Articles tagués : hiéroglyphes

Musée archéologique de Palerme 1

Nous allons en bus jusqu’au musée archéologique situé dans un ancien couvent bâti au XVIIe siècle pour les Oratoriens de saint Philippe Néri. Seul le rez-de-chaussée est visitable, le reste est en restauration. Une manif de collégiens braille on ne sait quels slogans au mégaphone, dans une atmosphère bon enfant. L’Opera dei pupi de Palerme est sis dans une ruelle, célèbre attraction de marionnettes siciliennes.

Après le petit cloître d’accueil du musée, où trône une statue de marbre musculeuse sur une fontaine du XVIe, nous pouvons voir la pierre de Palerme, un basalte orné de hiéroglyphes égyptiens datant de 2900 avant notre ère et qui donne tous les noms de la cinquième dynastie de 3200 à 2900 avant.

Mais le clou du musée est la salle de Sélinonte, visitée aussi par une classe de jeunes Allemands du supérieur férus d’histoire grecque. Les étapes de la construction des temples et la reconstitution des VIe et Ve siècles avant de la ville sont démontrées.

Catégories : Sicile, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Nabil Mallat, Le secret d’Osiris

Thriller d’un Libanais de 38 ans qui a étudié aux Etats-Unis, ce roman a pour cadre l’Egypte d’aujourd’hui et pour perspective la naissance des grandes religions.

Un groupe d’archéologues français et égyptiens financés par un Américain, fouille « le puits d’Osiris », trois chambres souterraines sous le plateau de Gizeh. Dans la troisième chambre, 35 m sous terre, ils découvrent un simple sarcophage avec pour décor le seul symbole d’Osiris, « le premier des Occidentaux » et pharaon originel mythique de l’Egypte. La tombe serait celle de l’homme devenu dieu, 9500 ans avant. Dedans, un squelette… plus un mystérieux papyrus qui va faire l’objet de toutes les convoitises. Autour, des colonnes décorées de hiéroglyphes mais qui semblent plus récentes que le sarcophage. Ce décalage est un mystère, faisant surgir l’ombre d’une société secrète qui protégerait la relique dans les siècles.

L’auteur ne cache rien du nationalisme jaloux des Egyptiens modernes pour tout ce qui appartient à leur terre, même avant l’islam. Il décrit avec ironie les bisbilles entre hauts fonctionnaires chargés des antiquités qui veulent se faire valoir auprès du pouvoir. Il met en scène l’éviction sans conditions des étrangers, qu’ils soient fouilleurs spécialistes ou financeurs, dès lors que le retentissement international peut profiter à la vanité égyptienne. Maxime le Français, Stella et John les Américains, quitteront le site et le pays le soir même de leur découverte, une fois « les autorités » consultées. Ils ne sont plus autorisés à fouiller et doivent remettre leurs recherches. Trouver la tombe d’Osiris ne saurait être le fait de vils étrangers mécréants.

Sauf qu’un mystérieux national qui se fait nommer Seth, le frère mauvais d’Osiris, convoite les trouvailles pour on ne sait quelle raison et, la nuit qui suit la découverte, cherche à voler le papyrus. Mais le document a disparu et seuls les découvreurs l’ont vu.

Lorsqu’il ressurgit, aux Etats-Unis par un tour de passe-passe que je vous laisse découvrir pour le sel de l’aventure, il est écrit en langue déchiffrable, ce qui semble un paradoxe près de dix millénaires plus tard. L’Enseignement primordial serait le premier texte égyptien transcrit par Imhotep, l’architecte qui inventa les pyramides. Il décrit en grec ancien (!) écrit en hiéroglyphes (!) comment Osiris a dû quitter ses terres fertiles en raison du manque d’eau avant de trouver asile près du haut Nil. Quel est donc ce mystérieux pays vert qui existait en son temps ? Un expert de la NASA obtient des photos du Sahara reconstitué en fonction de la météo estimée à l’époque. D’après le texte, le site originel pourrait se situer sur son bord nubien, à Nabta Playa. Cet endroit aujourd’hui désertique aux frontières de l’Egypte laisse encore voir des mégalithes en forme d’observatoire astronomique, une tombe de vache et celle d’un enfant nubien de 3 ans. Rien d’autres.

