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Restaurant Le Relais de l’entrecôte à Paris

Invité à rencontrer un ancien collègue dans le quartier professionnel où j’ai exercé un temps, je me suis retrouvé au 15 rue Marbeuf – nom prédestiné (sauf que beuf vient du norrois village) – pour un déjeuner de bœuf et patates salade. Le Relais de l’entrecôte est l’une de ces brasseries parisiennes où, pour une trentaine d’euros, vous vous installez sans réservation et sans avoir à réfléchir avec une formule unique : salade verte aux noix, contre-filet tendre avec sa sauce maison et ses fines pommes de terre frites.

Ce paradis de la bouffe à l’ancienne fait recette car la salle – très grande – ne désemplit pas. Dès qu’une table se libère, elle est aussitôt prise d’assaut, malgré la chaleur lourde de cette fin de juin. Un ballet de serveuses en costume noir et tablier blanc officie entre les tables, laissant au chaud sur des bougies les plats métalliques des pommes allumettes et des entrecôtes. Elles sont servies en deux fois pour que rien ne refroidisse. La sauce au beurre, au thym, à la crème, à la moutarde et au foie de poulet (dit-on, le « secret » donne une aura de mystère) fait toute la saveur de la viande, dont il ne reste que la consistance pour juger de la qualité.

Elle est au rendez-vous (il n’y a guère que la baguette qui soit sèche), mais comment expliquer cet engouement pour de l’anti diététique et de l’anti écologique au moment où la planète entière (sauf la Trompe yankee) se met au politiquement correct du cuit-vapeur et du vegan ? C’est qu’il n’y a pas que les financiers et auditeurs du quartier, ni même les journalistes d’Europe 1 de la rue François 1er toute proche, qui viennent s’y sustenter à déjeuner. Nombre d’étrangers viennent là tester l’excellence française : le steak-frites ! Anglais, Américains, Hollandais, Allemands, Japonais, sont quelques-unes de ces nationalités repérées ce midi-là à s’empiffrer de gras et de viandeux du terroir bien français en goûtant un ballon de rouge biologique Château de Saurs (cru du Tarn) – propriété de la famille Gineste de Saurs dont le grand-père a fondé le restaurant en 1959.

Dont une table à angle droit de la nôtre, où une famille anglo-saxonne entière, peut-être américaine, fêtait les 14 ans d’un fils, le chœur des serveuses en noir entonnant d’une voie de (fausse) vierge le Happy Birthday de rigueur en portant comme le Saint-Sacrement un gâteau individuel à la bougie unique. Le grand frère (ou le cousin), 16 ans, moulé dans un tee-shirt blanc et deux chaînes métalliques au cou, assis à côté de l’impétrant, lui malaxait la touffe – celle de la tête en public – tandis que le petit frère, 11 ans, titillé par ces mystères, flashait comme maman au smartphone la bête adolescente fort décolletée par la chaleur et les hormones assise en face. Touché de ces attentions à lui personnellement destinées, et troublé de se voir le point de mire du public applaudissant, le gamin de la minute d’avant en est devenu homme d’un coup. Il en a, d’émoi, laissé sur la table la moitié de son dessert – pourtant un sévigné !

Malgré la presse et la touffeur d’orage (il pleuvra avant la fin du repas), les serveuses débordées ne débordent pas de cette acrimonie habituellement prêtée au service en France ; elles s’efforcent de rester aimables. Il est vrai que l’on peut mal tomber. Chez l’une d’elle, le sourire n’est pas naturel et le masque d’ennui ne s’éclaire que rarement, mais peut-être est-elle ainsi dans la vraie vie ? Celle qui nous a servis gardait sa bonne humeur, bien qu’affairée à installer, prendre la commande du vin ou de l’eau pétillante et de l’à point du steak, à livrer le plat par moitié puis à revenir pour le reste, à demander si tout a bien été, puis à livrer les desserts et les cafés…

Ne faire que ce que l’on sait bien faire est la règle de l’excellence entrepreneuriale aujourd’hui. Inventé aux tous débuts de la République Cinquième, le concept était en avance et n’a pas démérité. L’essentiel réside en l’approvisionnement de qualité en salade, pommes de terre et viande. Le plus dans le service et le choix des desserts. Pour le décor, on ne demande rien, sinon de n’être pas trop serrés ni trop bousculés durant le coup de feu vers midi et demi une heure. Les grandes affiches ringardes pour le Picon ou autres réclames des années 50 donnent un air de bistrot traditionnel à cette enseigne qui se décline en quatre adresses, trois à Paris et une à Genève. Pourquoi changer une affaire qui marche ?

Le Relais de l’entrecôte, 15 rue Marbeuf, Paris 8ème, 01 49 52 07 17

Mais aussi

  • 101 boulevard du Montparnasse, Paris 6ème (01 46 33 82 82)
  • 20 rue Saint-Benoît, Paris 6ème (01 45 49 16 00)
  • 6 rue Pierre Fatio, Genève (022 310 6004)

Site officiel

La note Wikipedia en anglais pour attirer le touriste

Quelques commentaires plus ou moins amènes (et comme d’habitude assez injustes, le petit ego en « réaction » contre une minime atteinte à sa majesté fait le plus souvent de son cas unique une généralité, selon le travers trop français)

 

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Brunetti passe à table

Connaissez-vous Venise ? Oui, mais la Venise actuelle, celle où les habitants vivent tous les jours ? Rien de tel que de suivre Donna Leon, américaine qui travaille depuis 40 ans dans la ville. Elle a créé le personnage du commissaire Brunetti, plus vrai que nature, humaniste et gourmand, qui adore sa famille et Venise. Quoi de mieux que de suivre ses traces pour bien manger ?

