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Adolescence au temps du Covid

Macron a recausé dans le poste le mardi 24 novembre à 20 h. Il est beaucoup trop long et trop verbeux, son message politique se brouille. Qu’il laisse donc les détails aux ministres ! Le citoyen a l’impression non d’un discours à la nation mais d’un rapport de présentation à une société comme j’en ai entendu de nombreux au cours de ma carrière : des chiffres qui ne prouvent pas grand-chose, des arguments de spécialistes, une kyrielle de remerciements démagos. Un quart d’heure aurait suffi pour faire le point, fixer les étapes et donner les grandes orientations politique – le reste n’est qu’accessoire. Au lieu de se répandre en bavardage, comme cet incongru « ouvrez les fenêtres toutes les heures ». Ce n’est pas son rôle de président. En tout cas, le message est clair : pas de déconfinement avant le 15 décembre « si les conditions sanitaires, etc. » et aucun retour à une certaine normalité avant le 20 janvier au moins, début février pour les universités !

Les autorisations autorédigées infantiles subsistent. La stupidité technocratique en plus comme ces « 30 personnes » dans les lieux de culte, quelle que soit la taille du lieu ! Le retoquage du Conseil d’Etat est une réaction de bon sens que l’on aurait aimé voir aux ministres, à commencer par le premier… Il y a encore ces stations de ski « ouvertes » mais privées de remonte-pentes, situation aussi stupide qu’une valise sans poignée ou qu’une messe sans Elévation. Les fonctionnaires prennent vraiment les citoyens pour des cons, Castex est le premier chef de cette armada de parasites qui se gaussent de la paille du calibrage des bananes « à Bruxelles » alors qu’ils ne se rendent même pas compte de la poutre de leurs prescriptions absurdes depuis Paris. Comme si les pistes de ski étaient plus contaminantes que les trottoirs des métropoles !

Il s’agit en fait de lâcheté politique : surtout ne pas frustrer les lobbies des stations et des sacro-saintes « vacances scolaires » des bobos tout en maintenant un semblant d’isolement sanitaire global juridiquement inattaquable. Une demi-mesure fait deux fois plus de mécontents, c’est la rançon de la lâcheté. D’autant que s’entasser en bas des pistes sans bar, ni restaurant, ni discothèque, ni sport en salle, ça sert à quoi ? A augmenter la proximité entre les personnes ? Et, depuis plus de six mois, nul fonctionnaire « de la santé » n’a mesuré la contamination du Covid à 2000 m, ce serait trop rationnel sans doute. Il s’agit d’exercer son pouvoir mesquin, pas de gérer le pays. De toutes façons, ils seront payés pareils alors pourquoi prendre une quelconque responsabilité ? J’enrage de cette bêtise qui n’a jamais failli depuis les théoriciens en chambre de « la Révolution » et fustigée par Courteline. A quand le retour aux département carrés et au décadi pour (télé)travailler ?

Quant au « quoi qu’il en coûte », plus ça dure, plus ça coûte cher – et les impôts futurs se profilent. Seul le travail produit la richesse, pas « l’argent ». Payer les gens à rester chez eux est contreproductif. La dette explose, les industries licencient, les commercent ferment, les petits boulots se multiplient, précaires, peu payés, incertains. Contrairement à l’idéologie flemmarde des « 35 heures » et des « écologistes » de théorie, ce n’est pas vivre mieux que de travailler moins : c’est obtenir un niveau de vie plus bas. Ce doit donc être un choix et ne pas être imposé à tous comme un oukase venu d’en haut. Que l’on fasse des études (qui créent de l’emploi) pour savoir si un commerce de dix mètres carrés avec quota de clients en même temps et gestes barrière est plus nocif qu’un trottoir encombré de fumeurs, joggeurs, bouffeurs et téteurs de gourde qui ne portent pas le masque ou seulement sous le nez. Ils n’en n’ont rien fait : interdire est plus simple.

