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Pompéi les bâtiments

Malgré le faste du décor de certaines demeures, et l’isolement de la ville de ce champ de fouilles, je ressens moins de mystère qu’à Herculanum. La ville exhumée à partir de 1748 est plus vaste, elle comprenait 25 000 habitants.

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Cette fois, elle fut ensevelie non sous la boue mais sous les cendres, lentement. Pline le Jeune écrit : « On entendait les gémissements des femmes, les vagissements des bébés, les cris des hommes ; les uns cherchaient de la voix leur père et leur mère, les autres leurs enfants, les autres leurs femmes, tâchaient de les reconnaître à la voix. Certains déploraient leurs malheurs à eux, d’autres celui des leurs. Il y en avait qui, par frayeur de la mort, appelaient la mort ».

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 Il faut une bonne dose d’imagination pour en sentir les spectres, comme le fit Théophile Gautier dans sa nouvelle Arria Marcella, ou Jensen dans sa Gradiva qui a obsédé Freud.

La présentation, peut-être, est-elle trop triviale ? Le public trop nombreux et trop banal ? Les cadences de fermeture de visite des maisons ramènent cruellement au présent. Les commentaires des guides italiens ont ce ton enlevé de qui est blasé d’avoir redit les mêmes inepties des centaines de fois à des ignares. Ils ne permettent aucun recueillement. Le touriste est mené en troupeau et ne se retrouve jamais seul.

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Pompéi est très vaste, mal entretenue et trop de touristes arpentent les mêmes voies pour qu’un recueillement puisse avoir lieu. Les plus belles fresques et sculptures sont au musée de Naples. Les peintures des maisons ont quatre styles différents.

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Le forum est le centre de la vie de la cité composite. A la fois centre religieux, politique, économique, il réunit aussi sous un même temple la triade des dieux principaux : Jupiter, Junon et Minerve. La religion était à l’époque la culture même, la communion avec les autres de la même civilisation ; c’était un culte civique, pas métaphysique. Ce pourquoi l’empereur pouvait être « un dieu » sans que cela face de lui un être hors du monde.

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Le temple d’Apollon est près du forum.

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Et de là part la via dell’Abondanza, la rue de l’abondance, avec ses bornes de pierre qui empêchaient les chars d’entrer sur le forum.

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De nombreuses maisons sont à visiter dans cet endroit.

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Le grand théâtre est construit dans un creux naturel de la colline.

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La via Stabiana sort du petit théâtre vers la porte de Stabia.

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L’amphithéâtre est le plus ancien du monde romain, construit en 80 avant ; il ne comprend ni souterrain ni fosses et ses escaliers sont extérieurs.

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La grande palestre, de 130 m de côté, recevait les jeunes athlètes du temps. Une piscine entourée de grands platanes permettait l’ombre et le rafraîchissement tout nu après l’effort.

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Les thermes de Stabiès, chauffés par le sol, comprennent une section des hommes et une section des femmes, plus une série de bains particuliers et une grande latrine publique.

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Le vicolo del Lupanare (la rue des bordels) vous mène à la maison de Siricus, à la boulangerie de Modestus et aux thermes centraux.

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Puis viendront la maison des Vettii, celle des Amours dorés, celle du faune, celle du Poète tragique avec la mosaïque du chien de garde Cave canem, la maison de Salluste et la maison du Chirurgien.

Plus loin s’étend la villa des Mystères.

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Visite libre de La Havane

Aujourd’hui est la « journée supplémentaire » gratuite et non prévue, en raison des changements d’horaires de la compagnie de charter pour le retour. Nous sommes libres d’aller et de venir, ce qui est un vrai luxe après deux semaines de groupisme forcé.

Nous partons à quatre de l’hôtel Kohly, peu après 9h, à pied vers le centre-ville. Nous prenons la 42ème rue jusqu’à la 5ème avenue (on se croirait à New-York) afin de voir de plus près les vieilles maisons coloniales rénovées qui servent aujourd’hui majoritairement aux ambassades. Nous passons devant Big Ben, l’horloge. Puis devant les ficus centenaires de l’église Santa Rita moderne, au toit en barque renversée. Nous passons le fleuve Almendares par le tunnel routier. Nous voici, de l’autre côté, sur le Malecon.

