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Retour à Oulan Bator

La chef nous l’a répété trois fois sans, à cette occasion, se demander au milieu de sa phrase ce qu’elle voulait dire : aujourd’hui est son anniversaire. Silence poli ; je ne crois pas qu’elle puisse s’attendre de notre part à un cadeau ; elle n’a été ni assez aimable, ni assez efficace pour cela. D’ailleurs, certains soupçonnent qu’elle fait le coup de la date d’anniversaire à chaque groupe pour grappiller quelques sous de plus.

Nous la quitterons sans regret, sauf Cruella et celui que l’une d’entre nous s’est mise à appeler depuis peu « Bijou ». Cette référence aux caniches du 16ème arrondissement est bien peu charitable à cette pauvre race de compagnie, pour désigner Francis. Pourtant, ce matin, l’horaire est respecté. Il faut dire que la bien-en-cour Cruella a son avion dans la soirée ! Les autres ont une folle envie de faire à nouveau des courses à Oulan Bator et nul branché ne traîne plus.

La conversation, dans la voiture, porte sur les Maldives, la plongée et – encore et toujours Francis. « Pourquoi avoir donné un prénom pareil à quelqu’un qui zozote ? », se demande ingénument l’une d’entre nous, effectivement, devoir dire « ve m’appelle Franfif, fé pas de fanfe ! ». Je ne participe pas vraiment à ces bribes de conversations car le bruit du moteur soviétique nous empêche de nous entendre d’une rangée de sièges à une autre et je n’ai pas le goût d’accabler un peu plus le bouc émissaire. Un autre me parle des militaires et de sa vocation. Il veut « servir sa patrie » même si cela a été peu à la mode ces dernières années. Depuis que le contingent n’est plus appelé, le métier s’est spécialisé et est devenu plus technique.

Nous pique-niquons de bentos mongols au sempiternel mouton et riz. Le paysage de la steppe s’étale autour de nous dans toute sa vastitude. Biture, dégrisée ce matin, récapitule pour ceux qui souhaitent le noter sur une carte en vente à la capitale (qu’elle se charge d’acheter car « vous ne la trouverez pas » – mais son prix sera le sien) les noms des lieux où nous sommes passés. Nous bataillons avec les voyelles phonétiques qu’il faut doubler ou écrire avec des trémas pour qu’elles se prononcent autrement qu’en français.

Poussière et vent nous dessèchent. L’arrivée à Oulan Bator est un retour au pire de la modernité inachevée : ordures, mauvaises odeurs, usines brutes, pollution, échappements, embouteillage, bruits. Le pire du socialisme industriel peu soucieux – malgré l’idéal affiché – de « réconcilier l’homme avec sa nature ». Sauf à considérer l’homme comme une brute prédatrice et obtuse, ce que nombre de communistes ayant réussi étaient sûrement.

Le nomade des steppes ne doit pas s’y retrouver : d’un mode de vie ancestral, il s’est trouvé plongé dans le soviétisme 19ème siècle et, en quelques années, dans la nouvelle modernité de la concurrence sauvage où, après copinages, privatisations et corruption, les scandaleusement riches côtoient les scandaleusement pauvres. L’acculturation n’en est que plus féroce. Les nomades sont attirés par les instruments du progrès : moto, auto, stéréo, télévision, mobiles. Biture le regrette comme si elle voulait les figer indéfiniment dans un mode de vie archaïque. Pourquoi l’empêcherait-on ? Chacun ne doit-il pas pouvoir choisir sa vie ? Mais je reconnais qu’il faudra bien une ou deux générations pour que cette modernité brutale soit digérée et adaptée à la sauce mongole. Nos grands-parents n’avaient-ils pas gardés des réflexes de paysans, bien que vivant et travaillant à la ville ?