En voyant un très jeune voisin de ma banlieue qui sort de chez lui en courant pour attraper le RER qui le mènera au collège, la gorge découverte de s’être trop pressé de s’habiller, le masque enfilé sur la tronche comme un slip, les cheveux trop longs faute de coiffeur autorisé, les yeux trop bleu égarés par l’angoisse d’être en retard, je songe que le Covid va retirer aux collégiens, aux lycéens et aux universitaires deux ans de leur vie normale. Cet état de fait touche moins les primaires, heureux en enfance, mais beaucoup plus ceux entre 11 et 25 ans, âge où l’identité se construit, où l’on se mesure avec les pairs, où se compose l’estime de soi. Que vaut un bac 2019 sur notes de contrôle en deux trimestres ? Va-t-on s’en gausser durant dix ans comme après le bac 1968 ? Que vaut une année scolaire 2020-2021 enserrée entre gel, masque, distance, demi-groupes, Internet obligatoire après l’école ? Pour ce gamin de 11 ans que j’ai vu grandir, deux années représentent un cinquième de sa vie jusqu’à présent. C’est beaucoup.

Quant à son frère aîné, qui vient de franchir en quelques mois deux étapes du passage à l’âge adulte, le bac et le permis, il est frustré depuis un mois de sa copine connue (bibliquement mais contre l’Eglise) lorsqu’il n’avait pas même 15 ans. Il a entamé une première année d’université croupion sans préparation, laissé à lui-même par les cours sans prof, mépris à distance, et les bibliographies à consulter sans bibliothèques. Il n’aura que six mois de février à juillet pour valider son année on ne sait d’ailleurs trop comment en apprenant tout seul, en s’organisant dans son coin, avec un réseau Internet peu vaillant et saturé. Les fameux MOOC (massive open online course – cours ouverts à tous en ligne) dont on faisait grand cas il y a dix ans sont des monuments rébarbatifs où il faut suivre dans la durée sans être aidé. De qui se MOOC-t-on ?

Je les regarde pousser et je me dis qu’il n’est pas facile d’être adolescent aujourd’hui. L’avenir est incertain, les études ardues, l’emploi compromis, la solitude assurée. Heureusement que la famille, réunie par la force du confinement, forme nid. Dans le meilleur des cas (qui est le leur). Mais les autres ?…

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Neige panique à Paris

Les enfants de dix ans ne se souviennent pas avoir jamais vu de neige dans la capitale où ils habitent. C’est que la dernière fois remonte à 2010 et ils étaient trop jeunes. Il n’y avait pas alors de cadenas serrés sur les grilles du Pont Neuf ; ils sont aujourd’hui tout enneigés.


On se demande si les journalistes ont un QI au-dessus d’un enfant de dix ans car, pour eux, « ils n’ont jamais vu ça ». C’est la panique ! La recette d’un scoop est d’ailleurs de faire de tout événement une première fois. Comme ça, vous pouvez réinventer la totalité comme si cela ne s’était jamais produit dans toute l’histoire humaine.


La neige est entrée dans Paris le mardi 6 février en matinée et est tombée toute la soirée et toute la nuit. Au matin, une dizaine de centimètres jonchent les rues. Le square du Vert-Galant (Henri IV pour les nuls) est non seulement sous les eaux mais ce qui dépasse est sous la neige.

Cela fond peu à peu dans la journée, mais les trottoirs restent maculés au lieu d’être immaculés et les rues sont boueuses des voitures qui s’obstinent à passer.
Mais cela donne une belle épaisseur aux vélos inutilisables pour cause de dérapage, les soulignant d’un trait de chantilly. Peut-être la nuit va-t-elle geler tout ça et augmenter un peu plus le tempérament conservateur, ennemi de tout ce qui change, du Français parisien ?


Mais comme les enfants de dix ans n’ont jamais vu ça, le jardin du Luxembourg est fermé. Messieurs les sénateurs (ou plutôt leurs sbires fonctionnaires) usent et abusent du « principe de précaution » pour surtout ne pas induire en tentation. Vous pensez, les boules de neige pourraient tuer ! (Le conditionnel est un temps que l’on n’apprend plus à l’Education nationale, on le confond allègrement avec le présent du présentement).


Les allées du parc restent donc solitaires et glacées avec un inquiétant air de goulag soviétique, et les mômes s’éclatent dans les rues. Ils ont les boules, mais dans les mains. Certains les sucent, les boules, mais ce n’est pas ce que vous croyez. J’ai même vu un papa muni d’une pince à boules : imaginez deux louches réunies comme dans une paire de ciseaux. Il attrape la neige fraîche et en fait une sphère bien tassée qu’il donne à son gamin ravi.


La chute de neige  après la grippe, la crue et les inondations, les agriculteurs, les employés de Carrefour, les Corses, les fonctionnaires qui vont être réduits et les étudiants qui vont être sélectionnés : sur les radios, sur les télés, c’est la panique !