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Le restaurant « 1830 » propose son chic cossu. Quelques pêcheurs noirs, désœuvrés, traquent le pescado sous la tour. Ils regardent le large, inaccessible à ceux qui n’osent pas se lancer. Nous suivons la promenade du front de mer jusqu’au bout de ses huit kilomètres. Les grands immeubles récents précèdent les façades délabrées, rongées, la suite s’étant parfois carrément écroulée. Plus on se rapproche du centre, plus les immeubles sont décrépits. Plus l’heure avance vers midi, plus on rencontre de monde. Les Jineteros, dragueurs de femmes et de touristes de tous sexes, tentent d’engager la conversation pour gagner quelques dollars. Nous ne sommes pas des clients pour leurs sourires aux dents blanches aiguisées. Il s’agit le plus souvent de jeunes, des collégiens aux universitaires, avides de gagner quelques dollars sans s’investir physiquement. La version femme draguant les touristes mâles est plus rare, du moins en ce jour et à cette heure.

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Nous prenons une bière glacée peu après l’église Immacolada. Des lycéens reconnaissables à leur pantalon moutarde et à leur chemisette blanche ouverte par la chaleur, y déjeunent d’un sandwich et d’un cola local. Ils sont hâbleurs, rigolards et chaleureux. Ils parlent avec tout le corps, ponctuant leurs phrases de grands gestes de la main. Un jeune Noir de treize ans se dandine en balançant les épaules comme il l’a vu faire à la télé américaine. Il aborde une table voisine comme un homme, serrant la main des diplomates noirs qui prennent l’air important et enflent la voix dans leurs téléphones portables quasi inexistants ici.

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La serveuse aux yeux bruns qui nous sert les bières bat des cils et suce ses lèvres pulpeuses par réflexe, tout en me parlant espagnol. Elle drague inconsciemment tout touriste qui passe, porteur des précieux dollars. Au sortir du bar, une fille étroitement moulée dans un body qui fait ressortir sa poitrine d’obus, me susurre des bruits de baisers. Marie-Jo : « c’est pour toi, ça ? ». Je crois bien que oui.

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En suivant la mer, des garçons à peine sortis du primaire ont retiré leurs vêtements pour jouer sur les rochers, sous la promenade. Les embruns les rafraîchissent parfois, à leur grand plaisir, mais leur jeu consiste à lancer de petits galets à deux de leurs copains restés habillés sur le Malecon. Ceux-ci ripostent en ramassant les projectiles envoyés et l’un des slips se tord de douleur pour avoir pris un galet directement dans les couilles. Les vêtus rient de cette bonne blague – macho cubaine type. Au bout du Malecon, des 14 ans en caleçon rivalisent de pompes sur le ciment, deux à deux. Ils se lancent des défis à qui en réussira le plus, pieds nus sur le béton brûlant. L’air salin émoustille leurs jeunes forces. Passent des filles portant encore ces nichons qui vous sautent à la gueule, à peine contenu par un boléro minimum. Ces poitrines afro-ibériques sont presque inexistantes chez nous où sévit la mode anorexique sur le modèle protestant.

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Le musée révolutionnaire, devant lequel nous passons, est sur le point d’avaler sa cargaison de petits en foulards rouges, tel un ogre. Sur un côté du bâtiment, pieds nus sur la pelouse, un douze ans en débardeur exécute tout seul des roues et des soleils, des sauts avant et des retournements arrière. Quand il me voit le regarder, il en refait une série pour se faire admirer. J’applaudis en silence, battant des mains sans les claquer. Il me fait un signe. Il faut bien que s’use toute l’énergie de la jeunesse.