Pas de cabines téléphoniques ici, peu de portables, mais des femmes-téléphones qui, dans la rue, portent dans les bras un gros appareil blanc et antédiluvien muni d’une antenne. Pour quelques tugriks on peut téléphoner dans la ville en mongol. Val note que les voitures vues dans la rue sont surtout coréennes, quelques-unes japonaises, d’autres, plus rares, allemandes. Anne-Sophie observe que la jeunesse se pare plus qu’en Occident. Les filles portent de jolies robes à froufrou ou ces shorts en jean ultra-courts des publicités pour les sites roses. Les garçons ont les cheveux peroxydés et arborent des débardeurs moulants qui font ressortir leur teint de bronze et leurs muscles imberbes.

La majorité du groupe est déposée devant « le » Grand magasin de la capitale, héritage de l’unique magazin de l’ère soviétique. Une boutique de laine cashmere s’élève tout près, trustée par les marchands chinois, la Poste centrale s’élève un peu plus loin.

Nous sommes quelques-uns à rallier directement l’hôtel Bayangol, certains pour ranger leurs affaires et prendre une douche avant de ressortir pour aller à pied dans les magasins, moi pour prendre un long bain, pour écrire et pour lire.

Le dîner est prévu vers 20h dans une yourte en pleine ville aux dimensions d’un cirque. Trois plats fort copieux alourdissent notre estomac, déshabitués de telles mangeailles. La salade variée est fraîche à nos dents, le canard accompagné de purée aurait pu clore le festin mais ne voilà-t-il pas qu’arrive encore le fameux mouton mongol cuit aux pierres chaudes ? La viande est absolument délicieuse, un tantinet plus sèche que celle des chauffeurs mais très goûteuse. Hélas, nous n’avons pas l’habitude de ces dîners pantagruéliques de paysans privés.

Durant le repas a lieu un concert à la vielle à tête de cheval, cithare à 14 cordes et yataga. Les mélopées de la steppe sont toujours aussi prenantes et le chant du Gobi aussi sautillant et nostalgique. La contorsionniste s’est entièrement vêtue d’une combinaison synthétique qui imite la peau d’un serpent et elle se tord en équilibre avec, parfois, un sourire inquiétant. Le prestataire et sa femme dînent avec nous.

Le camp est tôt levé. Biture en a marre de son septième groupe de la saison et elle aspire aux trois jours de battement qu’elle va pouvoir savourer avant le huitième groupe, la semaine prochaine. Comme un calligraphe en écriture mongole se propose d’écrire votre nom au pinceau pour une vingtaine de dollars, cela retarde le départ des voitures pour l’hôtel, tous les amateurs de « souvenirs » voulant au dernier moment faire comme les autres. Cette écriture est curieusement tournée de haut en bas, venue de l’ouïgour dérivé de l’araméen. C’est Gengis khan qui l’a imposée en 1210. Elle est délaissée au profit de l’alphabet cyrillique depuis 1941, plus pratique et plus politique pour contrer les Chinois trop proches qui réenvahissent insidieusement le pays.

F  I  N

du périple en Mongolie

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Oulan Bator visite

Nous allons ensuite visiter sous le soleil le temple Choijin Lama, érigé par maître Ombo, un Bonnet Rouge, en 1904. Dans le temple principal sont conservées deux momies des « Chuchen lamas ». Des dépouilles animales et humaines (imitation) pendent aux murs au-dessus des fidèles. Tout cela est destiné à faire peur et à inciter les gens à réfléchir au mal. Les bols faits de crânes humains et les flûtes en tibia servent aux moines à apprivoiser la mort en réduisant les restes du corps au rang d’objets utilitaires dénués de toute charge émotionnelle. Un sanctuaire figure Bouddha entouré de ses disciples et de ses 16 élèves célèbres.