A croire que rien n’est jamais arrivé et que tout le monde découvre la vie. Ah, les beaux écolos que ces urbains qui déclenchent le « plan grand froid » lorsqu’il fait 0° ! Ah, les beaux techniciens de cette SNCF qui s’obstine depuis 30 ans à effectuer un mois et plus de travaux d’été sur le RER C et qui est incapable de faire rouler des trains à cause des « infiltrations » (comme si les métros ne roulaient pas quand même, sous la Seine et le long !), ou de la neige, ou des feuilles mortes, ou de la température (chaque saison a son lot de faux prétextes).


Paris enseveli sous la neige devient plus sympathique. Moins de voitures et moins de gens sur les trottoirs, nombre de commerces fermés, des gosses joyeux ce mercredi, des ados excités, un air de Noël des contes de fée. La vie est calme comme un mois d’août et la nature s’impose, pour une fois, en décorant les arbres et les statues. Même les cafés ont un air d’auberges de montagne avec leurs stalactites qui pendent de leurs vélums repliés.

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Camagüey de Cuba

Et nous voici déjà à Camagüey, une ville aux façades coloniales colorées, troisième cité du pays avec 300 000 habitants, fondée en 1514. Ces couleurs donnent un air gai aux fenêtres à grilles austères. Les édifices publics s’ouvrent sur la rue par de grands vantaux faits pour les chevaux. On aperçoit par ces gouffres d’ombre les gardes ou la réceptionniste, assis dans la pénombre que l’on sent fraîche et recueillie. Nous verrons ainsi l’Assemblée du peuple, le Tribunal de justice, la Bibliothèque municipale. Toutes s’ouvrent sur le trottoir, jouant le contraste du dedans et du dehors : tous ce qui est administratif et culturel est caché, réservés aux endives du parti ; tout ce qui est social et politique est ouvert, pour le peuple bon-enfant. Cul-de-sac, ruelles sinueuses, Camagüey est différente des villes coloniales classiques aux rues rectilignes qui se coupent à angles droits. C’était fait exprès : il fallait décourager les assauts des pirates qui n’hésitaient pas à la mettre à sac en raison de son fructueux commerce de contrebande. Ainsi Henry Morgan l’a pillée en 1668 et François Granmont en 1679.

camaguey facades

Nous déjeunons dans un restaurant qui est le classique du tourisme, peut-être le seul de la ville. Il s’ouvre Plaza San Juan de Dios et se nomme « La campana de Toledo » – à la cloche de Tolède. Sa façade saumon et œuf jette une lumière crue sur la place. Deux autres groupes y déjeunent au même moment, dont le Nouvelles Frontières déjà côtoyé hier. Les Tours sont les mêmes pour tous les tour-operators. Le restaurant est installé dans une cour intérieure fort agréable, ombrée de grands arbres centenaires qui ont la curieuse idée de laisser choir leurs brindilles dans les assiettes. Mais le soleil y est tamisé, la couleur est locale et des coqs chantent dans le voisinage. De grandes jarres d’argile restent de l’époque coloniale. Elles servaient à conserver l’eau au frais. Des ateliers artisanaux sont installés dans le patio, du côté opposé à la façade. Le menu est standard : salade de légumes et de cresson, bœuf bouilli purée et riz, et un mélange chimique pour dessert. Le café n’est pas trop mauvais et nous prépare à la tournée des rues et aux 300 autres kilomètres qui nous restent à faire en bus jusqu’à ce soir.

restaurant campana_de_toledo cuba

Quand nous sortons du déjeuner sur la place de la petite église, des gosses du primaire se préparent à l’exercice. Les petites filles devisent sagement, assises sur les marches en attendant l’institutrice, tandis que les petits gars ont déjà pour la plupart ôté leurs chemises et se disputent les bâtons d’exercice en plastique.

cienfuegos ecolier torse nu a l exercice

Ils ont la musculature plus molle que les petits des campagnes mais répondent complaisamment à mes questions sur ce qu’ils préparent. Tous, filles comme garçons, se laissent prendre en photo avec des sourires. Ils sont heureux de vivre et de voir du monde, tout simplement. Au sifflet, les enfants s’alignent sur la place. La gymnastique va commencer.

