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James Cain, Assurance sur la mort

L’auteur immortel du roman policier Le facteur sonne toujours deux fois a fait l’objet de nombreuses adaptions au cinéma (Visconti, Rafelson, Garnett). James Cain a fait la guerre de 14 côté américain et est décédé en 1977 à 85 ans. Il livre ici trois longues nouvelles policières ou psychologiques dont la dernière, Assurance sur la mort, a fait l’objet elle aussi d’un film.

Il s’agit d’une escroquerie à l’assurance décès, perpétrée par une épouse qui n’en est pas à son premier meurtre en toute impunité pour arriver, et d’un agent d’assurance bêtement tombé amoureux de ses formes. C’est assez bien troussé pour être crédible, le spécialiste aidant la volonté meurtrière. La fin sera épique, faisant intervenir d’autres personnages, dont la belle-fille de l’épouse et son petit ami, mais aussi le directeur de la compagnie d’assurance et son détective en chef.

Les deux autres nouvelles sont sur une escroquerie à la banque, et sur la rivalité d’un couple où seul l’homme est amoureux. Toujours le même schéma, l’homme spécialiste et la femme séductrice qui le manipule.

Sauf que dans Carrière en do majeur, l’homme se rebelle. Ingénieur en ponts et chaussées, inactif à cause de la grande Dépression des années 30, l’époux laisse faire sa femme qui se croit une vocation de chanteuse d’opéra. Mais elle ne suit pas le rythme et déraille. Le mari rencontre à cette occasion Cecil, véritable chanteuse d’opéra, qui trouve que lui a une belle voix de baryton et qu’il peut aisément la seconder, d’autant qu’il apprend vite les rôles. Et les voilà embarqués dans une tournée. Cela ne se passe pas trop mal, sauf que le chanteur néophyte ne garde pas toujours les yeux fixés sur le chef d’orchestre, et passe parfois la mesure. Erreur fatale à l’opéra. Le flop de l’épouse est compensé par le flop de l’époux – et les voilà réconciliés, lui toujours amoureux, elle rassérénée dans son narcissisme.

Ancien, mais efficace, ce recueil de nouvelles est un moment du roman policier psychologique, volontiers porté au cinéma.

James Cain, Assurance sur la mort (nouvelles Career in C Major, The Embezzler et Double Indemnity), 1944, Folio policier 2003, 370 pages, occasion €24,99, e-book Kindle 2017, €6,99

Autre édition (introuvable), utilisée pour cette note : Livre de poche 1964, 432 pages

DVD Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944, avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson, Porter Hall, Jean Heather, Arcadès 2009, anglais doublé français, 1h47, €8,80, Blu-ray €9,90

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L’obsédé de William Wyler

Dangers de l’inadaptation aux normes sociales : Freddie Clegg (Terence Stamp), un jeune employé de banque moqué par ses condisciples au collège, puis par ses collègues au bureau, a gagné 510 000 £ au loto foot, une belle somme qui lui permet d’acheter une demeure ancienne et isolée dont il découvre avec un frisson de joie les caves voûtées lors d’une chasse aux papillons particulièrement fructueuse. Car l’homme est un collectionneur névrotique. Peu importe qu’il tue des centaines de papillons, il les pique et expose leur beauté à sa seule admiration. Il a gagné un prix pour un « arrangement » en forme de tableau, mais ce qui l’intéresse est de les posséder. C’est son trésor.

En revanche, côté sexe, c’est le désert. Il est inhibé envers les femmes, sans pour cela se sentir en apparence attiré par les hommes – encore qu’une psychanalyse pourrait révéler que sa distance est peut-être le signe d’une absence de désir féminin. Comme souvent les impuissants, ou les homos refoulés, il idolâtre les femmes, une à une, comme les papillons. Il admire leur beauté, leur aisance, leur façon de marcher. Dans sa camionnette de tueur en série, il en suit une, la surveille, veut tout savoir sur elle. Il agit envers la jeune femme comme envers un papillon dans toute la gloire de son vol.

Il ne tarde d’ailleurs pas à lancer son filet pour capturer la belle élève d’une école d’art Miranda Grey (Samantha Eggar). Il désire le fragile, le diaphane, l’éphémère. Le papillon est ainsi, la jeune femme aussi – à ses yeux. Il traque par désir obsessionnel, il chloroforme la beauté et enferme dans son bocal la vilaine chenille devenue éblouissant papillon par la métamorphose de l’art et de la culture.

Dès lors, le huis-clos commence. Un drame psychologique car s’il désire, il est trop coincé pour ne pas « respecter » et trop inhibé pour savoir comment se faire aimer. Il déploie donc les codes sociaux de ce qui se fait : offrir des fruits, un bain, du champagne, un repas fin devant la cheminée. Mais rien n’y fait. Son péché originel est le rapt : nul ne peut aimer dans la violence, sauf si la cruauté et l’attaque sont suffisamment fortes pour engendrer le « syndrome de Stockholm » où les otages s’attachent à leur bourreau. Mais Freddie en est incapable, là encore inhibé.

