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Taormina 1

Le bus prend l’autoroute jusqu’à Taormina. Nous passons devant le complexe pétrochimique de Thasos.

La cité de Taormina est perchée au sommet du mont, celle de Naxos est au bord de la mer, juste au pied.

A l’entrée du Corso un adolescent de 13 ou 14 ans est assis sur une borne. Il porte une chaîne d’or au cou et des lunettes transparentes qui lui couvrent les tempes. Étonnant comme les Italiens font frime, arborent des déguisements à la mode pour se mettre en valeur. S’y ajoute, à cet âge, l’obsession de l’identité, savoir comment se positionner par rapport aux autres.

Des céramiques très colorées trônent dans les vitrines. Elles sont vives, fraîches, méditerranéennes ; elles donnent envie.

Nous visitons le théâtre grec (encore un) creusé dans la colline au IIIe siècle avant. Il fait 109 m de diamètre et a été remanié par les Romains. La vue porte sur le mont Venere et sur l’Etna.

Le Corso Umberto est très touristique et tout luxe, comme à Capri, Cannes ou Saint-Tropez. Il n’a aucun intérêt à mes yeux, sauf à voir défiler des pétasses qui se dandinent couvertes de falbalas fluides et ornées de bijoux clinquants, des lunettes plus ou moins noires permettant de voir sans être vu l’effet de leur séduction. J’observe au théâtre quatre riches femmes qui font jeunes de loin mais assez mûres de près ; elles portent chacune une robe de couleur différente, bleu azur, beige doré, rose fuchsia, blanc ; elles sont peut-être polonaises ou biélorusses.

Un couple chinois aux deux grosses valises portant une étiquette avec l’indicatif téléphonique +66 débarquant d’un van Mercedes noir aux vitres fumées devant le seul hôtel cinq étoiles du théâtre, avec une plaque de carte Gold. Peut-être de gros compradores chinois de Thaïlande. Ou les nouveaux Maîtres du monde de Shanghai.

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William Golding, Sa majesté des Mouches

A 43 ans, et après avoir exercé neuf ans comme prof, le prix Nobel de littérature 1983 et chevalier William Golding écrit sur les enfants. Lui-même en aura deux, une fille et un garçon, mais il écrit ici sur les garçons. La discipline et les bonnes manières inculquées au collège ne semblent qu’un vernis que la mise en situation fait vite craquer.

La guerre de Corée vient à peine de se terminer dans le Pacifique sud et c’est peut-être cette situation que décrit l’auteur plutôt qu’une « troisième guerre mondiale ». L’un des enfants fait allusion à des « communistes ». Une bande de garçons de 6 à 12 ans, tous blancs et britanniques, se retrouvent isolés sur une île déserte tropicale, riche en fruits et en cochons sauvages, après le crash de leur avion. Aucun adulte n’a survécu, et probablement d’autres enfants non plus. Mais l’auteur va au plus simple : pas d’épave, aucun blessé, un nombre inconnu d’enfants.

Très vite, deux groupes se forment : les grands et les petits. Les premiers se mettent en bande, les seconds jouent égoïstement dans le sable. Les grands ne les protègent pas et se soucient peu d’eux ; ils ne savent même pas combien ils sont. Un petit, reconnaissable à la tache de vin qu’il a sur la figure, disparaît – personne ne sait où ni quand ; il n’est plus là, c’est tout. Ils reproduisent ce qui se passe dans leur famille où les garçons sont mis en pension dès 9 ou 10 ans alors que les autres restent à la maison.

La première chose que fait un garçon livré à lui-même est de se mettre nu. Ralph, 12 ans de belle carrure, enlève tout d’abord ses chaussures, marcher pieds nus est toujours délicieux. Il quitte ensuite sa chemise, qu’il ne remettra qu’épisodiquement pour protéger sa peau du soleil ou de la fraîcheur de la nuit ; mais elle sera vite une gêne, salie, raidie, déchirée – il finira par s’en débarrasser, comme tous les autres. Pour la culotte, c’est plus incertain : outre le tabou relatif de se balader sexe à l’air, l’organe est sensible aux épines et aux rochers, or le garçon se déchire le derme sur les lianes et les pierres lorsqu’il joue ou chasse. Les grands garderont leur culotte jusqu’à ce qu’elle tombe en lambeaux, tandis que les petits s’en débarrassent très vite pour vivre entièrement nus.

