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L’obstinée animalité en nous, dit Alain

Un jour d’avril 1909, le philosophe allant visiter un zoo s’est retrouvé sous l’orage. « Il y eut une déroute de nourrices et l’odeur de la pluie se mêla à l’odeur des fauves », dit-il joliment. Et de méditer sur ce qu’il a vu.

C’est la puissance des bêtes analogue à celle de la nature. Chacun suit sa voie tel qu’il est conçu. « Vous avez remarqué combien tous ces êtres sont puissants, définis et fermés. Bien loin de donner l’idée de quelque chose d’imparfait et d’esquissé, et comme d’une humanité manquée, tout au contraire ils affirment leur type, et s’y reposent. » Ils sont tels que Nature les a faits et sont contents de l’être. « Chacun d’eux se borne à lui-même, et n’annonce aucune autre volonté que la volonté de durer tels qu’ils sont et de se reproduire tels qu’ils sont. » La sélection naturelle les a affinés pour être adaptés à leur milieu et ils s’y coulent parfaitement, comme s’ils avaient été créés d’un coup pour le milieu actuel.

Ces animaux en pleine possession de leur être nous montrent – et nous rappellent – l’animalité de l’homme. « Il y a une pensée animale, et un animal contentement de soi dont les bêtes sont comme les statues vivantes. » Nous, humains, ne sommes pas différents des bêtes. Nous le voyons au zoo, nous l’observons dans la rue. Si l’on y réfléchit bien : « Combien de mouflons barbus à figure humaine, et combien d’obstinés chevaux et chameaux parmi nous, un peu gracieux et poètes dans leur première jeunesse, mais bientôt pétrifiés, définis pour eux mêmes, et les yeux fixés désormais sur leur pâture, et remâchant toujours le même refrain ; sûrs d’eux-mêmes, sourds aux autres, et suivant leur route, toutes leurs pensées ramassées sur leurs joies et leurs douleurs. » La sélection éducative les a affinés pour être adaptés à leur milieu social et ils s’y coulent parfaitement, comme s’ils avaient été créés d’un coup pour ce milieu social. On ne se refait pas, dit-on.

Seuls les rebelles regimbent. Mais ils ne sont pas la majorité, et c’est heureux, sinon comme faire société ? La rébellion est une étape de la vie, en général à l’adolescence. Certains rebelles sociaux manifestent du génie, et c’est heureux, mais ils sont rares, et c’est heureux aussi, car comment assurer la vie quotidienne et l’élevage des enfants avec des génies ?

Mais, à la différence des animaux, les êtres humains ont une conscience; ils sont donc « libres » dans les limites de leur biologie, de leur entourage, de leur éducation et de leur culture, de leur nation et de leur religion. Mais il n’y a guère que le biologique que l’on ne peut pas changer. Certains s’y essaient en changeant de « sexe », mais c’est un sexe social, les hommes trans ne porteront pas d’enfants, pas plus que les femmes trans ne transmettront du sperme. Pour Sartre, dans La nausée, écrit en 1938, « « le salaud est celui qui, pour justifier son existence, feint d’ignorer la liberté et la contingence qui le caractérisent essentiellement en tant qu’homme », montre-t-il dans La Nausée (1938). C’est « le garçon de café » qui joue un rôle social, avec sérieux et « mauvaise foi ». Il s’invente une identité d’essence, pour s’exonérer du prix de sa liberté que sont ses responsabilités et son angoisse. L’animal « est », enfermé dans une nature, programmé par un code immuable, alors que l’homme « devient ». Il est un être perfectible, plastique, relativement autonome, produit d’une histoire et promis à un futur qu’il lui appartient de choisir à chaque pas.

La nature reflète ses lois ; les animaux reflètent les humains. Ne soyons pas animaux mais soyons hommes. Pour cela, bien observer les bêtes pour ne pas l’être. D’où cette maxime de sagesse énoncée par le philosophe : « Me penser moi-même le moins possible, et penser toutes choses. » Mieux vaut en effet observer autour de soi et en tirer des leçons plutôt que de se contenter de se regarder soi pour se croire exemplaire de l’espèce en général.

