Articles tagués : henri verneuil

Le Président d’Henri Verneuil

Tourné d’après le roman de Georges Simenon écrit en 1957, un brin arrangé, ce film tombe en porte-à-faux. Il raconte la politique politicienne de la IVe République, ses combinaisons de couloir, son affairisme, le je-m’en-foutisme général pour l’intérêt général qu’un général, justement, va balayer d’un revers de képi en 1958. Des pratiques « parlementaires » qui sont un nœud d’égoïsmes, dont le parti écologiste français donne d’ailleurs de nos jours la meilleure illustration. Ce ne sont que postures, répliques de théâtre moralisateur, egos surdimensionnés, n’oubliant surtout jamais leurs petits intérêts particuliers.

Sorti en 1961, après trois ans de Ve République, on ne sait pas qui ce film veut convaincre. Malgré ses défauts, l’option présidentialiste de la Ve réduit l’instabilité et les appétits narcissiques des « élus » – qui le sont souvent bien plus par vanité que par souci de servir la nation. Le président (Jean Gabin) cite cette réponse faite par Georges Clémenceau à son petit-fils à propos des politiciens intègres : « Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre ». Le recours à l’autorité d’un seul permet de mettre au pas ces ambitions trop personnelles. Sous la IVe, le « président » n’est que le premier du Conseil des ministres, autrement dit un Premier ministre. Le président de la République est au-dessus de lui même s’il est réduit à inaugurer les chrysanthèmes, selon la formule consacrée.

Émile Beaufort, ancien président du Conseil, dicte ses mémoires à 73 ans, la vieillesse venue (on vieillissait tôt à cette époque, après avoir subi la guerre de 14). Un brin De Gaulle dans son attitude et ses aphorismes bien balancés, il se remémore ses années de pouvoir et les avanies qu’il a dû subir pour défendre l’intérêt de la France contre les requins de la finance et de l’industrie comme du pétrole, tous inféodés au grand large de qui vous savez. Et notamment comment la France a perdu d’un coup de spéculation 3 milliards…

A cette époque de frontières fermées et de règles douanières, le petit monde de l’industrie et de l’agriculture vivait de ses rentes de monopole en clientèle protégée et n’innovait surtout pas. La perte de compétitivité inévitable avec les ans obligeait à des dévaluations régulières du franc afin d’ajuster les prix de ce qu’on exportait avec les prix mondiaux. Cela afin d’éviter le chômage, donc les grèves, donc l’agitation parlementaire et le renversement tout aussi régulier des gouvernements – où les mêmes revenaient sous d’autres fonctions ministérielles. C’est donc à une dévaluation massive du franc que se résous Beaufort, quinze ans auparavant ; il évoque 33 %, il transige à 22 %. Pour éviter les fuites et la spéculation, il s’en entretient comme il se doit – mais dans sa loge de théâtre – avec son ministre des Finances (Henri Crémieux) et avec le gouverneur de la Banque de France (Louis Seigner). Au lieu de procéder dès le lendemain, il attend le lundi suivant. La spéculation commence en Suisse, à Zurich, les ordres passés par une seule banque.

C’est curieusement celle de la famille de l’épouse de son plus proche collaborateur, le jeune et ambitieux chef de cabinet Philippe Chalamont (Bernard Blier), 38 ans (avec encore des cheveux). Ce dernier, convoqué, jure qu’il n’en a parlé à personne – sauf à sa femme. Fatale erreur ! Celle-ci s’est empressée de le répéter à sa famille , qui a spéculé grassement et sans vergogne. Outré, le président fait écrire à Chalamont une lettre où il avoue son erreur ; il la conservera pour en user quand il lui conviendra. Ce procédé était dit-on, celui du président de Gaulle envers ses Premiers ministres, une lettre de démission non datée servait à contrer le Parlement s’il avait soutenu le Premier ministre en cas de désaccord.

Beaufort empêche Chalamont de de venir président du Conseil durant quinze ans. Mais de crise en crise, les gouvernements ne parviennent plus à se former, l’option radicale de chacun, toujours monté sur ses ergots comme au spectacle et déclamant leur intransigeance à la Victor Hugo, empêche tout compromis raisonnable. Gouverner se réduit au plus petit commun dénominateur des médiocrités et des ambitions personnelles, qui ne changent rien au système ni aux intérêts acquis des Deux cents familles de la haute banque et de la grosse industrie qui siègent à l’Assemblée. Lorsque Chalamont, qui sait nager en Jadot et parler en Mélenchon, est pressenti par le président de la République pour former un nouveau gouvernement, il sait que le vieux Beaufort peut ressortir cette fameuse lettre d’aveu et faire un scandale monstre. Aussi va-t-il le voir le soir, incognito, à la veille de donner sa réponse.