Ralph ne trouve que Piggy (ou Porcinet), un gros à lunettes de son âge qui a de l’asthme. Avec lui l’intello, il se baigne nu dans le lagon avant de se sécher sur le sable. Piggy trouve une conque marine et sait qu’on peut en jouer. Ralph en tire des sons qui attirent les autres enfants autour de lui. Désormais, la conque sera le symbole du pouvoir, de la voix anonyme qui surmonte celle de tous. La tenir à la main donne la parole, telle est la règle.

Inspiré par Robinson Crusoé et par le Robinson suisse, les garçons ont la volonté de construire des cabanes pour se protéger de la pluie et des bêtes, et de faire un grand feu avec beaucoup de fumée pour qu’on les repère du large. Ce qui est entrepris au début avec enthousiasme. Mais l’auteur s’inspire bien plus de Jules Verne et de ses Deux ans de vacances, même s’il ne l’évoque pas. Ralph le blond, qui a une prestance politique qui attire les petits et sait tirer de l’intello impotent Piggy des idées utilisables est, comme le Briant de Verne, pour la démocratie et les règles. Il ne tarde pas à se voir défier par Jack le roux, assez laid et maigre mais musclé, qui est un démagogue né, enthousiaste dès qu’il s’agit d’entraîner la troupe au jeu ou à la chasse. Comme le Doniphan de Verne, chasser et guerroyer est sa grande passion.

S’il garde au début le tabou de tuer, il le transgresse très vite. Le prétexte est de nourrir la bande, mais il y prend goût et n’hésite pas à se barbouiller du sang de ses victimes. Il est le seul à posséder un poignard scout dans une gaine à la ceinture, tandis que Ralph ne possède que les lunettes de Piggy dont les verres permettent d’allumer le feu. Les deux garçons seraient complémentaires, comme dans Jules Verne, s’il n’y avait pas la sauvagerie native de tout être humain. La puissance vitale veut le pouvoir et l’imposer par la force. Ce n’est pas pour rien que Jack se présente au début en chef avec sa troupe de chœur d’enfants alignée, marchant au pas, chacun arborant casquette et cape noire – mais rien dessous. Jack est le démagogue qui va virer fasciste, agitant les symboles, dirigeant les transes et manipulant les superstitions pour assurer son emprise. Il est roux comme Judas, perfide comme le serpent, celui qui sème la zizanie par ses tentations. Il instaure l’offrande au « monstre » de la montagne en fichant une tête de cochon tué sur un bâton épointé aux deux bouts : Sa Majesté des Mouches, autre nom de Belzébuth.

Simon l’intelligent, mais un peu pris de la tête, observera cette sauvagerie et se retrouvera face à face avec Sa Majesté. Une voix intérieure lui dira que le monstre n’est pas dans la montagne mais en lui, en chacun. C’est la sauvagerie de la horde primitive de Freud, celle qui refuse la raison pour socialiser en groupe tribal, hostile à tout étranger. Roger, le second de Jack, prendra sur son exemple un tel goût à tuer qu’il ira tout nu, barbouillé de boue et de sang, l’épieu pointu à la main et l’air terrible. Le masque lui permettra toutes les transgressions. Il se fera même cochon pour miner la chasse dans une danse orgiaque qui fera monter la transe des chasseurs. Il se fera frapper et fouailler, y prenant une sorte de plaisir masochiste, avant de s’effacer dans le cercle et, dans un paroxysme de foule sadique, de lyncher à mort le garçon Simon qui, comme le Christ apportant la « bonne nouvelle », venait apprendre au groupe la vérité : que « le monstre » que tout le monde craignait au point que Jack et Ralph avaient fui devant lui, n’était qu’un parachute tombé sur l’île avec son pilote mort.

Après l’abandon d’un petit, l’assassinat en groupe d’un grand : la civilisation recule. Freud fait des non encore pubères des « pervers » polymorphes, ayant la prédisposition, propre à la plasticité de leur âge, de transgresser par pulsions les tabous sociaux encore mal assimilés pour assouvir un plaisir érogène hors génitalité par le voyeurisme, l’exhibitionnisme, le sadisme. C’est ce qui arrive à Jack, à Roger, aux jumeaux Eric-et-Sam, contraints par la force et les coups à rejoindre la bande de Jack. Si Ralph prend plus de plaisir à se baigner nu et à organiser le maintien d’un feu constant pour attirer les navires, Jack préfère flairer la piste d’un cochon au ras du sol, le traquer en silence et l’éventrer d’un coup d’épieu. Tout cela est jouissance. Les deux garçons participent à la communauté, l’un en prévoyant les secours possibles et en allumant le feu, l’autre en assurant la viande par la chasse.

