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Djihadisme

Gabriel Martinez-Gros Fascination du djihad
« Tout le monde » connait le djihad, aventure romantique exaltante ou pillage de prédateur voyou, sous le prétexte noble de « religion ». En fait, la religion a peu de chose à voir avec la violence djihadiste, sinon de fournir une idéologie facile et à bon marché reconnue dans le monde entier. Les analystes ont montré combien les djihadistes partis en Syrie sont peu au fait de la religion musulmane et ne savent guère que « l’islam pour les nuls ».

Un historien du long temps, spécialiste du monde musulman, Gabriel Martinez-Gros, retrouve dans les œuvres d’Ibn Khaldun (au 14ème siècle), l’origine sociologique du djihad : l’affrontement millénaire entre pillards nomades et riches producteurs sédentaires. Les guerriers sont solidaires et violents, ils agissent selon l’idée simple qu’il y a « eux et nous » et que la force doit gagner. Les producteurs sont riches et gras, individualistes et égoïstes, et ont beaucoup à perdre ; ils préfèrent se soumettre et tenter ensuite d’imposer le minimum par le « droit ». Le temps amollit les guerriers, qui sont assez vite noyés sous les administrateurs issus des sédentaires, puis marginalisés. Jusqu’à ce qu’un ressaut surgisse, sous n’importe quel prétexte, et que les guerriers pillards fassent à nouveau des adeptes. C’est ce qui semble se produire

Partant de ce constat, allons plus loin dans l’analyse.

Avec la mondialisation américaine, la planète devient un ensemble global de production et d’échanges. Le bloc de l’Est et même le « tiers » monde s’y sont mis, construisant un seul monde, le « village global » des marketing-men et la planète Gaïa chère aux écolos. Ne restent aux prédateurs violents que les marges, situées dans les confins des frontières identitaires géographiques (ainsi en Syrie et en Irak) ou dans les conflits ethniques à l’intérieur des sociétés (en France, en Allemagne, aux États-Unis). Lorsque les sociétés sont en croissance et optimistes, la guerre civile est contenue – ce fut le cas des Noirs américains. Lorsque « la crise » dure et s’installe, ce n’est plus une crise mais une remise en cause du progrès espéré – les intérêts de classe se superposent aux intérêts ethniques, plus permanents, pour pousser les adolescents vers la haine et la revanche : le djihad peut renaître, aux États-Unis, en France, en Belgique.

Des « sociétés guerrières » (Bertrand Badie) peuvent donc ressurgir parmi les États de la planète, justement là où l’absence d’État ou sa carence rendent possibles les milices ethniques ou sectaires : Irak, Syrie, Somalie, Yémen, Afghanistan, Mali, Congo, etc. Sans projet politique, sans futur, la jeunesse est aspirée par la fascination de la violence, le mérite social résidant alors seulement dans l’affichage immédiat de ses couilles plutôt que dans la lente formation pour acquérir compétence et talents. Une kalach fait le mâle, un voile la femelle, l’ordre d’Allah est respecté – à la lettre. Contre le monde entier. Et s’il se refuse, le suicide par explosion permet d’entrer dans « l’autre » monde (promis) où les vierges lascives et complaisantes attendent le mâle en rut (quant aux femmes, que doivent-elles attendre ?)…

Pour Martinez-Gros, l’islam est la seule idéologie cohérente et globale aujourd’hui au monde, et le djihad le seul cadre subsistant de combat unitaire. Il y avait hier le communisme, avant-hier la « vraie » foi, il n’y a aujourd’hui plus rien. Ne reste d’entrainant que l’islam, religion des « purs », qui génère en ses marges idéologiques son inquisition et sa croisade – version musulmane – autrement dit le djihad. L’ordre mondial est rejeté au profit d’un ordre musulman « voulu par Dieu ».

Ce n’est pas tout l’islam, comme accusent avec mauvaise foi les islamo-gauchistes, c’est la marge de l’islam – mais belle et bien DANS l’islam. Sans religion musulmane, pas de djihad pouvant servir de prétexte… Pourquoi donc – sinon par déni – vouloir obstinément séparer le djihad de la religion ? Ce n’est pas aider les musulmans modernistes, choqués de la violence et désirant vivre dans les libertés démocratiques, que de faire semblant d’ignorer ce que la religion peut avoir de fanatique et de totalitaire. Toutes les religions – y compris l’islam. Nous avons bien eu nos intégristes catholiques, nos sectaires protestants, nos staliniens dans la ligne et nos petits gardes rouges : pourquoi les musulmans n’auraient-ils pas leurs moutons noirs ?