Beaufort le reçoit devant sa cheminée et le sonde. Chalamont, toujours retors croit le flatter en reprenant à son programme le projet d’union douanière européenne porté quinze ans auparavant par Beaufort, à laquelle il s’était opposé pour conserver les intérêts des industriels, mais à laquelle il s’est rallié pour préserver les mêmes intérêts des mêmes industriels qui, cette fois, ont changés. Quand on appartient au parti centriste, l’absence complète d’idéologie permet toutes les hypocrisies et toutes les combinaisons avec les autres. Beaufort, en politicien à l’ancienne, mélange de Clémenceau et d’Aristide Briand avec un zeste de De Gaulle, est écœuré de ce serpent qui sait si bien se faire caméléon, affiché de gauche mais faisant une politique de droite. Il l’enjoint de renoncer à se présenter à la présidence du Conseil. Mais, comme il sait que les vrais hommes savent forcer le destin, il brûle la lettre d’aveu. Il ne s’en servira jamais, seulement comme une conscience suspendue au-dessus de la tête de Chalamont. Si celui-ci avait passé outre et franchi le Rubicon, comme le fit De Gaulle en 1940 (et le personnage de Simenon), il serait devenu président et nul n’aurait jamais entendu parler de sa trahison – pas même peut-être dans les Mémoires que Beaufort entreprend de dicter à Mademoiselle Milleran (Renée Faure) avec deux L et pas deux T comme un certain politicien de la IVe trop connu.

Le style « patriarche » du président correspondait à la fois à l’époque (avant mai 68), au désir d’ordre de,la société (après le putsch militaire d’Alger et la chienlit de la IVe République incapable de gouverner), et à la personnalité tant de l’acteur Jean Gabin (né en 1904 comme son personnage) que du dialoguiste Michel Audiard, célèbre par ses aphorisme bien assénés. Aujourd’hui, c’est un morceau de choix, une nostalgie pour les adeptes du « c’était mieux avant » (qui montre combien ça ne l’était pas) et un exemple pour les présidents d’aujourd’hui face aux politiciens portés à la chikaya et aux égoïsmes bien trempés de bonne conscience.

DVD Le Président, Henri Verneuil, 1961, avec Jean Gabin, Bernard Blier, Renée Faure, Alfred Adam, Louis Seigner, Gaumont 2020, 1h43, €12,77 Blu-ray €15,99

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Mille milliards de dollars par Henri Verneuil

Paul Kerjean (Patrick Dewaere) est grand reporter à l’hebdomadaire La Tribune (rien à voir avec le quotidien économique qui portera ce nom plus tard). Un informateur rejoue la Gorge profonde du Watergate en 1974 (récent à l’époque) en convoquant le journaliste dans un parking tout en restant dans l’ombre. Il veut lui faire une révélation : le PDG de L’Electronique de France, l’ancien résistant et homme politique Jacques Benoit-Lambert, aurait touché un pot de vin d’1,75 milliard de francs via la société immobilière de son beau-frère en quasi faillite. Elle a promu deux immeubles de bureaux qui ne trouvent pas preneur en raison de la crise économique due à la hausse vertigineuse du pétrole (prix multipliés par 3 à cause de Khomeiny en 1979 après avoir été multipliés par 4 en représailles à la guerre du Kippour en 1973). Kerjean enquête, confirme et publie.

Le lendemain de la Une, on retrouve Jacques Benoit-Lambert mort d’une balle en plein front, le pistolet à la main, dans sa voiture. Pour la police comme pour le public, c’est l’évidence, il n’a pas supporté le scandale et s’est suicidé ; sa maitresse se demande pourquoi, tant il avait l’air gai le soir même. Le journaliste vautour en est tenu pour responsable, avatar de la théorie du Complot qui sera édictée et répétée par Mitterrand lui-même lors du suicide de Pierre Bérégovoy en 1993. Car la gauche adore le Complot : cela lui permet de se donner le beau rôle moral de Résistant et à ses membres de jouer aux agents secrets comme des scouts frustrés de sexe qui cherchent des semblables pour une fraternité interdite.

Les années 1950 à 1980 voient les esprits français colonisés par le marxisme, version simplifiée du Lénine de L’Impérialisme stade suprême du capitalisme (théorie jamais vérifiée depuis un siècle entier !), et la théorie du Complot fait des ravages à gauche – de quoi mieux comprendre pourquoi elle sévit autant chez les anarco-gauchistes d’aujourd’hui. La grande hantise n’est pas l’Etat centralisé tentaculaire style 1984 d’Orwell (côté socialiste), mais « les multinationales » (côté capitaliste).

