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Daphné du Maurier, Ma cousine Rachel

Pour Philip Ashley, orphelin trop jeune, son cousin Ambroise est tout ensemble un tuteur, un père, un frère, un conseiller. En fait, tout son univers. Lorsque le gamin a 7 ans et qu’il passe devant un gibet – car dans l’ancien temps, on pendait encore les gens au carrefour – le cousin tuteur lui dit à l’enfant : « Sache ce qu’un moment de folie peut faire d’un homme ». C’est le début du livre, et ce sera la conclusion. Philip a désormais 24 ans ; il a été pris sous son aile par le fils du frère de son père, qui avait 22 ans à la mort successive de ses deux parents.

Le roman déroule l’initiation au monde adulte d’un jeune imbécile particulièrement niais. « Nous étions tous deux des rêveurs, dit-il, sans esprit pratique, réservés, pleins de grandes théories. Et, comme tous les rêveurs, aveugles au monde éveillé. Nous étions misanthropes et avides d’affection. Notre timidité imposa silence à nos élans jusqu’au moment où notre cœur fut touché. » Tout est dit. Ambroise, a 47 ans, s’entiche d’une lointaine cousine qu’il a rencontrée en Italie, pays chaud conseillé par son médecin pour se soigner. Rachel est demi-italienne et a déjà été mariée à 17 ans avec un comte riche, Sangalletti, qui est mort. Quelques mois après son mariage, Ambroise décède lui aussi à Florence d’une mystérieuse maladie que l’on croit héréditaire – peut-être une tumeur que son père avait eu avant lui et son grand-père aussi – ou peut-être d’empoisonnement comme lui même le croit et l’écrit avant de passer. Mais la tumeur au cerveau peut faire délirer et rendre paranoïaque. Dans ce « mais » réside toute l’ambiguïté voulue par l’autrice.

Dans sa dernière lettre, il appelle Philip au secours et le jeune homme de 24 ans fait le voyage. Il arrive trop tard, Ambroise est mort et enterré au cimetière protestant de Florence, et Rachel est partie. Quand la cousine rejoint soudain l’Angleterre, c’est la confusion des sentiments ; la haine et le désir cohabitent. Philip au début ne veut pas la voir, prévenu contre elle par la correspondance, puis décide par honnêteté de l’inviter à venir visiter le domaine dont Ambroise, son ex-mari, lui a beaucoup parlé. Ambroise avait rédigé un testament, qu’il n’avait finalement pas signé, léguant ses biens à Rachel, sauf l’administration du domaine à Philip, avec rétrocession à ce dernier de la fortune à la mort de Rachel. Philip se dit que la cousine a des droits comme ex-épouse, et veut réparer le manque de son papa-cousin.

Il s’attache progressivement à Rachel, qui est pour lui une mère de substitution en même temps que, confusément, une amante possible. Il n’a jamais connu l’amour, pas même au collège ou à l’université, déserts qu’il a traversés sous l’égide du seul amour filial pour l’homme qui l’élevait. Il est donc nu et démuni face aux femmes ; soit il les considère comme des camarades négligeables, comme Louise, soit comme des madones à honorer, comme Rachel. Il est jaloux de tous ceux qui tournent autour d’elle, reprenant l’épouse de son cousin comme un bien de famille. Il découvre leur manipulation, leur séduction, leurs façons d’être : « Voilà un trait exaspérant des femmes : toujours le dernier mot (…) Une femme n’était jamais dans son tort, eût-on dit. Ou, si elle l’était, elle tournait les choses à son davantage, la faisant paraître sous un autre jour » (chap.14) – et c’est une femme, Daphné du Maurier, qui l’écrit. Une belle vérité.