Un certain Hva san était roi d’un territoire chinois en même temps qu’élève du Maître. Il était réputé lapiner et est représenté avec huit enfants dans les bras ou grimpant sur ses épaules et ses genoux. Voilà un être compatissant pour la vie qui grouille et se développe. Qu’en a-t-il été à l’adolescence de tous ces petits ? Des rivalités, des querelles, des déchirements pour l’héritage ? « La vie » n’est pas toute de merveille et son caractère sacré ne lui ôte nullement ses travers. Seule l’éducation et la discipline permette de l’apprivoiser et d’en faire une œuvre digne de l’homme – tel est peut-être le message du Bouddhisme. Mettre au monde et élever comme des agneaux tant d’enfants ne se conçoit que si l’on en fait des hommes, c’est-à-dire que l’on ne se contente pas de les nourrir et de les caresser mais aussi de leur enseigner le comportement juste et un savoir étendu, façonnant leur caractère par l’exemple et la contrainte. L’enfant n’est ni ange ni page blanche, tout gracieux qu’il soit à l’état naturel. Le but de l’éducation est de révéler ce qu’il a de meilleur en lui, de plus digne de la conception que la société se fait de l’homme.

Le palais Bogd Khan est le palais d’hiver. Construit entre 1893 et 1903, il est défendu symboliquement par les quatre Gardiens terribles. Le plus virulent a la chair bleue « parce qu’il a bu trop de vodka » selon le commentaire passablement acide de Solongo. Mais le bleu porte bonheur dans l’univers bouddhique car il est la couleur du ciel. Les thangkas du palais sont « de style mongol ». On distingue ce style des autres par ses couleurs crues et naïves, les nomades, peu confrontés à la presse des cités, n’étant pas habitués à aimer les nuances.

Dans la symbolique bouddhique, le bleu est le ciel et signifie « vérité éternelle », le rouge est « bonheur et ténacité », le jaune « vie toujours renaissante » comme le soleil, le blanc « bonté, humanité et bienfaisance » et le vert « croissance et fertilité ». Vingt-quatre femmes étaient au service du Khan pour lui broder ces thangkas au temps béni de l’ancien régime.

Aujourd’hui, fini l’artisanat. L’industrie à touristes prend son essor, alimentant les boutiques de chaque « musée » de souvenirs comme à Lourdes ou chez Mickey, réalisés à la chaîne aux Indes ou en Chine. L’argent se gagne à coup de règlements sur les visites des « monuments » (récents ou rebâtis depuis 10 ans) et surtout sur le droit de prendre des photos. Quant aux boutiques, qui devraient être l’essentiel du commerce à destination touristique, elles alignent l’artisanal et l’industriel en vrac, sans présentation ni ventes annexes.

Zanabazar reste « le » sculpteur mongol et sa Tara verte, dont une statue trône dans une salle du palais, serait, selon le guide, son idéal féminin de la « dame de quarante ans ». Ménopausée, elle n’aurait plus ce handicap de porter régulièrement des enfants et pourrait se consacrer pleinement à la sagesse épanouie, au plaisir et à l’entretien de son corps, selon les trois étages de l’humain. Ce n’est pas si mal vu et le résultat en bronze est aguichant. On reconnaît l’âge à la fleur de lotus ouverte sur son épaule ; à l’inverse, la femme de 16 ans (que pour ma part je préfère) n’est pas encore spirituellement mûre car elle ne porte qu’une fleur en bouton.

Dans le bâtiment-musée qui conserve les vieux objets d’ancien régime, le nombre de coussins sur les fauteuils marque le rang de chaque dignitaire. En général de quatre à six, la Reine, telle la princesse au petit pois d’Andersen, en supportait 24. Il ne fallait pas que son auguste cul sentît la dureté du bois du siège. De même pour son royal corps de chair : une couronne en « black fox » selon l’étiquette (renard noir) couvrait son front, et un manteau de « sable’s skin » (fourrure de zibeline) ses épaules. Une yourte royale, composée de 150 peaux de léopard est élevée au rez-de-chaussée. Elle date de 1893, cadeau au Huitième Bogden Gegen Jivzundamba.

