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L’armée des douze singes de Terry Gilliam

Gros succès en son temps pour ce film de science fiction d’il y a trente ans. Il faut dire qu’il parle d’un virus mortel qui éradique cinq milliards de terriens en un rien de temps, l’année 1997. Échappe d’un laboratoire, comme très probablement le virus chinois, mais pas par inadvertance : par la faute d’un terroriste en col blanc, le chercheur aigri du labo travaillant dans le privé pour la Défense.

Mais cela, personne ne le sait, puisque les protagonistes sont morts. C’est pour cela que, dans le futur de vingt ans, les 1 % survivants réfugiés loin sous terre décident d’envoyer dans le passé un mauvais garçon, prisonnier mais vigoureux et observateur. Ils veulent savoir d’où le virus est parti et quelles sont les causes de son apparition. L’espion doit appeler une boite vocale pour rendre compte. James Cole (Bruce Willis, qui joue très bien les abrutis) doit se renseigner sur l’armée des douze singes, organisation terroriste qui envisage de libérer le virus, selon un message laissé par une femme. James est un cas psychiatrique, il revoit sans cesse dans ses cauchemars le meurtre par balle d’un homme dans l’aéroport de Philadelphie. Il l’a vécu enfant, il était lui-même cet enfant. Quant à l’homme tué… le spectateur apprendra qui il est.

La technologie n’est guère au point : viser le passé n’est pas très fiable. Voilà que James se retrouve non pas en 1996, mais en 1990. Erreur technique. Il est très vite arrêté par la police et enfourné en hôpital psychiatrique pour ses délires sur le futur. Le séduisant docteur Kathryn Railly (Madeleine Stowe) le soigne. Contrairement à ses collègues masculins, et sans doute séduite par la carrure mâle du patient, elle cherche à comprendre. James, assommé par les médicaments, est coaché à l’intérieur par le déjanté Jeffrey (Brad Pitt, excellent en taré). Il apprend que le garçon est fils du scientifique qui travaille sur les virus, dont celui qui va agir. Jeffrey croit que son père veut supprimer l’humanité, ce qui lui paraît tout à fait génial. Il hait la société de consommation, et l’enfermement des bêtes dans les zoos. D’ailleurs, tout ce qui dépare de la Norme est mis en cage : les fous, les marginaux, les criminels, les bêtes. Ne serait-ce pas la société qui serait folle ?

Avec l’aide de Jeffrey, James s’évade. Repris, il est mis en cellule d’isolement, attaché seul dans une cave obscure. Mais il disparaît mystérieusement. Il a été « rappelé » dans le futur, et les humains au présent ne peuvent l’imaginer. Après avoir été interrogé, il est renvoyé dans le passé. Il atterrit en pleine Première guerre mondiale, encore une erreur. Il y croise son codétenu du futur José (Jon Seda) ! Entre les tranchées, il se fait tirer dessus et prend une balle dans la cuisse.

C’est cette balle que le médecin psychiatre Kathryn va extraire après avoir été prise en otage par James, renvoyé dans le futur exact de 1996 cette fois, et qui veut en finir avec cette mission absurde. Il veut retrouver avec son aide Jeffrey, car il croit qu’il sera l’auteur de la pandémie qui doit se déclencher dans quelques semaines. Le garçon a été réintégré dans la société et prépare en secret un coup de terrorisme vert : libérer les animaux du zoo de la ville. Cette « armée des douze singes », selon un conte pour enfants, doit tourner en dérision la société humaine.

Le docteur Railly convainc James qu’il est sujet à des hallucinations et que le futur n’existe pas, sauf dans son esprit. Il finit par s’en persuader, car qui est fou ou sain d’esprit ? En même temps, elle-même finit par douter car le monde se décompose et va dans le mur. C’est la disparition du petit Richard dans un puits de mine, que James qualifie de canular car le gamin s’est caché dans une grange – ce qui s’avère un peu plus tard ; c’est la balle qu’elle extrait, expertisée, qui prouve qu’elle vient de 1917. Elle prend contact avec le père de Jeffrey pour le mettre en garde : que son fils n’ait surtout pas accès aux virus du laboratoire. Le savant (Christopher Plummer) se dit qu’il est peut-être utile de prendre des précautions supplémentaires, et en charge son assistant (David Morse) – précipitant sans doute sa décision d’en répandre un mortel. Elle appelle aussi le numéro que James devait appeler en 1990, alors pas activé, pour laisser un message sur l’armée des douze singes – celui-là même qui a motivé la mission de James.

Mais désormais, Kathryn et James sont tombés amoureux et décident de vivre au présent, sans plus se préoccuper des scientifiques qui veulent réguler l’humanité jusque dans la chambre à coucher. Ils sont toujours à évaluer, juger, donner des notes, formater. Les abîmes du temps et de la psychologie finissent par lasser et désorienter : autant en revenir au solide de la tradition. Et de bien vivre avant la catastrophe. Pour cela aller en Floride, la mode à l’époque, avant la fréquence augmentée des cyclones dus au réchauffement. Railly prend les billets, les deux se déguisent, recherchés par la police, James s’arrache les dents car on lui a appris qu’il était suivi dans le futur par un émetteur dans une dent – illustrant une fois de plus les dangers de la technologie. Les voilà prêts.

