Nous sommes en mars, mais il y a 700 ans, en 1312. L’Angleterre du roi Édouard II est anarchique, les Écossais menacent le royaume au nord et les barons au sud. Le roi est faible, il a perdu sa mère à l’âge de 5 ans et son père, autoritaire, ne l’a pas aimé. Solitaire, le jeune Édouard s’est trouvé un favori, un parvenu gascon qu’il a aimé et élevé au rang de comte lorsqu’il est devenu roi. Lord Gaveston suscite les jalousies. Infantile comme le roi, il est son mauvais génie, jaloux disent les uns, avide disent les autres…
C’est qu’être roi impose des charges symboliques et réelles. Régner, c’est assurer l’intérêt du royaume sur les intérêts particuliers. Régner, c’est assurer la succession par un héritier mâle, au détriment des désirs d’amitié. Le vocabulaire ancien du français a un joli mot pour désigner le favori, le mignon : femelin. C’est moins clinique qu’homo, moins cuistre que pédé et moins communautariste labellisé que gay. Édouard et son femelin règnent : où est le roi ? Le peuple accepte les excentricités par amour, mais pas au détriment du salut national. Les barons grondent de se voir exclu de la cogestion coutumière derrière le primus inter pares.
Certes, Édouard II s’est marié. Il a choisi Isabelle de France, fille de Philippe IV le Bel, le puissant souverain qui a rompu les Templiers et assigné le pape en Avignon. Isabelle a été épousée à 13 ans, fleur blonde encore fraîche malgré les attouchements et viols de ses frères aînés à la cour de France. Elle a 16 ans en 1312, moment de cette histoire, mais elle en sait beaucoup. La vie de cour et la condition de femelle dans un monde de mâles formaté pour la guerre lui ont donné l’intuition de l’intrigue et la dissimulation d’un serpent. Justement, elle est enceinte. Le femelin du roi en est jaloux…
Ne voilà-t-il pas là les nœuds d’une belle intrigue ? Paul Doherty, professeur d’histoire médiévale, a fait sa thèse sur Isabelle à Oxford, comme il l’avoue en postface. Il utilise les chroniques du temps pour camper les personnages – réels – et les faire vivre selon ce que l’on sait. « La description de la chute de Gaveston est conforme aux faits. Il s’est passé quelque chose de terrible à Scarborough qui l’obligea à se rendre » p.316. Un à un, les Aquilae du femelin, ces gardes au nom d’aigle, disparaissent.
Meurtres ou suicides ? Mathilde, suivante de la reine depuis la France, a la charge d’enquêter. Ce qu’elle découvrira est un nœud de serpents. Elle jouera en politique, se dévoilant sur la fin, laissant les Grands se déchirer entre eux. Seule la raison importe, le châtiment est laissé entre les mains de Dieu.
Cette intrigue est palpitante, bien menée en phrases longues comme les chroniques du temps. Elle apprend beaucoup sur cette Angleterre qui n’est pas encore Royaume-Uni, qui a des liens avec le sud-ouest français et possède en propre Montreuil et le Ponthieu. Troisième de la série (déjà chroniquée samedi dernier et samedi en 15), on peut la lire séparément.
Paul Doherty, Le règne du chaos (The Darkening Glass), 2009, 10-18 Grands détectives, 2011, 317 pages, €7.98
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