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Élections – déceptions

Dissolution d’une Assemblée dissolue, élections piège à cons à cause des démagos, élisez Élysée. Après la « sidération » (mot à la mode), la réflexion. Il aurait mieux valu commencer par là. Mais que peut la raison (qui demande un effort) contre la passion (mauvaise) de foutre les gouvernants dehors et de « renverser la table » ?

Sauf que les gens, ces gogos, sont « sous emprise » (mot à la mode). Ils résonnent simple : « on n’a pas essayé », et pis « yaka » pêle-mêle : foutre dehors les étrangers (comme si c’était facile avec le droit international, les traités signés, la Constitution), redonner du pouvoir d’achat (comme si ça se décrétait d’en haut, sans souci des entreprises et de leur productivité, ou du budget de l’État pour augmenter les fonctionnaires), baisser le prix de l’énergie (mais il y a les accords européens, difficiles à renégocier, bien que pas impossible, sauf que ça prend du temps), augmenter les impôts et faire payer les « riches » (sauf que le riche en France commence à 3100 € par mois de revenu selon l’Insee et l’ineffable François Hollande), ou « nationaliser » (discours facile, mais avec quel argent, vu la dette, quels dirigeants, vu l’inanité des fonctionnaires passés à la tête des grandes entreprises ?).

Les réalités économiques, européennes, juridiques, mondiales, vont faire comprendre très vite au nouveau gouvernement, de quelque bord qu’il soit à l’arrivée le 8 juillet, que tout n’est pas possible, qu’il faut faire des choix, mettre de l’eau dans son vin. Je me souviens de la désillusion rapide et amère de « la gauche au pouvoir » en 1981 quand, au bout de quelques mois seulement, et après trois dévaluations du franc (TROIS !), le président avait tranché : soit vous rentrez dans les clous, soit vous isolez la France dans le monde (moi je m’en fous, je reste président). Je crains que les Français qui ont voté RN soient aussi cocus que les socialo-communistes de 81 passé l’été…

La question à cent balles : fallait-il dissoudre maintenant ? Oui et non, mais surtout pourquoi pas ? La sanction électorale a été nette, « rendre la parole au peuple » n’a rien d’idiot en république. Pourquoi si vite et ne pas attendre septembre ? Parce que les sacro-saintes vacances solaires, parce que les joujoux olympiques, parce qu’un nouveau gouvernement, à la rentrée, doit se précipiter sur la préparation du Budget tout de suite sans réfléchir. Parce que pourquoi attendre ? Que les gogos regrettent ? Que les partis se remettent en ordre ?

Fallait-il dissoudre en prenant l’initiative ou attendre une motion de censure (quasi inévitable à l’automne) pour dissoudre une Assemblée déjà ingouvernable (sauf à user et abuser du 49-3) ? Les Français veulent tenter les recettes populistes d’extrême-droite ? Autant le faire sous un président qui peut encore modérer, durant une cohabitation, plutôt que de voir arriver une Marine Le Pen au pouvoir comme une fleur, portée par la naïveté de n’avoir jamais gouverné, donc jamais mécontenté, et promis tout ce qu’on voulait sans s’être une seule fois heurtée aux dures réalités du monde. Et puis, au fond, les électeurs adorent la cohabitation : ils râlent, mais comme d’habitude, ils sont plutôt contents de voir l’un tempéré par l’autre pour les empêcher de faire à leur tête.

Que va-t-il se passer aux Législatives ? On ne vote pas pour une Assemblée nationale comme on vote pour des députés européens. L’Europe est loin, la France toute proche. Ce sont les impôts, les prix, la sécurité qui sont en jeu immédiatement, pas les grandes décisions prises à 27. Hors de « sortez les sortants », les promesses démagogiques sont-elles vraiment prises au sérieux ? Il n’est pas sûr que le RN ou les Nus-pieds recyclés en « front » (de gauche, on a déjà vu ça) gagnent autant de votes qu’aux Européennes.