James laisse un dernier message téléphonique avertissant les scientifiques du futur qu’il reste dans son présent (ce qui perturbe l’ordre du temps) et que l’Armée des douze singes n’est pas cause de la diffusion du virus. Immédiatement repéré par la technique, il est abordé par un émissaire du futur qui lui remet un revolver pour tuer le Dr Peters, l’assistant du père de Jeffrey. Comme quoi le futur savait, ou l’avait deviné en suivant James à la trace. Kathryn Railly voit en effet Peters prendre l’avion devant elle avec une valise pleine d’échantillons virologiques, que le contrôle fait ouvrir. La préposée aux billets s’exclame du tour du monde qu’il s’apprête à faire… et dont les escales dont dans l’ordre de la propagation du virus que James a appris dans le futur. Vont-ils réussir à l’empêcher ?

Même pas… James se fait descendre par les flics de l’aéroport alors qu’il tente maladroitement de viser Peters qui s’empresse avec sa valise. Un enfant d’une dizaine d’années observe la scène de ses grands yeux bleus (Joseph Melito). Il est James vingt ans avant. Quant au Dr Peters, il s’assoit dans l’avion à côté d’une femme qui dit travailler dans les assurances, alors qu’elle est l’une des scientifiques du futur qui a envoyé James en 1996. Ce qui laisse au spectateur le soin de conclure… par diverses hypothèses, selon son pessimisme. Cette ultime fin énigmatique fait beaucoup pour l’attrait du film – tiré d’ailleurs d’un court métrage français de 1962 intitulé La Jetée.

DVD L’armée des douze singes (Twelve Monkeys), Terry Gilliam, 1995, avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer, Brad Pitt, David Morse, DVTY 2002, anglais vo doublé français, 2h05, €6,79, Blu-ray version restaurée L’Atelier d’Images 2024, anglais vo doublé français €19,99

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Incassable de M. Night Shyamalan

Un film bizarre d’un réalisateur décalé sur une Amérique hors des normes. A une extrémité, l’homme blanc musculeux, invincible, qui ne peut être blessé et n’a jamais été malade ; à l’autre extrémité, l’homme noir chétif, atteint de la maladie des os de cristal et qui est la plupart du temps en chaise roulante. L’écart absolu entre noir et blanc, le mal et le bien. Par haine du destin, le Noir cherche son alter ego à l’autre bout d’une évolution dont il est la victime – cassé, il veut trouver l’incassable. Par instinct du bien, le Blanc cherche à protéger les autres sans le vouloir, simplement parce qu’il est bâti ainsi – immunisé, il veut se croire fragile comme les autres.

Tout commence dans le bruit et la fureur d’une catastrophe ferroviaire. Cent-vingt morts dans le déraillement du train New York-Philadelphie, à quelques kilomètres de sa destination – un seul survivant, David Dunn (Bruce Willis), banal surveillant à la sécurité du stade de la ville. Il est indemne, pas même une égratignure. Certes, les trains des compagnies privées des États-Unis ne sont pas toujours contrôlés, révisés et entretenus comme il se doit, mais on apprendra vers la fin que le hasard n’y était pour rien. Ce n’était pas la première catastrophe des dernières années : un Boeing qui s’écrase, un paquebot qui coule…

David s’interroge, à la fois poussé par son fils qui l’admire et se demande s’il est pareil, aussi invincible comme un super-héros de comics, et par une énigmatique carte d’invitation d’une galerie d’art qui lui demande s’il a jamais été malade. Au fait, l’a-t-il un jour été ? Il ne s’en souvient pas, son épouse Audrey (Robin Wright) non plus. Oui, mais ils ont eu un accident de voiture étant étudiants, un tonneau. Lui a été éjecté de la voiture et a sorti celle qui allait devenir sa femme. Mais a-t-il été blessé ? Probablement, encore que ce ne soit pas sûr.

Le patron de la galerie d’art, spécialisée dans les dessins originaux de comics, est Elijah Price (Samuel L. Jackson), né avec la maladie génétique des os de verre (en termes techniques, une ostéogenèse imparfaite de type I). Souvent à l’hôpital durant son enfance pour des fractures répétées, solitaire parce qu’il ne pouvait jouer avec les autres, il est devenu misanthrope par force et sa mère lui a acheté des comics, dont il est dit au début qu’ils représentent un talent de l’Amérique. Price se dit que, s’il existe d’aussi débiles que lui nés sur la terre, il doit exister aussi l’autre extrême, le super-mâle au squelette d’acier. Intoxiqué par son imagination, il veut le trouver dans la réalité. Ce pourquoi il collectionne les récits de catastrophes dans les journaux avant de tomber sur la perle : un seul survivant dans une apocalypse de ferraille.

Elijah l’anti-Goliath rencontre David l’anti-adolescent (les références bibliques, même inconscientes, ne cessent d’irriguer la mentalité américaine). Il s’aperçoit que l’agent de sécurité est capable de percevoir le mal chez ceux qu’il croise, comme cet homme en chemise flottante qui pourrait bien cacher « un pistolet argent à crosse noire » (c’est très précis). Il demande alors à son collègue de fouiller chacun avant qu’il n’entre sur la stade… et l’homme en chemise quitte la file. En le suivant, Elijah tombe dans les escaliers du métro et se casse littéralement en morceaux, mais a le temps de voir les dessous de l’homme – et le gros pistolet effectivement argent à crosse noire.

