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France, fille aînée de l’église intellectuelle

L’exception française, en matière de réflexion et de pensée, n’est pas un vain mot.

  • Chacun sait que la France est un pays centralisé à Paris, et que le « milieu intellectuel » à Paris est centralisé encore plus dans les quartiers centraux, en gros entre Notre-Dame et Saint-Germain des Prés – deux églises comme vous pouvez noter.
  • Chacun sait que « le Français moyen » des sondages révère l’État et que le rêve de tous ses fils et filles est à 73% de « travailler dans la fonction publique ». Un peu moins globalement qu’en 2004 à cause de l’hôpital (désorganisé et stressé par les 35h), mais nettement plus qu’en 2004 dans la fonction publique d’État !
  • Chacun constate aussi que la moindre parcelle de petit pouvoir fonctionnaire fait gonfler l’ego de qui le détient – comme s’il était investi d’en haut d’une Mission de service public et de gardien de l’ordre (observez la guichetière, le flic, lisez la réponse du fisc ou de la Sécurité sociale ou de Pôle emploi…).
  • Chacun peut observer, comme le sociologue Philippe d’Iribarne, que celui qui exerce un métier en France sait mieux que tout le monde ce qu’il faut faire et comment il faut le faire, n’acceptant qu’avec répugnance des ordres venus de sa hiérarchie ou des autres métiers pourtant dans la même entreprise. Le « sens de l’honneur » dans le privé est équivalent à la « mission de service public » du fonctionnariat.

« Les intellectuels », en France, ne regroupent pas tous ceux qui pensent, qui réfléchissent à leur pratique, qui philosophent ou qui cherchent – loin de là ! Les intellectuels de droit se réduisent surtout à ceux que les médias nomment de ce nom, c’est-à-dire ceux que le quatuor de presse qui veut faire l’Histoire à Saint-Germain des Prés – donc à Paris, donc en France, donc dans le monde entier – érige en phares de la pensée. Ce quatuor est composé de Joffrin à Libération, de Kahn à la radio après Marianne, de Plenel à Médiapart, de Birnbaum au Monde. Ils sont leaders culturels, faisant la pluie et le beau temps pour désigner les livres que l’on « doit » lire et les pensées qui « méritent » d’être suivies.

Hier volontiers antiparlementaires et pourquoi pas fascistes (Maurras, Drieu La Rochelle, Brasillach, Céline, Jouvenel, Maulnier, Fabre-Luce…), les « intellectuels » ainsi proclamés sont aujourd’hui évidemment « de gauche », évidemment dans le vent, évidemment imbibés de Morâââle. Comme s’il n’y avait pas aussi des intellectuels à droite ou au centre – ou ailleurs.

Si l’on réfléchit un tant soit peu sur ce qu’il est convenu d’appeler ces « intellectuels », force est d’observer qu’ils agissent en bande comme des clercs d’une église. Ils pensent en meute, se veulent toujours « d’accord » avec les gens du même bord « moral » qui est le leur, répètent comme perroquets la doxa du moment, imitent leur leader légitime dont l’infaillibilité donne le ton. Pourquoi ? Pour exister publiquement, pour être reconnus par leurs semblables, pour se poser à la pointe du Progrès, des Droits de l’homme et de l’égalité, voire de l’Histoire en marche.

Rien n’a vraiment changé depuis la naissance de l’intellectuel au moyen-âge…

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À l’époque, quiconque n’était pas « bien né » ne possédait aucun pouvoir de fait. La seule façon « noble » d’arriver en société était l’Église. En faisant peur aux chrétiens, par la confession et les prêches enflammés, par la puissance temporelle de son organisation (qui fascinait tant Staline), l’Église « sainte, catholique, apostolique et romaine » se voulait seule légitime dépositaire du message même de Jésus-Christ – c’est-à-dire de Dieu. Sa voix était la voix d’En-haut, sa morale le Commandement-du-Père, son savoir issu des Saintes-Écritures – que nul ne saurait contester sous peine de blasphème, excommunication et damnation éternelle.