Mais Jack préfère le jeu au présent plutôt qu’un futur contraignant. Chasser donne plus de plaisir que chercher encore et toujours du bois pour le foyer. De plus, la chasse permet de donner aux autres de la nourriture, tandis que le feu allumé pour les étoiles ne donne rien que d’hypothétique. Très vite, les grands se rallient à Jack par plaisir, instinct grégaire ou contraints. Jack commande un raid sur les cabanes en pleine nuit pour ravir le feu, sous la forme des lunettes de Piggy. Lequel, devenu quasiment aveugle, geint et oblige Ralph à aller parlementer avec les mutins réfugiés dans leur fort de roches. Mais Roger, excité par la cruauté et le goût qu’il a pris de tuer, déloge un gros rocher qui va écraser Piggy. C’est le deuxième assassinat mais, cette fois-ci, perpétué par un individu conscient de ce qu’il fait.

Dès lors, la barbarie submerge l’île. Ralph, désormais tout seul et tout nu, le flanc blessé par l’épieu de Jack, la peau déchirée par les épines, va être traqué sur toute l’île comme un animal – ou comme le Ku Klux Klan chasse encore le nègre dans les années cinquante. Abel le chasseur-tueur veut tuer Caïn, le frugivore détenteur du feu civilisé. Pour débusquer le gibier humain, la bande met le feu à la forêt. Ce qui incite heureusement un cuirassé à venir voir dans l’île – et ses marins sauver Ralph in extremis alors que la bande avait déjà préparé un épieu épointé aux deux bouts pour l’empaler comme un cochon.

On peut se demander ce qui serait advenu si les mois avaient passés sans qu’un navire ne survienne. Ralph empalé et mort sous les tortures, Jack se serait-il approprié son scalp blond pour le porter à la ceinture en guise de cache-sexe et de symbole de puissance, sa culotte ayant rendu l’âme de ses derniers lambeaux ? Cela lui aurait agréablement chatouillé les parties intimes et, la puberté survenant, l’aurait porté à abuser de son pouvoir sur les petits. Il aurait peut-être été supplanté par Roger, plus radical dans la cruauté, donc plus fascinant, qui aurait instauré un régime de terreur.

Cette fable sur la civilisation, qui n’est qu’un vernis sur la sauvagerie primitive, était une leçon de la guerre, du nazisme au stalinisme. Être civilisé, ce n’est pas imposer l’ordre social par la force, mais faire participer chacun au projet commun. C’est dominer ses pulsions, maîtriser ses passions, agiter ses petites cellules grises. L’être humain complet n’est pas que jouisseur, ni que guerrier, ni qu’intello – il est tout à la fois.

William Golding, Sa majesté des Mouches (Lord of The Flies), 1954, Folio junior 1984 – illustrations de Claude Lapointe, 287 pages, €13,00

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Une autre chronique sur William Golding :

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L’inconnu du Nord-Express d’Alfred Hitchcock

Le crime parfait, ou presque, inspiré du premier roman policier de Patricia Highsmith. Deux inconnus se rencontrent par hasard dans un train ; l’un deux propose d’échanger les crimes : lui tuera la femme de l’autre qui refuse de divorcer et s’envoie en l’air avec le premier venu ; l’autre tuera son père, tyran autoritaire qui veut le faire enfermer, à défaut de travailler. Pas de mobile pour chacun, inconnus de l’entourage, sitôt arrivés sitôt parti – des tueurs sans traces.

Sauf que le plan ne se passe pas comme prévu. Bruno Anthony (Robert Walker), fils unique à maman et gosse de riche, n’est pas net mais un brin psychopathe. La trentaine sonnée, il adore encore mystifier les gens en leur racontant des horreurs, joignant parfois le geste à la parole au point que les vieilles dames emperlousées s’en étranglent. Le jeune et beau tennisman Guy Haines (Farley Granger, 25 ans au tournage), célèbre par les revues de sport, le rend presque jaloux. Il a ce que Bruno ne parvient pas à avoir : un travail dans lequel il est bon, la notoriété, une nouvelle fiancée Anne (Ruth Roman, 28 ans au tournage), fille de sénateur, qui lui a offert un briquet gravé à leurs deux initiales – bien que Guy ne fume quasiment pas. Si Bruno le tente par le meurtre prémédité de sa femme Myriam (Laura Elliott) devenue encombrante et enceinte d’un autre, le jeune Guy agit comme le Christ au désert, il refuse. Mais le diable a mille ruses, dont la première est le fait accompli. Et la seconde la malice : prenant une cigarette, il demande du feu et omet de rendre le briquet.

