Articles tagués : bons mots

Landru de Pierre Boutron

Avec un prénom pareil Désiré, le môme de Belleville, aurait dû se sentir aimé. Enfant de chœur à l’église Saint-Louis en l’île (quand même !) il devient commis d’architecture et épouse à 24 ans, après trois ans de service militaire où il devient sergent, Marie-Catherine Rémy, fille de blanchisseuse, qui lui donnera quatre enfants. Instable et ambitieux frustré, il fait plusieurs métiers et pas moins de quinze employeurs avant de se convertir aux « affaires » : l’escroquerie.

Le film de Boutron passe sur tout cela pour se concentrer sur la fin. Ne restent des quatre gosses que deux garçons dont surtout le plus jeune, Charles, surnommé Momo, pas très fufute. L’escroquerie au mariage bat alors son plein, la guerre de 14 ayant esseulé les fiancées et les veuves, offrant un cheptel bien garni de femelles à pigeonner. Le séducteur Désiré s’en donne à cœur joie.

Un brin paranoïaque virant schizophrène, selon ces incapables de psychiatres, il profite. L’argent facile et la baise à l’œil suffisent aux mobiles. Pas besoin de psychiatriser la situation, le premier pas suffit. Dès que la donzelle commence à l’emmerder sérieusement, minaudant, cajolant ou bondieusant à plus soif, aussitôt Landru « procède » : il s’en lave les mains, attrape le chloroforme, en imbibe un large mouchoir et endort ses victimes d’une main de fer. Il n’a plus ensuite qu’à les découper avec diverses sortes de scies avant de les calciner dans la fameuse cuisinière à bois et à charbon de la villa louée à Gambais dans les Yvelines. Sauf l’odeur de camp, ni vu ni connu.

Il fait ensuite déménager à son fils niais les meubles et empoche les valeurs avec la procuration qu’il a soigneusement fait signer aux crédules qui ont du bien. Il les persuade, en bon futur mari, de les faire fructifier. Une seule est vraiment amoureuse et ne croira jamais qu’il soit un assassin. Le film joue sur cet amour et en fait une belle histoire. Patrick Timsit en Landru barbu, impassible et aux lèvres gourmandes, est excellent dans ce rôle de manipulateur libidineux avide d’argent.

Mais pourquoi incriminer toujours les hommes ? Les femmes ont leurs hystéries propres et « consentent » bien plus que les féministes ne veulent le faire croire. En témoignent ces quelques 800 demandes en mariage une fois le procès terminé – pour onze meurtres avérés ! L’hybristophilie est un vice courant chez la gent femelle., semble-t-il. Être sexuellement attiré par un criminel pour viol et meurtre est-il « normal » ?

Confondu en 1918 par deux amies de victimes qui s’inquiétaient de ne pas les revoir et arrêté en 1919 à l’issue d’une enquête menée par l’inspecteur Belin, Désiré Landru est condamné à la peine de mort en 1920 et guillotiné en 1922. Sa grâce sera évidemment refusée par le président Millerand (avec deux L et pas deux T).

Le film reprend avec verve l’ironie de Landru au procès et les bons mots plus ou moins avérés ou apocryphes qu’on lui prête. « Vous parlez toujours de ma tête, Monsieur l’avocat général. Je regrette de n’en avoir pas plusieurs à vous offrir ! ». Il reprend aussi la minutie de comptable de Landru sur son fameux petit carnet noir où il note toutes ses dépenses comme un aller et retour pour lui et un aller simple pour sa victime lorsqu’il la conduit au foyer où elle deviendra cendres.

Un bon moment sur des crimes abominables, bien joué par les acteurs.