D’où la chasse aux hérétiques, l’instauration de l’Inquisition, la mise à l’Index et les bulles du Pape, déclaré « infaillible » en 1870, dès que la puissance de l’Église a commencé à décliner… Ce fut la même chose sous Staline, et les « compagnons de route » même pas membres du Parti communiste criaient haro comme les kamarad sur les boucs émissaires qui osaient critiquer un tout petit peu les « excès » du régime (Gide, Souvarine, Nizan, Camus, Kravchenko, Aron, Soljenitsyne, Simon Leys…).

Aujourd’hui, malgré les incantations à « la démocratie », aux « droits des minorités » – et à la « libre expression » après l’attentat contre Charlie – la posture intellectuelle garde la même trajectoire. Comme les clercs d’église, les intellos se posent comme :

  • Répugnant à l’argent (leur anticapitalisme ne va cependant pas jusqu’à refuser les piges ni les droits d’auteur scandaleusement au-dessus du SMIC lorsqu’ils sont conférenciers, chanteurs ou « artistes »)
  • Pour l’unité de tout le genre humain (ledit genre devant obligatoirement se calquer sur leur propre caste, eux-mêmes se voulant avant-garde du sens et du Progrès)
  • Aimant l’autorité (quand ils en font partie… donc pas De Gaulle tout proche mais Staline ou Mao au loin, oui à l’Écologie… mais pas dans leur jardin)
  • Adorant faire la Morale à tout le monde, investis du rôle de Commandeurs des croyants en leur église germanopratine
  • Poétisant sur « le peuple » et « la nature » en romantiques… urbains

Tout cela vient du dogme catholique et de la pratique séculaire de l’Église catholique. Même les athées, même les « marxistes », tous ces « progressistes » reprennent intégralement le programme catholique qui a si bien réussi dans l’histoire. Les intellos français sont les seuls à le faire en Occident, notons-le. Les Russes tentent de les imiter avec l’orthodoxie, mais cette église-là n’a aucune légitimité « universelle » comme la catholique.

Rousseau, Victor Hugo, Maurras, Sartre, Bourdieu, BHL, Badiou proclament leur répugnance à l’argent, leur aspiration à l’unité, leur préférence pour l’autorité, les commandements de la (seule) Morale, tout en se pâmant d’attendrissement sur les gamins sales et demi-nus du « peuple » des banlieues (ah, le mythe de Gavroche, le mythe de Cosette !), tout en rêvant de « la nature » simple, évidente et « faite pour l’homme » (à condition  de l’organiser en parcs protégés sous la « domination » de fonctionnaires acquis à la cause).

Si d’aventure vous avez le malheur de critiquer leur point de vue, de railler leur naïveté, de rappeler leurs constantes erreurs historiques – vous voilà catalogué : « de droite », « fasciste », « faisant le jeu du Front national » – en bref l’incarnation du Diable comme dans l’Église ! Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, en font l’expérience, vrais intellectuels (contrairement à Eric Zemmour qui n’est que journaliste). Ils sont les nouveaux boucs émissaires de la violence mimétique chère à René Girard, les intellos dans le vent rejetant ainsi la part sombre d’eux-mêmes sur des sujets extérieurs voués à l’exécration – afin de « fusionner » bien au chaud dans le nid, avec leurs semblables.

Narcissisme du miroir, égoïsme forcené de la reconnaissance mutuelle, posture théâtrale en public : voilà donc ces « pseudo-intellectuels » – comme dit la ministre, qui n’en fait pas partie. Ils sont donnés en exemple par le quatuor médiatique, en opposition aux autres intellectuels, critiques mais non adulés par les médias. Ne sont-ils pas en carton-pâte  ? Car leur pensée se racornit à mesure qu’ils se posent, tant la soif d’être reconnus et à la mode appauvrit toute réflexion. D’où les tabous du « débat » intellectuel français, les cris d’orfraie à la mention de certains mots, la « reductio at hitlerum » des commentaires sur les blogs. Les invectives moralisatrices remplacent l’argumentation, la violence toute raison. Il s’agit moins de débattre que de se poser, moins de considérer l’autre et ses interrogations que de se considérer soi, comme si beau en ce miroir et surtout devant les autres.

Mais comme le dit Michel Onfray, avec son art si populaire de mettre les pieds dans le plat, « interdire une question, c’est empêcher sa réponse ».