gamins de cuba mains liées

Nous les laissons pour une demi-heure de promenade dans la ville. Les filles que nous croisons ont le teint moins noir, les plantations étaient surtout dans le sud de l’île. Elles dardent les yeux comme les nichons, leurs mollets cambrés dégagent un popotin en croupe de percheron, qui se balance… « La fille » cubaine se pavane sur les trottoirs et sur le pas des portes, tous ses attraits en valeur. Il n’est pas rare que le mâle qui passe en vélo s’arrête et lui fasse un bout de conversation. La fille excite ; elle est pour les grands gabarits, les bien-montés des plantations, les gros Cubes. Mais, si vous émettez le parfum du dollar, ses yeux s’allument aussi. Entre homme et femme, l’apparence compte ; il faut paraître au-dehors mieux que ce que l’on est dedans – vieille recette espagnole. Et qu’importe d’où vient l’enfant si la mise au four s’est faite chaude, à bonne température. Cuba n’est pas prude ni, pour cela, conventionnel. Les tropiques sont la fête des sens.

fille à velo cuba

Hors de la capitale, le pays est resté rural, afro-païen et proche de la nature. Cela nous séduit, nous, citadins des vieux pays judéo-chrétiens où tout ce qui est sens et chair détourne de Dieu. Ce refus du corps, ancré dans notre culture trop vieille, nous rend moins présent au monde que ces filles jeunes ou ces mâles en fleur. Le contact physique est ressenti par notre société comme une agression, la caresse comme un « viol », la requête comme un « harcèlement ». L’odeur grasse du diesel masque chez nous celle des plantes ou de la terre ; les grondements de moteurs, les sonneries des mobiles ou l’autisme des baladeurs sur les oreilles couvrent le chant des oiseaux, l’écoulement de la Seine ou le glissement de la brise dans les feuilles. Chez nous, le Lambda préfère le monde virtuel, aseptisé, qu’il peut accueillir quand il veut et de loin, dans sa bulle. C’est pourquoi le voyage est pour moi une reprise de contact avec le monde, les autres humains et la nature. La fille d’attente du socialisme cubain est un attrait.

fille d attente cuba

Une jeune femme porte son bébé sur les bras. Elle lui a laissé la poitrine nue mais lui a passé un pantalon pour bien montrer à tout le monde qu’il s’agit d’un garçon ! Les enfants ont choyés ici. Passent les filles cambrées à la bouche pulpeuse, portant haut et court vêtues. Elles ont le regard direct, sexuellement révolutionnaire. Ici, se plaire n’est pas toute une affaire. Un tout jeune adolescent s’est vêtu à la mode qu’il perçoit : tout en noir, casquette vissée à l’envers sur le crâne, polo ouvert et chaussures montantes pour imiter les Doc Martins. Il donne le bras à sa mère, guère plus grande à trente-cinq ans que lui à douze, avant de s’asseoir, nonchalant, sur les marches pour admirer et se faire admirer.

ado minet cuba

Sur la place où nous attend le bus, sont garées de vieilles Américaines. Les mécaniques ont pour nom Buick, Ford, Dodge et Chevrolet ; les carrosseries ont de larges sourires chromés et des ailes au derrière comme des voiles de stars. Ce style de véhicules, dans ces rues coloniales, fait partie du charme typique de Cuba. Il est appelé à disparaître lorsque l’histoire rattrapera ce pays, dans quelques années d’ici. Mais il faut avouer que cet anachronisme d’aujourd’hui est plaisant à nos yeux.

cuba vieille américaine

Devant l’église décrépite, un arbre sec montre que la foi ici s’est tarie. Passe un jeune homme poussant un VTT et, justement, une grande croix d’or branle au bout d’une chaîne sur sa poitrine. Il se tient droit, les épaules rejetées en arrière. Il porte les cheveux longs, tenus par une queue de cheval. Ses traits sont indiens et il en joue, pour se différencier. Il a de la prestance, manifeste son identité préhispanique, son opposition au régime athée. La moue de ses lèvres semble provoquer le monde entier et murmurer : moi je suis le descendant des peuples d’origine, les Indiens de l’Amérique qui avaient conquis Cuba bien avant ces rustres européens.

ados delures cuba

Un peu après, un gamin déluré veut nous vendre pour un dollar un billet de un peso où figure la tête du Che. Cette mise à prix a quelque chose de dérisoire. Surtout que le gosse veut échanger un Washington pour un Guevara !