Reste que :

  • le centre est laminé par dix ans de gouvernement (rien que de plus normal), par un président omniprésent sur tous les sujets, qui ne laisse pas son Premier ministre gouverner et qui sait mieux que vous ce qui vous convient (travers bonapartiste constant à droite, des gaullistes à Sarkozy en passant par Chirac).
  • la gauche recolle les morceaux mais ne s’incarne en personne (sauf Pépère qui se rallie au dictateur comme certains socialistes à Pétain en 40 – l’heure est grave – mais qui voudrait du Mélenchon comme décideur, ce repoussoir haineux ?).
  • la droite tradi a explosé, ce qui couvait bien avant mais que la bêtise et les egos des uns et des autres a précipité (Wauquiez a été nul, ce n’est pas nouveau, Ciotti lamentable, car il n’a pas avancé).
  • la seule droite est désormais le RN puisque Zemmour a montré son inanité à mobiliser (sauf chez les bobos riches des 16e, le 8e et 7e arrondissements de Paris) et que (même !) Marion Maréchal(-Le Pen) a rejoint le giron familial.

Alors, pour qui voter ?

  • Pour la valse des milliards à gauche ? Pour l’inexpérience de béjaune et le mur de la dette à droite ?
  • Pour l’antisémitisme sous-jacent et la politique pro-arabe à gauche, dans tout ce qu’elle comporte d’immigrés potentiels et de déni du terrorisme soit-disant « résistant » aux « colonialismes » (sauf russe) ?
  • Pour la préférence nationale et le repli frileux pro-Poutine à droite, dans tout ce que cela comporte de perte d’attractivité du pays, de déclin économique, d’émigration des élites et de politique pro-russe sans état d’âme ?

Ce n’est pas Hitler ou Staline comme le dit trop légèrement Jean-François Coppé, mais leurs avatars recyclés… inversés. Le RN prendra ses ordres à Moscou comme hier le PC. Le NFG prendra ses ordres à Alger ou Gaza comme hier l’OAS. Où sera la souveraineté nationale ?

Si j’avais, in fine, le choix cornélien de voter Mélenchon ou Bardela, je voterai… Blanc. Mais il reste encore une bonne semaine.

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Explosion des banlieues, et après ?

La révolte des banlieues… Ce n’est plus le moment d’en parler, tout et son contraire ont été dits et il faut avouer que « la politique » me débecte, prise entre l’infantilisme pseudo-révolutionnaire de la Nupes et l’intransigeance faute de programme et surtout d’idées des LR (elle erre !). Il semble que rien ne soit jamais appris des événements passés et que personne n’envisage une seconde de remettre en cause son petit Moi ambitieux pour travailler de concert – au service du pays. Le président et son gouvernement naviguent à vue, ils n’ont plus les moyens en absence de majorité, ni d’ambitions faute de moyens… financiers.

Il me semble pourtant que le constat est implacable – et simple.

Les banlieues sont de constants foyers de révolte car les gens récemment immigrés ou descendants d’immigrés de longue date sont précaires, pauvres et sans avenir espéré. Ils sont « stigmatisés » au faciès, n’ont guère la possibilité de « bien travailler à l’école » comme le Système l’exige (élaboré pour les fils de bourgeois début XXe avec garçons forcés à rester assis à écouter six heures par jour), sont rejetés par l’entreprise souvent pour cause de comportements ou de religion prosélyte, macèrent dans l’amertume et les réseaux sociaux qui les confortent dans leur victimisation. Tout cela parce que la fameuse « intégration » promise depuis Mitterrand en passant par Chirac, Hollande et j’en passe n’a jamais réussi, faute de volonté politique.

Ajoutez à cela deux redoutables tisons qui mettent le feu aux jeunes fesses promptes à réagir : d’abord le mur des lamentations moralisantes de la gauche coupable, issues d’un christianisme qui adore tendre l’autre joue par souci de l’au-delà, et d’une idéologie marxisante qui désigne « scientifiquement » le Mal dans l’Histoire (avec sa grande H) : le bourgeois, blanc, mâle, de plus de 50 ans ; ensuite les trafiquants de drogues, sexes et armes diverses qui ne réussissent leur business qu’à l’abri du chaos, dans des lieux où n’entre plus jamais la police, et grâce aux liens ethniques et familiaux qui leurs assurent l’omerta des plus vieux et l’admiration des plus jeunes.