« Imagine-t-on d’analyser le nazisme comme on prétend analyser aujourd’hui le djihadisme, en détachant sa ‘base sociale’ de son ‘propos idéologique’ ? », demande candidement Gabriel Marinez-Gros… « La guerre mondiale, la hiérarchie des races, l’extermination des Juifs ? Mais de quoi parlez-vous ? Simple habillage infantile d’une violence de déshérités… » C’est pourquoi la thèse de certains que le djihadisme ne serait que l’habillage classique de la révolte adolescente est un appauvrissement d’analyse ; elle peut aboutir au déni de réalité, conséquence habituelle de la culture de l’excuse.

djihadiste en burqa

L’auteur va même plus loin : cette culture gauchiste du victimaire vient du fameux tiers-mondisme, tellement à la mode dans les années 60, encensé par Sartre et Beauvoir, relayé par les porteurs de valises du FLN, dont Cuba et le castrisme furent le summum de libération du peuple et de démocratie en actes (il suffit d’y aller pour juger sur pièces…). Mais ce tiers-mondisme, dit Martinez-Gros, n’est pas issu de la base, il n’est pas une idéologie nouvelle, née ailleurs qu’en Occident. Au contraire ! Il s’inspire du christianisme, des Lumières et du marxisme occidental pour fonder une nouvelle idéologie « universelle » des intellectuels : un autre nom de l’impérialisme occidental. Notre règne était béni par le Progrès parce que nous étions les meilleurs techniquement et les libérateurs des maladies et du sous-développement ; nous régnons toujours parce que nous sommes capables de critique sur nous-mêmes et que nous sommes coupables de tout – rien ne peut advenir sans nous, pour le meilleur comme pour le pire.

Il n’est que d’observer sans œillères ce que les Chinois, les Indiens ou les Brésiliens pensent de l’Occident, de son système économique, de sa prétention à l’hégémonie diplomatique comme de son idéologie universaliste : pas grand-chose de positif !… La « démocratie » ne se décline pas uniquement sous l’angle anglo-saxon « libéral », ni sous l’angle latin « césariste » ; il existe une démocratie indienne, une démocratie chinoise, une forme de participation du peuple à son destin qui ne correspond pas forcément à nos critères mais qui existe de fait. Ce genre de démocratie n’est pas la nôtre ; il est « illibéral », mais il fait consensus dans chacun des pays. L’universel n’est que l’autre nom de notre orgueil à vouloir être à la tête du Progrès, version sécularisée de la chrétienté catholique (qui veut dire « universel ») vrais fils de Dieu qu’il a créé à Son image… Notre petit djihad à nous, soft mais contraignant.

Si l’Asie s’est débarrassée de l’idéologie tiers-mondiste qui la maintenait sous tutelle progressiste occidentale, par l’essor du commerce et la fierté nationale, les pays arabes le font par le djihad islamiste – leurs gouvernements étant bloqués par le clanisme et la corruption. Ils se révoltent à la fois contre le progrès occidental, dont ils n’ont que les miettes dans les sociétés européennes faute de vouloir s’intégrer, et contre leurs États modernisés qui les maintiennent sous tutelle.

Il s’agit donc de bien d’autre chose que de religion : il s’agit de guerre et de soumission, de préjugés et de fanatisme, de pillage et de production. En bref d’une lutte structurelle des plus violents contre les plus gras. De quoi réfléchir au-delà des petites guéguerres entre franco-intellos, bornés aux « polémiques » de tribunes et de salons.