Nous suivons l’avenidad de las Misiones jusqu’à la calle de Obispo. En nous voyant regarder le plan, les gens sont obligeants et nous aident. Nous cherchons la cathédrale ? Facile. Nous retrouvons les rues à touristes ; ils y sont agglutinés comme à Venise, sans jamais quitter ces artères où se retrouvent leurs semblables. Nous passons un bâtiment vert pistache portant l’inscription « Cruz Verde », puis devant la pharmacie Taquerel, que nous a montré Sergio hier, avec ses alignements de bocaux antiques, l’hôtel d’Hemingway, pour aboutir Plaza de Armas, devant « le » restaurant conseillé dans tous les guides, Routard et Lonely Planet compris (sauf dans le guide illustré Gallimard) : La Mina.

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Son patio nous attend pour le déjeuner. Les clients ne sont que des touristes – aucun cubain (trop cher ? trop surveillé par la police du régime ?). Des musiciens placés en angle jouent trop fort, des paons en liberté et quelques poules se promènent en grappillant des miettes entre les tables. Le décor est « touristique » en diable, outrageusement touristique, mais reconnaissons que l’on y mange bien. Après un mojito, le plat de porc grillé aux crevettes est très bon. Nous nous en tirons pour 22$ chacun quand même, avec eau minérale et café. Ici, les dollars filent vite, déjà 335$ dépensés depuis le début du séjour, y compris la taxe d’aéroport réservée pour le départ.

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En sortant, je veux voir le musée juste en face. Devant est une ruelle aux pavés de bois, fraîchement retraités au goudron. C’est un beau bâtiment au large patio ombré de palmiers et de kapokiers. Nous payons trois dollars pour y avoir accès. Il s’agit du palais des gouverneurs généraux, « Los Capitanes Generales », qui sert aujourd’hui de musée d’histoire de la ville. L’architecte de ce palais élevé en 1791 a un nom qui emplit pleinement la bouche : Antonio Fernandez de Trebejos y Zaldivar. Le bâtiment a servi d’Hôtel de Ville de 1921 à 1967. La cour centrale, carrelée de noir et blanc, a des arcades qui éclairent des salles disposées en pourtour où sont exposés les vestiges de l’histoire de la cité. Des carrosses, des cuivres, des marbres 19ème imitant l’antique, des restes de monuments funéraires et des objets du culte de l’ancienne église, détruite, emplissent les premières salles du rez-de-chaussée. Un bas-relief funéraire serait « le plus ancien vestige colonial conservé à Cuba » : une face d’ange joufflu surmonte une croix posée à l’intérieur d’un temple à quatre colonnes. Il avait été érigé dans l’église paroissiale de La Havane, détruite lors de l’explosion du vaisseau Invencible au 18ème siècle. Il commémorait l’endroit où une jeune fille de la noblesse avait été tuée par un tir d’arquebuse accidentel. Une statue de Christ « de l’Humilité et de la Patience » ornait, au 18ème siècle, le couvent Santo Domingo ; elle a échoué ici, offrant un corps nu, percé, souffrant, ascétique, tout à fait dans le style tourmenté du catholicisme doloriste espagnol. Saint Matthieu et Saint Luc, en bois, viennent de l’église San Juan de Latran, du 18ème. À l’étage, des « ambiances » reconstituent des salles d’époque au mobilier luxueux et à la vaisselle importée. Une salle de bain aux baignoires de marbre et aux pots de faïence, le Salon du Trône, la salle des glaces où l’Espagne a rendu le pouvoir aux États-Unis lors de la première guerre d’indépendance de Cuba le 1er janvier 1899. Une salle des Drapeaux sacrifie au nationalisme pompier tandis qu’un immense tableau présente le général Antonio Maceo agonisant le 19 mai 1895 dans un champ, sur fond de palmiers. Un canon artisanal en bronze, renforcé de tresses de cuir, date de la lutte pour l’indépendance en 1869.