Intrigué, David teste ses muscles devant son fils aux haltères. Le gamin charge les poids ; c’est trop lourd, le père demande d’en enlever. Le gamin en rajoute au contraire, et David soulève toujours. Il se rend compte ainsi qu’il est plus puissant qu’il ne le croyait. Au point que le fils est persuadé que son père est l’un de ces super-héros des comics. Il tente même de lui tirer dessus avec un revolver dans la cuisine… avant d’obéir quand même par respect filial quand son père le somme de poser cette arme sous peine de disparaître de sa vie. C’est que son couple ne va plus très fort, passage en creux habituel après une douzaine d’années de mariage et un seul enfant. Joseph (Spencer Treat Clark, 12 ans au tournage), teste à l’école sa propre force en se battant avec un copain qui le défie – il est flanqué par terre. La surveillante convoque non pas la mère comme d’habitude mais le père, comme demandé par le fils, et se rend compte qu’elle le connaît : elle l’a vu quasi se noyer jadis dans la piscine où des copains l’avaient poussé. Il est bien resté cinq minutes sous l’eau, mais est ressorti indemne. Cela, elle s’en souvient.

Elijah, placé dans le service de l’épouse de David, la fait parler. Dans l’accident de voiture, son futur mari n’a pas été blessé mais a peut-être provoqué l’accident lui-même pour écourter sa carrière de footeux pro et épouser la belle (le football américain est l’école d’une particulière violence). Au téléphone, David le reconnaît. Elijah lui demande alors de se tester en utilisant sa sensibilité particulière pour trouver un ennemi de l’humanité, dans un lieu où il y a du monde. En gare de Philadelphie, David repère un agent d’entretien en combinaison orange (la même que celle des prisonniers…).

Il le suit et le voit entrer le soir dans une maison d’un quartier bourgeois où il tue le père et la mère et attache les deux enfants dans la salle de bain. Silencieux, en cape de pluie intégrale car il a une phobie de l’eau depuis son enfance, David libère les kids (un garçon et une fille, comme il se doit dans la famille yankee). Le criminel, qui le découvre, le projette dans la piscine, où la bâche de protection s’écroule sous son poids. Mais les deux enfants déjà grands lui tendent une perche et il sort pour étrangler l’assassin d’une clé au cou. Le lendemain, David montre en cachette à Joseph l’article du journal qui relate « le sauvetage de deux enfants par un héros », un dessin le représentant en grande silhouette sous cape, ce que les kids ont retenu de leur sauveur. Il ne faut pas que son épouse le sache, elle en serait déstabilisée.

David va donc retrouver Elijah qui patronne une exposition de sa galerie et, lors du serrement de mains, il a un flash : Elijah est le Mal incarné, le Méchant des comics, un gibier d’hôpital psychiatrique. Voulant à toute force confirmer sa théorie des deux bouts de la chaîne, il a provoqué des catastrophes pour découvrir LE personnage qui est son inverse absolu. Il est dit en bandeau que David le dénonce pour qu’il finisse interné.

Au fond, Superman n’est-il pas un homme ordinaire qui fait bien son boulot ? Et le Méchant un être handicapé d’une tare qui se venge de l’humanité ? Le Bien et le Mal sont facile à distinguer chez les Yankees. De la Bible aux comics, ils sont clairement révélés.

Mais ici avec plus de psychologie que d’action, les tourments de tous les personnages étant au premier plan, y compris les seconds rôles comme la passagère du train avant le déraillement ou la surveillante de collège qui se souvient. Un bémol quand même : on ne rigole pas dans ce film. Le comics est trop sérieux pour qu’on s’en moque – autre trait typique de la culture trop jeune yankee.

DVD Incassable (Unbreakable), M. Night Shyamalan, avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Robin Wright, Charlayne Woodard, Spencer Treat Clark, Touchstone Home Video 2001, 1h42, 17,84, Blu-ray€14,99

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Sixième Sens de Manoj Nelliyattu Shyamalan

La mort : en avoir peur ou l’accepter ? « Il faut écouter les morts », conseille le psychiatre à son petit patient de 8 ans. Écouter les morts signifie être le passeur entre le passé et le présent, autrement dit écouter les vivants au travers de ceux qui sont morts, leurs souvenirs, leurs traumatismes. Ainsi cette fillette décédée alors qu’elle pétait la forme et jouait au théâtre de marionnettes. Ainsi son prof, ancien bégayeur moqué à l’école. Ainsi la mère de Cole (Toni Collette) solitaire, débordée, maniaque qui a des conflits à résoudre avec sa propre mère. Ainsi le psy, qui voit sa femme lui échapper.

Mais revenons au film. Le réalisateur américain originaire de Mahé en Inde l’a construit avec un retournement final (que les colonisés de la tronche appellent « twist » parce que ça fait branché yankee). Un retournement préparé, mais pas perçu au premier visionnage. C’est justement la qualité du film de pouvoir le revoir deux fois, trois fois. Avec, à chaque passage, une façon différente de regarder.

Au premier degré, Malcolm Crowe (Bruce Willis), psychiatre de Philadelphie qui a reçu une citation de la ville pour services sociaux rendus à la collectivité, rentre un soir avec sa femme (Olivia Williams) pour passer une soirée en tête à tête à la maison avec une bouteille de bon vin. Dans la chambre, l’épouse découvre la fenêtre cassée, on est entré par effraction. Une ombre passe, c’est un ancien patient dans la salle de bain, Vincent Grey (Donnie Wahlberg). Il s’est dépouillé de ses vêtements pour apparaître nu, vulnérable, laissé pour compte dans ses terreurs. Il est bien bâti et a tout pour lui, sauf que le psy n’a pas pu l’aider. Lequel bafouille ; le jeune homme lui tire dans le bide avant de se tirer une balle dans la tête.