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Le festival Strauss-Kahn

La semaine s’est ouverte avec le festival de Cannes mais les canards n’en ont pas fait le marronnier annuel. Strauss-Kahn a réussi à alimenter les cancans. A peine les lampions du 10 mai éteints, le 14 mai va s’inscrire dans l’histoire des mœurs politiques. Nous avions eu Félix Faure, mort sur le tas en besognant une « connaissance » dont on retient surtout qu’elle est « sortie par derrière ». Nous avions la fille Mazarine, les mains baladeuses du président Giscard, le fils improbable de Jacques Chirac, les épouses en « a » de Sarkozy. Nous pouvons désormais chanter, avec Sœur Sourire : « Dominique, nique, nique ! »

Sauf que ça ne rigole pas au parti Socialiste. Ça ne rigole d’ailleurs jamais, tant la situation est « grave » depuis trente ans. Voyez les médiatiques : quand Hollande a commencé à ravaler ses bons mots pour faire la tronche, il a grimpé dans les sondages… Les frasques de Dominique – cherchez à qui le crime profite : à l’avenir à gauche ? pas sûr. Aux journaleux ? pas vraiment. A la France ? sûrement pas. Mais au père François pour sûr.

C’est que cette véritable honte de choc n’est pas que socialiste.

C’est toute la gauche qui s’en trouve submergée. Pas plus que le tremblement de terre japonais devenu nucléaire, cela n’était prévu. Le candidat « évident » a canné comme cela arrive : hier Delors, avant-hier Mendès-France. Un autre Kahn (Jean-François) évoque avec un mépris gourmand un « troussage de domestique ». Pour ce soixantuitattardé de la cuculture hédoniste bobo, la victime ne saurait être une femme Guinéenne payée au SMIC, mais le beau macho piégé pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. Et les grandes orgues à gauche de se déployer à la télé : BH Lévy, J. Lang, et même R. Badinter habituellement mieux inspiré. Pourquoi jouent-ils les élites outragées ? Les tenants du Bien (socialiste) contre le Mal (forcément américain) ? Se prennent-ils pour la Loi et les Prophètes, ou défendent-ils le clan étroit des machistes méditerranéens ? Dans le Coran aussi la parole d’un homme vaut celle de deux femmes. Le multiculturel veut-il la maghrébisation comme antidote aux mœurs anglo-saxonnes ? La social-démocratie a donc du plomb dans l’aile, le jacobinisme botté époque Mitterrand relève la tête. La gauche pétainiste se retrouve une morale, celle du peuple contre les élites. Mélenchon s’en réjouit ouvertement, disant qu’un boulevard s’ouvre à lui tout seul pour rassembler « à gauche ». Il veut dire dans le style 1793, citoyens en armes, j’veux voir qu’une tête, le peuple dans la rue et les accapareurs au bout d’une pique.

C’est toute la médiacratie qui a failli. Des complaisances à ne pas gêner un partisan du même bord pour ne pas « retarder l’Histoire ». Des habitudes machistes méditerranéennes décrites avec indulgence, du « qui va garder les enfants » Fabius au soutien ouvert à ce violeur d’une gamine de treize ans Polanski, c’est toute une génération de journalistes qui montre son manque de professionnalisme. Ils préfèrent « l’investigation » sur le racisme présumé du sélectionneur de l’équipe de foot à l’enquête sur la maîtrise morale d’un candidat au poste suprême. Les citoyens peuvent-ils croire ces histrions qui paradent à la télé ou font la morale dans les journaux, quand ils constatent une telle faillite de la vigilance ? Un regard toujours rose du moment qu’il s’agit d’un homme de gauche ? C’est qu’on a bien plus invoqué la « présomption d’innocence » pour Dominique Strauss-Kahn que pour Eric Woerth, par exemple ! Ce pourquoi la théorie du Complot a fleuri aussitôt et que le sentiment anti-élite du « tous pourris » a de beaux jours devant lui.