« Mangia, mangia, ti fa bene », ce cri du cœur qu’on croirait sorti de la poitrine opulente d’une mamma italienne est en fait toute une philosophie : celle du bien vivre. Mange, mange, ça te fera du bien ! Goûter les produits est une pause sensuelle dans le cours d’une existence agitée ; un moment convivial à passer à table ou au comptoir avec ses enfants ou son collègue ; un amour revivifié pour l’épouse qui sait si bien concocter. A moins qu’on ne s’y mette soi-même, au risque de l’expérimentation. Vouloir bien manger est un acte positif, un élément de santé et une déclaration d’amour. A la nature qui offre ses produits, aux commerçants avec qui l’on discute, aux convives à qui l’on fait goûter, aux proches que l’on soigne par l’alimentation. Il y a du sens à être sensuel : c’est vouloir n’être pas que cérébral, mathématisé jusque dans le comportement comme l’Éducation nationale nous déforme. C’est vouloir être complet et jouer de toutes les notes du piano corporel ; c’est être dans le monde et ne pas se croire au-dessus.

Contre la malbouffe, l’Américaine d’origine irlando-allemande (et peut-être un brin italienne) Donna Leon s’est associée à son amie vénitienne Roberta Pianaro, orfèvre et ménagère, pour cuisiner simple et bon. Brunetti passe à table, il avoue : il aime bien manger et manger vénitien. Ce sont près de cent recettes qui sont détaillées ici, illustrées par les dessins désuets de Tatjana Haupfmann. Vous saurez tout sur les antipasti (entre apéritif et hors-d’œuvre), sur les premiers plats (souvent de pâtes, mais qui peuvent servir de plat principal), sur les viandes, poissons et fruits de mer, sur les légumes à la vénitienne, enfin sur quelques desserts au doux nom de dolci (prononcer dolchi).

Mais ce livre de recettes n’est pas qu’utile, il sait aussi se faire « lire ». Le détail des plats est entrecoupé de récits inédits de Donna Leon, bonne journaliste de la bouffe quand elle s’y met, et d’extraits des enquêtes du commissaire Brunetti, ces moments où il se met à table. Paola sa femme concocte des petits plats savoureux selon les saisons, les ados dévorent tout en testant leur roublardise, le commissaire se détend, après un verre de vin blanc ou autre dolcetto.

Que diriez-vous d’une omelette aux courgettes en apéritif (petites portions) ou d’une salade de crevettes, melon et roquette ? Nous pourrions poursuivre par des fusillis aux olives vertes que Brunetti déguste en terrasse dans ‘La petite fille de ses rêves’ ou (ma spécialité) des spaghettis aux moules. Brunetti préfère des tagliatelles aux cèpes, question de saison (‘L’affaire Paola’), de même que le risotto à la courge, bien vu en automne (‘Mort en terre étrangère’). Avec bien sûr du parmesan.

Pour l’hiver, les légumes ne sont pas en fête mais les endives au speck sont un délice. Sinon, laissez-vous tenter par les courgettes à la ricotta, tendres et crémeuses à souhait ! Quant aux « carottes savoureuses », elles sont le délice de Brunetti, d’autant qu’elles sont assaisonnées de tomates et de poireaux, relevés de raisins secs, de gingembre frais et d’huile d’olive.

En poisson, vous aurez le choix qui nage dans la lagune, notamment les lottes, cuisinées à la tomate (‘Requiem pour une cité de verre’) ou aux poivrons jaunes, les soles aux artichauts émincés et à la roquette (‘De sang et d’ébène’), l’espadon pané aux câpres – et le loup au four, un met d’exception dans ‘Une question d’honneur’. Mais si vous préférez le blanc de poulet aux artichauts, recette facile en 20 mn, pas de problème. Pas plus pour le lapin aux olives et à la saucisse, délicieux avec les copains des enfants dans ‘Une question d’honneur’. C’est dans ‘Le meilleur des fils’ que Brunetti déguste avec Chiara et Raffi du filet de veau aux graines de fenouil, ail, romarin et lard dont la simple énumération met l’eau à la bouche. Paola peut aussi cuisiner le veau en ragoût aux aubergines. Mais les frimas qui s’annoncent (Venise est proche des Alpes !) font apprécier un bon ragoût de porc aux cèpes et polenta dont vous me direz des nouvelles. Son évocation paraît d’ailleurs dans ‘Péchés mortels’, c’est dire !

Pour terminer en douceur, rien de tel qu’une demi-pomme au four avec crème pâtissière et crème fouettée, un peu long à faire mais facile et qui fait chaud à l’estomac comme au cœur. Vous avez aussi le choix entre une tarte aux pommes, citron, oranges et Grand-Marnier, célèbrée dans ‘Mortes eaux’, le gâteau aux poires à la crème pâtissière d’ ‘Une question d’honneur’, ou les cerises frites en beignets.

Toute cette énumération culinaire, élevée au rang d’œuvre littéraire entre deux meurtres sanglants, ne vous donne-t-elle pas envie de vous mettre au fourneau ? Rien ne coûte d’essayer, vous ferez des heureux, à commencer par vous.

Buon appetito !

Donna Leon et Roberta Pianaro, Brunetti passe à table – recettes culinaires de R.P et récits de D.L (A Taste of Venice : At Table with Brunetti), 2010, Points policier, Seuil janvier 2012, 307 pages, €6.65 ou – pour offrir un bon livre de recettes – l’édition Calmann-Lévy 2011, 275 pages, €21.13

Quelques romans de Donna Leon chroniqués sur ce blog 

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