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Jason et les Argonautes de Don Chaffey

Les Argonautes sont des héros fabuleux dont même Circé parle dans L’Odyssée. Ils sont les pions des dieux, amusés à jouer aux échecs. Zeus (Niall MacGinnis) dispute avec son épouse Héra (Honor Blackman) une partie et les humains en sont les pièces ; ils les regardent s’ébattre dans un bassin comme à la télé. Pélias (Douglas Wilmer) a voulu être roi de Thessalie à la place du roi. Il l’a donc attaqué, vaincu et tué. Mais une prophétie lui apprend qu’il sera tué par le fils de ce roi, chaussé d’une seule sandale. Un bébé a échappé à la tuerie à l’arme blanche : son neveu Jason. Vingt ans plus tard, c’est un beau jeune homme robuste (Todd Armstrong), élevé en berger, qui sauve Pélias tombé, par la malice d’Héra, dans le fleuve où son cheval a fauté. Pélias est rescapé de la noyade grâce à Jason, sans le connaître. Jason, de son côté, sait-il qu’il est le fils de l’ancien roi et qu’il a l’intention de reconquérir son royaume que l’actuel roi asservit en tyran.

Mais pour cela, il lui faut un symbole qui le légitime aux yeux du peuple. Une fabuleuse toison d’or aurait, paraît-il des vertus de ce genre, assurant la prospérité du royaume de Colchide, aux confins du monde (connu). Pélias, qui a reconnu en Jason celui qui le tuera, ne peut le supprimer sur le champ, comme son fils Acaste (Gary Raymond) le presse de le faire : ce serait offenser les dieux que de faillir à l’honneur. Il suggère plutôt à Jason d’aller chercher la toison d’or. Ce sera au péril de sa vie et donnera à Pélias le répit d’existence auquel il aspire.

Jason réunit tout ce que la Grèce a de meilleur : un bateau de guerre solide, un équipage d’athlètes vainqueurs aux jeux, dont le fameux Hercule, et vogue la galère vers la Colchide mystérieuse. Le jeune Hylas se fait inviter par les héros en rusant pour égaler Hercule au lancer de disque : il fait ricocher le sien, ce qui demande moins de force. Une figure de proue est installée à la poupe et regarde vers l’intérieur du navire. Si celui-ci est nommé Argos du nom de son capitaine (Laurence Naismith) – d’où le nom d’Argonautes donné à ses marins aventuriers – la figure est celle d’Héra, cheftaine des dieux après Zeus. Elle a obtenu de son dominateur de mari le droit de répondre à cinq questions seulement pour aider Jason, mais pas une de plus.

Le bateau part de Thessalie, enfile le Bosphore – où sont les falaise rapprochées, les roches broyeuses – avec pour direction la côte sud de la mer Noire et la Colchide, aujourd’hui la Géorgie. C’est une quête du soleil (l’or), symbole de vie et de fortune matérielle (le bélier). L’esprit astucieux et rusé (la métis des Grecs) s’unit chez Jason à la passion de retrouver son trône et chez son équipage de prouver leur valeur, ainsi qu’à l’instinct de prédation de tous pour rapporter un trésor. Tous les étages de l’humain sont associés à cette quête initiatique durant laquelle dieu opposant et déesse adjuvante vont contrer ou favoriser le héros pour qu’il accomplisse son destin. Le compagnonnage guerrier doit à la fois mériter de son chef et ce dernier les mériter.

Les obstacles sont nombreux, à commencer par la vanité d’Hercule (Nigel Green) qui fait tuer son jeune compagnon Hylas (John Cairney) en dérobant, contre les ordres formels de Jason, un bien des dieux sur l’île où Héphaïstos a forgé les statues de Titans. L’un d’eux, Talos, se venge et écrase le jeune homme en s’abattant après que Jason eût compris que sa faiblesse est au talon. Triton, en revanche, mandaté par Héra, protège le navire contre les roches broyeuses du Bosphore et permet à Jason de sauver la grande prêtresse de Colchide, Médée (Nancy Kovack), qui tombe raide dingue de lui. Ce qui permettra à nos héros d’entrer dans la cité.

Hylas hélas ! Jason en prison ! Mayday Médée ! Le traître se cache dans les détails : le beau svelte Acaste suggère de pénétrer la cité de nuit, pour ne pas se faire repérer bien sûr, mais surtout pour éliminer Jason sans que personne ne le soupçonne. Instruit par les dieux, le héros le défie, ils se battent, Acaste se jette dans les flots et disparaît… mais pour mieux les trahir en les dénonçant au roi de Colchide Aétès (Jack Gwillim), qui les fait enfermer. Médée drogue les gardiens pour faire échapper Jason et ses compagnons qui vont, dès lors, reprendre leur vaisseau tandis que Jason va à la chasse à la toison. Il se bat avec l’hydre, puis avec quelques soldats de Colchide, enfin avec une troupe de squelettes levée par Aétès (quatre mois de travail pour le tournage) en invoquant un dieu qui lui conseille de semer les dents de l’hydre morte, lesquelles vont lever depuis le sol. Jason combat, ce qui n’est pas sans cocasseries côté squelettes, des guerriers meurent mais le héros s’échappe en sautant directement de la falaise dans la mer – les squelettes ne savent pas nager… C’est épique, mais la partie n’est pas terminée pour les dieux !

