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Françoise Dolto, La cause des enfants

Le livre aborde un thème qui m’est cher. Il est traité d’une façon qui m’est chère aussi : avec bon sens. Et qui va dans un sens qui m’est également cher : le respect de la personne, l’authenticité, l’écoute. Françoise Dolto parle des enfants avec simplicité. Ce qu’elle dit du corps, de la morale, de la connaissance, rencontre mon adhésion immédiate.

L’enfant, puis l’adolescent, doit trouver un accord avec son corps. La sexualité depuis l’enfance doit être considérée comme un fait, ni bien ni mal, due à la physiologie des humains. A la puberté se développe le sentiment de la responsabilité réciproque des êtres sexués. Les adultes doivent aider à cette prise de conscience, mais elle se fait d’elle-même dès lors que l’éducation est effectuée depuis tout petit en développant la responsabilité de tous ses actes chez l’enfant. Pour être responsable, il faut expérimenter son corps, le faire bouger, emplir un espace. Cette motricité apprend à voir le monde tel qu’il existe : le froid, le chaud, le mouillé, la terre, les oiseaux… Les classes de neige, de mer ou de nature sont ainsi excellentes ; elles développent l’autonomie, rendent l’enfant moins infantile. En ville, en société, en classe, c’est l’enfermement. Or il faut laisser jouer l’imaginaire du temps d’enfance.

Pour cela, il faut faire confiance. La notion de risque s’enseigne par l’exemple. Il faut vivre ce que l’on enseigne. « Tout interdit, pour un enfant, n’a de sens que si l’interdit est le même pour les parents » p. 97. Il faut briser le rôle du parent tout-puissant par rapport à l’enfant tout-impuissant. Mais pour cela, il faut être adulte et l’âge ne suffit pas. Il ne faut pas avoir besoin de l’enfant pour s’affirmer.

Pour mettre en confiance l’enfant, pour répondre à sa curiosité, pour accepter son imaginaire, pour lui parler de ses désirs en sachant lui dire non, parfois, pour l’écouter, le comprendre, l’aider – il faut être sincère et considérer l’enfant, même tout petit, comme une personne. On ne ment pas aux enfants on les respecte. La vérité a une valeur structurante. Il est nécessaire de « répondre véridiquement à leurs questions, mais aussi, et en même temps, respecter leur illogisme, leur fabulation, leur poésie, leur imprévoyance aussi, grâce auquel – quoi que sachant la vérité des adultes – ils s’en préservent le temps qui leur est nécessaire, par l’imagination du merveilleux, les dires mensongers, pour le plaisir ou pour fuir une réalité pénible. (…) Le vrai a plusieurs niveaux selon l’expérience acquise » p.257. On n’évacue pas la tension, surtout si l’on dit non à un désir de l’enfant, « mais de cette tension découle une relation vraie entre cet enfant qui émet un désir et l’adulte qui exprime le sien » p.307.

Instruire, ce n’est pas imposer « la » méthode, mais être avec l’enfant à chercher quelque chose. « Si l’on veut que l’enfant ait plus de chance de garder ses potentialités, il faut que l’éducation soit la plus légère possible dans sa directivité. Au lieu de vouloir tout comprendre, respectons toutes les réactions de l’enfant que nous ne comprenons pas » p.358.

Une éducation réussie ne peut l’être que si l’on aime l’enfant. Mais aimer signifie respecter : il faut aimer le petit dans son développement, et il faut l’aimer autonome. Pour le laisser prendre sa liberté et en user, il est nécessaire d’être soi-même authentique. Nécessaire d’être libre et conscient, savoir que nous ne savons pas mais que nous devons, comme lui, apprendre à savoir. Evidemment, les nuls vont se sentir « culpabilisés » ; mal dans leur peau, ils seront de « mauvais » parents. Eh oui ! On ne transmet à ses enfants que ce que l’on est. Mais que vous importe ? L’enfant est une expérience à prendre comme elle vient. Vous changerez avec lui si vous l’aimez. C’est aussi simple que cela : nous ne faisons pas son avenir, lui le fera – comme nous l’avons fait mais en mieux puisque nous allons l’aimer. N’est-ce pas ? Si l’enfant n’est pas pour vous un être mais une poupée à exhiber ou un faire-valoir, abstenez-vous : adoptez plutôt un chien, il sera votre miroir soumis.