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Une salle aux fenêtres voilées renferme quelques peintures locales modernes. Je note un tableau de Cosume Prenza Almaguer de 1948, Cecilia, d’un lyrique achevé. Les plis et les ombres se multiplient comme sur une façade baroque ; loin de se fondre dans l’ensemble ils prennent toute leur place. La personnalité de la jeune fille ainsi peinte apparaît sophistiquée et tourmentée ! Un autre tableau de José Braulio Bedia Valdès, de 1959, présente El hijo – le fils – des jambes et un ventre d’enfant nu sur les genoux de sa mère dont on ne voit que ce détail. Du sexe du fils part une étoile filante, vers une planète dont le signe zodiacal figure Saturne. À l’emplacement du sexe de la mère est figurée une lune, lourdement symbolique. Le tout est en traits blancs sur fond bleu nuit.

Dans une autre salle, à laquelle on accède par un escalier, est installée une exposition contemporaine du peintre Pastor Perez Rodriguez. De loin, les tableaux figurent des bâtiments de la ville, la nuit, dans des couleurs éclatantes. Cela n’a guère d’intérêt croyez-vous ? Approchez-vous et regardez de plus près : des couples d’anges mâles et femelles sont installés sur les balcons, dans les chambres aux fenêtres ouvertes, sur les toits, dans les recoins sombres des trottoirs – et ils copulent allègrement ! Certains planent au-dessus de la ville, comme des rêves érotiques non encore incarnés. C’est étrange, drôle et séduisant – une figuration surréaliste.

Nous nous rendons ensuite au septième et dernier étage de l’hôtel Ambos Mundos, cher à Hemingway, pour prendre vue sur la ville. De la terrasse, nous voyons surtout les toits. La chambre du Maître existe, au cinquième étage, elle se visite sur demande, mais elle n’a plus guère d’intérêt. La machine à écrire exposée n’est pas la sienne et la vue qu’il avait est masquée par des immeubles récents !

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L’hôtel du lac Habanilla à Cuba

Douze heures après être partis ce matin arrivent enfin le lac et l’hôtel Hanabanilla. Sergio a eu ce nom dans la bouche toute la journée, savourant ces syllabes à la vanille comme il aurait sucé une glace. Il se fait une joie des deux jours que nous allons passer là, « dans la nature ». L’hôtel est un monstre à la soviétique, construit en plaques de béton modulaire. Cela résonne à l’intérieur et la lumière y est pauvre, apportée dans chaque chambre par une seule ampoule. Le vent violent siffle par les volets ouverts et les interstices des portes comme si un cyclone se préparait.

La chasse aux dollars commence une fois franchi le seuil. Une nuée de porteurs monopolise déjà l’entrée, « surveillant » les bagages, s’emparant des clés des chambres pour nous imposer le portage et la dîme dollar. Au dîner, le message écrit déposé sur la table est clair. Il est en trois exemplaires et en anglais, inutile de dire que vous ne l’avez pas vu. Il dit « si vous êtes contents du service, donnez-nous un pourboire ». C’est net et sans ambiguïté.

musiciens cubains

Nous ne sommes pas sitôt installés autour de la table qu’aussitôt quatre musiciens s’imposent et nous imposent leur soupe de rengaines cent fois entendues. Impossible d’avoir une quelconque conversation. Ils déposent sans vergogne leur corbeille à pourboire au milieu de la table aux deux tiers du dîner, un billet de un dollar déjà dedans pour bien montrer ce qu’ils attendent. Il faut voir leur tête quand, après avoir déposé un billet de 5$, Yves qui tient la caisse commune, prend le billet de 1$ pour le remplacer par des pièces. Les pièces ne se voient pas au fond de la corbeille et le billet de 5$ est caché par le rebord. Les musiciens doivent penser qu’il a tout repris ! Ils tiennent conciliabule un moment avant de jouer – mais sans conviction, un autre morceau pour donner le change. Ils s’empressent ensuite de ramasser ladite corbeille et c’est le soulagement quand ils voient qu’elle est quand même remplie. Le morceau suivant a nettement plus d’entrain.

billet 1 dollar #1

Des Cubains séjournent dans l’hôtel, en vacances. Nous les voyons jouer au billard lors du cocktail de bienvenue, un cuba libre au cola que Françoise n’aime pas (trop de rhum). Nous les voyons s’entasser dans la salle commune de restaurant, dont nous sommes dispensés par quelque privilège qui ne tient qu’à notre capacité en dollars : il est plus facile de nous traire dans une stalle séparée qu’au milieu de la grange. Nous les entendons ensuite se diriger vers la discothèque de béton hurlant, au bord de la piscine. L’architecture est si bien conçue que l’on entend la musique enregistrée jusque dans les chambres à l’autre bout de l’aile.