Nous terminons les visites par le Tzaisan, la colline soviétique.

C’est un monument aux combattants, une masse de béton kitsch aux mosaïques sérieuses et populaires, glorifiant la libération du nazisme par les vaillants soldats portant les lettres CCCP sur le casque. Le nazisme, si loin de Berlin et même de la Russie ?

Une plantureuse blonde se jette dans les bras d’un vainqueur aux sourcils froncés tandis qu’un petit blond qui pleure est consolé par un Prolétaire. Cette touchante réécriture de l’histoire concerne si peu la Mongolie que le monument sert de colline de jeu aux enfants et de but d’excursion aux familles citadines.

Montent de petits garçons vifs et minces, la peau tannée par un soleil qui sait se faire ardent et le vent qui souffle assez fort en cette fin d’après-midi, se coulant depuis la montagne dans la petite vallée surchauffée.

Un gamin a ôté son tee-shirt pour grimper plus à l’aise, petit mâle vigoureux qui veut en remontrer à ses sœurs et à son tout petit frère. Beaucoup de bébés montent sur les épaules de leurs parents. Les enfants, en Mongolie, paraissent bienvenus et choyés.

Près d’un million de Mongols vivent désormais dans la capitale, sur 2,7 millions dans tout le pays. L’exode rural a été intense après la chute du communisme, mais les années de sécheresse 2000 et 2001 et le chômage ont renvoyé dans les steppes une partie des ex-éleveurs malgré les quelques 6 millions de bêtes mortes de soif durant ces années néfastes. Il reste que la sédentarisation et l’urbanisation avancent avec l’ouverture au reste du monde, ici comme ailleurs, et qu’il faut bien trouver des distractions à ceux qui vivent et travaillent en ville. Mais l’on doit constater que l’esprit critique n’est pas plus développé ici que le sens du commerce.

Le dîner a lieu dans l’autre tour de l’hôtel. Le restaurant a été nommé « Aux Enfants de l’Arbat » en référence au roman du Russe Anatoly Rybakov, publié durant la perestroïka. Nous sont servis un œuf au œufs de lump, un morceau de poisson pané aux riz et pommes de terre (mariage de la Russie éternelle avec la Chine non moins éternelle), et une coupe de glace qui ne parait pas avoir trop souffert des coupures épisodiques de courant à Oulan Bator.

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Musée des Beaux-Arts d’Oulan Bator

Le musée des Beaux-Arts a été créé à l’époque soviétique où toute ville digne de ce nom se devait d’en avoir les accessoires indispensables : maison du Peuple, place aux défilés, théâtre, hôpital, stade et musée. Ce dernier date de 1966 et célèbre, dans la succession de ses salles, le Progrès social. Tout commence par une peinture rupestre attribuée aux Mongols d’il y a 40 000 ans, s’il en était. Ils vivaient alors dans la grotte appelée aujourd’hui Gurvan Thenker. Nous sautons aussitôt aux bronzes du 3ème siècle, pointes de flèches et poignards. Ces pointes de flèche sont toutes différentes pour un usage à chaque fois différent : certaines sont un sifflet d’alarme, d’autres rondes pour assommer, à petites pointes pour mieux percer, tripointes pour gros gibier, à feuille pour pénétrer plus profond. Tout l’art du prédateur se trouve complaisamment inscrit dans une vitrine. Des bouquetins sont sculptés sur une stèle, la pierre personnelle d’un mort de certain rang. Le style se fait « turc » en raison de la Route de la Soie et des influences qu’elle amène. Nous avons sauté les siècles pour entrer dans le chamanisme des 6ème et 7ème siècles de notre ère. Une peinture du 9ème siècle, un masque, la décoration 13ème siècle d’un palais en céramique polychrome.