Trois mois plus tard, Malcolm Crowe se retrouve chargé d’un gamin de 8 ans, Cole (Haley Joel Osment, 11 ans au tournage), qui présente les mêmes symptômes que son patient suicidé. Il pense qu’il peut rattraper son échec en aidant l’enfant car c’est peut-être plus facile avec l’expérience de Vincent, lui-même suivi petit. Il ne l’a pas cru ; il faut croire Cole. L’enfance est un âge influençable, pas encore fini ni ancré dans sa psychose. Cole est timide et effrayé car il a un secret qu’il finit par avouer, d’une toute petite voix qui craint la rebuffade : il voit les morts autour de lui ; il est seul à les voir et lorsqu’ils rôdent la température s’abaisse d’un coup. Ils lui demandent quelque chose. Quoi ? De les aider. Les aider à quoi ? A passer, à régler ce qu’ils n’ont pu régler dans leur vie. Mais Cole est terrorisé, il ne sait à qui se confier puisque sa mère ne comprend pas ce qu’il raconte et croit qu’il ment lorsqu’une médaille est déplacée, puisque son prof ne le croit pas lorsqu’il dit que l’école est le lieu où, jadis, on pendait les gens – le prof euphémise en disant que c’était une cour de justice de la capitale alors des États-Unis pour quelques années.

Le psychiatre va réécouter une cassette enregistrée lors d’une séance avec Vincent qui fréquentait la même école que Cole et, poussant le son à fond, percevoir dans un silence une toute petite voix, celle d’un mort. Il va donc donc, plutôt que de diagnostiquer en bon technicien du cerveau de mauvais traitements, une schizophrénie précoce et une tendance paranoïaque, écouter Cole. IL va le faire parler, respecter ses silences et ses retraits, le croire. Cela au risque de délaisser sa femme Anna, qui commence à se laisser fréquenter par un jeune étudiant. Crowe se laisse aller à l’empathie pour mieux comprendre. C’est en cela qu’il aide son patient, à qui il sert de père de substitution et de confident quasi maternel. Il garde de la distance, notamment physique, le spectateur comprendra pourquoi par la suite. Même chose avec sa femme, il lui parle mais elle garde le silence. En fait, le psychiatre est bien seul dans la vie, dans la rue comme devant les autres…

Cole va finir par accepter de surmonter sa terreur pour s’ouvrir lui aussi aux autres, aux morts qui l’entourent et qu’il perçoit. Son empathie, transmise par le psy, lui permettra de se mettre en règle avec lui-même et avec les vivants. Avec une fille de sa classe, morte inexplicablement alors qu’elle était en bonne santé, et qui a laissé tourner une caméra dans son placard où elle filmait ses marionnettes : sa mère, souffrant d’un syndrome de Münchhausen par procuration, a versé du poison dans sa soupe. Avec ses copains de classe qui le trouvaient bizarre et le bizutaient, il est désormais reconnu comme le valet de ferme qui est le seul à pouvoir ôter l’épée du rocher, dans la légende d’Arthur jouée en fin d’année. Avec sa mère, à qui il apprend que l’accident au bout de la rue qui immobilise la voiture dans une file est due à une femme en vélo qui s’est fait écraser, que sa grand-mère lui parle et transmet un message à sa fille, notamment qu’elle l’a bien vue danser à sa fête de fin d’année, même si elle est restée cachée au fond de la salle. Avec son psy Crowe, à qui il conseille de parler à sa femme lorsqu’elle dort ; les messages passent dans l’inconscient. Mais lorsqu’il le fait, l’épouse laisse échapper de sa main l’anneau de mariage de son mari, lui qui croyait le porter au doigt.

Au second degré, lorsqu’on a déjà vu le film une fois et que l’on connaît le rebondissement final, le regard du spectateur change et s’approfondit. Il peut comprendre ce que le petit Cole comprend tout seul lorsqu’il finit par « écouter » les morts. Que la fin de vie est une transition progressive du monde des vivants vers le monde des morts. Qu’il faut, pour apprivoiser le fait de voir mourir les autres et de mourir soi-même, communiquer avant tout, tout le temps. Parler est une thérapie, la psychanalyse le dit et le démontre. Ce film aussi. Au fond, il ne faut pas avoir peur de la mort mais la faire apprivoiser par les vivants. C’est en réglant ses propres conflits non résolus que la mort viendra à son heure, en étant apaisé. Ce qu’on appelle le deuil.

DVD Sixième Sens (The Sixth Sense), Manoj Nelliyattu Shyamalan, 1999, avec Bruce Willis, Haley Joel Osment, Toni Collette, Olivia Williams, Mischa Barton, Hollywood Pictures Home Video 2000, 1h42, €4,99 Blu-ray €14,53

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Red de Robert Schwentke

Lavez-vous la tête après Covid, élections ou examens et passez une bonne soirée avec un film d’action, satire de la CIA et de tous ceux qui se prennent pour des dieux. Les gens enivrés de pouvoir sont dangereux et doivent être stoppés, tel est le message.

Franck Moses (Bruce Willis à son meilleur pince sans rire) est un retraité de la CIA mais son passé le rattrape car il « sait » des choses sur certains. Lui se tient à carreau, ne rêvant que de lier connaissance avec la voix de sa caisse de retraite, Sarah (Mary-Louise Parker), dont il est tombé amoureux par téléphone. Mais ces coups de fil et les lieux évoqués font tilt dans les bases de données des écoutes et il est repéré. Une sous-fifre ambitieuse de la CIA aux dents qui rayent le parquet est mandatée pour l’éliminer et elle en charge l’agent William Cooper (Karl Urban), jeune et ambitieux lui aussi mais rationnel. De qui viennent les ordres ? Nul ne sait et le spectateur le découvrira en même temps que les protagonistes.