Une mission américaine financée par le Congrès est envoyée sur place après un soft power appuyé auprès des politiciens égyptiens. La menace de Seth, qui a tué l’un des fonctionnaires égyptiens de l’archéologie, fait que c’est l’armée américaine qui va sécuriser le site. Car tous sont menacés. Ils détiennent ce que Seth veut : le papyrus. Il prouverait une théorie à laquelle il tient.

Le thriller se fait alors haletant car le fameux Seth n’est pas si loin qu’on croit, même si la police égyptienne se vante de l’avoir arrêté !

C’est un peu tiré par les cheveux avec beaucoup d’invraisemblances et de raccourcis, mais l’écriture est vive et l’ensemble mené tambour battant sur près de 300 pages. Le lecteur ne s’ennuie pas. Mais Zeus discourant comme un politicien yankee dans une suite du Critias de Platon, c’est un peu gros.

Nabil Mallat, Le secret d’Osiris, 2013, éditions de l’Archipel, 284 pages, occasion €26.79 e-book Kindle €12.99

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Carrière et tombes du Nil

Nous allons explorer les carrières en bord de Nil. Arturo Berti, de l’armée de Bonaparte chassant les Mamelouks, est passé par ici. Il y a laissé son nom gravé dans la pierre. Ses compagnons et lui aiguisèrent leurs sabres sur le grès, aujourd’hui marqué d’entailles.

graffitis carrieres bord du nil

C’est sans doute en Égypte que le futur Napoléon a rapporté l’abeille dont il a semé son manteau. Les hiéroglyphes la dessinent de profil, de façon expressive. L’abeille construit une demeure géométrique, elle observe une hiérarchie sociale, elle produit de l’or liquide, le miel : n’est-elle pas le parfait symbole de l’État ? Elle signifie aussi « bonne action », « bon caractère » ou « être de qualité » ; elle symbolisait le pharaon de Basse-Égypte. C’est ce que m’apprend mon petit Champollion illustré écrit par Christian Jacq (Robert Laffont 1994), un abrégé de culture par l’écriture.

abeille egypte antique

Des tombes subsistent, ouvertes sur le Nil. On reconnaît sur les parois une belle Nubienne gravée. Nubienne, car reconnaissable à sa poitrine plus imposante que celle des frêles égyptiennes. Sur une paroi, Dji nous fait remarquer une fresque non terminée : un réseau de carrés de couleur rouge couvre la surface. Il permettait de déterminer certains points remarquables pour tracer les silhouettes. L’art égyptien est en effet fondé sur la géométrie, la proportion des nombres, comme ce fameux nombre d’or venu de l’architecture et repris par la franc-maçonnerie.

grotte bord du nil

Une tombe recelait un fœtus ou un petit enfant, tant le sarcophage était étroit, au dire de Dji. Une scène de couple y est gravée, pleine de tendresse, une main de la femme sur l’épaule de son mari, l’autre sur son bras. Plus loin, une jeune fille respire une fleur de lotus. L’âme est le souffle en Égypte ; si l’on veut que la « présence » du personnage disparaisse de la tombe, il faut détruire le nez par où passe le souffle. Et c’est ce qu’ont fait les vandales venus ici bien avant nous. « En bas-relief sur toutes les parois, une même peuplade obsédante de personnages qui gesticulent, qui se font les uns au autres des signes avec les mains – éternellement ces mêmes signes mystérieux, répétés à l’infini partout. » C’est ainsi que Pierre Loti ressentait ces bas-reliefs multipliés, volonté pathétique de laisser une trace humaine dans les siècles.

graffitis et lotus carrieres bord du nil

Les carrières étaient exploitées selon une division du travail taylorienne. Deux équipes d’ouvriers se relayaient par décade. Ils habitaient le village en face, sur l’autre rive du Nil. Les outils étaient numérotés ; ils n’étaient pas en fer jusqu’à l’époque de Ramsès II, mais en silex ou en bronze. Ce dernier métal étant fragile, il nécessitait une refonte en cuivre sur chaque fil tous les dix jours. Ils étaient donc réparés à chaque changement d’équipe. Le grès, ici, est très fin, idéal pour la construction des temples ; la proximité du Nil était une bénédiction, pas besoin de gros efforts pour transporter les blocs, directement chargés sur les radeaux.

