
La Russie de Poutine ne peut s’expliquer sans les années Eltsine. Vladimir Poutine, le dictateur mafieux criminel de guerre est l’héritier à la fois de l’efficace KGB soviétique et de la libéralisation affairiste des années 1990. A cette époque d’oligarques prédateurs, le patrimoine industriel et minier de la patrie a été bradé dans les mains d’une bande de compradores sans scrupules – tout droit sortis de la débrouille soviétique.
Tout ce qui a une quelconque valeur peut-être pillé par des maraudeurs audacieux et vendu à qui veut l’acheter, à l’est comme à l’ouest. Il suffit d’avoir les contacts. Dimitri Lavrine est tombé dans le trafic étant petit, sous l’ère Brejnev qui a fait de la démerde une institution : tout s’achète et tout se vend en régime de pénurie où la corruption règne car il n’y en a pas assez pour tout le monde ; il suffit d’un peu d’astuce. Il a compris du « capitalisme » que ce n’est pas acheter qui compte mais vendre, avant tout vendre. Il est flanqué d’un acolyte entraîné malgré lui par son entregent, le jeune Slava Segalov, peintre raté.
Slava a toujours été artiste et a connu un début de gloire en se posant comme peintre « engagé » ; sa rébellion contre le système en faisait quelqu’un d’intéressant pour la mode. Hélas ! Lorsque Gorbatchev est venu et a agi, le système s’est écroulé, rongé de l’intérieur, et la rébellion n’a plus eu aucun sens. L’artiste engagé a été dégagé vite fait des galeries car la mode a changé. Désormais, la Russie ressemble au monde de Hobbes où l’homme est un loup pour l’homme. Slava se souvient du philosophe anglais : « Aussi longtemps que les hommes vivent sous un pouvoir commun qui les tient tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. Dans un tel État, il n’y a pas d’art, pas de lettres, pas de société, et ce qui est le pire de tout, la crainte et le risque continuel d’une mort violente. » Telle est la Russie post-soviétique. Poutine est celui qui a remis de l’ordre, d’où le vote massif populacier qui préfère bouffer et la sécurité ; moins le vote des éduqués qui savent user de leur liberté.
Slava tente de se faire une place dans ce monde nouveau et suit Dimitri à contrecœur pour en apprendre des leçons de débrouille. Ils viennent de piller un vaste bâtiment soviétique aux vitraux et marbres ostentatoires et partent dans leur camionnette UAZ-452 tout-terrain produite depuis 1965 par UAZ à Oulianovsk – la version soviétique du combi Volkswagen Type 2, bien connu des routards occidentaux. D’autres pillards les arrêtent sur la route et Slava, qui conduisait, fait un tonneau dans la neige. Les malfrats tirent mais une jeune fille à ski et à carabine les descend. Sauvés, ils la suivent jusqu’à un somptueux bâtiment de l’ère soviétique dans l’immensité russe – un ancien centre de détente avec spa pour apparatchiks. Elle vit là avec son père, Arkadi, un géant qui a souvent trop chaud et se balade en slip par -20° (un cliché russe).
C’est le début d’une amitié entre Slava et Nina, qui vont coucher ensemble, et d’un dégoût pour l’affairiste Dimitri, au fond peu doué pour les grandes affaires. Les ouvriers d’une mine sont très fier de leur outil de travail prolétaire, mais au chômage depuis que tout s’est arrêté. Un oligarque vient évaluer l’ensemble et propose de racheter. Il ne va pas investir pour sauver la mine, mais vendre à l’encan son matériel, bien plus cher que le prix qu’il a payé. Il trouvera ensuite des investisseurs pour racheter la mine débarrassée de ses actifs – encore moins cher. Les ouvriers refusent ; ils préfèrent vendre eux-même une machine ou deux, dont une foreuse dernier cri. Dimitri se propose, mais son passé de roublard cynique le rattrape, et il est attrapé par son ancien mentor Troubetskoï, qu’il a trahi. En mafia comme en affaires, trahir ne se fait pas ; il le paiera de sa vie. C’est Slava qui va conclure la transaction, malgré lui.
Un dessin minimaliste, où Slava a le visage de Poutine jeune ; des paysages de neige et de froid qui disent le regel russe après la chute ; des leçons d’affairisme utiles à ceux qui n’y connaissent rien. Le début d’une histoire en trois tomes sur la Russie d’aujourd’hui, avec la jeunesse et l’amour en prime.
BD Pierre-Henry Gomont, Slava 1 – Après la chute, Dargaud 2022, 104 pages, €22,95, e-book Kindle €13,99
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