Il en est touchant et la femme le sent. Il est sincère lorsqu’il dit désirer qu’elle soit son épouse et qu’elle cohabite avec lui – sans la toucher – juste comme un bel objet mort de sa collection. Mais ce n’est pas ce que désire une femme, elle le luit dit ; elle désire être prise et fusionner physiquement avec l’homme qu’elle épouse. Lui est toujours froid, tiré à quatre épingles, conventionnel d’extérieur mais solitaire d’intérieur. Miranda le ressent et en joue. Carrément hostile et révoltée au début, elle ruse et joue la séductrice ensuite, se faisant serpent pour manipuler Freddie et le pousser à faire des erreurs. Elle tente alors de profiter de la moindre occasion pour se faire connaître de l’extérieur ou s’évader : en faisant déborder la baignoire alors qu’un raseur de colonel voisin vient se présenter en passant, en dégageant sa poitrine pour affoler les sens du jeune homme et l’amener à relâcher sa surveillance, en laissant tomber ses objets de toilette pour qu’elle puisse saisir une bêche laissée à portée et lui asséner un bon coup sur la tempe.

Mais rien n’y fait. Freddie aux yeux de glace reste distant, ce pourquoi son désir apparaît moins sexuel que fétichiste. Il aime collectionner le bel objet, il ne désire pas faire l’amour avec lui. L’amoureux transi n’est qu’une image qu’il se donne : au dedans, il est machiavélique, inquiétant, psychopathe. Il n’est pas en recherche d’affection, mais de collection. Ce pourquoi Miranda est destinée à ne jamais reparaître au jour et que, si elle disparaît, une autre la remplacera. C’est ce que le spectateur soupçonne peu à peu et ce suspense fait beaucoup pour un film au fond assez statique. L’angoisse monte : que Freddie arrive à ses fins ; que Miranda parvienne à se manifester au colonel ; qu’elle réussisse à tuer son bourreau ; que celui-ci ait été trop atteint et qu’elle reste enfermée jusqu’à mourir de faim dans cette cave profonde et insonorisée. D’ailleurs il doit passer trois jours à l’hôpital et elle est seule, mouillée, sans nourriture ni chauffage…

Tiré d’un roman de John Fowles, paru en 1963, le film est plus envoûtant tant il se centre sur les deux personnages antagonistes et liés entre eux, à la manière d’une pile. La scène au sortir de la baignoire où les corps se mêlent dans la force du bourreau, le baiser langoureux qu’elle offre au dîner alors qu’elle veut le séduire, la manœuvre sous la pluie qui révèle les formes sous les habits autant que les esprits de chacun (lui vigoureux, elle fragile), restent des moments privilégiés de cette attirance-repoussoir. Freddie Clegg n’a jamais surmonté l’enfance pour accéder à l’adulte. Miranda la sensitive le lui lance carrément à la face : « Tu as eu ce rêve avec moi, (…) ce n’est pas de l’amour. C’est une sorte de rêve qu’ont les jeunes garçons lorsqu’ils atteignent la puberté, et que tu as fait devenir réalité ».

L’apprentissage de la contrainte sociale (costume chic, cravate, visage impassible, manières de gentleman) ne suffit pas à socialiser l’individu. Freddie, issu du peuple, en est ressorti guindé et complexé. A l’inverse, Miranda l’artiste, de bonne bourgeoisie, plutôt fantasque et qui est capable de sympathiser avec n’importe qui, montre que c’est le tempérament qui fait l’humanité, pas les règles. La civilité, l’amitié, l’amour, sont des sentiments venus de l’intérieur, ils ne peuvent être assurés par les seuls codes ni par l’influence des seuls milieux sociaux. Les codes engendrent des refoulements, donc des névroses, s’ils sont imposés de façon trop rigide et rituelle. Wyler dénonce ici, sans le vouloir ni peut-être le savoir, les dangers de l’éducation disciplinaire à l’anglaise, dont les public schools (privées) formatent des inadaptés en série avant l’éclatement des mœurs en 1968. La première image du film, où l’on voit un jeune homme solitaire muni d’un filet à papillon errer dans une prairie vide, résume toute son histoire.

DVD L’obsédé (The Collector), William Wyler, 1965, avec Terence Stamp, Samantha Eggar, Mona Washbourne, Maurice Dallimore, Wild Side Video – Les Incontournables 2014, 1h54, €15,09

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Anatole France, Balthasar

anatole france balthasar

L’auteur, en cette fin XIXe, livre à ses lecteurs qui le suivent déjà dans Le Temps et autres journaux, sept contes archéologiques. Ou du moins fondés sur l’érudition historique d’époque, férue de Bible, d’Égypte et de moyen-âge. Anatole France, un temps positiviste, réhabilite l’imaginaire. Son rationalisme use du romantisme pour mieux dire une histoire.