Pour dégager chaque bloc, on piquetait une ligne de pointillés à la hauteur standard ; puis on enfonçait des coins de bois dans le grès et on les arrosait. La dilatation du bois forçait la pierre, qui se brisait selon les lignes de fracture préparées ; il suffisait ensuite de rectifier le bloc pour qu’il soit prêt. On le faisait glisser au Nil sur un lit d’argile humidifié, ou sur des rondins de bois. Les trous encore visibles dans les angles des pierres non détachées servaient à porter les cordes destinées à retenir les gros blocs durant leur descente jusqu’au Nil. La pierre était chargée sur des radeaux de roseaux ; on emplissait chaque radeau jusqu’à ce qu’il s’enfonce. Les Égyptiens utilisaient le principe d’Archimède sans le savoir : bien que maintenu sous l’eau, le radeau de roseau portait la charge de pierres en surface. Aujourd’hui il pousse toujours des roseaux sur les rives. De leurs plumeaux chargés de pollen s’envolent des filaments qui recouvrent les pierres et les végétaux d’une sorte de toile d’araignée très dense.

gravures bords du nil

Sur les tombes sont gravés des hiéroglyphes. Ils se lisent de trois façons : purement figurative (un dessin de canard signifie un canard) ; symbolique (associés, plusieurs dessins signifient autre chose, une métaphore, comme le dessin d’un canard surmonté d’un soleil signifie « fils ») ; phonétique (le dessin « canard » se prononce et les syllabes associées de plusieurs dessins forment d’autres mots). Toute image est une réalité agissante, un pouvoir magique, car seul l’écrit assure l’immortalité en abolissant le temps. L’on sait que Champollion a déchiffré les hiéroglyphes en 1822 à l’aide de la pierre multilingue de Rosette ; ce que l’on sait moins est que l’on était encore capable, en Italie romaine, d’écrire correctement en hiéroglyphes. L’historien Ammien Marcellin traduisait couramment un obélisque. Le hiéroglyphe, comme la culture qui allait avec, a été détruite par la christianisation intolérante, puis par le vandalisme arabe.

canard hieroglyphe

Des hiéroglyphes d’oies figurent sur les parois. Dji nous dit que les oies égyptiennes de l’antiquité pouvaient être gavées. Certains soupçonnent même que la tradition du foie gras s’est introduite dans le sud-ouest de la France par les Juifs d’Espagne, héritiers des traditions égyptiennes !

femmes egypte antique teton pointu

Une tombe est gravée en couleur. Les coloris sont encore frais malgré les millénaires. Les pigments ont tenu malgré les inondations et l’humidité. Ocre, rouge, bleu égyptien sur fond blanc cassé, ces pigments ont dû subir un procédé technique de cuisson pour subsister aussi longtemps sans altération à la lumière du jour. J’aime les femmes gravées ici : leur tunique leur laisse les seins nus et un téton pointe toujours, tout droit, érotique, signe de santé et de vigueur. Jaune et rouge, lune et soleil, ce sont la Haute et la Basse-Égypte qui s’unissent dans cette dualité.

crepuscule bord du nil

Plus loin, nous découvrons la stèle de Ramsès II. Ses côtés racontent une histoire : Ramsès II naît devant les dieux et celui à tête d’ibis le note sur un papyrus. Ramsès II (son nom signifie « Rê est celui qui l’a engendré ») se fera déifier à Abou-Simbel, mais nous n’irons pas voir son temple, ce n’est pas prévu dans notre semaine. Ce temple est bâti de telle façon qu’au 21 février (date de sa naissance) et au 21 octobre (date de son couronnement), le soleil (le père mythique) pénètre les 33 mètres de profondeur du temple pour illuminer la tête de son fils Ramsès II. Durant 13 minutes exactement, mesure-t-on aujourd’hui.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Dans le wadi gravé au bord du Nil

