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Liberté d’enfance

L’eau, l’été, le soleil rendent les enfants des fontaines de joie. La sensualité de la peau nue et du mouvement collectif sont l’essence même de la liberté. Les odeurs des choses, des plantes, des bêtes, des femmes – et même de l’école – rappellent l’amour des corps, la camaraderie épaule contre épaule, le désir fou de vivre. Citations :

Albert Camus, Le premier homme, 4, Pléiade Œuvres complètes 2008, t.IV :

« En quelques secondes, ils étaient nus, l’instant d’après dans l’eau, nageant vigoureusement et maladroitement, s’exclamant, bavant et recrachant, se défiant à des plongeons ou à qui resterait le plus longtemps sous l’eau. La mer était douce, tiède, le soleil léger maintenant sur les têtes mouillées, et la gloire de la lumière emplissait ces jeunes corps d’une joie qui les faisait crier sans arrêt. Ils régnaient, sur la vie et sur la mer, et ce que le monde peut donner de plus fastueux, ils le recevaient et en usaient sans mesure, comme des seigneurs assurés de leurs droits leurs richesses irremplaçables. »

Jean-Pierre Chabrol, Les rebelles, Omnibus p.10

« Ce qui importe vraiment, c’est le pépiement appétissant des petits nageurs tout nus. Dès les premiers beaux jours, sur les morceaux dispersés de la digue – rompue jadis par quelques crue – la marmaille se bousculait, jouait, criait à poil. Le grouillement enfantin des trous d’eau, parmi les blocs noyés, c’était l’image même de la liberté, on n’en a jamais trouvé de plus précise, de plus pure. Les bruissements aigus du jeune poulailler, de loin déjà, donnaient envie de vivre. »

Albert Camus, Le premier homme, Pléiade Œuvres complètes 2008, t.IV p.913

« Cette nuit en lui, oui, ces racines obscures et emmêlées qui le rattachaient à cette terre splendide et effrayante, à ses jours brûlants comme à ses soirs rapides à serrer le cœur, et qui avait été comme une seconde vie, plus vraie peut-être sous les apparences quotidiennes de la première vie et dont l’histoire aurait été faite par une suite de désirs obscurs et de sensations puissantes et indescriptibles, l’odeur des écoles, des écuries du quartier, des lessives sur les mains de sa mère, des jasmins et des chèvrefeuilles sur les hauts quartiers, des pages du dictionnaire et des livres dévorés, et l’odeur surie des cabinets chez lui ou à la quincaillerie, celle des grandes salles de classe froides où il lui arrivait d’entrer seul, avant ou après le cours, les chaleur des camarades préférés, l’odeur de laine chaude et de déjection que traînait Didier avec lui, ou celle de l’eau de Cologne que la mère du grand Marconi répandait à profusion sur lui et qui donnait envie à Jacques, sur le banc de sa classe, de se rapprocher encore de son ami, le parfum de ce rouge à lèvres que Pierre avait pris à l’une de ses tantes et qu’à plusieurs ils reniflaient, troublés et inquiets comme des chiens qui entrent dans une maison où a passé une femelle en chasse, imaginant que la femme était ce bloc de parfum doucereux de bergamote et de crème qui, dans leur monde brutal de cris, de transpiration et de poussière, leur apportait la révélation d’un monde raffiné et délicat à l’indicible séduction, dont même les grossièretés qu’ils proféraient en même temps autour du bâton de rouge n’arrivaient pas à les défendre, et l’amour des corps depuis sa plus tendre enfance, de leur beauté qui le faisait rire de bonheur sur les plages, de leur tiédeur qui l’attirait sans trêve, sans idée précise, animalement, non pour les posséder, ce qu’il ne savait pas faire, mais simplement entrer dans leur rayonnement, s’appuyer de l’épaule contre l’épaule du camarade, avec un grand sentiment d’abandon et de confiance, et défaillir presque lorsque la main d’une femme dans l’encombrement des tramways touchait un peu longuement la sienne, le désir, oui, de vivre, de vivre encore, de se mêler à ce que la terre avait de plus chaud, ce que sans le savoir il attendait de sa mère, qu’il n’obtenait pas ou peut-être n’osait pas obtenir, et qu’il retrouvait près du chien Brillant quand il s’allongeait contre lui au soleil et qu’il respirait sa forte odeur de poils… »

C’est toute cette liberté que quittent les enfants aujourd’hui : jour de la rentrée.