Nous sautons l’arrivée du Bouddhisme pour entrer de plain-pied dans la salle des sculptures du Grand Sculpteur Zanabazar, gloire nationale. Né en 1635, mort en 1724, ce petit-fils du khan Avtaï, converti au bouddhisme par le Troisième Dalaï Lama, a été formé au Tibet aux études religieuses étant enfant. Le nom de Zanabazar, en sanscrit, signifierait « éclair de savoir ». La légende veut que ses premières paroles, à l’âge de trois ans, fussent pour réciter une invocation bouddhiste. Il est devenu khan-moine, « Bogdo Gegen » selon la dénomination officielle, et sculpteur. Les torses de ses statues mâles sont toujours triangulaires, plats avec des épaules marquées et des mamelons en bouton pression. Les visages sont réguliers, sereins, les paupières très étirées à la mongole, le nez légèrement en bec, la chevelure bleue, luxuriante et bouclée. Une statue de la déesse Tara ressemble, dit-on, à sa petite amie à 16 ans.

Une salle est consacrée aux tankas, les peintures religieuses bouddhistes. Elles répondaient à des canons de proportions très précis. Les petits détails peints sur les bords sont étonnamment vivants, réalistes et truculents, à la Bruegel. Dans une scène d’enfer, les méchants se font bouffer, déchirer, étriper et bouillir par les démons grimaçants qui ont l’air de s’amuser comme des gamins en cour de récréation.

Sont énumérés complaisamment les huit symboles auspicieux bouddhiques : la conque, la roue, l’ombrelle, le mandala, la bannière, la fleur de lotus, le poisson doré et le vase aux trésors. Un grand mandala 19ème est en applique de soie très précieuse.

Une salle est réservée au folklore « populaire ». Une danse religieuse du Tsam illustrée ici, datant du 19ème siècle, était destinée à chasser le mal et apporter la chance à la communauté. Des masques en papier mâché, des trompes de bronzes et divers instruments entourent les visiteurs. Un masque de danse en fragments de corail pèse 45 kg ! Dans la salle du 20ème siècle, une peinture sur coton est intitulée « the arkhi feast ». Il s’agit d’une scène de beuverie et des conduites peu montrables induites, l’arkhi étant l’alcool distillé à partir du lait de vache, aussi fort que la vodka. Originaire de l’Inde, cet alcool a suivi la progression du bouddhisme parmi les pasteurs et il se conserve dans une panse de mouton. La peinture est un festival de détails croustillants et pleins d’énergie où bagarres et copulations ont la plus large part. La boutique du musée attire plusieurs membres du groupe. Ils semblent avoir un tropisme rare pour les achats « de touristes ».

Rien ne nous est dit de la Mongolie au 20ème siècle. Depuis l’écroulement du communisme, ce n’est plus politiquement correct pour attirer les investisseurs. Quand débute la révolution chinoise de 1911, la Mongolie était alors province de la Chine. Princes et lamas possédaient presque tous les pâturages et la moitié du cheptel. Sur 250 000 mâles, près de 100 000 s’étaient faits moines pour avoir une vie plus facile que travailler pour les redevances et les métayages. Cette oisiveté, non exempte de débauche entre garçons, a fait baisser la natalité qui ne s’est réveillée qu’après la mort du Bogdo Gegen en 1924, ce « Bouddha vivant » descendant du premier khan converti au bouddhisme. En novembre 1924, une Assemblée adopte la première Constitution de République Populaire sous le contrôle absolu du Parti selon Lénine. La première université est créée en 1942, le 1er Plan quinquennal est inauguré en 1948, enrôlant obligatoirement tous les éleveurs dans des coopératives – non sans résistances. Les premiers combinats industriels datent de 1960. Le pays ne s’est ouvert sur l’international qu’à compter de son entrée à l’ONU en 1961, adhérant au COMECON, le conseil d’entraide des pays soviétiques en 1962. Le premier ambassadeur en France ne sera envoyé qu’en 1966. Une nouvelle constitution parlementaire a été promulguée en 1990 après les manifestations sociales de 1989 (qui suivent celles de Tien an Men en Chine pop) mais le parti communiste ne perd le pouvoir qu’en 1996 au profit d’une coalition démocratique.