Mais Rachel est vénale, elle a vécu une enfance dans la misère, dans un milieu où le sexe était une arme de séduction pour appâter les gens riches. De quoi pomper leur fortune avant de les faire disparaître. Mais l’ambiguïté demeure. Sont-ils morts de mort naturelle ? Personne ne le sait. Lorsqu’elle vient en Cornouailles, Rachel se sert-elle de Philip son cousin ? L’auteur laisse l’équivoque. L’Italie n’est pas l’Angleterre, et le tempérament florentin volontiers machiavélique de nature n’est pas le tempérament de rigueur protestante. Elle est charmeuse et n’en pousse pas moins ses pions, au lieu d’aller droit dans la rectitude morale requise par les convenances anglaises. Certes, elle profite de la naïveté du jeune homme pour lui soutirer de l’argent sans le demander expressément, mais elle semble avoir un attachement pour lui dans ses lettres à son ami italien Ranieri, son conseiller financier et ami florentin. Elle fait en sorte que Philip perde la tête pour elle et dans un élan d’exubérance hormonale lui lègue ses biens comme son cousin Ambroise aurait voulu, le jour de ses 25 ans, majorité qui l’émancipe de son tuteur. « Nous nous tenions étroitement enlacés et elle semblait avoir attrapé ma folie, elle semblait partager mon ivresse, nous étions entraînés tous deux dans un torrent de fantaisie insensée » (chap.21). Elle semblait… le lendemain, rien ne va plus.

Dès lors Rachel change radicalement d’attitude à son égard ; elle se fait plus froide, plus distante, engage une gouvernante pour éloigner les assiduités du jeune homme, fait de nombreux voyages à la ville pour transférer de l’argent en Italie, puisqu’elle est désormais maître de la fortune, sauf du domaine. Philip le sait mais ne veut pas le voir, Philip a lu les lettres de son cousin et mentor, mais ne veut pas les croire. Il est dans le déni, avec cette obstination du jeune homme qui se rebelle contre la réalité de la trahison. Il est bête, il ne s’en apercevra que trop tard. Son amie Louise, la fille de son tuteur Kendall, d’un an plus jeune que lui a beau le mettre en garde et lui expliquer les manœuvres de Rachel, une femme comme elle, Philip, ne veut rien écouter, ne veut rien savoir. Il va jusqu’au bout de son destin tragique, délaissant celui tout tracé d’épouser Louise, à qui il est destiné depuis l’enfance selon l’opinion du village. Il découvre la complexité morale… Qu’est la foi sans le doute ? Qu’est l’amour sans la sincérité ?

Le jeune homme va tomber brusquement malade après son anniversaire des 25 ans – soi-disant pour avoir nagé nu dans la mer glaciale de Cornouailles à la fin mars. Rachel le soigne avec dévouement, Janus à deux faces, successivement froide et séduisante, généreuse et avide, en fait insaisissable. Le docteur déclare que ce fut une méningite. Mais Philip reste attaché à Rachel et ne veut pas qu’elle parte à Florence, où elle veut retourner, fortune faite. Elle va donc tenter de l’empoisonner avec des graines de cytise dans sa tisane du soir, une plante qu’elle a introduite dans le domaine en rénovant les jardins, sa passion. Dans le langage des fleurs, le cytise symbolise la dissimulation. Elle en avait dans sa villa de Florence, Philip les a vues. Le jardin sous le soleil est à la fois beauté et danger, les fleurs exquises donnent des graines de poison – tout à l’image de la cousine Rachel. Philip va en trouver des graines dans une enveloppe d’un tiroir fermé à clé dans son boudoir. Il finira par comprendre – enfin. Rachel ne lui veut pas que du bien. Son amour pour elle n’est qu’une exaltation des sens, sans réciproque. Il va donc laisser faire le destin – et Rachel sera morte. C’est de sa faute, il le sait, Louise le sait. C’est pourquoi Le roman fait retour au gibet, bien que l’on ne pende plus au carrefour.

Commencé comme une romance gothique pleine d’ambiguïté, il se termine en thriller d’une grande richesse psychologique où le doute subsiste ; superbement conté, il montre l’évolution d’un jeune homme mal dégrossi dans les relations humaines ; il donne à voir l’attachement d’un enfant adopté pour son tuteur et l’amour profond qui les unit, au point de déterminer l’enchaînement des faits ; il met en scène la manipulation féminine par la séduction, en un temps où la femme n’a aucun droit et dépend en tout de son mari. J’ai bien aimé.

Un film, Ma cousine Rachel de Henry Koster, est sorti en 1952 avec Olivia de Havilland et Richard Burton.