Ces puissances économiques privées réalisent un chiffre d’affaires qui donne le tournis lorsqu’on le met (artificiellement) en regard de la production intérieure brute de certains pays. C’est ainsi qu’en 1981, lors du tournage du film, les 30 premières entreprises mondiales font, à elles seules, un chiffre d’affaires annuel de mille milliards de dollars – soit une fois et demi celui de la France. De quoi inquiéter la gauche paranoïaque qui parvient au pouvoir cette année-là.

Remarquons ironiquement que paranoïa n’est pas raison et que, malgré le temps qui a passé, aucune « multinationale » n’a pris le contrôle politique d’un Etat, ni a dicté sa conduite aux Etats – sauf peut-être au Chili, Etat faible sous la coupe des Etats-Unis, en 1973. C’est qu’aucune multinationale n’a obtenu le monopole de la violence légitime comme les Etats et qu’elle est obligée de faire avec les lois. Même Google, la pieuvre tentaculaire contemporaine, sert les intérêts militaires de la NSA par ses cookies et autres captations de données. Et les Etats peuvent résister : en témoignent la Chine, la Russie, et ceux qui coupent de temps à autre le net pour contrer les manifestations comme en Egypte, en Algérie et ailleurs. La « multinationale » est la sorcière Disney qui fait peur aux enfants gauchistes en leur proposant une belle pomme rouge pour mieux les rendre esclaves – mais ce mythe permet de masquer ce qui se passe vraiment en sous-main.

Par exemple les paradis fiscaux, dont la multinationale américaine GTI, dans le film, use et abuse pour faire des bénéfices sans avoir encore vendu le tissu commandé – les paradis fiscaux n’existeraient pas si les Etats (notamment les Etats-Unis) n’avaient pas intérêt à disposer de finances opaques pour leur politique internationale. Ou l’augmentation du chiffre d’affaires, signe de puissance, qui incite à vendre à tous les belligérants d’un conflit sans autre morale que son propre intérêt de firme, comme GTI le montre en germanisant son usine nazie et offrant tous les brevets américains sur la détection des sous-marins à l’ennemi de l’Amérique – mais l’Etat patriote peut l’empêcher, comme en témoignent les Etats-Unis aujourd’hui qui interdisent Android à Huawei . Ou encore l’absorption de concurrents pour faire monter les prix ou vendre, via un pays tiers, des produits à un Etat ennemi interdit par la loi américaine – sauf que la loi américaine a été étendue arbitrairement par l’Etat américain au monde entier pour contrer l’Iran, la Chine, la Russie. Quand GTI veut prendre le contrôle de L’Electronique française, entreprise fictive nationale qui fait commerce avec l’est et probablement l’URSS (non citée pour raisons diplomatiques), c’est par secrète bénévolence de son gouvernement ou en violation flagrante de ses lois – ce n’est pas une situation stable qui la mènerait à la puissance en solitaire : elle continue de dépendre de son Etat. D’autant qu’aucune entreprise n’est éternelle – contrairement aux Etats, ancrés sur un territoire défini : ITT a disparu, IBM s’est transformé en société de services, les multinationales des années 1980 ont été remplacées par d’autres, surgies de la technologie et qu’une nouvelle technologie va pousser à la poubelle.

Paul Kerjean ne croit pas au suicide de Jacques Benoit-Lambert, il pense qu’il a été assassiné. C’est qu’il a connu GTI l’année d’avant lors d’une convention de la firme à Bruxelles, tenue à 4 h du matin pour éviter le décalage horaire à son PDG charismatique (Mel Ferrer). Celui-ci apparaît au journaliste plein de bon sens franchouillard comme « un mystique de la bourse » : il veut faire graver sur sa tombe en lettres d’or le cours de l’action GTI le jour de sa mort et forcer par testament tous les nouveaux PDG à venir se recueillir devant, une fois l’an, afin de comparer leur cours de bourse au sien. C’est bien la manière de signifier que seul l’intérêt de l’entreprise compte, aucune autre considération morale ni patriotique. Les agents incapables de remplir les objectifs sont virés, les Etats qui interdisent ou qui taxent sont évités. Les critiques 1982 ont pensé à ITT et à IBM, qui ont fait des affaires avec les nazis malgré la guerre mondiale.