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

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Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog

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L’armée des douze singes de Terry Gilliam

Gros succès en son temps pour ce film de science fiction d’il y a trente ans. Il faut dire qu’il parle d’un virus mortel qui éradique cinq milliards de terriens en un rien de temps, l’année 1997. Échappe d’un laboratoire, comme très probablement le virus chinois, mais pas par inadvertance : par la faute d’un terroriste en col blanc, le chercheur aigri du labo travaillant dans le privé pour la Défense.

Mais cela, personne ne le sait, puisque les protagonistes sont morts. C’est pour cela que, dans le futur de vingt ans, les 1 % survivants réfugiés loin sous terre décident d’envoyer dans le passé un mauvais garçon, prisonnier mais vigoureux et observateur. Ils veulent savoir d’où le virus est parti et quelles sont les causes de son apparition. L’espion doit appeler une boite vocale pour rendre compte. James Cole (Bruce Willis, qui joue très bien les abrutis) doit se renseigner sur l’armée des douze singes, organisation terroriste qui envisage de libérer le virus, selon un message laissé par une femme. James est un cas psychiatrique, il revoit sans cesse dans ses cauchemars le meurtre par balle d’un homme dans l’aéroport de Philadelphie. Il l’a vécu enfant, il était lui-même cet enfant. Quant à l’homme tué… le spectateur apprendra qui il est.

La technologie n’est guère au point : viser le passé n’est pas très fiable. Voilà que James se retrouve non pas en 1996, mais en 1990. Erreur technique. Il est très vite arrêté par la police et enfourné en hôpital psychiatrique pour ses délires sur le futur. Le séduisant docteur Kathryn Railly (Madeleine Stowe) le soigne. Contrairement à ses collègues masculins, et sans doute séduite par la carrure mâle du patient, elle cherche à comprendre. James, assommé par les médicaments, est coaché à l’intérieur par le déjanté Jeffrey (Brad Pitt, excellent en taré). Il apprend que le garçon est fils du scientifique qui travaille sur les virus, dont celui qui va agir. Jeffrey croit que son père veut supprimer l’humanité, ce qui lui paraît tout à fait génial. Il hait la société de consommation, et l’enfermement des bêtes dans les zoos. D’ailleurs, tout ce qui dépare de la Norme est mis en cage : les fous, les marginaux, les criminels, les bêtes. Ne serait-ce pas la société qui serait folle ?

Avec l’aide de Jeffrey, James s’évade. Repris, il est mis en cellule d’isolement, attaché seul dans une cave obscure. Mais il disparaît mystérieusement. Il a été « rappelé » dans le futur, et les humains au présent ne peuvent l’imaginer. Après avoir été interrogé, il est renvoyé dans le passé. Il atterrit en pleine Première guerre mondiale, encore une erreur. Il y croise son codétenu du futur José (Jon Seda) ! Entre les tranchées, il se fait tirer dessus et prend une balle dans la cuisse.

C’est cette balle que le médecin psychiatre Kathryn va extraire après avoir été prise en otage par James, renvoyé dans le futur exact de 1996 cette fois, et qui veut en finir avec cette mission absurde. Il veut retrouver avec son aide Jeffrey, car il croit qu’il sera l’auteur de la pandémie qui doit se déclencher dans quelques semaines. Le garçon a été réintégré dans la société et prépare en secret un coup de terrorisme vert : libérer les animaux du zoo de la ville. Cette « armée des douze singes », selon un conte pour enfants, doit tourner en dérision la société humaine.