Gabriel Martinez-Gros, Fascination du djihad – fureurs islamistes et défaite de la paix, 2016, PUF, 120 pages, €12.00
Format Kindle, €9.99
Voir aussi :
Gabriel Martinez-Gros et Lucette Valensi, L’Islam, l’islamisme et l’Occident : Genèse d’un affrontement, 2013, Points histoire, 339 pages, €9.50
Gabriel Martinez-Gros déjà cité sur ce blog

Voir aussi :

Bertrand Badie, Nous ne sommes plus seuls au monde, 2016, La Découverte, 252 pages, €13.90

format Kindle, €9.99

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Musulmans ou islamistes

Comme beaucoup de ceux qui réfléchissent avant d’énoncer, je fais une claire distinction entre ceux qui croient simplement et ceux qui veulent imposer leur foi. Ainsi entre catholiques et intégristes, ou musulmans et islamistes. Notons ce fait particulier qu’aucun juif ne veut convertir les autres, et que les bouddhistes ne proposent que leur exemple de vie bonne pour attirer les adeptes.

N’oublions pas qu’Arthur Rimbaud, Henri de Monfreid et Isabelle Eberhart se sont convertis à l’islam. Mais cela restait de la foi intime, pas du prosélytisme intolérant, une manière aussi de pénétrer les sociétés étrangères de l’intérieur pour mieux les comprendre. La foi est du domaine individuel, intime, et Sadiq Khan élu en mai 2016 Maire de Londres a laissé le djihad au vestiaire.

Certes, les croyants peuvent tenter de convertir « de bonne foi », étant sûrs non seulement de détenir la Vérité absolue révélée par le seul Dieu suprême, mais surtout de « sauver » les âmes des mécréants. Ce fut le cas des Jésuites du Paraguay et des missions en terres étrangères. Mais nul besoin de religion pour cela : aider les autres est un mouvement généreux universel. La médecine et l’école furent les vertus d’une certaine colonisation faite pour de « grandes idées » – en général républicaines puis humanistes.

Ce qui n’est pas allé sans dérives. Le positivisme scientiste et la foi républicaine, socialiste voire communiste, ont été aussi des autoritarismes visant à dominer les peuples-enfants et à discipliner l’anarchie sexuelle africaine et polynésienne. Pour mieux exploiter le travail, faire « suer le burnous » et « éradiquer la paresse congénitale » (hum !).

ibn khaldun le livre des exemples tome 1

Mais la vertu des pays occidentaux est de s’être rendu compte de ces dérives, qu’elles soient celles des missions évangélisatrices dont les Jésuites sont revenus, de la « volonté générale » de 1789 que la révolution voulait étendre à toute l’Europe avant tout le genre humain, du communisme soi-disant « scientifique » qui devait libérer le monde entier des chaînes de l’exploitation – au service d’une étroite élite soumise au grand Parti unique…, ou du socialisme jacobin dont les technocrates savent mieux que vous ce qu’il vous faut. Tous se méfient de « la démocratie », le peuple leur paraissant ignare, manipulé ou beauf réactionnaire. Les discours sur le Brexit, après celui sur la montée du Front national aux européennes, en témoigne.

Ces croyances religieuses ou séculières, qui sont légitimes car elles font avancer l’humanité, sont désormais cantonnées dans la sphère privée pour ce qui est de Dieu, et dans la sphère politique pour ce qui est du débat sur les valeurs. La guérilla catholique contre la révolution a cessé ses effets après 1945 – non sans avoir sali les idéaux humanistes puis étriqué la pensée durant un siècle et demi – jusqu’au pétainisme de soumission (la « manif pour tous » est restée sans lendemain). L’agitation permanente marxiste depuis 1945 n’a jamais cessé (avec la CGT, Besancenot et Mélenchon) – mais elle se maintient dans les normes démocratiques, même si « la rue » exige plus de démocratie directe et moins de démocratie représentative. Le Parlement, en France, étant réduit à voter selon l’appartenance partisane sans discuter – ce qui est pourtant son rôle.

Mais aujourd’hui, seul l’islam renaît comme religion conquérante, intolérante, terroriste.

Pourquoi ? Parce qu’il veut en revenir aux origines et que ces origines sont la guerre tribale mêlée à la guerre idéologique au nom de la Révélation. S’il n’est de dieu que Dieu, il commande en tout et les minables humains doivent s’humilier devant Lui et obéir en tout aux Paroles qu’il a distillées via l’archange Djibril à l’oreille de l’illettré Mahomet, puis aux paroles du Prophète en son vivant, puis des gloses des érudits après le Prophète, puis des fatwas de savants autoproclamés qui se veulent détenteurs de l’unique interprétation de la vraie Vérité…