Contre cet hubris – qui va rencontrer un os dans la France où règne le mythe du village gaulois à l’ère Astérix – le valeureux héros n’est pas un politicien courageux, ni un intellectuel de gauche, évidemment de gauche, mais un journaliste de la presse écrite, dite d’investigation. C’est ce combat que reprendra Edwy Plenel à Médiapart après Le Monde, autre mythe du chevalier blanc destiné à sauver le peuple, quitte à inventer des complots ou à forcer le trait des affaires. Patrick Dewaere a le visage suffisamment naïf et la démarche morale suffisamment simpliste pour être comprise comme un réflexe de bon sens plutôt qu’un combat mythique. C’est ce qui fait du film un bon thriller plus qu’un vaseux message militant. Le côté « force tranquille » qui était le slogan de Mitterrand pour la présidentielle, sur fond de village campagnard avec clocher, est renforcé par le recours au Courrier de Vesons, une feuille de chou locale dans laquelle le journaliste-parti-de-rien-dans-sa-province a débuté avant de « monter » à Paris, tel Rastignac, et se frotter à l’international.

Le film, tiré du roman de Robert Lattès et Max Dordives, Mille milliards de dollars : le monde économique de demain, paru en 1969, est fort bien monté, alternant les scènes de suspense et celles d’explications dialoguées, entrecoupant l’action par du familial, femme en instance de divorce (Caroline Cellier) et petit garçon mignon vêtu de jaune canari (Rachid Ferrache). Un film pour replacer les hantises contemporaines dans l’histoire culturelle.

DVD Mille milliards de dollars, Henri Verneuil, 1982, avec Patrick Dewaere, Jean-Pierre Kalfon, Jeanne Moreau, Mel Ferrer, Caroline Cellier, Fernand Ledoux, Charles Denner, Michel Auclair, Anny Duperey, Rachid Ferrache, Pathé 2017, 2h06, €7.65

Catégories : Cinéma, Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

I… comme Icare d’Henri Verneuil

Cela pourrait se passer n’importe où et notamment aux Etats-Unis ; un président est assassiné et cela évoque John Kennedy – mais toute ressemblance avec des personnes ou des scènes ayant réellement existés serait bien sûr purement fortuite. Bien que roulent des Cadillac, le spectateur peut apercevoir des Renault 12 et les cabines téléphoniques portent le mot « téléphone » en français ; il peut aussi reconnaître les tours de la ville nouvelle de Cergy. La fin des années 1970 étaient paranoïaques (c’est revenu avec le 11-Septembre 2001), le complot du « complexe militaro-industriel » ou « des multinationales » était imminent. Dans les années Giscard, en France, la tentation était grande de renverser le Système dix ans après 68.

Il n’en fut rien, dieux merci, et les années 80 verront que « le capitalisme » reste quand même la méthode la moins pire pour assurer un niveau de vie correct (en 1989, les Allemands de l’est fuiront massivement le « paradis » socialiste) et que « la démocratie libérale » reste quand même le pire des régimes à l’exception de tous les autres (jusqu’à la bouffonnerie trumpiste).

Le président Jarry (Gabriel Cattand) est tué de trois balles dans la face alors qu’il vient d’être réélu pour nettoyer les écuries d’Augias où règnent les liaisons dangereuses entre services secret et mafia. Un lampiste est opportunément découvert – mort, suicidé d’une balle en plein front – dans l’ascenseur d’où sont partis les coups de feu. Il est déclaré paranoïaque, donc fou et l’affaire est close. Une commission parlementaire (qui ressemble furieusement à la commission Warren) décide au bout d’un an d’enquête qu’il n’y a rien de plus à dire. Sauf que l’un de ses membres, le procureur Henri Volney (Yves Montand) déclare qu’il ne signera pas. Sur les six conclusions, il a six doutes.

La loi préconise que celui qui refuse l’unanimité doit lui-même reprendre l’enquête, ce qui est fait. Le procureur découvre que nombre de témoins qui ont contacté spontanément la commission n’ont volontairement pas été entendus ; que le témoin principal qui déclare avoir vu le tireur sur la terrasse en haut (Henry Djanik) ne voit rien sans lunettes alors qu’il ne les portait pas à ce moment-là ; que les douilles auprès du fusil sur la terrasse ne pouvaient se retrouvées groupées aussi soigneusement ; que le tireur présumé, le jeune blond Daslow (Didier Sauvegrain), est photographié le fusil à la main devant chez lui mais que ni les ombres ni la floraison des hortensias ne peuvent accréditer la date – et que le portrait est truqué ; que ceux qui ont « vu tirer » non pas en haut mais du deuxième étage sont tous morts dans des accidents divers les dernières semaines – sauf un, un inconnu (Jean Lescot). Retrouvé, il confirmera… et identifiera un homme qui a ouvert son parapluie noir en plein soleil juste avant les tirs – comme par hasard un parrain de la mafia (Jean Négroni) ; des films amateurs, sollicités, montreront la silhouette d’un second tireur comme dans l’affaire Kennedy (dont toute ressemblance, etc…).