DVD Landru, Pierre Boutron, 2015, avec Patrick Timsit, Julie Delarme, Catherine Arditi, François Caron, Danièle Lebrun, TF1 vidéo 2005, 1h40, €7.15

Livres et films sur Désiré Landru

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Tristan Bernard, Rires et sourires

Paul – dit Tristan – Bernard a traversé deux siècles, le XIX étant né en 1866, le XX étant mort en 1947. Il avait de l’esprit, c’est ce que l’on retient de lui. Avec sa barbe de dragon, il dirige une usine avant de se passionner pour le vélo et pour écrire. Tristan est le nom d’un cheval. Il voit la vie en drôle, collabo de L’Humanité, le journal de Jaurès, avant de faire les débuts du Canard enchaîné. Je le retiens personnellement pour avoir inventé le jeu des Petits chevaux qui a enchanté mon enfance. Mon grand-père a fabriqué plusieurs de ces plateaux de bois ornés de ronds, où jusqu’à quatre joueurs pouvaient jeter les dés dans leur compartiment et faire avancer leurs pions chevalins pour boucler la piste en « culbutant » le cheval précédent.

Auteur prolifique de romans, pièces de théâtres, mots croisés et autres bons mots, il fut souvent adapté au cinéma, la dernière fois en 2005 par Philipe Collin pour Aux abois. Pour en faire souvenir, Flammarion a dressé en 1963 une anthologie de ses talents, reprise par le Livre de poche dix ans plus tard. Le confinement permet de découvrir de tels vieux livres, souvent plus intéressants que les neufs. Une édition Omnibus plus récente de ses œuvres montre qu’il a été l’inspirateur de la fameuse Simone, le castor de Sartre, qui a repris son titre des Mémoires d’un jeune homme rangé en le féminisant !

Cet auteur dérangeant aimait les mots, comme on le dit d’un auteur spirituel. Il trouve cocasse les situations et joue avec les sens… dans tous les sens. Je préfère aujourd’hui ses contes à ses scénettes théâtrales mais c’est notre époque qui veut cela. Les quiproquos sur le baragouin pseudo-anglais d’un pseudo-interprète venu en remplacement n’est plus de mise avec la généralisation du globish jusque dans les écoles, pas plus que les imbroglios avec les demoiselles du téléphone, désormais remplacées par de la bonne et neutre électronique. Mais Le collectionneur des Contes de Pantruche reste désopilant : jouant sur les distinctions juridiques abstraites, un homme décide de collectionner les enfants. Il a désormais l’enfant adoptif, l’enfant naturel, l’enfant légitimé, l’enfant légitime, l’enfant adultérin, l’enfant incestueux. Mais, lui fait remarquer un comparse, il lui en manque un sixième : l’enfant posthume. Qu’à cela ne tienne, il s’organise !

La Lettre d’une jeune pharmacienne à sa maman, du recueil Sous toutes réserves, prouve aussi l’absurdité du commerce en ce qui concerne la santé. La potarde ne survit que des maux des autres et elle se réjouit de toute grippe contagieuse et infections virulentes. C’est la même chose pour les médecins qui soignent votre obésité qu’en vous abîmant les chevilles, et qui soignent les chevilles que par un autre mal, lui-même engendrant une autre consultation qui…

Le pire se trouve quand même dans les contes pour enfants. Le diable s’y niche dans les détails, tel Le Chat botté du « comte » de Perrault. On se souvient que le fils d’un meunier sans héritage se dit marquis de Carabas et braconne pour livrer du gibier au roi ; il se poste exprès en slip au bord du fleuve quand le roi passe avec sa fille – qui s’éprend de sa prestance – tandis que le monarque l’habille en prince. Le chat chausse alors ses bottes de sept lieues pour enjoindre aux paysans postés sur l’itinéraire royal de vanter les biens alentours du marquis imaginaire. Tout cela, dit l’auteur furieux, en contrevenant aux articles 305 et 307 du Code pénal, sans oublier l’article 405 sur le délit de faux noms et de manœuvres frauduleuses. « Ainsi donc, prendre un faux titre, filouter son prochain, persuader l’existence d’un crédit imaginaire, menacer les gens à main armée, cela s’appelle, pour M. Charles Perrault, avoir de l’industrie et du savoir-faire, et l’on en est brillamment récompensé ! Instruisez-vous, petits enfants ». L’auteur en a eu trois.