Un restaurant nous accueille pour reposer nos yeux et nos esprits qui commencent à être embrumés de sommeil. Salade et brochettes sont arrosées de bière et de café pour rester éveillés. S’installe un gros Blanc, sans doute Russe, accompagné de deux poupées vêtues « à la mode ». Ce qui signifie, ici, short de jean ultra-court et bustier collant, le tout faisant ressortir agressivement vulve et seins. Peu de bijoux et maquillage appuyé donnent un air de « professionnelles » à ces deux filles qui ne sont peut-être que snobs. Leur passage jette en tout cas un froid surpris parmi les mâles occidentaux d’âge pubère. A l’opposé, se pose une famille aux deux petits garçons turbulents mais plus mignons et moins provocants que les deux objets sexuels qui paradent encore à table, allumant leur cigarette avec des manières, sirotant leur bière vulgaire à petites gorgées sucrées, jetant un œil ici où là pour vérifier qu’elles sont bien le centre d’attraction de tout ce qui porte queue dans la salle.

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Houlà Oulan !

Oulan Bator a été bâtie il y a 350 ans mais ne s’est vraiment développée en dur qu’à l’ère soviétique. Une centrale au charbon crache la fumée de ses grandes cuves sur un quartier. Il y en a trois disséminées dans la ville.

Des carrés de palissades en bois carrés et alignés au cordeau égalitaire enferment des yourtes traditionnelles. Ils voisinent avec des maisons en dur « de style chinois avant 1960 » et « de style soviétique après », selon Solongo, au gré des influences prédominantes de la politique. Le résultat reste une suite de clapiers de pauvres. Les yourtes, à côté, ont le moelleux et la propreté du paradis.

Roulent des 4×4 japonais, des Volga soviétiques hors d’âge et des camions Kamaz. Notre bus est lui-même un assemblage de marque « Asia » avec carrosserie locale et moteur russe.

Oulan Bator signifie « le héros rouge ». Son nom lui a été donné en 1924 au moment de la création de la « République Populaire » ; auparavant, tout le monde l’appelait Urga. Le collabo qui a vendu la Mongolie aux Soviétiques a pris pour surnom « Sükhe » qui signifie « la hache ». Ce « héros » a sa place « Sükhe Bator », sa statue équestre et son mausolée comme Lénine, au centre de la cité. Fils de petit éleveur, membre de la première Assemblée créée en 1914, officier mitrailleur envoyé en délégation dans la Russie des Soviets, il revient avec un corps expéditionnaire russo-mongol pour arracher Oulan Bator le 6 juillet 1921 aux griffes de terreur du « baron fou » Ungern von Sternberg qui voulait se tailler un royaume en occupant la ville avec 800 cosaques depuis le 4 février de la même année. Sükhe est mort à 30 ans le 22 février 1923, probablement tuberculeux. « Les Mongols ont déménagé 29 fois avant de créer Oulan Bator comme un jardin », nous apprend Solongo.

Le monastère bouddhiste de Gandan a été bâti en 1838 et les commerces ont suivi, lançant le développement de ce centre fixe d’échanges dans un pays majoritairement nomade.

Relié au Transsibérien en 1950 et au chemin de fer de Pékin cinq ans plus tard, Oulan Bator sert de plate-forme au commerce entre Chine et Russie.

Nous visitons le monastère de Gandan dont le nom complet, Gandantegchinlen Khiid signifie « Grand lieu de la joie absolue ». Sur une esplanade entre deux bâtiments, deux petits garçons pleins de vitalité font s’envoler les pigeons rassemblés pour les graines que les visiteurs leurs jettent. Des sachets sont en vente pour ce faire aux alentours.