Une fois ce constat posé, les difficultés commencent – et les yakas deviennent légion.

1 – L’immigration DOIT être régulée, et tant pis si cela doit piétiner quelques orteils sensibles des moralistes des beaux quartiers ou les diplomates des pays allergiques parce qu’ex-colonies (faudra-t-il plusieurs siècles pour qu’on arrête enfin d’accuser de tout « le colonialisme » alors que le sous-développement de pays tels que l’Algérie ou le Mali est dû à des dictatures où une étroite élite dirigeante accapare les richesses du pays ?). D’autres pays occidentaux régulent leur immigration sans toucher aux « traités » qu’on nous oppose si souvent, tel le Danemark ou le Canada. Donc c’est possible sans renier les Droits de l’Homme. Des études le montrent dépasser le niveau de 10 à 12 % d’allogènes non intégrés dans un pays crée partout des difficultés, quelle que soit la langue, la religion ou la culture. Mais la lâcheté étant le vice du monde le mieux partagé, quels politiciens auront assez de courage ?…

2 – L’État DOIT se réaffirmer, et pas seulement dans la répression ou les menaces de « couper » les subventions, les allocations ou la reconstruction. Il y a un problème avec la police, certes, le droit de tirer est trop laxiste, les caméras à l’épaule à chaque contrôle devraient être imposées à chaque flic de façon OBLIGATOIRE en tout temps, la formation devrait être développée. Cela dit, seul le quadrillage des zones sensibles par une police de proximité bien équipée et soutenue par sa hiérarchie est probablement le seul moyen efficace de sortir de ce malaise « avec la police ». L’éradication sans pitié, avec les moyens nécessaires, des trafiquants enkystés devrait être une priorité nationale.

Mais la réaffirmation de l’État passe par tous les services publics : école, justice, assistance sociale aux parents et aux adolescents, formation, emploi. Cela signifie moins « des milliards » destinés à construire et reconstruire toujours plus que des emplois dédiés et des formations enfin concrètes. Emplois d’éducateurs, d’enseignants, de formateurs ; emplois d’aide à la création d’entreprise (« les banlieues » ont de l’initiative et réussissent parfois fort bien dans les niches qu’ils investissent) ; emplois de police et de justice pour que les relations et le rapport à la loi soient clairs et suivis d’effets concrets et rapides (les mineurs irresponsables que l’ont laisse « sortir » sans rien de plus qu’un froncement de sourcil du juge sont laissés pour compte ; ce n’est ni les aider, ni aider la société que de les relâcher sans aucune mesure de coercition ou d’éducation contrainte).

3 – L’État, c’est nous, contrairement à ce que croient Mélenchon ou les duce, conducator, caudillos ou führers favoris de l’extrême-droite. C’est chacun dans sa famille, son métier, sa culture, sa façon de penser par soi-même et de critique. Il ne faut pas laisser à des minorités braillardes le monopole de la parole autorisée.

Il faut réaffirmer l’histoire nationale, incluse dans le monde, ne pas s’excuser sans cesse d’avoir existé et envahi (les Romains ont bien envahi la Gaule et on ne le reproche pas aux Italiens d’aujourd’hui, plus proche de nous les Anglais durant cent ans jusqu’à faire griller Jeanne d’Arc, ou encore les Allemands il y a quatre-vingts ans à peine). Chacun vit ici et maintenant et, s’il doit tenir compte de son histoire comme de celle des autres, il doit tranquillement affirmer son droit sur son sol et ses intérêts à l’international. L’Europe nous y aide – à condition d’exister en Europe ; l’économie nous y aide – à condition d’encourager la production durable et propre et de mieux utiliser la masse d’impôts qui sont en France parmi les plus élevés de toute l’OCDE ; l’histoire nous y aide – à condition de ne pas culpabiliser d’être blanc, bourgeois ayant acquis une certaine aisance, et de n’être pas « restés à la terre » comme tant d’autres pays qui préfèrent « les aides » au développement industriel ou intellectuel.