Les Musulmans sont des croyants légitimes s’ils pratiquent leur foi en privé, acceptant le compromis de la vie en commun. Mais les islamistes sont des croyants guerriers qui veulent imposer leur foi particulière au monde entier, surtout dans les pays qui les acceptent mal. C’est leur vengeance – que ce « surmusulman » (Fethi Benslama, psychiatre) : le renversement de l’humilité en arrogance analogue au Superman inventé en 1933 par un Juif américain sur le modèle de l’Übermensch de Nietzsche – déformé par l’aryanisme nazi. Le ressentiment intime projette une image boursoufflée de soi, déformée par la haine et dominatrice, qui conforte le moi blessé. Surtout de ceux qui ne sont pas encore des hommes, entre 15 et 25 ans, eux qui cherchent leur virilité dans la fraternité garçonnière d’où les femelles sont bannies, et qui justifient la raideur du sexe interdit par la kalachnikov rigide qui crache son jus puissant.

Cette quête de la Pureté, qui est l’un des ressorts du radicalisme adolescent confronté à la « souillure » du désir sexuel, trouve dans le corpus islamique de quoi se justifier.

Car les textes sacrés sont loin d’être innocents… Ils sont considérés par les oulémas comme véritablement authentiques. L’islam doit être étendu par les armes ; le djihad n’est pas qu’intérieur mais se manifeste dans la société et contre les ennemis ; les Juifs de Médine ont été exterminés par Mahomet lui-même – par calcul politique ; les minorités non-musulmanes des autres religions du Livre doivent être « soumises » et reléguées avec des droits inférieurs, payer un impôt communautaire.

fesses mediavores

L’islam, dans sa pureté croyante originelle, est dans ses effets analogue au nazisme – sauf que la foi remplace la race et que quiconque peut toujours se convertir. Ceux qui ne le font pas sont des sous-hommes, ceux qui résistent des cafards à exterminer. Toute la littérature militante de Daech – proclamé État islamique – le répète à l’envi.

De l’administration de la sauvagerie’ (édité en français sous le titre ‘Gestion de la barbarie’ et un temps disponible sur Amazon, à la Fnac et à la Librairie catho…), rédigé vers 2003 par Abou Bakr al-Baghdadi, explique en détail comment s’emparer d’un territoire, le soumettre brutalement par la terreur et l’application stricte de la charia wahhabite, puis porter la guerre au cœur de l’ennemi occidental et juif par les techniques mêmes du trafic financier, de la communication et de l’information occidentales. Mentir, voler, violer, vendre des œuvres d’art ou des êtres humains, crucifier, torturer, tuer – sont des pratiques permises et même légitimes « au nom d’Allah ». Comme si Dieu avait créé les bas instincts pour qu’ils servent sa Gloire.

L’historien de l’islam Ibn Khaldun (1332-1406) démontre clairement combien la religion est ce qui donne corps et forme au peuple arabe. « L’islam – la religion musulmane – est le seul monothéisme qui implique les devoirs de la guerre dans ceux de la religion », selon le professeur d’histoire médiévale de Nanterre Gabriel Martinez-Gros dans un numéro de la revue L’Histoire (423, mai 2016, p.56). C’est la progressive instauration de l’État, avec sa division des tâches entre guerriers, experts et lettrés, qui pacifie la violence originelle de la croyance. Pour Ibn Khaldun, les Turcs, les Mongols et les Berbères dans l’Oumma ont affaibli les Arabes – puisque la religion n’avait plus d’utilité politique pour l’empire. Or, rappelle Ibn Khaldun : « Dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux parce que l’islam a une mission universelle et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force » (Muqaddima – Le Livre des Exemples, p.532).

C’est cet écart entre l’origine et aujourd’hui qui fait que des musulmans deviennent islamistes. Le retour aux sources est un danger, aussi bien pour les racistes que pour les croyants. Mais c’est bien ce qui guette notre monde, déçu de la tournure des choses.

Fethi Benslama, Un furieux désir de sacrifice : le Surmusulman, 2016, Seuil, €15.00

e-book format Kindle, €10.99

Ibn Khaldun, Muqaddima – Le Livre des Exemples tome 1, Gallimard Pléiade, 2002, 1555 pages, €76.50

Jean Lafontaine, Pourquoi l’aveuglement occidental est la plus grande force de l’islam : illustration avec la « Déclaration de Marrakech », 2016, Atlantico

 

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