Le dîner était pauvre à nos yeux mais d’une richesse incomparable pour un Cubain. Il y avait du pain, du beurre et de la viande. Les locaux qui font la queue le matin devant les boulangeries ont leur pain de mie rationné alors que nous mangeons de petites miches issues de l’importation, surgelées en sac à destination des hôtels. Le beurre vient d’Europe. Quant à la viande, nous avions le choix, ce soir, entre poulet (toujours une cuisse, donc importé surgelé comme le reste), du jambon ou des truites en filet. J’ai choisi la truite. Elle était plutôt sèche.

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Après un petit déjeuner étranger, au café sentant fort la carotte grillée, nous partons le long du lac artificiel. Comme à chaque fois que nous entreprenons une marche à Cuba, il se met à pleuvoir. Nous avons deux (oui, deux !) « guides » locaux, Rafaelo et Pedro. Ils sont chargés de nous faire suivre le sentier balisé, aménagé pour les touristes autour du lac, avec des panneaux indiquant les étapes et la longueur des randonnées…

Avec ce handicap, il faut justifier la chasse aux dollars. Donc Rafaelo nous montre les arbres, le sapotillier qui fleurit deux ans avant que son fruit ne mûrisse (la première année, la fleur ne laisse qu’un minuscule pré-fruit). Il nous montre la agruma aux neuf folioles, le dessus vernis vert, le dessous blanc mat. C’est l’arbre « hypocrite » selon lui. Lorsqu’on le voit blanc, il va pleuvoir, cela signifie que le vent retourne ses feuilles (que faut-il penser de cette explication simplette ?). Le buisson ziguaray sert à l’exorcisme. « L’arbre à touristes » est une sorte de saule dont l’écorce pèle « comme la peau du touriste au bout d’une semaine à Cuba »… On sent que Rafaelo a soigneusement collecté les blagues éculées les plus grosses, qu’il ressort aux groupes de niais qu’il convoie à longueur d’année, envoyés par le Tourisme Populaire ou les centres de vacances du Parti Communiste Français.

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En s’élevant au-dessus du lac, le sentier fait prendre au paysage un air de Norvège. Nous n’apercevons aucune palme, seulement des feuillus qui descendent jusqu’aux rives. Le ciel est gris, les nuages tout en nuances, et la lumière d’aquarium qui règne aujourd’hui renforce cette impression de pays nordique. Il n’y a que la température qui ne peut se comparer à celle des fjords. Pedro, un grand sec et un peu demeuré, marche en débardeur sous la pluie. Il ne craint rien pour l’instant car, dès que la pluie s’arrête, la peau sèche très vite.

Nous abordons une casa blanca où une femme et deux petites filles attendent les touristes avec le café. Il s’agit d’une production locale, un nectar parfumé et très fort, servi dans de petits godets d’aluminium guère plus grands qu’un dé à coudre pour géant. La plus petite des filles a quatre ans et me dit s’appeler Melari.

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Nous reprenons le sentier balisé jusqu’au sommet à 712,6 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le barrage a été construit dès 1953 et achevé en 1961. Il est donc « révolutionnaire », comme presque tout ce qui semble exister à Cuba si l’on écoute ce que dit Sergio : avant, rien – après, tout ! La pluie, au sommet, se remet à tomber comme elle le fait par intermittence depuis ce matin, et elle bouche la vue.