Nous poursuivons la journée pétroglyphes : des vaches, des lions, des éléphants, des girafes. Nous longeons toujours le Nil, à pied, mais il fait plus chaud. Le soleil se réverbère sur les pierres.

gravure bouquetin bord du nil

Dans le wadi El Chott, Dji nous montre un bas-relief du pharaon Antef V de la XIème dynastie. Il porte la lance, symbole du pouvoir, et est surmonté d’un cartouche avec son nom écrit en hiéroglyphes. Son épouse, plus petite, le suit. Devant lui se tiennent un militaire (pagne court et coiffe d’armée) et un prêtre (pagne long et main sur le cœur). Le bas du relief est scié. Des voleurs ont tenté d’emporter la scène.

 gravure pharaon bord du nil

Dji nous dit l’avoir signalé aux autorités – mais seulement après avoir vérifié que la famille avec laquelle il est lié n’est pas en cause dans ce trafic. Cela choque une jeune fille moderne du groupe : le patrimoine historique est le patrimoine commun non seulement de tous les Égyptiens, mais aussi celui de toute l’humanité. Elle a raison, c’est ainsi que pensent nos contemporains et je pense comme eux. L’archaïsme est de dire que les locaux font ce qu’ils veulent des témoignages historiques à leur portée : ainsi des Bouddhas de Bamyan en Afghanistan. Mais je comprends aussi la position de Dji : il est intégré, fait partie de la famille élargie, il n’a pas à agir autrement que ce l’on attend de lui. C’est cela l’archaïsme, la loi du groupe mené par le patriarche. Dji, individualiste, ne peut s’y opposer s’il veut conserver ses bonnes relations et le confort moral qui est devenu le sien au fil des années.

gravure scene de guerre bord du nil

Le fonds du wadi est couvert de sable blond dans lequel les pieds s’enfoncent. Sur les roches qui le bordent s’étalent des graffitis effectués par les soldats de l’armée victorieuse du pharaon qui rentraient de guerroyer dans les oasis. On distingue des scribes, des personnages debout, des animaux et des hiéroglyphes.

gravure bord du nil

Adj marche devant nous sur le sable, hiératique et royal. Dji parle de lui. Il lui a fait faire un test de personnalité ; il s’agissait de symboles à compléter, dessiner une scène à partir d’un rond, par exemple, ou d’un signe serpentiforme. Ce test a révélé un adolescent bien dans sa peau, se voyant dans la vie hardi comme un footballeur, avec une sexualité jaillissante. Selon lui, « il est malin, plus que les autres, et il s’est débrouillé pour connaître une femme du village avant l’âge de 15 ans. Dans tous les villages il y a des femmes disposées à initier de jeunes garçons, des veuves ou des filles plus indépendantes. » Qu’est-il pour Adj ? « Je l’ai vu naître, je l’ai vu grandir, il m’a toujours connu dans sa famille. Quand il était petit, c’était un sale gosse, toujours à jouer des tours ; je lui ai foutu des claques. Ce que je suis pour lui ? Une sorte d’oncle, je suppose. » Dji m’apparaît comme abou el benat, « le frère des filles », il aime toutes les femmes comme des sœurs et se veut le père de tous les enfants.

bord du désert egypte

Nous montons une superbe dune dont le soleil caresse les flancs, suscitant des ombres multiples. Se dresse un amas rocheux au-dessus du désert. Ce lieu étrange recèle un creux, « la grotte des marins », couvert de dessins de bateaux antiques. Ainsi laissait-on la marque de son passage dans les endroits rendus « sacrés » par leur étrangeté. Signes propitiatoires, conservatoire du souvenir, apprivoisement de la force qui réside là ? Graffiter l’inconnu est bien humain. On distingue la barque d’Horus et celle de Seth, le faucon-soleil et le crocodile-Nil, deux puissances.