Une série TV de la BBC de Brian Farnham est sortie en 1983, avec Geraldine Chaplin et Christopher Guard.

Daphné du Maurier, Ma cousine Rachel (My Cousin Rachel), 1951, Livre de poche 2002, 384 pages, €8,90, e-book Kindle €8,49

DVD Ma cousine Rachel, Henry Koster, 1952, avec Audrey Dalton, George Dolenz, Olivia de Havilland, Richard Burton, Ronald Squire, ESC films 2015, anglais sous-titré français, 1h34, €12,90

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Le savoir n’est pas l’éducation dit Montaigne

Le chapitre XXV de son Premier livre des Essais traite de l’art d’enseigner. En ce temps-là, on l’appelait « pédantisme » – et le mot est resté, bien péjoratif mais pas faux pour autant. Il faut en effet distinguer les têtes bien faites des têtes bien pleines, dira Rabelais sur l’exemple de Montaigne, ceux qui apprennent la vie de ceux qui apprennent les livres.

Ce n’est pas nouveau et sévit depuis que le savoir existe. Déjà « Plutarque dit que Grec et écolier étaient mots de reproche entre les Romains et de mépris ». Dès lors, pourquoi ? « Je dirais volontiers que, comme les plantes s’étouffent de trop d’eau, et les lampes de trop d’huile ; aussi l’action de l’esprit par trop d’étude et de matière, lequel, saisi et embarrassé d’une grande diversité de choses, perde le moyen de se démêler », répond Montaigne. A trop ingurgiter, on régurgite au lieu de bien digérer. Gaver l’enfant ne fait pas de lui un savant qui sait mais un pédant qui récite. La manie du « par cœur » de l’avant-68 n’était qu’une ânerie et dressait plus des singes savants que de mûrs esprits. Aujourd’hui encore, la sélection par les maths – et uniquement par les maths – (dé)forme des élèves qui ne font que tout calculer et croire que tout est calculable au lieu de se demander – par eux-mêmes – si cette approche est juste et adaptée à la situation.

Si « notre âme s’élargit d’autant plus qu’elle se remplit », rétorque quand même Montaigne pour ne pas encourager l’ignorance à la mode « bon » sauvage (prônée notamment par les suites de Mai-68), le savoir doit être adapté pour qu’il serve, et non récité pour se faire valoir. Il doit donc être assimilé, transformé, afin que ce qu’apprennent les philosophes et les savants devienne ce que l’on sait soi-même, et comment s’en servir. Car penser par soi-même est le but de toute éducation. Le pédant perroquette, l’adulte réussi raisonne et utilise.

Car les vrais savants selon Montaigne, à l’exemple des Antiques, sont ceux qui « comme ils étaient grands en science, ils étaient encore plus grands en toute action ». Ainsi d’Archimède qui mit son savoir au service de la défense de son pays par des miroirs aptes à brûler les voiles des vaisseaux. Les savants n’aiment pas gouverner car ils voient trop d’incapables demeurer au pouvoir, ainsi Héraclite et Empédocle.

La science n’est rien sans le jugement ni la vertu. Montaigne réclame une éducation de l’être tout entier plutôt que le simple enseignement des savoirs. « Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons l’entendement et la conscience vides ». Ainsi voit-on des antivax suivre n’importe quel gourou qui affirme n’importe quoi plutôt que de juger par leur bon sens propre des informations fournies par des sources fiables. Les demi-savants sont pire que les ignorants car ils croient savoir alors qu’ils ne savent rien. « Ainsi nos pédants vont pillotant la science dans les livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement et la mettre au vent », dit Montaigne. On pourrait croire qu’il parle d’Internet car c’est exactement ce qui s’y passe.