L’ensemble du recueil est centré sur la femme, tour à tour sympathique ou matérialiste, maternelle ou séductrice, en tout cas « sans morale ». L’archétype en est Lilith, la seconde femme d’Adam, créée par Dieu de terre rouge comme lui (et pas d’une partie de son côté) – donc absolument indemne du « péché originel ». Balkis, Morgan, Leila, Marie-Madeleine, les ondines et même Abeille sont des Lilith, plus préoccupées à jouir de leurs sens et à manipuler les autres pour leur plaisir qu’à être une compagne égale aux hommes. Ceux-ci doivent se sortir du piège de la femme pour exister, trouver le salut ou l’honneur.

Balthasar est la première nouvelle, en référence au roi mage qui, avec deux autres, a suivi l’étoile vers Bethléem. Fou amoureux de la reine de Saba, qui s’amuse avec lui puis le snobe, il sacrifie son amour pour une destinée plus grande – au grand dam de la reine délaissée qui se croyait irrésistible. Une autre nouvelle met en scène un vieil érudit hypnotisé par la volonté d’une femme et poussé à écrire des contes délirants plutôt qu’à poursuivre des études austères, mais scientifiques. Un jeune homme est littéralement envoûté par une femme enlevée par son meilleur ami et quitte tout pour elle : fiancée, réputation, amitié, honneur… L’Église ne veut rien savoir de Lilith ; elle n’est pas catholiquement correcte et seule Ève pécheresse, rachetée par Marie toujours vierge, trouvent grâce aux yeux du dogme. Mais se voiler la face permet-il d’échapper aux maux ?

Par un retour à l’antique, avant l’église devenue institution, Anatole France montre que la vertu romaine avait du bon. Laeta Acilia est une matrone qui doit tenir son rang. Elle compatit à la misère et la soulage, mais ne veut pas entrer dans l’avilissement social, même pour un dieu unique. Marie-Madeleine lui conte son aventure avec Jésus, mais Laeta lui rétorque : c’est bien pour toi ce souvenir réel, mais pour moi, qu’y aura-t-il d’autre que la prosternation socialement condamnée dans mon monde ? La religion ne va-t-elle pas parfois jusqu’à la superstition ? C’est ainsi que l’œuf pondu rouge d’une poule annonce un grand destin à l’enfant né le même jour, comme jadis Alexandre Sévère – alors qu’il est si facile pour un manipulateur de subtiliser un œuf réel par un œuf teint.

Dans le monde imaginaire d’Abeille, situé dans un moyen-âge mythique, les nains (mâles) ont plus de générosité et d’honneur que les ondines (femelles). Chacun a enlevé l’enfant de sexe opposé, la fille pour les nains, le garçon pour les ondines. Mais les femmes gardent sept ans l’enfant qui, devenu adolescent, est emprisonné dans une cage de verre gardée par des requins. A l’inverse, le roi des nains instruit et lie amitié sept ans avec l’enfant fille, mais lui laisse le choix de son amour ; comme elle aime et aimera toujours son garçon, de qui elle a été séparée si longtemps, le nain va délivrer l’adolescent et les unit avant de les relâcher.

Contre la magie des femmes, la science ; contre l’hypnotisme du rêve, la rationalité ; contre l’ensorcellement des sens, l’exercice de la raison. Balthasar, amoureux : « Les sciences sont bienfaisantes : elles empêchent les hommes de penser (…) les connaissances (…) détruisent le sentiment ». Monsieur Pigeonneau, érudit : « Vaincre l’imagination. Elle est notre plus cruelle ennemie. (…) J’étais à deux doigts de ce qu’on appelle l’histoire. Quelle chute ! J’allais tomber dans l’art ». Un vieux nain : « La science ne se soucie ni de plaire ni de déplaire. Elle est inhumaine. Ce n’est point elle, c’est la poésie qui charme et qui console. C’est pourquoi la poésie est plus nécessaire que la science ».

L’époque opposait raison à sentiment, nous savons aujourd’hui que toute raison doit être mue par une passion avant de raisonner et qu’il existe donc des sentiments avant que l’esprit ne les analyse. Mais la science optimiste des années 1950 et 60 a été mise en veilleuse dans nos sociétés occidentales – et il est bon de faire renaître le débat qu’avait connu la fin du siècle avant le dernier nôtre. Anatole France conte bien, il est agréable à lire et d’une langue française intacte, ce qui ajoute au plaisir.

Anatole France, Balthasar et autres nouvelles, 1889, Hachette libre BNF 2013, 262 pages, €12.54 

Anatole France, Œuvres tome 1, édition Marie-Claire Bancquart, Pléiade Gallimard 1984, 1460 pages, €51.30

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