Ce sont à ces trois conditions – régulation de l’immigration, réaffirmation de l’État régalien, identité française dans le monde – qu’une intégration des populations immigrées, de fraîche date ou plus lointaine, pourra réussir. Ce n’est pas en laissant les banlieues à leur déshérence, à leurs religions complotistes, à leurs trafics trop faciles, que l’on réussira à utiliser NOS impôts correctement.

Dans ce contexte, les partis politiques qui peuvent porter ce projet sont rares.

  • Le RN de Le Pen se contente de surfer sur le mécontentement et le désir d’ordre. Mais il serait bien incapable de régler l’économie pour faire mieux, au contraire, vu l’incompétence notoire des déclarations.
  • Les LR n’ont aucun projet à présenter aux français qu’une pâle copie RN pour moitié ou d’une politique En marche un tout petit peu à droite pour l’autre. Ils jouent tactiquement l’opposition pour simplement… exister, sans voir que, comme le PS, ils se sabordent un peu plus dans l’opinion.
  • Renaissance (ex-En marche LREM)ne fait rien renaître, faute de majorité mais surtout d’objectif fédérateur – il semble que le président ait épuisé ses idées et ses équipes, usés par les gilets jaunes, le Covid, les grèves à répétition pour l’inévitable report de l’âge de la retraite, aujourd’hui les très jeunes (manipulés) des banlieues.
  • La Nupes est liée par ses accords électoraux contraints avec Mélenchon et le « mouvement » inconsistant qui lui sert de pseudo-parti (lui rêverait plutôt d’une milice à ses ordres). Si les communistes parviennent plus ou moins à exister encore (mais ne font bander quasi personne), les socialistes restent d’une lâcheté politique sans nom aux mains d’un Olivier Faure plus préoccupé de garder le pouvoir sur les lambeaux du parti que d’un programme positif à proposer aux Français. Quant aux écolos, ils vont une fois de plus changer de nom, travaillés par de multiples tiraillements entre « l’urgence » perpétuelle climatique (donc la « dé » croissance dont personne ne sait vraiment à quoi elle correspond, sinon retourner à l’existence autarcique du Moyen-Âge), l’adaptation raisonnée de l’économie au changement (mais avec quels fonds et quelle « casse » sociale ?), et les illuminés du woke qui recyclent le gauchisme de leurs géniteurs en nouvelle religion universaliste vaguement hippie où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout le monde il doit être respecté, et tous unis dans la révolution en marche, blabla…

Rien à attendre avant 2027 ?

Une bonne dissolution clarifierait les choses : Le Pen l’emporterait peut-être (encore que ce ne soit pas sûr) et la Nupes serait probablement réduite tout comme LR.

Mais pour réussir, il faudrait TOUT D’ABORD qu’un cap soit donné par le président, avec un programme concret attrayant pour les quatre années à venir.

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Emmanuel Steiner, Nouvelles bartlebyennes

emmanuel steiner nouvelles bartlebyennes

Onze nouvelles épuisantes, illustrant la figure de l’épuisé selon Deleuze, un jargon intello pour dire « exclu ». L’auteur, ayant étudié la philo, cisèle de courts textes sans majuscules aux paragraphes numérotés pour dire le retrait de l’existence, la pulsion de suicide, le méphitisme du métro, le renoncement au sexe, la castration du pénis, l’effacement de l’auteur – en bref la pulsion de mort qui serait induite par l’époque contemporaine occidentale (blanche, nantie, sans transcendance).

Il y a un certain charme de froid intellect à égrener cette écriture sèche, directe, sur le ton du constat.