Le pillotage (du verbe piller, joliment décliné par notre Périgourdin) n’est pas une connaissance mais un patchwork de soi-disant « preuves » apportées uniquement pour conforter l’opinion préalable de celui qui les cite. Les manipulateurs d’opinion sont passés maître en cet art du storytelling. Zemmour crée la « belle histoire » en réécrivant à son idée celle de la France, tout comme le parti communiste chinois sous Xi Jinping et les nomenklaturistes des Organes l’histoire russo-soviétique sous Poutine. Cette fausse science, « passe de main en main, pour cette seule fin d’en faire parade, d’en entretenir autrui, et d’en faire des contes, comme une vaine monnaie inutile à tout autre usage », analyse Montaigne comme s’il parlait d’aujourd’hui.

« Quand bien nous pourrions être savants du savoir d’autrui, au moins sages ne pouvons-nous être que de notre propre sagesse », dit le philosophe. Denys le Grec se moquait « des musiciens qui accordent leurs flûtes et n’accordent pas leurs mœurs », renchérit Montaigne. Le savoir doit teindre l’âme en apprenant à dompter les pulsions, maîtriser les affects et exercer ses facultés de raisonnement – sinon, à quoi sert-il ? Le but est de faire un adulte accompli et un être épanoui, pas un rouage de la machine ni un robot parlant. « Si notre âme n’en va un meilleur branle, si nous n’en avons le jugement plus sain, j’aimerais aussi cher que mon écolier eût passé le temps à jouer à la paume ; au moins le corps en serait plus allègre ». Ce pourquoi les meilleurs enseignements ont toujours associé le corps, le cœur et l’esprit, que ce soit dans les collèges anglais ou chez les Jésuites français par exemple. « On nous instruit non pour la vie mais pour l’école », persifflait Sénèque cité en latin par Montaigne. Le savoir est un instrument qui doit servir selon la vertu et le caractère, pas un maquillage qui cache le vide. « Quel dommage, si elles ne nous apprennent ni à bien penser, ni à bien faire » !

De son temps, Montaigne critique la noblesse, qui n’éprouve pas le besoin de connaître mais seulement celui de commander. Au rebours, « il ne reste que plus ordinairement, pour s’engager tout à fait à l’étude, que les gens de basse fortune qui y quêtent les moyens à vivre ». Il en est ainsi de nombre de nos fils et filles de famille qui s’en remettent à leur « classe » plutôt que d’étudier pour se former. Mais ont-ils eu de leurs parents le bon exemple ? « Et de ces gens-là les âmes, étant et par nature et par domestique institution et exemple du plus bas aloi, rapportent faussement le fruit de la science. Car elle n’est pas pour donner jour à l’âme qui n’en a point, ni pour faire voir un aveugle ; son métier est, non de lui fournir de vue, mais de la lui dresser, de lui régler ses allures pourvu qu’elle ait de soi les pieds et les jambes droites et capables » (Montaigne accorde l’adjectif au dernier genre, le masculin ne l’emporte pas encore). A chacun selon ses capacités, « les boiteux sont mal propres aux exercices du corps ; et aux exercices de l’esprit les âmes boiteuses ».

C’est sévère, tout le monde il est pas beau ni gentil, mais juste. « Elever » un enfant, c’est lui faire acquérir du caractère et de la vertu, en plus du savoir. Rien sans l’autre ne vaut. Les Perses, selon Xénophon, apprenaient aux enfants royaux la vertu avant toute chose, puis le cheval et la chasse, les exercices du corps pour qu’ils soient « beaux et sains », enfin à 14 ans les quatre éducateurs : « le plus sage, le plus juste, le plus tempérant, le plus vaillant de la nation ». Rien ne vaut le jugement propre et l’expérience, le vrai savoir ne s’acquiert qu’ainsi – et non pas en apprenant les livres.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50  

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00  

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Georges Duhamel, Les plaisirs et les jeux

Georges Duhamel a été médecin durant la « grande » guerre (la guerre la plus con). Lorsque lui naissent deux fils, en 1917 et 1919, il redécouvre le monde. L’humain avec l’épanouissement de l’enfant, l’extérieur avec l’émerveillement de l’enfance. Cet essai qui relate les années 1917 à 1922 fait le récit de la paternité à la Maison Blanche, à Valmondois en Val-d’Oise dans la vallée du Sausseron, et dans l’appartement parisien de la rue Vauquelin dans le 5ème arrondissement, proche du Val de Grâce et du jardin du Luxembourg (que les petits appellent Lustembourg). La maison des champs, emplie de fils et de cousins et cousines est « une usine à gosses » comme le dit Barnabé, nom standard donné à l’adulte sans enfant qui commente et fournit des conseils théoriques. A l’inverse, « Presque tout ce que je sais de mes petits hommes, je l’ai saisi au vol, je l’ai obtenu par surprise », avoue l’auteur.