Plus, loin, sur un col, la pluie redouble et c’est un déluge qui descend dru sur nos capes et fouette nos visages. Poussée par le vent, elle « tombe » même à l’horizontale, c’est la première fois que je constate ce phénomène ! La cape est vite traversée et nous nous réfugions derrière un bosquet pour attendre la fin de la bourrasque. Pedro, pas très futé, est complètement trempé et son débardeur ne l’habille plus vraiment. Il l’enlève et je lui prête une veste. Le sentier glisse, désormais, ruisselant d’eau et de boue. La pause pique-nique a lieu dans une ferme où les bancs sont couverts de fiente de poule. Des odeurs de merde montent des stalles qui servent de cuisine. Deux chiens, un chat noir, de nombreuses poules, un canard et même un cochon viennent se disputer nos miettes. Il faut entendre les cris d’orfraie de Françoise sur l’hygiène ambiante ! Comme nous venons de traverser des plantations de café, la mouture locale qui nous est servie en fin de sandwiches, est parfumée. Le grain est moulu dans un antique moulin à vis en fer, attaché au mur.

Nous reprenons la piste sous une pluie moins forte mais persistante. Nous descendons jusqu’à la rive du lac où un bateau de l’hôtel vient nous prendre pour nous faire traverser le bras d’eau jusqu’au bar d’été, en face. Il est prévu que nous dormions là ce soir. Ce n’est pas très nature… À notre arrivée, un troupeau de touristes locaux tue le temps à jouer aux cartes en buvant des colas. Sous la pluie, il n’y a que les enfants qui s’amusent, comme partout dans le monde. La plupart sont en débardeur – l’uniforme consacré des heures hors service scolaire. Ils jouent au ballon ou à se poursuivre sous l’eau qui dégouline du ciel et des toits des paillotes. Comme toujours, les petites filles restent sagement hors d’atteinte de la pluie, réfugiées près des mères qui papotent, alors que les petits garçons vont patauger dans les flaques, tête nue et gorge découverte comme s’il faisait soleil, indifférents aux températures. C’est un poncif des parents comme des moniteurs de colonies de vacances de vérifier l’habillement des garçons en-dessous de dix ans.

cuba libre

Nous tuons le temps en buvant des cocktails au rhum, des mojitos cette fois-ci. Le dîner, servi au porc, fait passer le temps et réchauffe un peu plus. Il est 21h quand nous installons les duvets un peu partout, si possible sous un toit de paillote. Je m’installe sur une table pour éviter l’humidité du sol et je fais quelques émules. La paillote est ouverte à tous les vents, mais l’air circule peu. S’il fait humide, il ne fait pas vraiment froid. Nous sommes sous les tropiques.

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Scoutisme, un siècle d’aventures !

Article repris par Medium4You.

Il fut un temps où EDF, GDF, BP et SDF ne signifiaient aucunement ces administrations corporatistes ou ce misérabilisme des pauvres devenus subitement « exclus ». EDF étaient les Éclaireurs de France laïcs, traduction exacte du mot anglais scout. Contrairement aux idées reçues, le scoutisme n’est pas un mouvement de jeunesse religieux. Il est laïque, fondé par Baden-Powell (BP alias Bipi), ex-colonel anglais de la guerre des Boers, qui a mis au service des jeunes citadins fin de siècle les pratiques du weld : débrouillardise, orientation, esprit d’équipe, camp sous les étoiles. Les SDF, Scouts de France catholiques, ne se sont fondés qu’en 1920, bien après les Éclaireurs, créés dès 1911 – d’où le centenaire du mouvement scout français cette année ! Ont suivi les GDF, Guides de France, réservés aux filles avant la mixité des années post-68. Laquelle révolution de mœurs a entraîné la scission de traditionalistes tels les Scouts d’Europe. Le communautarisme, déjà présent dès 1911 chez les Éclaireurs unionistes (protestants), s’est développé avec les Éclaireurs Israélites et Musulmans. Entre autres : il existe désormais 80 associations de scoutisme dans notre pays, dont 9 principales qui regroupent 90% des scouts, soit 130 000 personnes… sur quelques 9.5 millions de 7 à 18 ans. Soit seulement 1.4% de la jeunesse.