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Grande Muraille et tombeaux des Ming

Nous prenons le petit déjeuner au buffet de l’hôtel, tous un peu ensommeillés. On peut manger du pain et des œufs, mais aussi des algues croquantes pimentées… Exclamations d’horreur de ces dames. Le car nous attend pour la visite prévue aux tombeaux des Ming et à la Grande Muraille.

tombeau des ming allee

Dans le petit matin gris et brumeux de la Chine du nord roulent des vélos en tous sens et des camions fumeux, très lents. Le temps est plus froid qu’hier, il fait –5°. Nous traversons Pékin-vieille, aux trottoirs remarquablement propres comparés aux crottoirs de Paris. Après le gigantesque périphérique en hauteur, Pékin-neuf voit traîner quelques sacs en plastique et papiers dans les buissons au pied des immeubles. Les parkings à vélos sont bien remplis. Parfois, nous croisons la Volga noire d’un apparatchik, cette auto stalinienne de luxe imitant la Cadillac.

La visite guidée nous arrête à dépôt-vente d’objets artisanaux pour touristes. Il s’agit d’exploiter la manne des capitalistes en goguette bourrés d’argent. L’ouverture économique a peut-être fait décliner l’appellation de « camarade » au profit de « Monsieur, Madame, Mademoiselle », mais l’activisme scolaire pour promouvoir la vente est aussi pesant que celui pratiqué autrefois pour « construire la révolution ».

tombeau des ming soldat

Les Tombeaux des Ming sont en pleine campagne. Une allée sacrée y conduit, les animaux et personnages de marbre sont mis en cage pour qu’on ne touche pas : c’est la Voie des Esprits, allée d’honneur du cortège funéraire de l’empereur. Les foules chinoises ont en effet la vulgarité de « toucher » et  salir ; la chiourme veille donc, en utilisant les éternels procédés administratifs : panneaux d’interdiction, barrières, gardiens, amendes… La bureaucratie se réinvente partout à l’identique. Mais les alentours sont soigneusement balayés, comme dans un cantonnement militaire. La discipline socialo-administrative insiste toujours sur ce qui se voit. Les bidasses ont les mêmes réflexes durant leur service. Lettrés, fonctionnaires, militaires comme lions mythiques, xiechi (bête imaginaire), chameaux, éléphants, licornes, chevaux, restaient de marbre en saluant le maître du monde qui s’en allait à sa dernière demeure. Le tombeau du Troisième Ming, Yongle, est original car il s’agit du premier Ming à s’être fait enterrer volontairement dans cette vallée en 1424. Seize concubines royales y ont été brûlées vives pour l’accompagner. Cet empereur Yongle a fondé la Cité Interdite à Pékin.

tombeaux des ming Changling arche

Le terrain est partout quadrillé par des vendeurs de gadgets. Une vendeuse emmitouflée présente à son étal des oranges et de grosses pommes jaunes soigneusement disposées sur des écrins de papier. Son bambin, tout de rouge encapuchonné, montre du doigt cet étranger « long nez » qui photographie.

tombeaux des Ming Changling

Nous visitons néanmoins un bel ensemble de temples en bois et de jardins aux sapins centenaires. Ils ont échappé on ne sait pourquoi aux hordes scatologiques de Mao qui exigeaient faire table rase de tout. Pour construire quoi ? Tous l’ignorent. Détruire est une jouissance en soi pour l’adolescence et tout prétexte religieux (ou idéologique, ce qui est la même chose) est bon. L’atmosphère de ces temples me rappelle celle des temples japonais, en plus grouillant et plus rustique, mais avec ce souci religieux du jardin, ancré plus profond que les croyances mêmes. Ordonner la nature, maîtriser ce qui pousse, arranger les massifs, est une ascèse qui se suffit à elle-même. Comme si l’on s’approchait de Dieu en jouant son rôle de maître et possesseur de la nature. La promenade solitaire, sous les pins de la colline, le long du chemin de ronde qui entoure la butte de la tour, me fut un délice.