Donc le psychopathe désigné coupable n’est pas l’assassin, CQFD. Qui est donc Daslow ? Il a participé à une expérience au département de psychologie de l’université de Layé (Yale à l’envers). Un moniteur est chargé de punir par des décharges électriques croissantes l’élève qui ne répond pas correctement à un test de mémoire. Là est le cœur du film : l’obéissance et le pouvoir des autorités « légitimes ».

L’expérience n’est pas inventée mais celle de Stanley Milgram entre 1960 et 1963. Certains humains sont plus ou moins soumis à l’autorité, évacuant leur propre responsabilité s’ils sont couverts par leur chef ou par la bureaucratie, ou s’ils n’ont qu’un petit métier à bien faire (comme sous Hitler) – mais la moyenne, en ces années pré-68, montre un pourcentage d’obéissance moyen de 62 % ! Le conformisme est la pire des choses.

Sommes-nous moins enclins à obéir aujourd’hui ? On pourrait le croire au vu de l’anarchisme ambiant et des théories du complot qui mettent en doute systématiquement tout ce qui vient d’une autorité (même la terre serait plate alors qu’on peut faire le tour du monde et que les fusées montrent une boule bleue ! – sauf que l’autorité est ici celle du Coran, donc crue « supérieure »). Or l’expérience de 2009 du faux jeu télévisé (La Zone Xtrême) qui reproduisait l’expérience de Milgram – avec une présentatrice de télévision en guise de « scientifique » – a montré un taux d’obéissance de 81 % !…

Les fonctionnaires des services secrets, chacun dans leur petite bulle, dérivent peu à peu vers le complot politique, se renforçant l’un l’autre sans guère y penser. On déstabilise un pays du tiers-monde pour le bien du commerce, on renverse un dictateur pour en mettre un autre… et on assassine son propre président pour le bien de la nation. Le procureur trouve un lien entre le vrai tireur mafieux venu d’Italie, le mafieux au parapluie et le directeur des activités secrètes des services spéciaux (Jacques Sereys). Ses collaborateurs vont visiter l’appartement de ce dernier et découvrent par hasard une cassette audio où, à l’intérieur d’une musique d’orgue, est inséré un message qui rend compte d’une opération de déstabilisation. Volney décrypte la cassette en ralentissant son débit et découvre que le jour même avant minuit, la suite de l’opération, baptisée I… comme Icare devra avoir été bouclée.

Icare, c’est lui, Volney qui, comme le jeune Grec, s’est trop approché du soleil de la vérité. Ceux qui menacent le soleil voient leurs ailes griller et leur chute programmée. Je ne vous dis rien de la fin pour ceux qui n’ont jamais vu le film, mais c’est efficace.

On peut cependant se demander pourquoi « la paranoïa » ne contamine ni le président assassiné qui roule en décapotable, ni les services de protection qui ne sécurisent aucun des grands immeubles à l’arrivée, ni le procureur enquêteur qui se balade seul et officie dans un bureau vitré… Même les paranoïaques ont des ennemis !

Yves Montand est à la fois sérieux et inventif, excellent dans son rôle. Les comparses jouent comme des comparses, ce qui le met en valeur. Même le tireur Daslow, dans sa candeur un peu niaise, parvient à être touchant, surtout lorsqu’il explique pourquoi il a poussé l’expérience de psychologie aussi loin pour 6 $. Le cinéma a fait mieux depuis dans le complot et la paranoïa (la série des Jason Bourne par exemple) mais le film simple d’Henri Verneuil est bien monté en même temps qu’il délivre un message : pensez par vous-mêmes et ne vous laissez pas manipuler par l’autorité si votre conscience se révolte.

Pas sûr que les jeunes cons qui se laissent embrigader par n’importe quelle secte soi-disant mandatée par Dieu aient une conscience ; pas sûr non plus que les vieux cons « qui ont fait 68 » et qui croient que tous les humains sont camarades (même les bêtes) soient plus conscients et moins conformistes ; pas sûr non plus que moi-même je sois exempt de biais… Mais il faut faire avec – et ce film montre combien il faut se méfier des comportements humains.

DVD I… comme Icare d’Henri Verneuil, 1979, avec Yves Montand, Michel Etcheverry, Roger Planchon, Jacques Denis, Pierre Vernier, LCJ éditions 2017, 1h55 mn, standard €12.99, blu-ray €14.99

Catégories : Cinéma, Politique | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,