Car, malgré l’aventure, le scoutisme est quelque peu passé de mode. L’image militaire et religieuse lui colle à la peau. Les colos et autres camps de jeunesse « agréés Éducation nationale », administrés, réglementés et surveillés, rassurent les parents hantés par l’hystérie pédophile. Et l’époque a changé. Finies les années où les vacances étaient rares pour les parents, alors que le temps scolaire laissait la jeunesse désœuvrée. Fini le temps des transports rudimentaires et de la nature trop loin des villes. Les « activités » dévorent désormais l’emploi du temps non scolaire, le sport n’est plus une pratique rare et les vacances loin des parents sont entrées dans les mœurs. Alors le scoutisme…

C’est dommage car le mouvement est autre chose qu’une « activité » parmi d’autres. Il est l’apprentissage de la vie. Être soi, c’est se confronter aux autres, au monde, à la nature, être capable de se débrouiller et de s’entraider. C’est découvrir des savoirs nouveaux comme les traces d’animaux, les champignons comestibles ou les feuilles des arbres. C’est expérimenter des pratiques nouvelles comme monter une tente, construire un feu, lire une carte, s’orienter à la boussole, communiquer en morse ou par les signes de piste. Le scoutisme est un grand jeu qui réunit chaque dimanche les mêmes copains autour d’un projet commun : le camp d’été. C’est quand même mieux que le choix d’une « activité » sur catalogue !

D’où l’intérêt de feuilleter le bel ouvrage d’Antoine Pascal sur l’évolution du mouvement scout depuis les origines. Très richement illustré de photos et dessins, ludique avec ses encarts détachables, il est très complet et fait rêver, que l’on ait été scout ou pas. Rappel de l’uniforme qui, dans la France aux restrictions des années 1950, mettait tout le monde au même niveau social vestimentaire. Éventail des jeux et des brevets qui attisaient la curiosité et encourageaient le savoir-apprendre hors de la profitude magistrale qui ne s’occupe pas d’éducation mais seulement d’instruction. Promesse et chants ensembles autour du feu de camp, le soir à la veillée, qui soudaient l’équipe et ouvraient à la fraternité envers les autres, sensualité vague de la chemise ouverte ou du torse nu, accompagnement amical et moral pour passer la difficile adolescence. Avec un Jamboree tous les 4 ans, qui faisaient communiquer toutes les nations par leur jeunesse. Tout cela apprend la vie par les trois étages de l’humain, la passion et la morale et pas seulement par l’intellect.

Les dynamiques dessins de Pierre Joubert  illustrent la fraîcheur et l’énergie de l’adolescence. Embauché par la revue Le Scout de France pour l’illustrer, Pierre deviendra le dessinateur officiel du mouvement catholique. Ses gamins et gamines sont vifs et nerveux, emplis de ferveur et de détermination. Chemise défaite, déboutonnés, cheveux en bataille, ils « s’éclatent ». Joubert illustrera la célèbre collection Signe de piste des éditions Alsatia, dont la série du Prince Éric constitue à jamais le fleuron. « Le Prince Éric, héros de Serge Dalens, c’est le copain idéalisé, celui que la vie ne mettra jamais en face de vous dans la vraie, celle de tous les jours. Celui dont on ne peut même pas rêver vu que son pays, le Swendenborg, n’existe pas, que ses aventures faites de trahisons, d’amitiés et de sacrifices sont bien loin des réalités. N’empêche que c’est enthousiasmant de le croire même si l’on n’est pas dupe, et il en reste une morale que les dessins de Pierre Joubert ont aidé à graver dans les mémoires des scouts et de tous les autres jeunes qui ont partagé ces lectures d’adolescents » p.105.

Un beau cadeau pour Noël.

Antoine Pascal, Scoutisme – un siècle d’aventures !, octobre 2011, éditions Ouest-France, 110 pages, €30

Musée national du scoutisme, château de Thorey-Lyautey, code postal 54115, téléphone 03.83.25.12.12, site internet

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