Les effets spéciaux de Ray Harryhausen sont restés mémorables mais font évidemment piètre figure aujourd’hui. L’hydre aux sept têtes menaçantes apparaît comme un gros calmar en plastique qu’on déplace d’avant en arrière pour l’action. Les roches broyeuses sont des dents mal chaussées du décor qui oscillent même quand elles ont fini de s’écrouler. Seules les harpies font vrai, diaboliques avec leurs ailes membraneuses et leurs voix criardes. Le colosse de Telos, géant de bronze qui grince à chaque mouvement est réussi, de même que la bataille des squelettes qui impressionne vivement les plus petits.

DVD Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts), Don Chaffey, 1963, avec Todd Armstrong, Nancy Kovack, Jack Gwillim, Gary Raymond, Niall MacGinnis, Douglas Wilmer, Laurence Naismith, Honor Blackman, Michael Gwynn, Sidonis Calysta 2019, 1h40, €13,00 Blu-ray €14,98

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Vendredi 13

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Premier film d’une série comme – hélas ! – les Yankees y cèdent quand le film original a bien marché. La suite, me dit-on, est assez mauvaise ; ce premier opus a le mérite de la fraîcheur, même s’il est assez lent pour nos critères d’aujourd’hui. Mais il était osé en 1981, mêlant comme toujours amour et mort, scènes de sexe et scènes de meurtre. Avec, ici, le couteau de chasse comme substitut de pénis… je ne vous en dis pas plus.

L’histoire se passe au fin fond d’un état rural américain, autrement dit chez les sauvages. Un camp de vacances pour ados au bord d’un lac est réputé maléfique depuis qu’il a connu en 1957 la noyade d’un gamin, Jason, puis en 1958 le meurtre d’un couple de moniteurs surpris en train de baiser. Le garçon a été éviscéré, la fille égorgée.

Vingt ans après, comme dans les Trois mousquetaires, le centre de vacances de Crystal Lake a l’intention de rouvrir et Steve le directeur (Peter Brouwer) embauche six moniteurs – trois gars et trois filles pour respecter le déjà politiquement correct (mais les minorités visibles n’en faisaient pas partie).

Annie, une monitrice qui aime les enfants est embauchée comme cuisinière ; elle arrive avec son gros sac à dos, roulant les épaules et claquant les portes avec des gestes brusques, en vrai faux-mec que les filles 1980 se croyaient obligé de jouer par féminisme naissant. Le camionneur obèse de malbouffe (Rex Everhart), tout comme la grosse tenancière de bar du coin – vrais portraits de l’Amérique – tentent de la dissuader, tandis qu’un demeuré sexuellement perturbé (Walt Gorney) enfourche son vélo écolo en prophétisant un massacre. On se demande s’il est net, piste possible…

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Avec les activités génésiques qui commencent presque aussitôt dans la voiture qui amène un trio, puis dans le camp où le directeur aide une fille à réparer une gouttière branlante, enfin par les jeux entre ados attardés de tous ces jeunes dans la vingtaine dont les muscles mâles ou les seins femelles apparaissent gonflés d’hormones, le spectateur se dit que le sexe et le mal vont – une fois de plus – déformer les choses réelles.

Ce qui ne manque pas d’arriver – nous sommes en Amérique. A part le destin rapide de la future cuisinière, embrochée à la forestière dans un fourré, celui des autres se distille avec lenteur. La caméra à l’épaule se met souvent à la place du tueur et l’image est efficace. La musique grinçante de Harry Manfredini reproduit une atmosphère à la Psychose, bien que le rythme et les contrastes soient moins frappants. Il y a toutes les atmosphères dramatiques requises : la nuit, le lac immobile, l’orage, la pluie battante, la voiture qui tombe en panne, le générateur saboté, les lieux isolés qui grincent.

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Le directeur, parti avec sa Jeep chercher du matériel, ne reviendra jamais de la ville, malgré l’obligeance d’un shérif qui le reconduit jusqu’aux abords du camp ; il y rencontre son destin muni d’une lampe torche et d’un couteau. L’un des garçons, Ned (Mark Nelson), qui a simulé une noyade dans le lac (sans le savoir comme le gamin jadis), est égorgé dans un lieu isolé pour avoir crié au secours comme le noyé, sans que personne ne l’entende. Ce qui est haletant est qu’on ne sait pas pourquoi, ni qui opère.

Restent trois personnes, un couple qui se forme, un autre garçon et une fille solitaire relevant d’une rupture. Le couple qui s’est trouvé, Jack (Kevin Bacon) et Marcie (Jeannine Taylor), s’isole dans un baraquement sous l’orage pour baiser, comme ceux de 1958 – et il leur arrive la même chose. Ils sont tous deux beaux et bien faits, vigoureux et dessinés. Leur baise dure ce qu’il faut pour apprécier, en débardeur puis torse nu, puis entièrement nus, selon la gradation savante qui (à l’époque) mettait en appétit. Mais la fille – nunuche, comme souvent dans les films américains – a « envie de pisser » après l’amour (!). Elle sort donc pour rencontrer une hache dans les toilettes – évidemment isolées – où elle va bêtement chercher les zones obscures en croyant qu’« on » lui fait une blague. Le garçon resté allongé jouit de son corps repu, remet son débardeur parce qu’il fait un peu froid après l’intense activité génitale qu’il vient d’avoir, et allume « un joint » – comme c’était furieusement la mode à cette époque post-hippie.