C’est toute la France qui s’en trouve salie. Rabaissée au niveau du mépris pour les femmes des religions du Livre, elle qui se dit laïque, fait une loi sur le voile et conserve l’arrogante habitude de faire la morale au monde entier. Le monde entier a les yeux sur ce Français cosmopolite chef du Fonds monétaire international, expert en macro-économie mais incapable de se maitriser devant un cul. De quoi renforcer ceux qui préfèrent la Corrèze au pèze et Tulle à la bulle, s’affirmant du terroir et pas né hors sol. Car le sexe n’est pas honteux s’il est partagé entre adultes. Libertinage n’est pas cuissage, n’en déplaise aux notables qui se sont toujours cru au-dessus des lois. Toute séduction implique le consentement. L’Amérique a raison de garder au frais Strauss-Kahn en attendant son jugement. Juste retour de bâton du réel pour nos intellos-médiatiques qui savent mieux que tout le monde qui « doit » être innocent ou coupable, de Polanski à Batisti, jusqu’à la mère de Tristane, journaliste « violée » il y a dix ans par le Dominique et que le prestige notable et les convenances politiques ont « empêché » de porter plainte. Au point de ne pas craindre d’être ridicule à profiter de l’actuelle curée.

Le choc a montré la France qui cause dans le poste à nu : hystérique, haineuse, ignare. Plus le présumé coupable est riche et célèbre, plus les hyènes jalouses crient au scandale et plus les copains de parti nient la réalité. On accuse les puissances d’argent, la CIA, la justice américaine. C’est bien la peine de boire à longueur de journée du Coca en surfant sur son Smartphone Apple, se gavant de mac-bourgeois et de séries télé américaines, tout en portant des jeans Lévi-Strauss ! A quoi cela sert-il de lire des romans policiers ou de se pâmer devant les feulm’ hollywoodiens projetés à Cannes, si c’est pour ne rien comprendre au fonctionnement judiciaire des États-Unis ? Après Outreau, l’interminable procès Chirac et les non-lieux politiques, a-t-on vraiment « la meilleure » justice du monde ? Quelle détestable arrogance doublée d’ignorance jacobine ! L’affaire DSK sera peut-être le titre d’un prochain feulm’ (toujours prononcé à la bobo sur France-cul). Il montrera le provincialisme franchouillard dans la globalisation du monde, le rejet de tout ce qui n’est pas terroir bien de chez nous. Il suffit d’écouter les groupes en voyage en avion sur la bouffe, les hôtels, la propreté, la politesse, pour s’en faire une idée…

Quelles conséquences politiques ?

La gauche de gouvernement va devoir se choisir un autre candidat crédible. Hollande ou Aubry sont bien placés, le premier plus que la seconde parce que lui a envie d’y aller malgré son absence de charisme. Mais il ne devrait au moins pas y avoir de surprises côté mœurs.

Le choc doublé du ressentiment anti-élite friquée cosmopolite aurait pu faire monter l’extrémisme. Or ni Le Pen ni Mélenchon ne semblent pour l’instant en profiter. Une semaine après la valse de Strauss-Kahn, la modération semble l’emporter dans les souhaits pour 2012 (sondage Ipsos-Logica-LeMonde du 18 mai). Ce qui ramène Marine à un étiage qui ne lui permettra peut-être pas de passer au second tour.

Ce qui ouvre un boulevard pour le centre, bien pressuré ces derniers mois entre une droite récupératrice pour un vote utile et une gauche séductrice avec Dominique. Sa sortie de course rejette le PS vers la gauche. Une partie des centristes qui auraient pu voter Strauss-Kahn ne voteront ni Aubry ni Hollande.

Il pourrait donc y avoir rassemblement à gauche, mais tiré vers le mitterrandisme tradi et le style Mélenchon ou Chevènement. Un peu juste pour séduire en-dehors de l’antisarkozysme. Car la gauche ne peut gagner sans des voix du centre…

Il pourrait y avoir dispersion à droite, les gens du centre allant au premier tour sur les quatre ou cinq candidats potentiels, de Villepin à Hulot en passant par Bayrou et Borloo. Nicolas Sarkozy pourra-t-il alors accéder au second tour ? Mais la dispersion du centre ne permettra pas d’aligner un candidat centriste crédible contre un candidat de gauche…

Les jeux restent donc très ouverts et il n’est pas impossible que, comme aux échecs, Nicolas Sarkozy ne puisse assurer un second mandat. Il profiterait du désarroi partisan à gauche, du discrédit moral de la gôch intello-médiatique, de la perte de compétence mondiale sans Dominique Strauss-Kahn alors que montent les problèmes mondiaux : la Chine, les révoltes arabes, l’éveil de l’Afrique, l’essor de l’Amérique du sud et les faillites d’États de la zone euro.

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