Une insomnie – ou un sixième sens – fait se réveiller Franck à trois heures du matin chez lui pour descendre au rez-de-chaussée alors que des hommes en noir armés s’introduisent silencieusement dans la maison. Entraîné, il les surprend un à un et les met hors d’état de nuire. Comme tout un troupeau s’avance dehors, il fait sauter des balles dans une poêle pour les faire intervenir et quitte sa maison en emportant le nécessaire. Le comique irrésistible du film réside dans la démesure « à l’américaine » : un mitraillage général qui fait s’écrouler les murs en carton-pâte de la maison (pas chère et provisoire, typiquement yankee) et un tapis de douilles fort peu écologique et sans aucune efficacité. Evidemment, tout saute pour l’effet Hollywood.

C’est le début d’une cavale avec cette énigme : qui veut le tuer ? Il rejoint Sarah à Kansas City pour la mettre en garde mais, là encore, un commando survient pour leur faire leur affaire. Sarah, petite dinde désorientée, ne le croit pas et Franck est obligé de la ligoter et de la bâillonner pour l’emporter en voiture comme un vulgaire Creeper. Il la laisse ainsi dans un motel pendant qu’il va rendre visite à son ancien mentor de la CIA Joe (Morgan Freeman). Franck lui a apporté en cadeau les doigts coupés des homes qui se sont introduits chez lui, ce qui permet à Joe, qui a gardé des codes de Langley, de trouver leur identité et leur dernier forfait : l’assassinat d’une journaliste du New York Times qui enquêtait sur une liste de noms. Tous ceux de la liste sont tués les uns après les autres, leur mort déguisée en accident, en suicide ou en règlement de comptes.  

Bien que Sarah se soit libérée de ses liens et ait appelé le FBI, Franck réussit à l’enlever à nouveau et à lui injecter le somnifère qui lui était destiné par un agent. Il réussit à la convaincre de rechercher Marvin (John Malkovich), un autre ancien copain de sa vie active. Ce dernier, les neurones grillés par le LSD expérimenté par la CIA dans les années cinquante (fait authentique), est devenu paranoïaque. Il vit non dans sa maison au bord du bayou en Floride mais en sous-sol, l’accès se faisant de façon désopilante par le capot d’une voiture-épave dans la cour. Il se méfie de tout, des cartes bancaires, des téléphones mobiles, des téléphones fixes, des ordinateurs, de l’Internet, des caméras de surveillance, des satellites, des hélicoptères, des gens qui les suivent. Et avec raison, la technologie multipliant le pouvoir surtout depuis George W. Bush.

Dans les archives (papier) qu’il a conservé, il découvre que la liste correspond à une mission de son groupe du service action de la CIA au Guatemala en 1981 où, avec Franck et Joe entre autres, il a dû « nettoyer » le massacre d’un village qui cachait l’enlèvement d’un personnage important. Le dernier de leur groupe, Singer, travaille dans un aéroport et n’est pas encore descendu ; lorsqu’ils vont le trouver, il est assassiné par un tireur en hélico, repéré par Marvin et par une rousse en tailleur qui les suivait, repérée elle aussi par Marvin, malgré les « mais non » de Sarah et de Franck. Même les paranoïaques ont des ennemis. Marvin avec son petit revolver, réussit à faire exploser le missile tirée par la rousse dans une parodie des duels de westerns chers à la digne Amérique.

Mais quelle était cette mission de la plus haute importance au Guatemala ? Pour le savoir, il faut s’introduire dans les archives secrètes de la CIA à Langley. Et pour cela, quoi de mieux que de contacter l’ancien Adversaire de la guerre froide Ivan (Brian Cox), en poste à l’ambassade de Russie ? Après une tournée de vodka et l’aveu que le cousin « boucher » n’a pas été tué mais a été retourné et vit grassement aux Etats-Unis avec une chaîne d’épiceries, le deal est vite conclu : les codes d’entrée et les identités pour entrer à Langley comme général et savante atomiste – comme quoi toute la technologie et le « secret » sont vite éventés ! Le dossier est sorti des archives mais Franck se collette dans son propre bureau  à Cooper, l’agent chargé de l’éliminer ; il est blessé. 

Tout le groupe va le faire soigner au « nid d’aigle », le repaire très chic de Victoria (Helen Mirren), une ancienne tueuse du MI6 qui a dû démissionner pour être tombée amoureuse, il y a cinquante ans, d’Ivan. Victoria non plus ne peut raccrocher et elle effectue quelques « missions » d’élimination de temps à autre pour garder la main. Le dressage des services secrets est devenu une seconde nature.

Le dossier révèle une chose : seul un nom ne figure pas sur la liste à tuer, celui d’Alexandre Dunning (Richard Dreyfuss), reconverti en marchand d’armes prospère ayant pignon sur rue et ne désirant pas que son passé trouble le rattrape, pas plus que le personnage exfiltré qui n’était autre que… l’actuel vice-président des Etats-Unis (Julian McMahon). Il veut aujourd’hui se présenter à l’élection présidentielle. Tout jeune et lieutenant inexpérimenté à l’époque, il a massacré tout le village, dommage « collatéral » semble-t-il trop habituel de ce genre de mission où la « raison d’Etat » fait bon marché de la vie humaine, surtout celle de « bougnoules ».

Le groupe d’ex va donc rendre visite à Dunning dans sa propre maison sécurisée mais le FBI, prévenu on ne sait par quelle taupe, entoure la demeure. Fusillade : Joe, à 80 ans et avec un cancer en phase terminale pour la consolation, se sacrifie pour faire diversion en se faisant passer pour Franck ; il est descendu sur un ordre d’on ne sait qui alors que Cooper avait expressément ordonné que personne ne tire. Le spectateur connaîtra ce « qui » à la fin lorsque Cooper fera le ménage sans ménagement.