Le docteur Railly convainc James qu’il est sujet à des hallucinations et que le futur n’existe pas, sauf dans son esprit. Il finit par s’en persuader, car qui est fou ou sain d’esprit ? En même temps, elle-même finit par douter car le monde se décompose et va dans le mur. C’est la disparition du petit Richard dans un puits de mine, que James qualifie de canular car le gamin s’est caché dans une grange – ce qui s’avère un peu plus tard ; c’est la balle qu’elle extrait, expertisée, qui prouve qu’elle vient de 1917. Elle prend contact avec le père de Jeffrey pour le mettre en garde : que son fils n’ait surtout pas accès aux virus du laboratoire. Le savant (Christopher Plummer) se dit qu’il est peut-être utile de prendre des précautions supplémentaires, et en charge son assistant (David Morse) – précipitant sans doute sa décision d’en répandre un mortel. Elle appelle aussi le numéro que James devait appeler en 1990, alors pas activé, pour laisser un message sur l’armée des douze singes – celui-là même qui a motivé la mission de James.

Mais désormais, Kathryn et James sont tombés amoureux et décident de vivre au présent, sans plus se préoccuper des scientifiques qui veulent réguler l’humanité jusque dans la chambre à coucher. Ils sont toujours à évaluer, juger, donner des notes, formater. Les abîmes du temps et de la psychologie finissent par lasser et désorienter : autant en revenir au solide de la tradition. Et de bien vivre avant la catastrophe. Pour cela aller en Floride, la mode à l’époque, avant la fréquence augmentée des cyclones dus au réchauffement. Railly prend les billets, les deux se déguisent, recherchés par la police, James s’arrache les dents car on lui a appris qu’il était suivi dans le futur par un émetteur dans une dent – illustrant une fois de plus les dangers de la technologie. Les voilà prêts.

James laisse un dernier message téléphonique avertissant les scientifiques du futur qu’il reste dans son présent (ce qui perturbe l’ordre du temps) et que l’Armée des douze singes n’est pas cause de la diffusion du virus. Immédiatement repéré par la technique, il est abordé par un émissaire du futur qui lui remet un revolver pour tuer le Dr Peters, l’assistant du père de Jeffrey. Comme quoi le futur savait, ou l’avait deviné en suivant James à la trace. Kathryn Railly voit en effet Peters prendre l’avion devant elle avec une valise pleine d’échantillons virologiques, que le contrôle fait ouvrir. La préposée aux billets s’exclame du tour du monde qu’il s’apprête à faire… et dont les escales dont dans l’ordre de la propagation du virus que James a appris dans le futur. Vont-ils réussir à l’empêcher ?

Même pas… James se fait descendre par les flics de l’aéroport alors qu’il tente maladroitement de viser Peters qui s’empresse avec sa valise. Un enfant d’une dizaine d’années observe la scène de ses grands yeux bleus (Joseph Melito). Il est James vingt ans avant. Quant au Dr Peters, il s’assoit dans l’avion à côté d’une femme qui dit travailler dans les assurances, alors qu’elle est l’une des scientifiques du futur qui a envoyé James en 1996. Ce qui laisse au spectateur le soin de conclure… par diverses hypothèses, selon son pessimisme. Cette ultime fin énigmatique fait beaucoup pour l’attrait du film – tiré d’ailleurs d’un court métrage français de 1962 intitulé La Jetée.

DVD L’armée des douze singes (Twelve Monkeys), Terry Gilliam, 1995, avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer, Brad Pitt, David Morse, DVTY 2002, anglais vo doublé français, 2h05, €6,79, Blu-ray version restaurée L’Atelier d’Images 2024, anglais vo doublé français €19,99

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Maxime Chattam, Le coma des mortels

Ce thriller a ceci de bizarre qu’il commence par la fin : le lecteur sait qui a été tué, comment, et que le héros s’en est sorti. Les chapitres sont d’ailleurs numérotés ainsi, commençant par le 39 avant de terminer par le 1. Cela fait un peu potache mais a un sens caché. Le meurtre est le fantasme favori de l’auteur : éviscération, « mon amour avait été répandu sur les murs de mon appartement étalé sans pudeur avec rage » p.16. Le ton est donné, l’ironie, le décalage, l’originalité à tout prix. Ce pourquoi je crois (hypothèse toute personnelle) que ce roman a été écrit bien avant les succès et qu’il a été repris et toiletté une fois les succès venus. Il s’inspire en effet moins des auteurs américains (Connolly, Stephen King) que de certains romanciers français à la mode dans les années 1990 (et dont les noms sont déjà oubliés, le seul me venant à l’esprit étant Alexandre Jardin).