L’aîné, Bernard dit le Cuib a 5 ans lorsque l’essai s’arrête ; il devient petit garçon et une autre période commence. Jean dit Zazou ou le Tioup, de deux ans plus jeune, reste en prime enfance mais avec l’exemple de son frère aîné qui se sent déjà responsable de lui et de ses bêtises. Tous deux découvrent le monde et c’est émouvant de constater combien ils sont curieux et avides de connaître ; il découvrent la vie et les autres, à commencer par les parents puis les cousins et c’est passionnant de constater combien ils sont sociaux dès qu’ils se sentent protégés ; ils découvrent le langage, testent les mots qu’ils ont piqués au vol d’une conversation entre adultes et les testent et c’est captivant de constater combien ils apprennent vite, seuls et bien en imitant et interagissant.

« Enfants, enfants, je vais mettre en réserve, pour vous, de menus joyaux dont vous ne voudrez peut-être pas », écrit le père enamouré de ses premiers petits (un troisième suivra, hors cet essai, le compositeur de musique de films Antoine Duhamel, né en 1925). Il les regarde en « témoin passionné » et son enthousiasme se communique au lecteur, un siècle après. Est-ce si difficile d’élever un enfant ?

Non pas ! Contrairement à Rousseau qui a formalisé en chambre, croyant l’enfant page blanche sur lequel planter à partir de rien un jardin moral et intellectuel à la française, le petit d’homme se fait tout seul. Il se construit naturellement par observation, imitation et échanges. La clé est de l’aimer et de rester soi – rien de plus. L’aimer pour lui prêter attention et sécurité, seule façon pour lui de s’ouvrir au monde et à l’aventure de vivre ; rester soi pour transmettre une éducation à la vie en société, des mœurs communes, un savoir particulier – mais surtout une attitude devant l’existence. Rousseau n’en savait rien, lui qui a mis tous ceux qu’il avait engrossé en Thérèse à l’assistance publique… « Je les regarde, je les écoute, je les aime », dit Duhamel, plus philosophe que le misanthrope de Genève. Et de citer sa mère, « l’humble sagesse de maman Ma » qui « tient en huit mots : « Avec les enfants, on fait comme on peut ».

Il y a bien sûr les « mots d’enfant », les alimaux, le tortilleur à torpilles, le tillol en tisane, les nayaux de cerise, la peur de fondre dans la rivière s’il se baigne, la musique du soir (passée sur le phono) différente de la musique du cirque (entendue à Medrano), le tapin pour le sapin (ce qui est d’un poète). Mais surtout le miracle du regard d’enfant, grave, sur le monde, le miracle des premiers pas en équilibre précaire, la voix enjôleuse pour demander à papa, la découverte du temps par l’espace, en comptant sur ses doigts (y compris les orteils), l’âge des « pourquoi » répétés à l’infini, pour rien, pour savoir, la brutalité soudaine envers le cousin ou l’animal, la générosité spontanée de donner son jouet préféré. Et le silence enfin au calme quand les enfants sont « réduits » – au lit.

« Je ne sais ce que le temps leur réserve ; je ne peux même pas prévoir ce que ces petites créatures me réservent à moi-même ; pourtant, à les contempler, je me sens jeune, de nouveau et, de nouveau, plein de confiance et d’opiniâtreté. Tout me redevient évident, possible ». Ce sera une autre guerre à leurs 20 ans, en 40, mais qui pouvait savoir ? Et à sans cesse craindre, nul ne ferait jamais rien. Un livre de parent, un livre dédié aux enfants.

Georges Duhamel, Les plaisirs et les jeux, 1922, Le livre moderne illustré par Paul-Jacob Hians, J. Ferenczi & Fils, Paris 1947, 125 pages, occasion €9.00

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