Ce message d’optimisme m’est cher. Françoise Dolto l’exprime admirablement, avec des mots simples, avec conviction. Écoutons-la.

Françoise Dolto, La cause des enfants, 1985, Pocket 2007, 608 pages, €8.30, e-book Kindle €14.99

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80 ans pour le Dalaï-lama

Dalai lama mon autobiographie spirituelleTenzin Gyatso, 14ème Dalaï-lama, fête son 80ème anniversaire aujourd’hui. Réfugié à Dharamsala au nord de l’Inde depuis l’invasion du Tibet par la Chine en 1959, ce chef spirituel du Tibet lutte pacifiquement pour la reconnaissance de la culture tibétaine et le respect des coutumes par les Han éradicateurs au nom du Maoïsme, cette dictature avide de créer un homme « nouveau ». Prix Nobel de la Paix en 1989 ; le Dalaï-lama est qualifié par les politiciens idéologues chinois de « loup en robe de moine ». Ce pourquoi, après avoir réduits les monastères au canon, envoyés les jeunes en camps, colonisés le pays tout entier – pour exploiter les métaux rares, l’uranium et l’eau – ils « rééduquent » moines, nonnes et déviants par « l’éducation populaire », cette forme mentale socialiste du gavage des oies visant à penser autrement qu’on pense par soi-même.

Dalaï est un terme mongol conféré en 1578 par l’Altan Khan à l’abbé gelugpa de Drepung ; il signifie « océan ». Le premier dalaï-lama est numéroté troisième car, par modestie, il a attribué rétrospectivement le titre à ses deux prédécesseurs. Les Tibétains croient que, lorsque survient la mort physique, la conscience d’un être contient l’empreinte (ou karma) de toutes ses expériences et impressions passées, dans cette vie et dans les vies antérieures. Conscience et karma renaissent dans un nouveau corps, animal, humain ou divin. S’efforcer d’élever sa conscience dans chaque vie permet de se réincarner dans un être plus conscient encore, jusqu’à la Libération du cycle des vies. Le dalaï-lama est la manifestation d’Avalokiteshvara, le bodhisattva de compassion, porteur du lotus blanc.

Dalai Lama L'art du bonheur

Mais les Chinois n’en ont cure : pour eux, marxistes matérialiste nationalistes, il n’existe « qu’une seule Chine » et la reconnaissance juridique d’un tel état de fait, légitimé par la force en 1959 alors que les traditions historiques sont plus floues, doit être le préalable obligatoire à toute négociation. La terre d’abord, l’esprit ensuite. Pour cela, le Dalaï-lama est incité s’occuper de la Voie et à laisser les choses terrestres à des représentants sous allégeance de Pékin. L’autonomie culturelle serait alors possible, le national communisme han reconnaissant aux minorités le droit d’exister tant qu’elles ne font aucun ombre à l’avenir radieux. L’Occident répugne à accepter ce coup de force mais ne prend aucune mesure qui pourrait fâcher le géant : le commercial affairiste prime les droits de l’homme, dont les pays occidentaux ne se drapent que lorsqu’ils y ont intérêt..

Pourquoi aller visiter le Tibet ? Parce que les paysages du toit du monde, les temples refaits pour le tourisme après les saccages rouges, les cérémonies hautes en couleurs où les costumes comptent autant que les gestes, les moines rieurs ou sérieux mais toujours préoccupés de la voie droite, tout est spectacle mais tout aussi est vie intérieure. Sous la vitalité des corps élevés dans l’air raréfié perce la force de l’esprit, ouvert sur les énergies. En regard, quelle est notre force, à nous, Occidentaux ?

Je suis allé deux fois durant plusieurs semaines au Tibet, marchant à pied dans les montagnes ou en vélo tout terrain sur les pistes de cols en villages. Les habitants du cru, bien que simples, rudes et peu lavés, sont directs, malins et pittoresques. Leurs superstitions mettent un peu d’étrange dans notre matérialisme. Le Tibet nous rappelle peut-être qu’on ne vit pas que de confort et de gadgets, mais aussi de rêve et de fraternité.