Il y a en effet peu d’action dans ce « thriller » qui ne fait même pas frémir (thrill). Il se veut plutôt cocasse, le personnage principal qui se fait appeler Pierre (autrefois Simon) – les éduqués repèreront tout de suite la référence – étant un jeune homme dans la trentaine, doté d’une bite et d’une complaisance un peu mièvre. Gentil et discipliné, bon élève, bon mari et tout, il s’est brutalement lassé et a « fait sa crise » de la trentaine comme il paraît que tout mâle doit le faire selon la mode psy des magazines pour coiffeurs. Il est reparti de zéro, a changé de quartier, d’amis (des faux, comme souvent), de boulot, de numéro de mobile, et même de prénom. Seul son psy le traque, le lecteur en aura la raison à la fin.

L’auteur semble avoir une dent certaine contre les « psys », leurs certitudes, leur étiquetage permanent, leur sentiment de toute-puissance à découvrir mieux que vous ce qui est bon pour vous. En bref, ils se prennent pour Dieu et vous le font savoir. Mais le niais répond presque toujours aux numéros inconnus (évidemment le psy), ne change pas une fois de plus son numéro (ce qui est tellement facile aujourd’hui), et ne raccroche jamais aux premiers mots quand il a reconnu son démon déguisé en dieu. Il est addict, dirait-on en mauvais français, peut-être parce nous n’en avons pas inventé d’autre aussi précis (drogué serait excessif et orienté, adonné trop bénin). Il apparaît surtout comme une personnalité faible qui se laisse mener par sa queue, donc par les femmes puisqu’il ne semble pas être pédé (sauf un dur fantasme : se sentir poursuivi par un lapin géant qui veut le sodomiser, reste d’une peur d’enfance peut-être).

Une manie névrotique de notre mâle esseulé est de composer des numéros au hasard pour remplir tout un carnet de lignes non affectées ou se voir rembarrer vite fait quand ça décroche. Et parfois non. D’où ces conversations surréalistes qui lui permettent des « rencontres » virtuelles, un moyen de jouer lui-même au psy. Il racole ainsi une fille, sans le vouloir, une bien timbrée qui est morte plusieurs fois. Ou plutôt qui a organisé minutieusement sa disparition quand elle en avait marre, bien mieux que notre Simon devenu Pierre… sans rien bâtir. « Ophélie » se fait désirer, la première baise est après préliminaires bavards et jeu de piste, évidemment dans un cimetière. Une autre la nuit aux Galeries Lafayette quand les gardiens ont fait leur ronde et le ménage passé. Il rencontre aussi le vieil Antoine, octogénaire qui retrouve tous les objets perdus dans l’instant par leurs propriétaires et qui fascine cette alouette de Pierre.

Lassé du commerce (dont il a fait école) et du marketing (qui ne sert à rien d’utile) a trouvé un petit boulot d’assistant au zoo de Vincennes, autrement dit de ramasseur de merde conchiée par les nombreux animaux. Le lecteur apprendra que la délicieuse peluche, le panda, est le plus gros défécateur du zoo et que le responsable de la sécurité ne songe qu’à dévisser les grilles au-dessus des rhinocéros nains pour y voir les sales gosses chuter dans la merde et se faire piétiner. Mais « l’action » s’arrête là et les « crimes » sont satellites. Le Pierre semble en effet l’objet d’une « malédiction ». En plein Paris rationaliste du XXIe siècle, cela fait un peu benêt, on n’est ni à Boston ni à Salem, que diable ! Tous les gens autour de lui meurent assassinés. Serait-ce lui l’assassin comme chez dame Christie ?