Même si Haines lui a dit non, interloqué de voir que n’importe qui connaît presque tout de sa vie intime par la presse, Anthony va le faire – et réclamer sa réciproque. La première scène du film où ne sont vues que les chaussures, disent tout des bonshommes : la frime bicolore du raté, les richelieus sobres du jeune homme bien dans sa peau. C’est en se faisant du pied que les deux inconnus se rencontrent dans le train et se parlent. Une vraie passe de drague pour le fils raté qui veut être reconnu et aimé. D’où la provocation des meurtres. Ce que le bon sens du champion refuse. L’autre va donc insister, s’obstiner, s’imposer. Jusqu’à la haine, une inversion d’amour.

Mais ce sentiment négatif ne le servira pas, il se prendra à sa propre toile et terminera comme il se doit. Bruno suit Myriam, serpent à lunettes qui s’amuse follement avec deux jeunes avec qui elle va faire la fête avant de coucher. Il profite d’un moment où elle est seule dans la nuit pour l’étrangler, sur l’île d’amour du parc de Metcalf, alors que les deux jeunes sont en train d’amarrer le bateau. Il se voit en miroir dans les lunettes de la fille et jouit de sa terreur progressive. Il la laisse morte et empoche les lunettes pour preuve, ainsi que le briquet de Guy, qui est tombé de sa poche. Cela lui donnera une idée.

Pendant ce temps Guy, en colère parce que Myriam a refusé de divorcer et qu’elle est enceinte, a téléphoné à Anne qu’il voudrait la supprimer – il l’a même répété trois fois, comme le reniement de Pierre dans les Évangiles. A l’heure du meurtre, qui est très vite découvert par les petits amis de Myriam, le tennisman est dans le train pour New York en compagnie d’un vieux prof aviné qui lui explique les intégrales (John Brown). Le problème est qu’il ne se souviendra de rien, trop bourré pour faire un témoin. Guy ne peut donc offrir qu’un demi alibi aux inspecteurs : il a cité un passager effectivement dans le même train, mais a pu monter en route à Baltimore. Les flics le surveillent donc constamment pour voir s’il va se couper.

Bruno le maniaque harcèle Guy pour qu’il accomplisse son meurtre en retour, celui de son père haï. Il lui téléphone, le rencontre « par hasard » au musée, dans la rue, s’incruste même aux invitations du futur beau-père, sénateur, se lie de relations mondaines avec des amis de l’entourage. Il envoie par la poste un plan de la maison avec une clé, puis un pistolet. Excédé, Guy décide d’en finir : il déjoue (facilement) la surveillance des flics sous sa fenêtre et se rend à la maison de Bruno, jusqu’à la chambre du père indiquée sur le plan. Il veut parler avec lui de son fils et lui dévoiler la machination du fou. Mais le vieux n’est pas là et c’est Bruno qui l’attend. Ce qui est curieux est que Guy aurait pu tirer sur la forme dans le lit, pour accomplir sa mission et tuer ainsi le psychopathe net. Bruno joue avec la mort, la donnant sans remord mais désirant aussi qu’on la lui donne pour expier sa mauvaise nature. La devoir au beau jeune homme amoureux et à qui tout réussit serait peut-être une grâce, un geste d’amour peut-être. Il y a une ambiguïté homosexuelle, consciente ou non, dans le film. Peut-être était-ce l’époque, au masculinisme accentué du fait de la guerre toute récente.