Mais quelque agacement des clichés à la mode : l’absurde, la solitude, la déconstruction, le minimalisme, l’anonymat, le SDF dont il déplore la disparition alors qu’il ne lui a jamais adressé un mot. Et cette façon anglo-saxonne d’écrire samurai (en français prononcé SAMU-raie) plutôt que samouraï (qui se prononce samou-rail). Est-ce une façon d’appeler au secours ? Ou un snobisme littéraire de very Happy few ?

Surnagent quelques réflexions intéressantes comme à la page 42 : « Il n’a plus envie d’exister en tant qu’être singulier, il s’agirait là, lui semble-t-il, du dernier mensonge de cette société, alors pourquoi ne pas retirer aux individus jusqu’à leur identité, pourquoi conserver ce dernier ‘particularisme’ ? » En effet, si elle cherche déjà à éradiquer la différence des sexes et si parler d’identité est gros mot chez les bobos de gauche, la passion égalitaire n’a pas encore éradiqué les noms ni les personnalités. A quand l’interchangeable du numéro ?

Ou encore sur les vertus du masque, de la fausse identité, qui permet de se « dissoudre » tout en continuant à vivre : « il ne veut plus d’existence propre et n’a d’autre solution, pour continuer, que d’entretenir cette absence d’identité » p.78. Les réseaux sociaux sont remplis de cette fausse apparence, qui déguise la faiblesse ou occulte la force dans le pseudo anonyme, bien commode pour tout dire sans en avoir l’air.

Mais il manque à ce genre de littérature un élan qui induise le lecteur à désirer poursuivre et à penser plus loin. L’impasse de la dissolution apparaît comme un appel au suicide, une négation de littérature. L’auteur mortifère préfère la fermeture, il peut ensorceler un moment, à condition pour le lecteur d’être en compagnie, au soleil brillant à travers la vitre, et de faire ensuite tout autre chose. Mais c’est à déprimer un soir de pluie, dans la solitude de la campagne. Quelle œuvre bâtit donc Steiner, né en 1974 ?

On le dit féru de japonisme, mais a-t-il compris l’excès de vie du samouraï ? Que le suicide est un accomplissement et non un renoncement ? L’honneur de sa lignée, la fidélité à son allégeance, le respect de l’ordre supposé du monde. Le vide n’est pas le rien mais au contraire le tout. L’auteur place volontairement ses nouvelles sous l’apanage d’Herman Melville, où le personnage Bartleby préférerait ne pas (« I would prefer not to »). Mais cette expression de la culture anglaise (bien différente de la nôtre en noir et blanc) démontre un robuste quant à soi qui se réserve, plus qu’un tout ou rien (je veux ou je ne veux pas). Le pragmatisme anglo-saxon ne limite pas les possibles ; Steiner en ses textes conduit toujours à l’impasse. Ni vrai samouraï ni décent Bartleby, il est un filet d’eau qui se perd dans le sable.

Emmanuel Steiner, Nouvelles bartlebyennes, 2013, éditions Chroniques du ça et là, 93 pages, €4.60

Attachée de Presse Guilaine Depis http://www.guilaine-depis.com/

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Claude Arnaud, Qu’as-tu fait de tes frères ?

claude arnaud qu as tu fait de tes freres

Né en 1955, l’auteur est né bourgeois d’un père jurassien sévère et d’une mère corse philosophe. Cadet d’une fratrie de trois, plus tard de quatre, il vit Mai 1968 à 12 ans dans Paris, puis passe son adolescence attardée de 17 à 22 ans à coucher alternativement avec filles et garçons, dans le gai bordel de l’interdit d’interdire. Il squatte et s’incruste sans horaire, vivant au jour le jour pour échapper au « système », militant inlassable du gauchisme hédoniste rêvant sous les pavés la plage. Rare est la littérature sur ces années 1970 et c’est avec intérêt que la génération qui l’a vécue jeune va le lire. Rare est l’analyse de la dissolution d’une société trop rigide par les mœurs par la subversion sans complot de sa jeunesse citadine. La France a été plus touchée que d’autres ; elle en garde plus que d’autres les traces, comme on le constate dans l’infantilisme politique, la croyance sans critique et le superficiel émotionnel de qui a manqué d’apprendre la parole.