Mais Sarah, la dinde, s’empresse de « tomber » alors qu’elle fuit dans la neige ; elle est prise. Satire du cinéma traditionnel où les femelles sont hystériques, avec un pois chiche dans la tête, courent de travers avec de hauts talons et trébuchent sans arrêt. Sarah n’a rien d’une Victoria. Moyen de pression sur Franck ? c’est mal le connaître : il téléphone directement à Cooper et s’arrange pour faire durer suffisamment la conversation pour que son interlocuteur sache qu’il est dans sa propre maison, près de sa femme et de ses enfants qui jouent (et ne l’ont pas vu). L’agent Cooper s’aperçoit que le combat de l’ombre n’est pas un jeu de pions et qu’obéir aveuglément aux ordres peut mettre en danger ses proches. Il s’engage à ce que Sarah ne soit pas inquiétée – d’ailleurs elle ne sait quasiment rien – mais la garde au frais pour la protéger de tout le monde.

Le vice-président étant la clé, le groupe s’infiltre à son gala de récolte de fonds pour la présidence et finit par l’enlever, après fusillades et courses-poursuites dignes de James Bond. Il s’agit de faire la lumière sur le Guatemala, sur qui a donné les ordres de tuer, et de l’échanger contre Sarah. Tout va se passer non sans tension et les méchants seront tous finis à la fin. Franck pourra vivre paisiblement son happy end avec Sarah – à moins que… Car Ivan réclame un service après celui qu’il a rendu. Ce sera le propos de Red 2.

Un excellent Bruce Willis et une comédie romantique pleine d’actions spectaculaires et d’ironie sur les totems de « l’Amérique » : le pouvoir, la CIA, la surveillance généralisée après le 11-Septembre, l’esprit pionnier, la défense individuelle, l’honneur, le vrai patriotisme et ainsi de suite. Moins superficiel qu’il n’y parait et divertissement assuré.

DVD Red (Retired and Extremely Dangerous), Robert Schwentke, 2010, avec Bruce Willis, Helen Mirren, John Malkovich, Morgan Freeman, Mary-Louise Parker, M6 vidéo 2011, 1h47, €5.45 blu-ray €10.99

Coffret Red 1 et Red 2, M6 vidéo 2013, 3h38, €9.99 blu-ray €22.96

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Boire et Déboires de Blake Edwards

Le comique 1987 est un brin daté mais reste drôle bien qu’un peu retenu pour nos goûts. Les excentricités de chacun restent dans le bon ton sans jamais déborder. A Los Angeles, Walter Davis (Bruce Willis dans son premier grand rôle) est un ancien joueur de guitare célibataire et sans liaison reconverti dans la banque où il analyse des dossiers pour que son patron (George Coe) puisse conseiller des placements à ses clients. Il est bordélique, mal fagoté, stressé comme un artiste dans la finance ; l’inverse du cool dragueur Denny (Mark Blum) son collègue toujours tiré Armani à quatre épingles.

Le trio doit rencontrer un gros entrepreneur japonais (le Japon est alors maître du monde, avant son krach immobilier de 1990). Le Nippon est traditionnaliste et conservateur, le genre à garder sa femme soumise à trois pas derrière lui, qui ne parle que sur son autorisation et est la seule à lui proposer et à allumer sa cigarette. Walter se dit que, pour se faire bien voir, il doit venir accompagné. Malgré son frère vendeur de voitures et menteur comme un commerçant yankee, il ne voit pas d’autre solution que la cousine de sa femme, Nadia (Kim Basinger), qui vient de fuir David (John Larroquette), son riche fiancé avocat immature et trop collant. Il se méfie, avec raison. Son frère Ted (Phil Hartman) lui a bien transmis les conseils de sa femme de surtout ne pas faire boire Nadia, Walter le bordélique s’en moque : c’est entré par une oreille et sorti par l’autre.

Il ne peut donc s’en prendre qu’à lui-même si la suite de catastrophes du plus haut comique émaille sa soirée. Avant le dîner prévu dans un restaurant chic, il va la chercher à son hôtel pour faire connaissance. Il l’emmène au studio d’enregistrement où il a fait ses premiers pas de guitare jazz et où Stanley Jordan (par lui-même) est en train d’enregistrer un morceau. Il offre le champagne, bien-sûr. Nadia se transforme vite en gremlin, l’alcool ne lui réussissant absolument pas. Elle fait tout de travers, provoque, insulte, met les pieds (à hauts talons) dans le plat, bref se comporte comme une harpie jetée dans un magasin de porcelaine sociale.

Le serveur snob du restaurant (évidemment français) prend un accent belge tellement outré pour requalifier les plats de la carte que lui lisent les clients qu’elle l’insulte en bruxellois pour le remettre dans ses origines. Comique de situation, elle rembarre Denny, venu draguer une aussi belle poule faisane qu’elle, lui arrache sa pochette de veste, court raconter à sa fiancée ce qu’il est, ce qui la fait se défiler. L’épouse japonaise (Momo Yashima) de Monsieur le chef d’entreprise Yakamoto (Sab Shimono) est une caricature médiévale avec son fard blanc de craie, sa coiffure apprêtée aux épingles et son kimono qui l’oblige à marcher à tout petits pas serrés (pour l’empêcher de fuir). Nadia va donc à sa table pour lui vanter la liberté des femmes californiennes, lui arracher sa perruque (ce qui couvre l’épouse de honte et l’incite à courir aux toilettes) et, pour se faire pardonner, lui assure que la loi de Californie permet aux épouses de garder 50% des revenus de leur mari : « y a-t-il un avocat spécialiste en divorce dans la salle ? » – trois costumes se lèvent…

Aucun doute, Walter est viré. Au lieu d’être mieux vu, il perd son poste lucratif. Il veut raccompagner Nadia-la-folle à son hôtel mais elle veut finir en boite. Soudain surgit son ex, qui veut la récupérer et s’en prend à Walter. Courses en voiture et comique de répétition, David rentre dans une devanture de marchand de couleurs, puis une autre fois dans une animalerie, une troisième fois dans une boutique de farine en gros.