Dans Ce que parler veut dire, Tristan Bernard louange le métier de critique littéraire : « Vraiment, on n’est pas juste pour les critiques. Ils exercent un métier effrayant. Il faut que dans notre société polie ils disent des choses désagréables à leur prochain le plus susceptible, à un moment de sa vie où ce prochain est le plus excité, le plus aveuglé. C’est bien simple : un auteur ne supporte plus les réserves. Il lui semble impossible qu’elles viennent d’un esprit impartial ou judicieux. Alors, il prête au critique le plus intègre les plus mesquins partis pris » p.70. Pour exercer en amateur sur le blog ce dur métier qui exige de lire entièrement et sans a priori pour dire mon goût et combien le livre pourrait être amélioré, je reconnais en Tristan Bernard un confrère. Lui qui disait aussi : « Ce que nous aimons dans nos amis, c’est le cas qu’ils font de nous » p.373.

Tristan Bernard, Rires et sourires, 1887-1923, Livre de poche 1973, 383 pages, €5.98

Tristan Bernard, Mémoires d’un jeune homme rangé, Un mari pacifique, Nicolas Bergère, Aux abois, Les Pieds nickelés, Le fardeau de la liberté, l’Anglais tel qu’on le parle, Daisey, Monsieur Codomat, Le Danseur inconnu, Omnibus Presses de la Cité 1994, €11.49

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Hommage à Jean Marie Gustave Le Clézio

Né français à Nice en 1940, anglais par son père, breton par sa mère dont la famille a émigré à l’île Maurice au 18ème siècle, éduqué dès 7 ans au Nigeria où papa est médecin de brousse, il suit des études supérieures dans l’anglaise Bristol, il fait son service militaire en Thaïlande et vit en partie au Mexique après avoir beaucoup erré. Jean Marie Gustave Le Clézio est un écrivain du monde ; il écrit en français mais n’appartient pas à la littérature française.

Le «beau style » ne l’intéresse pas, lui qui écrit avec 3000 mots denses. La comédie sociale ne l’intéresse pas, lui qui préfère les sauvages et les enfants. L’ironie des bons mots et la satire des mœurs ne l’intéresse pas, lui qui fait face à la nature, aux éléments, à tout ce qu’il y a de brut sur la terre.

Sensible, nomade et libertaire sont peut-être les trois caractéristiques qui sont les siennes. Elles sont les miennes aussi, ce pourquoi je me suis toujours senti proche de lui. Il n’aime pas les classifications qui figent, les administrations qui rendent anonymes, les frontières qui contraignent. Il est « enfant du monde » comme cette collection des éditions Nathan des années 1960 (animée par Dominique Darbois), rêvant d’ailleurs et d’humanité que j’aimais tant, enfant.

Sensible, sensitif, il se laisse envahir par les éléments, la lumière, le froid, le vent, la mer. Cela va jusqu’à la sensualité qui est harmonie avec l’entour. Jon, adonaissant islandais, se roule tout nu sur la mousse couverte de rosée dans l’une des nouvelles de Mondo. Jon ne fait plus qu’un avec la terre travaillée de laves souterraines, avec le ciel incommensurable au-dessus. A un point tel qu’il va sortir du temps et de l’espace pour rencontrer le génie du lieu, un petit garçon amical qui aime la musique. Et la nuit fut un rêve, une parenthèse entre les jours. La sensibilité, ce sont aussi les autres. Mondo, dans une autre nouvelle, est justement ce petit gars au teint cuivré et aux yeux obliques qui vient de nulle parte et ne sait pas lire, errant sur les quais de Nice, aidant les maraîchers, les bateleurs et les pêcheurs, demandant à qui lui plaît : « Voulez-vous m’adopter ? ».