Une cérémonie monotone se déroule dans le sanctuaire. Les moines psalmodiant sont plus intéressés par nos Nikon classiques et autres Sony numériques que par le déroulement immuable de la cérémonie. Les pèlerins font rituellement le tour de l’intérieur du sanctuaire, dans l’allée laissée par les moines à cet effet. Ils vont faire ensuite rituellement le tour de l’extérieur en faisant – toujours aussi rituellement – tourner dans le sens solaire les lourds moulins à prières installés le long des murs.

Les vieux bâtiments ne comportent presque pas d’ouvertures et ne sont éclairés que par des bougies. Ils recèlent des dizaines de vitrines emplies de Bouddhas poussiéreux, ressortis de 60 ans de repos dans les grottes où les fidèles les avaient enterrés durant la grande répression des opiums du peuple sous Staline. Les vieilles gens retrouvent malgré cela les gestes de la superstition, marmonnant et posant le front sur le bois devant les statues, laissant en offrande quelques billets dévalués, des fruits ou une bouteille de vodka (vide).

Au pied du Grand Bouddha sont allumées les 108 lampes à beurre de rigueur. Cette statue en bronze du Magdjid Djanraisig – ou plus simplement Avalokiteshvara – a été élevée en 1911 par le Bogdo Gegen, le roi-moine qui gouvernait la Mongolie jusqu’à la révolution soviétique de 1924, troisième plus haut dignitaire du bouddhisme lamaïque après le Dalaï-Lama et le Panchen Lama. La vraie statue a été fondue à Leningrad pour faire des munitions.

L’actuelle est issue d’une souscription de 1997. Elle fait 26 m de haut et pèse 20 tonnes. C’est du Disney mais un moine-flic effectue des rondes pour traquer les photographes. Non que les photos soient interdites, mais il faut payer son billet comme pour les parcs d’attraction américains, 5$ – une semaine du salaire moyen local. Laissons ces vieilleries à leur destin.

Dehors, le soleil arde. Un jeune homme passablement atteint se roule torse nu dans la poussière. Solongo lui jette quelques paroles bien senties pour lui faire honte : il n’est pas un chien ! Les civilisés portent au moins un débardeur.

 

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Envol vers les Mongols fiers

L’idée d’aller en Mongolie en revient à Alexis, petit-fils de Cosaque à demi-français depuis que sa grand-mère a décidé d’émigrer en France une fois son diplôme de médecine en poche, après la glorieuse Révolution bolchevique de 17. Je connais ce petit sauvage blond aimant chasser la bête et se traîner dans la poussière et dans la boue depuis qu’il a 10 ans. Adolescent, le Mongol s’est discipliné, cantonnant sa « sauvagerie » dans des fantasmes physico-sexuels suscités par les après-midis de collège lugubre. Il est devenu depuis médecin et, pour fêter sa thèse, est allé en Mongolie.

La Mongolie ne se visite qu’à cheval. Il est inutile de tenter une autre approche, en bus ou à pied, dans ce pays de nomades où les distances sont énormes. En mongol, être pauvre a la même origine étymologique qu’aller à pied… Le centre de la civilisation mongole est le cheval et il serait absurde de vouloir pénétrer ce pays autrement. Je vais donc aborder deux nouveaux univers : l’empire des steppes et le monde du cheval. Tout cela sera nouveau pour moi.

Je commence par une demi-heure de taxi à 5h du matin. Il nous faut en effet rallier Berlin depuis Paris sur un vol Air France avant d’embarquer sur la MIAT, la « Mongolian Airlines », jusqu’à Moscou où le vol fera le plein avant de rallier Oulan Bator, capitale de la République Populaire de Mongolie. Le vol vers Oulan Bator est plus long, 5h25, marquant bien l’immensité des distances, d’autant que nous sautons vers la nuit tout en ne pouvant pas dormir puisque le jour selon nos habitudes déroule quand même ses heures. Nous aurons parcouru en moins de 24h toute l’étendue du continent euro-asiatique, un peu plus vite que les hordes de Gengis Khan, mais dans l’autre sens et avec d’autres desseins. L’Airbus 310 est aussi plus confortable que les petits chevaux des steppes munis de leur selle mongole en bois.