Mais Guy repart de la maison sans même que Bruno ne lui tire dessus. Guy a-t-il même pris le soin d’ôter les balles du chargeur, puisqu’il n’avait pas l’intention de tirer ? Il est probable que non, ce qui montre sa légèreté, voire son innocence au sens psychologique. Il a même oublié de débrancher le téléphone chez lui, qui a sonné interminablement la nuit, sans doute Anne toujours inquiète et cherchant le réconfort en vrai femelle du temps, ce qui a intrigué les flics. Ils se sont alors aperçus, mais un peu tard, que l’oiseau s’était envolé. Anne a en effet découvert le pot aux roses en observant Bruno évoluer en intrus parmi les convives d’une soirée organisée par son père le sénateur, où il a parlé crime avec deux épouses qui s’ennuient et a mimé l’étranglement sur l’une d’elle. Hypnotisé par les lunettes de Babette (Patricia Hitchcock), la sœur d’Anne qui le regardait, il en a oublié de ne pas serrer trop fort et s’en est même évanoui. Guy a alors tout avoué à Anne, sa rencontre, la proposition des deux meurtres sans mobile, son refus et le harcèlement. Mais le dire à la police serait devenir coupable aux yeux de la loi, sans témoin fiable pour le corroborer.

Bruno a une autre idée : aller remettre le briquet sur l’île du parc d’attraction pour faire accuser directement Guy et se venger de son refus de tuer son père. Il l’en informe et le jeune tennisman veut alors le rejoindre pour l’en empêcher mais sa fiancée lui fait remarquer qu’il doit tout d’abord subir l’épreuve du championnat de tennis, ce serait louche s’il déclarait forfait. Guy va donc s’efforcer de gagner en trois sets, malgré un adversaire coriace, pour attraper un train vers Metcalf avant la nuit tombée, heure où le meurtrier ira incognito déposer la preuve sur l’île. Ce qui donne une séquence de suspense bien construite où les images du match serré où tout est à l’initiative de Guy et les images du voyage inexorables de Bruno vers Metcalf sont intercalées.

Grâce à Babette, efficace personnage secondaire qui prépare un taxi pour lui, Guy parvient à attraper le train pour Metcalf et arrive au soleil couché. Les flics qui le surveillent préviennent leurs collègues sur place et il est suivi en force dans le parc d’attraction. Bruno est retardé par la foule qui se presse sur l’île, voulant voir « les lieux du crime » ; aucun bateau n’est disponible et la queue est longue. Il est reconnu par son chapeau enfoncé sur les yeux et son air sévère, halluciné plus que fêtard, par le loueur de canots (Murray Alper), qui l’indique aux flics. Mais, voyant Guy, il tente de lui échapper en grimpant sur un manège qu’un con de flic fait tourner en folie lorsqu’il tire un coup de feu en pleine foule qui tue le machiniste, poussant le levier à la vitesse maxi.

Le combat entre Guy et Bruno est un autre moment de suspense, avec le sempiternel gamin innocent des films américains. Juché sur un cheval de bois, il tape avec enthousiasme sur Bruno le méchant qui l’envoie bouler, manquant in extremis d’être éjecté si Guy ne l’avait pas retenu puis sauvegardé dans une baignoire. Lorsque le manège est enfin arrêté par un employé qui passe dessous afin d’accéder au frein d’urgence, tout s’écroule dans un fracas pré-hollywoodien au milieu de la foule hystérique, et Guy s’en sort alors que Bruno y reste. Il mentira jusqu’au bout, sans se repentir une seconde en mauvais larron, niant avoir le briquet et accusant Guy de l’accuser. Alors qu’il l’a dans la main, qui s’ouvre à son dernier soupir devant le flic qui comprend tout.

Le côté destinée, version protestante de la grâce innée ou du mal sans recours, est très fortement souligné dans ce film noir. Guy est la jeunesse championne, énergique et innocente – en bref l’Amérique juste après-guerre ; Bruno est la version décadente d’enfant gâté, pourri de l’intérieur, jaloux et paresseux, voué à détruire. Le pendant féminin est entre Anne, fille de riche mais non gâtée, amoureuse – et Myriam, dont la fêlure intime est révélée par le port de lunettes, qui veut jouir sans payer, égoïste et menée par le vagin.

Un thriller efficace qui n’a rien perdu de son mordant ni de son attrait. Je l’ai vu et revu régulièrement. En connaître la fin n’a aucune importance car ce qui compte est la progression tragique de la prédestination au mal.

DVD L’inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train), Alfred Hitchcock, 1951, avec Farley Granger, Robert Walker, Ruth Roman, Leo G Caroll, Warner Bros Entertainmenent France 2001, 1h39, €7,40 blu-ray €15,81 – avec version bis britannique, 2 mn de différence.

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