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Tous ces détails de l’hédonisme ambiant sont cruciaux, parce qu’ils vont connaître la punition divine (selon les critères bibliques) : une main lui saisit le front par derrière (le siège présumé de l’intelligence), tandis qu’un couteau de chasse perce la couche et vient trancher lentement la gorge (comme on le fait d’une bête pour qu’elle soit casher). La jeunesse dans sa puissance a été sacrifiée au Dieu vengeur, comme Isaac par Abraham. Mais pas d’ange ici pour retenir la main : le moniteur baiseur n’a que ce qu’il mérite, même si aucun gamin à surveiller ne peuple encore le camp.

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Alice (Adrienne King) est la seule à ne pas baiser dans le film et c’est – selon la morale biblique américaine – ce qui va la « sauver ». Elle sera l’unique survivante du massacre, bien que le noyé – Jason, qui deviendra célèbre dans les films qui suivront – tente de l’emporter in extremis avec elle sous les flots. Pour se venger. Car le spectateur perçoit très vite qu’il y a un lien entre la mort du jeune garçon et le massacre des moniteurs. Le couple qui a baisé en 1958, a déjà baisé en 1957 – en laissant le gamin qui ne savait pas nager sans surveillance. Quelqu’un donc en veut à tous ces jeunes qui se croient responsables mais qui préfèrent leur plaisir hédoniste à leur fonction. Le centre ne rouvrira pas, foi de tueur !

Reste Alice, la fille solitaire. Avec Bill, le dernier garçon (Harry Crosby). Il est beau, gentil, tendre, prévenant, mais n’est pas travaillé par la bite comme les deux autres. Ils ne savent pas encore que tout le monde a été massacré ; ils n’ont pas vu les corps ; ils pensent qu’ils se donnent tous du bon temps entre eux et les laissent à leurs activités supposées. Un strip-monopoly les a bien un peu excités, mais l’orage et la pluie ont refroidi leurs ardeurs. Ce pourquoi le tueur, qui les veut, les fait sortir en coupant le générateur. Le garçon va voir – il disparaît. La fille va voir – elle découvre son cadavre embroché de flèches derrière la porte ; le garçon avait fait la démonstration de son habileté à l’arc. Symboliquement, il est mort de trois flèches : une dans l’œil – pour ne pas avoir surveillé ; l’autre dans la gorge – parce que le noyé a hurlé et que personne ne l’a entendu ; la troisième dans le poumon – siège du souffle perdu par Jason. Mais personne ne comprend, vingt ans après – et c’est bien là le tragique.

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La fille va hurler (selon l’hystérie américaine de convention), se barricader à multiples tours, se jeter d’un côté et de l’autre de la pièce comme une poule affolée, puis tout débarricader pour se précipiter vers une Jeep qui arrive, croyant voir revenir le directeur. Ce n’est qu’une femme (Betsy Palmer), une amie de la famille de Steve qui possède le camp.

La suite n’est pas racontable sans dévoiler le suspense – contentons-nous de dire qu’Alice s’en sortira, mais de justesse. Entre temps schizophrénie, voix de Psychose (tues-la !), coups, gifles, duel au couteau, bagarre dans le sable mouillé, décapitation… Les voies du saigneur sont impénétrables. On voit peu le sang dans les films de l’époque ; tout comme les seins nus, c’était encore tabou. Mais la décapitation est filmée au ralenti, ce qui permet de bien imprégner le spectateur.

Nunuche elle aussi, la dernière survivante se croit à l’abri au milieu du lac, dans un canoë. Elle y restera jusqu’au matin lorsque les flics du coin – arrivés trop tard, comme la cavalerie yankee – la verront de loin. Mais lorsqu’elle leur fait signe, elle est saisie brutalement par le zombie Jason… pourri mais qui hante toujours les fonds.

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A moins qu’elle n’ait rêvé ? Dans le lit d’hôpital où elle se réveille, elle apprend que les flics l’ont tirée de l’eau et qu’ils n’ont vu personne, aucun « enfant ». La suite au prochain numéro est alors donnée par la réflexion de la fille : « alors il est encore là ».

Ce n’est pas gore, un brin maladroit, trop lent pour nos habitudes prises depuis les années 80 – mais se laisse regarder avec intérêt. Le contraste entre cette jeunesse éclatante de sève et l’horreur de la vengeance à l’arme blanche reste prenant.

DVD Vendredi 13 (The Friday 13th) de Sead Cunningham, 1981, avec Betsy Palmer, Adrienne King, Harry Crosby, Laurie Bartram, Kevin Bacon, blu-ray Warner Bros 2003, €8.59

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