navires graves bord du nil

L’astre du jour descend sur le désert. Du haut de l’amas rocheux l’œil voit loin, jusqu’à l’horizon qui est frontière, inaccessible. Un lieu entre monde sensible et imaginaire céleste : le désert est le domaine de la déesse lointaine. Il a attiré depuis longtemps les ascètes, les anachorètes, les cénobites. Macaire, Pacôme, Antoine, furent célèbres aux temps de la christianisation. En hiéroglyphes, le désert s’écrit comme une vallée entourée de deux montagnes et signifie « endroit mauvais » ou « pays étranger ». Loin en contrebas, au-dessus du Nil qui coule comme un ruban d’étain, flotte une brume mauve. L’oasis verdoyant qui l’entoure surgit ainsi du vide désertique comme un long ruban d’espérance. Et l’on comprend que l’opposition du fleuve et du désert ait donné aux hommes d’ici une conscience contrastée du Bien et du Mal : l’eau est la vie, elle permet le végétal et le germinatif, le désert est la mort, il est minéral et stérile. Le Bien est le vivant, le mouvant, le fluide ; il est la naissance et la jeunesse, l’exubérance et le sexe. Le Mal est la solitude, le sec, le rigide ; il est la maladie et la vieillesse, la tristesse et l’égoïsme.

felouque sur le nil au crepuscule

Ce contraste entre la vie et la mort, l’eau qui fait surgir la verdure ou chanter les oiseaux, et la roche ou le sable, desséchants et stériles, donne l’intuition de ce qu’a pu être la religion des nilotiques. L’invisible est quotidien, capricieux, inquiétant. La crue gonfle le Nil chaque année, le soleil disparaît chaque jour, les grains germent sous la terre, la maladie saisit les hommes, ou l’amour, ou l’ivresse… Tout cela suscite une angoisse existentielle qui exige d’en parler. On invente des métaphores pour dire ce que l’on ne peut voir : comment suggérer l’éloignement infini du soleil mieux que par le vol du faucon, qui s’élève si haut qu’il se perd dans le ciel ? Et le lever, puis le coucher, du soleil représentent l’apparente certitude que l’on peut quitter le monde d’ici pour les profondeurs, et en renaître. Comment mieux suggérer qu’il y aurait une nouvelle existence après la mort ? Nommer et dessiner permet d’apprivoiser l’inconnu. La tentation d’agir sur les choses vient des signes objectivés par la main.

La forme humaine des dieux suggère qu’ils sont accessibles ; au contraire, le judaïsme comme l’islam interdiront toute représentation car Dieu leur paraît infini et irréductible. Osiris est plus proche de l’homme : assassiné par son frère Seth, puis reconstitué par l’amour de sa femme Isis, il engendre Horus, son fils qui représente l’éternel retour des choses, le triomphe rassurant de l’ordre cosmique et l’espoir de la survie après la mort. Toute la vie cosmique et sociale repose sur l’équilibre du monde – Maat – le concept du juste, du raisonnable, de l’harmonie en action, l’autre nom du vrai pour les Égyptiens antiques. Il ne suffit pas de s’insérer passivement dans un ordre existant, comme l’islam le préconise, mais de le rétablir, de le recréer constamment comme une musique, une poésie, une mesure du monde.

Nous nous dirigeons vers le village de Nag El Hammam, construit tout en terre. Sur les murs d’une maison de hadj – un pèlerin – est peint le voyage à la Mecque. Sont naïvement reproduits la Kaaba et le mont Arafat, le pèlerin cheminant, les chevaux qu’il a pris. Les villageois ont dit leur foi sur les murs en attendant le retour du pèlerin.

egypte embleme pelerinage a la mecque

Nous rallions les bords du Nil alors que le soleil se cache. Des aouleds jouent au foot sur un terrain nu, dans un nuage de poussière. Ils sont maigres et vifs, très débraillés. Dans la palmeraie, les moustiques commencent à vrombir. Dans le ciel, Horus ferme un œil : la lune et l’étoile du berger sont ses yeux. En hiéroglyphes, la nuit est figurée par un ciel d’où pend, telle une araignée au bout de son fil, une étoile à cinq branches. Et un ciel étoilé s’écrit : un millier est son âme. Au bord de l’eau, à la nuit tombée, assis dans le sable chaud, nous attendons le bateau à moteur qui viendra nous chercher.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Edfou