Arg ! Autant dévoiler la fin… même si l’auteur dit qu’il la dévoile au début. Mais ce n’est pas si simple et je m’en garderai bien. « Je ne veux pas vous mentir », commence l’auteur dès sa première phrase, tel un politicien. Ce qui signifie bien-sûr qu’il va le faire et il vous le confirme très vite : « Je ne vous dirai pas tout » p.9. Mettez-donc bout à bout les premiers mots de chacun des chapitres, bizarrement tous en italiques : vous aurez une surprise, je ne vous dis que ça. Mais faites-le une fois lu tout le livre, ce sera plus savoureux.

L’auteur avoue sur la fin sa vraie personnalité : « On vous a lu le bouquin à l’envers, on a érigé des principes à ne pas dépasser, on a appelé ça la civilisation, mais c’est un autre mot pour l’enfer. Vous vous êtes fait arnaquer. (…) Redevenez tous des êtres affranchis. Ecoutez un peu plus votre animalité, vos instincts. Soyez plus naturels. C’est bon ça, le naturel. C’est acceptable, c’est légitime, bien plus que les ordres et les codes stupides. Baisez. Bouffez. Buvez, Jouissez » p.348. Mais, là encore, c’est une clé. Ce roman est une énigme plus qu’un soi-disant « thriller » – mais vous vous amuserez.

Maxime Chattam, Le coma des mortels, 2016, Pocket 2017, 350 pages, €3.50 e-book Kindle, €7.49, CD audio €17.00

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Le Père Noël est une ordure

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Quel bonheur de revoir l’humour du début des années 1980, époque Mitterrand avec la gauche bobo au pouvoir, à peine sortie de mai 68 ! Même si je préfère Les bronzés font du ski, le film qu’a tiré Jean-Marie Poiré de la pièce de théâtre est un bon moment de poilade. Peut-être parle-t-il moins à la génération Y qu’à la nôtre, car nous voici replongés dans la grand hypocrisie du « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » de l’utopie hippie – bien passée d’époque.

Voir circuler des Simca 1100, des Renault 5, des Peugeot 504, des Citroën CS et même une Talbot Samba (celle de la mère Balasko) nous replonge en pleine euphorie des Trente glorieuses finissantes. Les pères Noël déguisés avec barbe en coton distribuent des bonbons aux enfants, payés par les grands magasins aux trottoirs noirs de monde. Les vitrines croulent de victuailles et de bouteilles pour Noël. Les cadeaux sont déjà emballés. Toute la France bourgeoise et petite-bourgeoise communie aux ripailles et au plaisir des enfants.

Toute ? Non. Une tribu exotique résiste encore et toujours à la consommation. Faute d’argent, faute de volonté, faute de culture. Gérard Jugnot est un sous-père Noël obligé à distribuer des tracts pour un spectacle porno, faute d’être engagé par un magasin. Il a « collé un polichinelle dans le tiroir » de sa compagne de galère Marie-Anne Chazel, comme elle le dit, et achète une demi-portion de boudin pour en voler prestement une autre. Quant à son grand cru, c’est un gros rouge qui tache en bouteille plastique. Le couple habite un bidonville bordant le périphérique et vit de récupération.

Les bourgeois coupables se sentent obligé d’user de charité à Noël – mais pas comme avant, nous sommes dans la modernité branchée Mitterrand. C’est donc SOS-Détresse, qui calque SOS-Amitié et tous ces numéros d’aide sociale qui fleurissent à cette époque, en même temps que se poursuit l’accueil chez les uns et les autres des gens à la rue, dans la foulée de mai 68. Mais ces bourgeois ne sont pas naturels ; ils sont coincés, mal à l’aise. Ils jouent les branchés fraternels, selon les nouvelles normes issues de 68, mais n’ont pas la capacité en eux d’être vrais ; leur morale et la nôtre ne sont pas les mêmes. D’où leur constante hypocrisie, l’affichage haut et fort de convictions qui ne résistent pas à la moindre intrusion.