grande muraille Badaling

Nous déjeunons à la Grande Muraille. Le restaurant « choisi » (par la visite officielle) est un débit à touristes. La nourriture est quelconque, prise à la baguette, dans tous les sens français de ce mot. La Grande Muraille est le seul monument terrestre visible aujourd’hui depuis la lune. C’est dire son gigantisme. Cette muraille aurait servi, selon les justifications des empereurs, à protéger la Chine des envahisseurs mongols. Elle a été bâtie et complétée régulièrement du 5ème au 16ème siècle. Les historiens penchent aujourd’hui plutôt pour une fonction d’isolement… intérieur ! Il s’agissait d’empêcher les sujets chinois d’aller se perdre dans les étendues mongoles pour échapper au fisc et aux soldats de l’empereur. La Muraille délimitait aussi la ligne de partage entre nomades et sédentaires, entre « désert » et terre « cultivée », entre barbarie et civilisation, le chacun maître de soi et l’État militaire et fiscal. L’empire du Milieu était aussi un empire fermé. Dehors est le chaos, les démons menant une vie errante ; dedans est l’harmonie hiérarchique et patriarcale sous la houlette de l’empereur. La Chine développe l’angoisse du sans limite ; elle est obsédée – comme la France – par le jardin maîtrisé. A-t-elle aujourd’hui changé ? Et nous ?

Sur les remparts, restaurés pour quelques centaines de mètres, le soleil a percé un tantinet la brume. Le vent souffle, il fait froid. La Muraille court sur les crêtes et barre la vallée. Elle monte et descend, épousant le relief de ses larges dalles grises aussi loin que peut porter le regard. Beaucoup de Chinois s’y promènent en ce lundi. Le grand chic est de se photographier l’un l’autre. Ils sont accompagnés d’enfants qui ne sont pas à l’école. Passe un jeune garçon entre son père et sa mère. Ses yeux sombres sont interrogateurs mais il me sourit lorsque je le salue d’un signe de tête. Une chinoise pose pour l’album de souvenirs au côté d’un soldat de bois armé comme en l’an mil. Elle a pris la même attitude martiale que lui, politiquement correcte en Chine, la poitrine paonnante et le menton haut, avec l’inévitable air préoccupé et mortellement « sérieux » de tout bon partisan.

grande muraille

Au bas de la muraille, le commerce bat son plein. J’assiste à des négociations épiques de nappes brodées, arrachées après marchandage comme s’il s’agissait de tapis. Les femmes craquent devant les motifs de fleurs et les prix. On rit. Les chinoises, prises par l’avidité du commerce s’excitent et deviennent convaincantes. Elles ont l’anglais roublard. Quelle idéologie peut-elle être aussi efficace que l’intérêt personnel ? Le fanatisme de secte ?

Nous remontons dans le car pour rentrer à Pékin. La route, monotone, nous fait somnoler par à-coups. Et c’est l’inévitable arrêt, sur le chemin, pour visiter une fabrique de vases en bronze au décor cloisonné. L’artisanat est purement manuel dans des locaux collectifs. Des compartiments de cuivre sont collés sur la surface du vase. Ils reproduisent un motif qu’un second atelier est chargé de remplir d’émail de couleur, en dégradant les teintes là où il le faut. La chaîne se poursuit par un passage au four. Le vase est ensuite poli. Une grande salle de présentation sert à la vente directe. Elle est emplie de vases, de boites, de plats, jusqu’à des baguettes pour dîner et des stylos dans le même style ! Je trouve ce décor cloisonné plutôt chargé, et la forme des objets chinois tarabiscotée. Mais certains tons, en harmonies de verts et de bleus me séduisent, des décors de fleurs sur fond noir aussi.

Nous revenons à l’hôtel vers 19h après une rude journée. Cette fois, pas question de goûter au buffet officiel, insipide et au service peu aimable. Nous allons non loin de là, dans un restaurant conseillé par le guide de Pékin que j’ai emporté, au Donglaishun. Cet endroit est réputé pour sa « fondue mongole ». Il s’agit de carpaccio de mouton, accompagné de chou cru, que l’on plonge à cuire dans l’eau qui bout sur le brasero au centre de la table. On mange viande et légumes assaisonné d’une sauce au sésame et à la coriandre fraîche. Un ami se régale, sa femme et ses belles-sœurs sont moins friandes de ce mouton qui sent fort et dont il faut enlever le gras. L’endroit, en tout cas, est original. J’avais entendu des gens, dans le car, en parler ce matin. Nous prenons ailleurs le dessert – car les Occidentaux ne peuvent se passer de sucré en fin de repas. Nous allons nous installer au bar à thé de l’hôtel pour prendre une linzertart – bien occidentale – après avoir sacrifié au rituel du léchage consciencieux des vitrines chic d’artisanat du hall. Elles regorgent de sceaux de jade, de boites en porcelaine, de bols en bois, de statuettes. Il y a de belles choses, mais il est nécessaire d’examiner ce qu’il y a ailleurs avant de se décider.

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