Le bouddhisme, très ancien au Tibet, ne cherche pas à convertir à l’adoration d’un dieu jaloux et souverain, mais à éveiller la conscience de chacun, à son rythme et à son niveau, par une série d’étapes graduelles. Du plus superstitieux au plus spirituel. Le renoncement à l’anarchie des désirs permet de maîtriser instincts, passions et pensées afin d’atteindre calme intérieur et vue pénétrante. La compassion, étape ultérieure, permet de dépasser le jeu des apparences, la notion d’ego ou d’entités objectives pour s’éveiller à la nature ultime des choses qui est jeu infini de relations transitoires.

Ce qui permet de comprendre que la souffrance est due à l’ignorance parce que l’homme croit que tout est fixé éternellement alors que tout change sans cesse. La vision pure propre au Vajrayana, adoptée au Tibet, effectue la synthèse des étapes précédentes qui sont celles du Petit puis du Grand véhicule, pour reconnaître en tout être la nature de bouddha et en tout phénomène la pureté originelle.

Dalai-lama signature

La transmission du savoir, de maîtres à disciples, a ce côté humain et efficient que les Grecs avaient déjà adopté comme le meilleur. La formation dispensée par un gourou n’est pas un savoir de secte ou un programme de simples connaissances : c’est un éveil. Elle consiste à faire prendre conscience au disciple de sa propre réalité intérieure, ce qui détermine son développement et le cours de sa vie. Un gourou ne peut donner que ce qu’il a lui-même réalisé, il est un exemple vivant et un guide. Il ne borne pas la transmission de son savoir au seul domaine intellectuel ou scolaire mais va aux sources profondes du pouvoir spirituel grâce à ses lectures des textes anciens et à la pratique de méditation.

Cette introspection très ancienne sur les forces profondes de l’esprit en l’homme n’aboutit pas au désespoir mais, à l’inverse, au goût de vivre le plus vif. L’existence est une discipline pour se connaître et connaître l’unité du monde. Et la boucle est bouclée dans ce cycle sans fin que chaque existence recommence. Rien n’est acquis jamais car l’être humain est éducable et que sa formation ne s’achève pas avec sa vie, mais dure dans ses vies futures tant qu’il n’a pas atteint l’Éveil – qui est l’union avec le Tout.

bouddhisme Tintin au Tibet 1960

Le Christianisme considère l’homme créé par Dieu avec pouvoir sur le monde pour qu’il en soit le maître – ce qui faisait rire Montaigne qui traitait l’humain de « mignon de Nature ». Le Bouddhisme considère que la vie humaine est une part de la vie de l’univers dans son entier, d’où l’amour spontané pour les bêtes et les plantes, le respect des paysages et de la nature, la compassion pour les êtres. Ce pourquoi l’actuel Dalaï-lama, chef spirituel du Tibet, se prononce résolument en faveur de l’écologie et du contrôle des naissances.

Les trois vertus du Christianisme sont la foi, l’espérance et la charité. Dans le Bouddhisme, elles seraient plutôt la lucidité, la volonté et la compassion. Il y a une différence de degré qui me fait considérer que le Bouddhisme mène à une conscience humaine plus haute, en l’absence d’un Dieu transcendant. L’homme ne remet pas son destin entre les mains d’un « Père » (la foi), il accepte le destin tel qu’il vient, lucidement – et chacun est son propre « sauveur », s’il le veut. L’homme ne s’illusionne pas sur le monde (déni) ou sur l’avenir (l’espérance), il agit au présent afin d’acquérir une conscience plus forte et une liberté plus grande. Il ne se contente pas d’« aimer son prochain » sur commandement (la charité), ni de le traiter avec bienfaisance « comme soi-même » (qu’est-ce donc que le « soi » ?) – mais il « compatit » parce qu’il est touché par les maux d’autrui.

Il les ressent et comprend la souffrance humaine dans chaque situation parce qu’il a franchi les étapes de la voie et qu’il peut aider les autres hommes. Cette compassion n’est alors pas la charité pour se faire mousser mais ouverture à l’autre, à sa détresse ; l’homme compatissant devient « bodhisattva », sage ou saint. Le Christianisme part à l’inverse, il « faut aimer » parce que les humains sont tous « frères du même Père » et ce sentimentalisme qui commande les actes se fait d’en haut, pas depuis l’intime.

dalai lama sur le tibet

Le Tibet nous apprend ainsi qu’il est une vertu bien plus haute que le « devoir moral » cher aux nantis coupables : la sagesse personnelle, acquise par discipline durant toute sa vie et avant, qui permet seule de vraiment comprendre le monde et les hommes.

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