Enfin dégrisée à demi, elle donne une adresse d’amie à Walter, dans une banlieue mal famée. Au moment d’appuyer sur la sonnette, comique d’excès, la maison se défile sur des roulettes, emportée par les déménageurs. Pendant ce temps des malfrats démontent à moitié la voiture tandis que des flics déboulent mais ne font rien, que s’arrêter pour interroger la victime sans poursuivre les voleurs.

Pour Walter, c’en est trop. Rajoutant sur le comique d’excès, il emmène Nadia dans une fête qu’elle a mentionnée et déboule avec elle dans une party chic où il se goinfre exprès de petits fours et avale coupe sur coupe… avant de retrouver, comique de répétition, le David déchaîné. Bagarre, flics, arrestation, une nuit en cellule.

Fin de l’histoire ? Non pas : au matin, Walter se retrouve libéré sous caution, payée par… Nadia, 10 000 $ quand même. Il ne voulait surtout pas la revoir mais se sent obligé d’aller lui rembourser, ce qui conduit Nadia à renouer avec l’avocat David, son ex, afin qu’il défende Walter pour l’avoir lui-même agressé. Au tribunal, le juge (William Daniels) s’avère le père de David et consent à le libérer sans charges si ledit fils promet de s’exiler loin du comté de Los Angeles. Nadia a promis le mariage sans consommation à David pour qu’il sauve Walter.

Il doit se faire à la propriété du juge où David a gardé sa chambre d’enfant et dort en pyjama boutonné jusqu’au cou avec ses peluches. Walter ne veut pas qu’elle se sacrifie pour elle ; en fait il est amoureux et sent que c’est réciproque. Il imagine alors un stratagème à base d’alcool pour faire rater le mariage et assiste à la scène, caché dans une dépendance proche de la piscine, malgré le doberman de garde. Ce qui engendre la nuit durant des quiproquo amusants en comique de répétition.

Tout finira comme il se doit, après une heure trente de rigolade sans cesse relancée. Bruce Willis n’est pas au mieux dans ce rôle de fonceur niais et Kim Basinger n’est finalement pas aussi sexy que l’on en avait gardé le souvenir. En fait, ce n’était pas mieux avant – il suffit de revoir les films du passé. Mais on passe un bon moment.  

DVD Boire et Déboires (Blind Date), Blake Edwards, 1987, avec Kim Basinger, Bruce Willis, John Larroquette, William Daniels, George Coe, ESC éditions 2021, 1h32, €14.99 blu-ray €19.99

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Le Cinquième élément de Luc Besson

Très divertissant, drôle avec de l’action – mais vide, le film a eu beaucoup de succès en raison de sa légèreté mais reste dans le superficiel des années 1990-2000 : décors grandioses, humains déjantés, menace du Mal. Le thème est évidemment hollywoodien – sauver le monde – même si le réalisateur est français. Il est évidemment biblique – combattre le Mal absolu – même si la France est rationaliste et peu croyante. Il se passe évidemment entre le plus lointain passé – l’Egypte mythique – et le plus avancé futur – les Etats-Unis tout-puissants. Il y a comme un parfum d’acculturation grave chez Luc Besson. Ce pourquoi il fait du fric – ce qui est aussi américain.

Il est heureux que les acteurs soient convaincants dans leur rôle, sinon sur le « message » – s’il en est un – que seul « l’amour » sauve l’Humanité (amour = sexe aux Etats-Unis). Gros muscles et cœur d’artichaut dans un univers dominé par la technique, voilà la clé du succès. Le seul baiser du mâle sur les lèvres de la femelle aux ultimes secondes de l’action relie le passé au futur, l’humanité à l’entité supérieure.

Reste qu’entre temps le spectateur ne s’ennuie pas. Le troisième siècle après 1914 est filmé avec une panoplie d’effets spéciaux spectaculaires. Les taxis volent, les voitures de police sont équipées de mitrailleuses et de lance-roquettes, les immeubles sont tout en hauteur pour échapper au brouillard (de pollution ?) qui stagne sur quelques dizaines de mètres au-dessus du sol, les appartements sont des cages métalliques aussi étroites qu’une cabine de sous-marin. Mais les chats ont une télévision pour eux (à nettement plus de 24 images par seconde, je présume) et les aliments se constituent tout seuls dans les fours.

Le récit commence en 1914 dans un tombeau de l’ancienne Egypte aux confins du désert. Un savant italien déchiffre un hiéroglyphe faisant état d’un cinquième élément en plus de la terre, du vent, du feu et de l’eau ; il annonce la visite d’un autre monde tous les 5000 ans. Un prêtre chrétien (pourquoi ?) est chargé de père en fils (spirituels) de garder le lieu et d’éloigner les importuns – par le poison s’il le faut. Une crypte abrite une statue de métal et quatre pierres, détonateurs d’une arme absolue contre le Mal absolu. Pour préserver la Vie, des extraterrestres appelés Mondo-Shawans débarquent en vaisseau récupérer les cinq éléments en prévision de la Première guerre mondiale. Ils déclarent au prêtre revenir dans trois cents ans.