Nous arrivons à Oulan Bator avant 7h du matin, heure locale, avec un groupe de Français d’un certain âge muni de cannes à pêche impressionnantes. Ils vont titiller le huchon, le plus grand exemplaire de la famille du saumon que l’on trouve dans les eaux douces de Mongolie, de 60 à 150 cm de long. Quelques Allemands vont faire du tourisme en souvenir d’Ungern von Sternberg, baron balte plutôt exalté. Des Mongols reviennent de Moscou où ils travaillent ou font des stages, la Mongolie dite à l’époque « Extérieure » ayant été quasiment annexée par Staline en 1924. La Russie reste encore le second pays d’importation des marchandises pour les Mongols. Le soleil n’est pas encore levé et personne n’est là pour nous accueillir dans le petit matin sec et frais. Ce n’est que trois-quarts d’heure plus tard qu’arrive une petite bonne femme accompagnée d’un autocar datant de l’ère soviétique. Elle est « guide pour Oulan Bator » et nous fera visiter la ville. Notre accompagnatrice française joue les divas et ne doit se pointer que le surlendemain. Plutôt avenante, Solongo parle un bon français.

Le bus quitte l’aéroport, construit à l’écart. Nous sommes à 1350 m d’altitude, sur une plaine sans arbres entourée de petites montagnes. La lumière est dure, malgré de courts nuages. Avant le lever du soleil, il ne fait que 17° centigrades. Une fois l’astre au zénith, il fera près de 25°. La Mongolie, à peu près à la latitude de la France, connaît des écarts violents de températures dans la journée comme durant les saisons. Il fait caniculaire en été et polaire en hiver. Il n’est pas rare de connaître des intervalles de 30° dans une même journée entre un petit matin glacial et un midi solaire.

Près de l’aéroport s’étend « le champ du Nadaam ». Cette fête annuelle est occasion de fierté clanique et de beuverie sans nom. L’on y pratique « les trois jeux virils » : la course de chevaux, le tir à l’arc et la lutte. Les chevaux de trois ans sont montés par des jockeys à peine plus âgés qu’eux, de 6 à 10 ans, garçons et filles. Les Mongols considèrent que les chevaux guidés – mais non maîtrisés – par des mains très jeunes, montrent toute leur race. Ce ne sont pas les jockeys qui sont récompensés mais les seuls chevaux, même si les enfants s’amusent comme des fous.

Nous allons directement à l’hôtel Bayangol, « just in 30 minutes drive from the Airport », comme indiqué sur sa plaquette, avenue Gengis Khan bien sûr. C’est une construction HLM dans le style « soviétique 1964 », en deux tours séparées par un immense restaurant hall à la chinoise. Il n’est pas beau mais fonctionnel et ses 200 chambres en quatre classes sont assez confortables aux normes locales. La chambre « business » coûte 100$ pour deux mais l’agence locale doit avoir négocié des prix inférieurs pour assurer un débit régulier de clients. Le directeur de l’agence locale nous y attend. C’est une montagne de graisse à la face plate grêlée et aux petits yeux enfoncés s’étirant vers les tempes. Il porte une casquette de chasseur de loutres qui lui retombe sur la nuque et fait disparaître son cou, quatre stylos accrochés à la poche de poitrine et un téléphone portable de format soviétique en perfusion au bras gauche. Un fil qui passe sous sa chemise le relie à une oreillette. Voilà un homme d’affaires branché dans le style mafieux en vogue dans les faubourgs de Moscou.

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