Les quiproquos et les inversions de rôles sont donc constants, ironiques – jusqu’au pédé de service (Christian Clavier), plus humain que le petit-bourgeois Lhermitte. Seuls le populo est vrai, car nature. Il concilie sans problème ce qu’il est avec ce qu’il fait, tandis que le bourgeois est sans arrêt obligé à jouer un rôle qui ne lui va pas. Sous les oripeaux de l’humour à la française, la bande du Splendid pratique là une critique philosophique marxiste (le divorce de l’être avec sa propre nature) avec les habits plus récents de l’existentialisme sartrien (la mécanique du garçon de café).

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Donc vous allez rire. Thierry Lhermitte, au costume à carreaux taillé dans de la housse de canapé et aux lunettes à la Chirac, a un vernis cultureux de langage (« c’est ç’là, oui… ») et l’aspiration (artiste peintre à ses heures), tout en révélant sa vraie nature ordurière lorsque les événements le surprennent (le doigt coincé par Anémone, le porc qui gambade sur le tableau, la vision d’une « serpillère » au lieu du gilet… dans les mêmes tons que son propre costume). Internationaliste et respectueux des cultures différentes, il est vite agacé par le Bulgare qui vient lui proposer les spécialités de son pays avec, coup de griffe au socialisme réel, alors en vigueur sous la férule de l’URSS dans les pays de l’Est, la margarine et la saccharine qui composent le gâteau… Lhermitte joue à merveille le petit-bourgeois du temps, vaguement intello et vaguement marié, coincé de partout mais prétendant au style et à la morale. Josiane Balasko, en grande bourgeoise autoritaire, apparaît plus authentique, n’hésitant pas user du beau langage pour rembarrer un pervers qui téléphone des propos orduriers.

Ce sont les personnages autour qui vont défier ces deux-là, écaillant le vernis de respectabilité. Anémone en rescapée de l’école des bonnes sœurs est généreuse au fond, pensant toujours aux autres avant de penser à elle. Ce qui occasionne quelques gaffes, dont l’irruption de Chazel en Zézette cherchant refuge contre Jugnot qui veut la battre, ou la scène de la douche où Psychose est joué à l’envers, se terminant non par le meurtre mais par le stupre, le vrai meurtre se déroulant par hasard à la porte.

Car Balasko s’est coincée dans l’ascenseur bêtement (elle savait qu’il se bloquait et, un soir de Noël, c’était prendre un bien grand risque que de l’utiliser plutôt que de descendre à pied !). Elle tente bien de bricoler les fusibles avec le tournevis d’une panoplie cadeau pour un neveu (alors qu’il suffisait d’un bon coup de poing popu pour remettre en marche le machin), mais échoue et fait appeler le dépanneur. Lorsqu’il arrive – bien tard (comme quoi la technique ne suit pas, dans ces années « modernistes ») – tout le monde l’a oublié et il se fait poivrer de trois balles par une Chazel qui décharge le pétard de son mec qui voulait la buter.

Les bourgeois sont épouvantés, Anémone tremble au point de chercher refuge dans les bras maladroits de Lhermitte. La police ne répond pas, diffusant en boucle ce message d’époque, que seule la SNCF ose aujourd’hui imiter : « vous avez appelé la police, ne quittez pas ». Jugnot, en populo avisé, s’empresse de raccrocher et de dépecer le cadavre en morceaux pour qu’il tienne dans des paquets de Noël, dont il s’agit de se débarrasser. Et toute la bande s’emploie à balancer la viande aux tigres, aux lions, aux singes, aux ours du zoo de Vincennes, désert en ce petit matin de Noël où tout s’arrête en France.

Il n’y a que le pédé, assommé par Jugnot parce qu’il voulait aller lui aussi à la police, emmené lui aussi dans la camionnette aux paquets, qui se réveille et balance la bidoche n’importe où, sans deviner ce dont il s’agit. Ecart de culture ou profond fossé entre ceux qui vivent dans un monde Bisounours et ceux forcés à survivre au jour le jour de façon réelle ? Le couple popu Chazel-Jugnot laisse alors en plan le trio de bourgeois sidérés. Il n’est de bon égoïsme qui ne commence par soi-même, n’est-ce pas ? Et pan sur le bec des charitables aux pincettes, qui ne s’investissent que pour leur bonne conscience, sans remettre jamais en cause le système qui crée les écarts sociaux. Le Père Noël est un mythe et la fraternité un grand mot : il ne suffit pas de dire ce qu’il faudrait, ni même de répondre au téléphone pour « aider ».