Albert Camus, Le premier homme, Pléiade Œuvres complètes 2008, t.IV

Jean-Pierre Chabrol, Les rebelles, Omnibus

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Plage

La plage est une zone frontière entre la terre et l’eau, entre la civilité urbaine et la vie sauvage. Que faut-il pour faire une plage ? L’horizon sans limites de la mer, la surface égale du sable et le soleil par-dessus qui permet de se mettre nu. Le lieu est éphémère, changeant, sans cesse remis en mouvement par l’énergie des houles et l’ampleur des marées. Il est à l’image de l’homme d’aujourd’hui, juvénile, dynamique, zappeur ; c’est pour cela qu’il fascine.

L’eau accueille et pénètre, délicieusement fraîche, vigoureuse gifle, ondulée et salée, mettant en appétit. L’eau est faite pour caresser la peau, se couler autour du corps, résister à la nage.

Le sable n’est qu’élément temporaire apporté par la mer et emporté par elle ; il est remué, lavé et lissé chaque matin le long des océans à marées. Le sable est une eau terrestre, fluide mais chaude, qui moule en creux les corps, s’accroche aux peaux salées de vagues ou graissées d’huiles. Le sable est fait pour s’allonger, être creusé, s’enfouir.

Le soleil aveugle le regard et bronze l’épiderme ; il chauffe la plage et enfièvre les corps. L’alternance de l’eau froide et du soleil brûlant raffermit et excite.

Il suffit alors de quitter la ville, où la promenade du bord de mer fait frontière, pour entrer dans cet univers à part. Pas tout à fait sauvage : il faut aller sur les flots – mais plus civilisé : les comportements n’y sont plus les mêmes. Chaque famille recompose sur le sable vierge son territoire, tel Robinson. Le vêtement se réduit au pagne du sauvage, voire à rien du tout pour les petits Vendredi. La quasi nudité rend fragile, exposé, direct. Les relations sont plus franches, plus brutes, plus belles. Les éléments invitent à l’assaut : les vagues à affronter, le sable à se rouler, les autres à se montrer.

Il a été observé, dans la quasi-totalité des espèces étudiées, que les jeunes mammifères mâles jouent plus longtemps et plus rudement que les femelles. Le jeu permettrait d’intégrer les règles de la société et d’apprendre à lutter, à échapper, être ensemble (revue scientifique ‘La Recherche’, n°420, juin 2008, p.79). Ce pourquoi les petits garçons des plages sont plus vifs, crient plus fort et se démènent en groupe bien plus que les petites filles. Les seules exceptions observées sont celles des filles qui intègrent les groupes de garçons, mais avant la sexualisation des rôles vers dix ans.

Ce qui compte à la plage est la prestance physique : elle est accessible tout de suite au regard, sans aucune des afféteries sociales dues aux vêtements. Chacun est différent, mais réduit à soi, donc sur un pied d’égalité. Il y a peu de façon de se distinguer avec un simple slip. Même s’il peut être bermuda pour les garçons ou une-pièce pour les filles (rallongement prude du retour des religions) au lieu du string pour tous un moment à la mode (après 1968). Plus grandes et mieux formées, les filles et les femmes retrouveront matière à exhiber la mode avec les bikinis à fanfreluches ou les deux-pièces sexy – mais il s’agit surtout de cacher certaines parties pour suggérer le reste, et de mettre le corps nu en valeur !

N’est-ce pas ce qui nous distingue, nous Européens, des autres civilisations du Livre ? Juifs orthodoxes comme musulmans intégristes se baignent de nos jours tout habillés, comme les cathos décrits par Flaubert ou Proust à Houlgate ou Deauville à la fin 19ème (voir ci-dessous). Il suffit de voir la photo d’une plage de Gaza… N’était-ce pas déjà la nudité aux Jeux Olympiques qui distinguait les Grecs civilisés des ‘barbares’ jadis ?

L’été, sur la plage, quand vous n’avez rien à faire d’autre que de laisser errer votre pensée, observer et réfléchissez. Vous y verrez les humains tels qu’ils sont, libérés des vêtements qui les cachent et les déguisent, libérés de nombre de contraintes sociales, faisant famille, jouant à l’exilé ou au sportif de saison. Cela vous passera le temps.

Toute l’humanité est offerte aux regards, toute sa fragilité, sa fraternité – et sa beauté.

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