Ce livre est intitulé « roman » et transfigure un récit autobiographique. Ses deux frères aînés ont disparu. Le premier, Pierre, devenu dément, s’est suicidé ; le second, Philippe, s’est noyé en Corse alors qu’il commençait à se désinhiber, accident ou mort volontaire. Reste Jérôme, le benjamin de neuf ans plus jeune et lui, Claude, aujourd’hui approchant la soixantaine. Le père, ancien officier marinier qui s’est reconverti dans l’industrie pour élever ses enfants, fut le plus désorienté par l’explosion des valeurs et des cadres sociaux. Tout son univers moral, culturel et citoyen s’est brutalement écroulé ; tous ses fils, successivement, se sont rebellés, leur programmation naturelle à contester le père s’amplifiant par l’époque.

La « folie » de l’aîné vient peut-être de là, de n’avoir pas su exister autrement que comme un clone du papa alors que la révolution exigeait la mue. L’homosexualité du second vient peut-être de là, hanté d’interdits qui exacerbent son désir sans jamais lui faire réaliser. Protégé par ses aînés, Clodion le chevelu, comme on l’appelait enfant du fait de ses boucles brunes, est resté plastique, imitant les grands puis ses pairs, isolé du père et quittant sa mère, atteinte de leucémie, de plus en plus indifférente.

L’enfance est heureuse en fratrie, cousinade et sensualité des vacances corses dans la famille Zuccharelli (dont son oncle Émile est maire de Bastia). L’aîné Pierre est le modèle musclé du cadet, le fils préféré du père, le garçon énergique rêvé : « Une discipline de Romain dans un corps d’Athénien, une foi chrétienne exaltée par la culture laïque de la République : Mens sana in corpore sano » p.16. Pierre a sauvé Claude de la noyade dans une piscine lorsqu’il était enfant.

Mais c’est Philippe, le second, qui est le plus proche de l’auteur. Insolent, solaire, séducteur, Philippe désire son petit frère mais ne le touchera pas avant ses 21 ans. « Il aime, depuis nos premières colonies de vacances, se glisser dans le lit de garçons assoupis et les réveiller en les faisant jouir » p.344. Jolie formule. Il faut dire que, dans les années 50 et 60, les classes n’étaient toujours pas mixtes dans les collèges bordant Paris vers l’ouest. « Le sexe m’est une menace », fait dire l’adulte au préado de 12 ans.

Si ses aînés lisent Montherlant et Malraux, lui préfère Koestler, Vian et Steinbeck. En sixième, j’en suis un peu étonné, étant du même âge que lui et fort lecteur, n’ayant abordé Koestler que vers 14 ans – mais nous sommes dans le roman. Il avoue quand même dévorer les récits de la Seconde guerre mondiale, résistance, espionnage, commandos, fort à la mode en ces années sans télé. Mais qu’il écoute Beatles, Rolling Stones et Françoise Hardy ne m’étonne pas. Qu’il n’aime pas Cloclo – Claude François – ne m’étonne pas non plus : l’histrion à paillettes était tellement dans le vent des années Giscard qu’il a très mal vieilli.

A la lisière de Boulogne, dans le grand immeuble bourgeois silencieux du n°35 qu’il habite, le jeune garçon s’ennuie. Il trouve la vie des Choses à la Perec absurde et les relations sociales une suite de rôles endossés provisoirement. Il joue la comédie devant les amies de sa mère, à servir le thé ; ou devant ses frères, à leur faire la cuisine. Il se rêve en cousin Stéphane, rude Corse de son âge, passant tout l’été torse nu, jambes nues et en sandales comme un scout de Joubert, grimpant aux arbres et abattant des merles pour les manger en pâté. Lui est plutôt passif, accommodant, avec un côté féminin – reconstitue-t-il adulte. Car ce n’est pas l’enfant qui parle, mais l’adulte tard venu, n’étant sorti de son adolescence immature que vers 35 ans. Il ne faut donc pas prendre au pied de la lettre ses reconstructions.