Le temple égyptien symbolise pour Dji (qui aime à être iconoclaste) un homme couché : les colosses d’entrée en sont les pieds, la première cour péristyle avec ses deux rangées parallèles de colonnes sont les jambes, les deux salles hypostyles le torse. Entre la cour et les salles, une pierre de granit représente le sexe. Dans le sanctuaire, l’autel est la bouche et, sur le mur du fond, la représentation d’un scarabée figure les deux parties d’un crâne vu de dessus. Pourquoi pas ? Les Égyptiens ont dû ressentir le temple comme un corps physique où le Ba psychique du dieu pouvait s’unir à la terre et s’y ancrer.

temple Edfou

Mais je me méfie toujours du systématisme comme de la recherche constante du sens « caché » des choses ; les archéologues sont des scientifiques, malgré l’aspect littéraire de leur objet d’étude et, en dépit des paranoïas et des querelles de personnes, ils ont le sens du raisonnable et du respect pour les faits. Ils peuvent errer un moment, se fourvoyer dans quelque hypothèse, mais le débat intellectuel et les tâtonnements de la recherche dans le temps font que la vérité « probable » se fait inévitablement jour. Nous sommes loin du XIXème  siècle où seuls quelques pontes gardaient la haute main sur l’égyptologie !

2001 02 Egypte ticket temple Edfou

L’actuel temple d’Edfou, dédié à Horus le faucon solaire protecteur des pharaons, a été construit par les Grecs. Il fut entrepris sous Ptolémée III vers 237 et achevé 120 ans plus tard sous Ptolémée XII. Mais il a été bâti sur l’emplacement d’un sanctuaire plus ancien. Il est le second plus grand temple de l’Égypte après celui de Karnak. Deux faucons de granit noir précèdent le pylône d’entrée, cette vaste surface, plane comme un mur de forteresse. Sur ce dernier, très grand et presque massif, le roi sacrifie des captifs qu’il tient en grappe par les cheveux. Cette image de la victoire sur les ennemis est destinée à éloigner le mal. Un mur d’enceinte sépare la partie religieuse de la partie profane.

colonnes temple Edfou

Le guide n’est pas Dji, qui a notamment à gérer les déplacements de ses innombrables felouques  – mais un guide local parlant français, assez mauvais et trop bavard. Il se croit obligé de remonter à Cléopâtre, la grande pute de luxe, pour nous expliquer le temple que l’on a sous nos yeux ! Je l’écoute cinq minutes avant de le laisser tomber et de m’avancer seul entre les colonnes et dans les pièces successives. Je ne crois pas avoir manqué grand chose des explications, à écouter les autres ultérieurement. D’ailleurs, qu’importe : plus on Edfou, plus on lit !

temple edfou colonnes

Les colonnes des salles n’ont pas pour fonction de porter un toit, elles sont trop serrées pour cela. Elles figurent des papyrus pétrifiés et symbolisent un marécage qui conduit vers le tertre primitif (le saint des saints) qui s’est soulevé des eaux. On dit que, lorsque le Nil était dans ses plus fortes crues, il inondait la salle hypostyle de nombreux temples et donnait ainsi l’illusion du marais primordial. Depuis l’entrée, les salles se font de plus en plus petites et de plus en plus sombres ; c’est voulu.

frise temple Edfou

L’apothéose devait être le sanctuaire qui abritait la statue sacrée. Aujourd’hui il est vide : les dieux meurent lorsque l’on ne leur fait plus offrande et que l’on ne prononce plus leurs noms. Dans une salle s’ouvre le « laboratoire », appelé ainsi parce que, sur les murs, sont gravées en hiéroglyphes ce que l’on peut prendre pour les formules des parfums employés lors des cérémonies. La construction du temple est symétrique, le long d’un axe ; mais on constate une déviation, comme un refus du systématique et du rigide. Est-ce voulu ? Les temples sont le cosmos reflété, la résidence locale de la divinité, le complexe qui capte l’énergie divine. Construire un temple, c’est répéter la création. L’eau atteinte en creusant les fondations rejoint l’eau primordiale.

plafond grave edfou

On nous fait visiter le « nilomètre » où la nappe phréatique issue du fleuve vient lécher les bas-fonds. Cet endroit ne servait pas seulement au symbole, ou à mesurer la hauteur des crues du Nil, il servait aussi de puits qui fournissait l’eau au culte.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,