Le Père Noël est une ordure est plus percutant au théâtre, où les dialogues remplacent tous les actes. Mais le film est davantage dans la réalité vécue, ce qui est probablement mieux aujourd’hui pour saisir cette époque révolue, mais dont ceux qui avaient la trentaine ont la soixantaine aujourd’hui… et trustent le pouvoir. Je ris autant à chaque fois que je vois le film ou la pièce, tant sont vraies ces caricatures, tant ils nous ressemblent dans les travers « de gauche » que la France périphérique commence à dégommer à vue. Rien de tel que de s’en moquer pour en saisir toute la bêtise, au fond.

DVD Le Père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré, 1982, avec Anémone, Thierry Lhermitte, Josiane Balasko, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel, Studiocanal 2010, blu-ray €15.66

Edition simple, Studiocanal 2003, €8.20

DVD La pièce de théâtre, TF1 vidéo 2007, €11.95

DVD coffret Les Bronzés / Les Bronzés font du ski / Le Père Noël est une ordure, Studiocanal 2004, neuf €99,90, occasion à partir de €14.98

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Oiseau des îles

Le ura (Vini kuhlii) ou lori de Kuhl est le très bel oiseau endémique de Rimatara. Une perruche aux ailes vertes, au dos jaune, à la poitrine rouge, la tête bleue, aux pattes orange, un arc en ciel de plumes.

Sa beauté lui a été fatale dans plusieurs îles polynésiennes car ses plumes rouges servaient à confectionner les insignes royaux : coiffe, ceinture, cape.

Le Rattus rattus (rat noir) ou rat des navires  introduit par les Occidentaux dès leur arrivée dans le Pacifique Sud est l’un des  prédateurs des îles du Pacifique Sud. Rimatara (Australes) est exempte de cette présence et la surveillance du Rattus rattus est assurée… par la société d’ornithologie de Polynésie ! Cela afin de préserver l’oiseau ura.

La dernière Reine de l’île le « prit sous son aile », cet oiseau, en imposant un tapu royal. Le tapu est la prononciation locale de votre bon vieux mot « tabou ». La reine Heimata ou Tamaeva V s’adressa au Ura et lui dit : « Eiaha ‘oe haere fa’abou i  te tahi fenua ‘e » (tu n’iras point sur une autre île). Personne ne pouvait donc exporter le ura hors de l’île. Au ura vaero (lori mâle) et au ura pa’o (lori femelle) elle supplia « E moho na ‘orua i ‘onei, tiretire tiretire a » (vous vivrez ici, vous vous reproduirez encore et encore). Lors de la dernière cérémonie, qu’elle présida vêtue de sa cape royale en plumes rouges de ura, elle jura « aita atu i muri a’e ia’u nei e ‘ahu fa’abou i teie ‘abu » (personne après moi ne revêtira cette cape).

Ces tapu royaux avaient été respectés jusqu’à ce jour.

Une translocation de 27 ura a pourtant été préparée scientifiquement à destination d’Atiu aux Cook à la demande de la Reine Rongomatane. Les tractations ont finalement abouti en avril 2007. Expédition scientifique internationale (USA et Cook) pour la capture des ura, examen sanitaire des oiseaux capturés, vol spécial Rimatara-Atiu par Air Rarotonga.

Ces deux vols internationaux ont exigé la venue d’agents des Douanes, de la police de l’Air et des frontières, de la police Phytosanitaire et du Zoo sanitaire de Papeete ! Tout cela parce que l’aéroport de Rimatara n’a pas le statut d’aéroport international. Bureaucratie, quand tu  nous tiens.

Hiata de Tahiti

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