Les années suivant Mai 68 lui permettront de goûter à tout sans jamais s’investir, passant du trotskisme militant à 15 ans avec Thierry Jonquet à la Gauche prolétarienne de Benny Lévy (alias Pierre Victor) qui officie en conspirateur dans les sous-sols de Normale Sup, puis au LSD en Auvergne, à Félix Guattari (dont il baise à 19 ans la femme), ensuite aux amphétamines avant Lacan, Barthes, Hervé Guibert qu’il dévore des yeux, et Frédéric Mitterrand dont il squatte plusieurs mois l’appartement, enfin Hélène Cixous dont il suit le séminaire. Ce naming des années 2000 est un peu agaçant car il ne recouvre aucune histoire mais le simple fait de côtoyer passivement des célébrités. « Mes airs androgynes attiraient les deux sexes », avoue-t-il p.255. Désolé pour l’auteur, mais cet être changeant qui prendra plusieurs surnoms, de Clodion le chevelu enfant à Bastien militant trotskiste puis Arnulf, maoïste hédoniste, n’est pas le plus intéressant du roman. Son identité de caméléon est trop changeante pour qu’on s’y attache. Mais l’époque vit en lui et c’est elle qui reste, pas l’inconsistant du genre homo.

« Aussi fragile que dur, ingrat et immature, il a tous les travers de cette bohème à qui la figure sacralisée de Rimbaud servait encore de caution. Il refuse de se fixer un but, sinon en creux, vit en parasite par rejet intégriste de toute forme d’exploitation » p.369. La vie était certes moins morne qu’aujourd’hui, mais moins menacée aussi ; à la génération trop nombreuse du baby-boom, tout semblait possible, jusqu’à l’excès. « Jouis et fait jouir, sans faire de mal à personne », est la maxime de Chamfort que l’auteur affectionne, révélatrice de ces années-là. Il écrira adulte son premier livre sur cet auteur. L’adolescent en révolte des années de révolte « ne veut pas prendre sa place dans une société fondée sur l’injustice, la compétition et le refoulement. La famille même lui déplaît avec sa façon mesquine de vivre sur soi, d’exclure de ses préoccupations affectives le monde extérieur » p.157.

C’est pourtant ce « modèle » archaïque qui revient en force dans les vieux jours des mêmes…

Claude Arnaud a fini par suivre des études de lettres à Vincennes (fac sans bac), puis passé les concours des IPES pour devenir prof, bien au chaud sans risque de chômage et retraite assurée dans le fonctionnariat du vieux monde, mandarin imposant son savoir en chaire aux enfants disciplinés du système. L’injustice continue de régner, comme éternellement en toute société, même la plus égalitaire ; l’égalitarisme exacerbé ne suscite-t-il même pas, en réaction, cet individualiste exacerbé qu’est le Moi-je du paraître narcissique d’aujourd’hui ? Individualisme qui reconstitue aussitôt l’inégalité pour se poser et exister hors du Collectif tant à la mode des années 68-80.

Quant à la famille, ce sont aujourd’hui les plus déviants du modèle « bourgeois » qui revendiquent haut et fort leur « droit » à se marier, adopter et bâtir un « foyer » sanctionné par Monsieur le maire ! La société Mai 68 marche sur la tête, mais les mêmes qui l’ont lancée restent contents d’eux, toujours aussi inconséquents.

C’est l’intérêt de ce roman des années folles que de remettre les pendules à l’heure. Elles ont été vécues plus ou moins fort selon l’éloignement de Paris par la génération qui arrive à l’âge de la retraite. Des trois jeunes garçons torse nu de la couverture, un seul survit, le plus jeune, l’auteur. Il livre ici, bien écrite, sa confession d’un enfant du siècle.

Claude Arnaud, Qu’as-tu fait de tes frères ? 2010, prix Jean-Jacques Rousseau 2011, Livre de poche 2012, 381 pages, €6.74

Le site de Claude Arnaud

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