Mais c’est là que la bureaucratie, la paperasserie et tous ces écrans que les sociétés mettent entre les relations humaines empêchent Mondo de s’installer quelque part. Il est le nomade par excellence, tout comme l’auteur, qui rêve en voyant partir les cargos vers une lointaine Afrique aux existences fabuleuses. Jean Marie Gustave, adulte, ira chercher auprès des anciens Mayas, au Mexique, cette part de rêve irréductible envers les mystères du monde (Le rêve mexicain, Trois villes). Il dira le désert (Désert), cette étendue vide et stérile, terre élémentaire, nue, domaine de tous les possibles immatériels : la relation humaine, la poésie. Il chantera l’enfermement des îles en Mélanésie (Raga), la tradition, les légendes. Ou la quête du trésor passé, au-delà des mers et du temps présent (Voyage à Rodrigues). Toujours l’ailleurs…

Tel est le fond libertaire de l’écrivain, marqué par son époque, sa famille, son éducation tout entière. Éternel voyageur, il se cherche. Explorant son enfance par les contes qu’il envoyait aux cousines, dès 7 ans ; racontant sa mère ; allant à la recherche du trésor du grand-père ; traquant cette soif de l’or des explorateurs occidentaux. Il récuse la quête occidentale de se vouloir frénétiquement comme « maître et possesseur de la nature ». Lui veut l’harmonie, ce pourquoi le désert est pour lui liberté et les filles du tiers-monde des initiatrices à la sagesse immémoriale (Onishta). Il croit tous les actes sans origines et tous les acteurs sans conscience.

Il rejoint ainsi la pensée tragique, cet absurde de Camus qui l’a inspiré pour Le Procès-Verbal. Sa conscience flottante s’apparente au zen et au contemplatif des Indiens mexicains ; il s’agit de se fondre dans le grand Tout, avec une attention aigue à tout ce qui survient, êtres et choses. La noblesse et la liberté ne sont pas pour lui dans la possession mais dans l’harmonie.

Cette assonance, Jean Marie Gustave la recherche par la parole. Il se veut un conteur depuis tout enfant. Ce pourquoi les mots doivent rester bruts, et les phrases ne pas séduire par leur apparence. Au-delà du langage, tout est signe. Dire ce qui est, précisément, pour bien se faire comprendre avec les mots de base, telle est cette « médecine » de l’âme que l’écrivain propose aux lecteurs d’aujourd’hui. Le roman comme remède pour guérir des interrogations existentielles : lisez Le Clézio, écrivain sans frontières, par hasard en français.

A l’heure où la rationalité scientiste vacille sur les marchés financiers, où la prédation industrielle est remise en cause par le climat, où le démocratisme droidelomiste apparaît comme un néo-colonialisme pour les pays émergents – Jean Marie Gustave Le Clézio est récompensé par le Nobel 2008 comme « écrivain en français » qui a répudié toute arrogance française et toute bonne conscience occidentale. Il veut interroger le monde, pas son nombril. Et c’est plutôt rare.

Œuvres :

  • Le Procès-verbal, 1963
  • Le Déluge, 1966
  • Terra amata, 1967
  • L’Extase matérielle, 1967
  • Le Livre des fuites, 1969
  • La Guerre, 1970
  • Les Géants, 1973
  • Voyages de l’autre côté, 1975
  • Les Prophéties de Chilam Balam, 1976
  • L’Inconnu sur la terre, 1978
  • Mondo et autres histoires, Gallimard, 1978
  • Vers les icebergs (essai sur Henri Michaux), 1978
  • Désert, 1980
  • Trois Villes saintes, 1980
  • La Ronde et autres faits divers, 1982
  • Le Rêve mexicain, Gallimard, 1982
  • Le Chercheur d’or, 1985
  • Voyage à Rodrigues, 1986
  • Printemps et autres saisons, 1989
  • Onitsha, 1991
  • Étoile errante, 1992
  • Diego et Frida, 1993
  • La Quarantaine, 1995
  • Poisson d’or, 1996
  • La fête chantée, 1997
  • Hasard suivi de Angoli Mala, 1999
  • Fantômes dans la rue, 2000
  • Coeur brûle et autres romances, 2000
  • Révolutions, 2003,
  • L’Africain . 2004
  • Ourania, 2006,
  • Raga approche du continent invisible, 2006
  • Ballaciner, 2007
  • Ritournelle de la faim, 2008

Une belle biographie sur une page perso

Une bio-bibliographie comprenant des articles

L’Association des lecteurs de JMG Le Clézio

Tout Le Clézio chroniqué sur ce blog

Catégories : Le Clézio, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,