Mais ce n’est que 349 ans plus tard (pourquoi 49 ans de plus ?) qu’un vaisseau spatial Mondo-Shawans demande à entrer dans l’atmosphère terrestre. Le président des territoires fédérés (Tommy « Tiny » Lister Jr.) – une sorte d’extension planétaire des Etats-Unis – autorise, mais le vaisseau est attaqué par des chasseurs venus d’outre-espace que personne n’a repéré (bravo les USA !) et explose, ne laissant aucun survivant. Seule une main de métal est retrouvée dans les débris ; elle contient quelques fragments d’ADN qu’un laboratoire (évidemment militaire) permet de cloner. Il reconstitue la créature qui est le cinquième élément, une jeune femme « parfaite » – sauf les cheveux carotte et la tronche de Neandertal… plus jument de melting-pot américain que déesse grecque. Elle a le cerveau pas vraiment plus futé qu’une autre, sauf qu’elle peut apprendre très vite une langue en lisant mots et traduction sur écran. Est-ce cela l’intelligence ? D’ailleurs, entre nous, les femmes dans ce film sont des pin-up qui n’ont que des attributs sexuels (jupe très courte, décolleté profond, seins pommés, ventre plat) – sauf la major qui fait déménageur soviétique et que Korben refuse comme épouse fictive.

Les politiques et les militaires voudraient conserver la rousse en cage pour mater ses formes sculpturales et la prendre en photo mais c’en est trop, elle s’échappe, douée de pouvoirs humains perfectionnés, et tombe dans le vide… sur le taxi que Korben (Bruce Willis), un ancien des forces spéciales, conduit à la révision. Sa femme l’a quitté et il vit avec son chat, un matou blanc câlin amateur de Jiminy croquettes. La fille carotte presque nue lui tombe dessus et son côté chevalier servant finit par prendre le dessus sur les règlements et autres injonctions de la police. Elle lui dit se nommer Lilou – Leeloo à l’américaine (Milla Jovovich).

Une planète rocheuse approche à grande vitesse de la terre en grossissant à chaque fois de tous les missiles envoyés pour la dévier ou la détruire. Le Mal va avaler le monde et le président Noir est convaincu par un prêtre (Ian Holm) successeur des gardiens du temple (égyptien) qu’il faut absolument retrouver les autres pierres qui complètent le cinquième élément pour actionner l’arme absolue du désert ; il brandit un manuscrit de cinq kilos qu’il avait par hasard dans la poche. Ce cinquième élément est la rousse nue qui vient d’arriver et qui est en de bonnes mains, puisque celles d’un ancien commando – américain. Le général conseiller (Brion James) mandate donc Korben pour cette mission presque impossible. Les pierres sont sur un bateau de croisière géant qui vogue sur l’atmosphère d’une planète, sponsorisé par la marque du chat, Jiminy Crocket. Le concours est truqué pour faire gagner Korben et l’y envoyer. La diva peu terrestre Plavalaguna (Maïwenn) a une voix cristalline et doit se produire sur scène ; elle est dépositaire des pierres qui n’étaient pas dans le même vaisseau crashé que le cinquième élément : ne pas mettre ses œufs dans le même panier est élémentaire.

Sur l’esquif gigantesque, la crise prend son essor, comme le film. Un animateur radio déjanté (Chris Tucker) fait tapette avec sa gorge découverte jusqu’aux épaules, son costume de strass et sa mèche afro oxygénée à la Elvis. Il réalise « la meilleure émission » de sa courte carrière au milieu des mitraillages et autres explosions, en suivant comme un toutou ce musclé à sang froid de Korben. Car les Méchants mandatés par le frustré avide de revanche Jean-Baptiste Emmanuel Zorg (Gary Oldman) sulfatent tout ce qui bouge pour récupérer la valise aux pierres apportée par la diva selon les écoutes effectuées chez le président par le marchand d’armes en tous genres. Ce sont des soldats bêtes et méchants à tête de cochon et mufle de chien (la totale en termes de mépris). L’homme de main de Zorg, une racaille des banlieues qui se balade torse nu sous sa veste de cuir noir mais n’a pas plus de jugeote qu’un pois chiche, n’est en effet pas parvenu à se faire passer pour Korben à l’embarquement pour la croisière – on n’est pas aidé quand on est frustré avide.

Mais les pierres convoitées ne sont pas où elles sont censées être et les quiproquos s’enchaînent aux gags. C’est sans conteste la meilleure partie du film ! Car la fin est mièvre, bien qu’haletante (dans tous les sens du terme). La créature rousse, blessée par Zorg, dépérit un peu plus en arrivant dans son apprentissage du globish à la lettre W (comme War, la guerre) et se demande s’il faut sauver l’humanité lorsque l’on voit ce qu’elle fait de la Vie. Il faut que Korben la baise (sur la bouche faute de temps) pour qu’elle consente à concentrer l’énergie anti-néant. Il la baisera ensuite complètement, mais en caisson pour la pudeur – évidemment puritaine yankee – tandis que le président patiente, tel une parodie de James Bond au retour de mission.

Ce film a tout dans les couilles et rien dans la tête mais on passe un bon moment hollywoodien si l’on est mâle, blanc et bon public. Même si le film ne vaut pas les Aventuriers de l’arche perdue ni Le retour de la momie chroniqué sur ce blog.

DVD Le Cinquième élément, Luc Besson, 1997, avec Bruce Willis, Milla Jovovich, Gary Oldman, Ian Holm,  Chris Tucker, Luke Perry, Brion James, Gaumont 2008, 2h03, standard €7.99 blu-ray €29.39

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