ce ne sont pas les pubertaires, occupés à se caresser la peau nue et à se bécoter dans les bosquets palmiers qui me contrediront.

Avant la terrasse ouest se dresse le calvaire, croix de granit brut érigé au point culminant du site. Il a été récupéré d’un dolmen christianisé des temps anciens, que la chapelle Sainte-Anne avait adopté avant d’être laissée jusqu’aux ruines. La mort, la vie, la tombe et la résurrection, la fin ici-bas et l’espérance au-delà.

Est-ce pour chanter cela qu’est installée à côté ‘Écran’, l’œuvre de Jean-Marie Dalet ? Il s’agit d’une lentille miroir montée sur cadre, qui focalise le rayon solaire sur le sol – quintessence de l’énergie, de la chaleur laser, de la vie…

Un peu plus bas, sous les palmes qui se balancent à l’orée de la pelouse verdie par les pluies bienfaisantes, une plaque : Georges Delaselle, 1861-1944. Tout simplement. Nous lui rendons hommage.

Redescendez par les terres australes et les plantes vigoureuses qui poussent là. Fleur lumineuse, rouge et velue comme un dard simiesque.

Fougères arborescentes, exubérantes et graciles comme des adolescents. La cordyline néozélandaise permet de tisser nattes et pagnes, tandis que sa palme couvre les toits des ‘fare’ dans les îles Pacifique.

Des agapanthes de Bonne espérance sont des fleurs d’amour qui font oublier la mort omniprésente dans la nature indifférente. Tout naît, tout meurt, sans cesse ; le petit devient grand, le vivant devient cendre. L’échium des Canaries a des fruits en tête de vipère ; sa fleurette bleue couvre par millier la tige jusqu’à 6 m de haut tandis que la mort vient. On ne fleurit qu’une fois quand on est échium : la mort est au bout du fruit. Mais il se ressème tout seul, continuant le grand cycle de la vie…

Et puis c’est le poste d’accueil, derrière un rideau d’arbres, la sortie déjà. Nous serions bien restés, isolés parmi les plantes, mais nous avons bouclé la boucle. Près de deux heures sont passées sans bruit ni ennui. Les adultes sortent apaisés, les ados éblouis et les gamins heureux. En souvenir, vous pouvez acheter pour 3€ des boutures à planter dans vos jardins. Une vie qui renaît, une fois de plus.

Retour en vélo vers le débarcadère par le sentier très fréquenté qui longe les ruines de la chapelle Sainte-Anne – pas plus d’un quart d’heure. Comptez bien une demi-heure à pied.

Toutes les photos sont Argoul, sous copyright sans autorisation

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