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Christian Signol, Sur la terre comme au ciel

Un enfant devient libre dès qu’il est né, disait sa mère, Marie, décédée depuis. Ambroise, le vieil homme, l’a accepté lorsque son fils unique Vincent l’a quitté pour vivre sa vie, loin de lui, dans les étendues glacées de la Baie d’Hudson au Canada. Là où l’avait porté sa passion des oiseaux, acquise tout petit sur les étangs du Touvois avec son père. L’enfant préférait la nature à l’école, mais a su assurer des études qui l’ont conduit à l’observation des oiseaux.

Dix ans qu’il est parti, le fils, et les trois dernières années de silence. Le père, ancré dans les marais de la réserve naturelle de la Brenne, ne comprend pas. Vincent a toujours été taiseux, mais trois ans sans nouvelles… Jusqu’à ce que les gendarmes, un matin, viennent frapper à sa porte. Un homme a été retrouvé amnésique au Canada, après un accident d’avion, sans aucun papier. A son accent, on a compris qu’il était français, et quelques mots murmurés ont fait penser au Touvois. Il est dans un hôpital psychiatrique à Paris.

Le père espère, il est viscéralement attaché à ce fils qui est comme lui, et qu’il aurait voulu garder sous son aile comme une mère poule. La solitude lui pèse, et ne pas savoir ce qu’il est devenu est une souffrance. Or c’est bien lui, rétabli de ses blessures mais vide de la tête. Le père l’a reconnu, par les yeux surtout. Il se dit qu’en retrouvant la maison de son enfance, le marais et son univers familier, les oiseaux, il peut récupérer un sens à sa vie et sa mémoire. Il signe tous les papiers et le prend avec lui.

C’est alors un lent réapprentissage de la vie, comme une nouvelle enfance. Le père retrouve son rôle, il est heureux. Vincent renaît, reconquiert les gestes automatiques de la pagaie, le goût d’observer les oiseaux migrateurs. Il s’attache à Charlène, guide du parc, une jeune fille de son âge qui a sympathisé avec son père Ambroise. Ces deux-là vont se rencontrer, et soigner la blessure secrète de Vincent, la mort par le froid d’une Inuit qu’il a aimée et qui attendait un enfant de lui. L’accident a bouleversé son psychisme et enfoui le souvenir cruel, mais celui-ci l’empêche de parler, de penser. Ce n’est qu’avec l’aide d’une amie de Charlène que Vincent va se réapproprier ses souvenirs, même les pires, et commencera à revivre.

Sauf que soigner les oiseaux blessés, observer les migrateurs passer sans s’arrêter plus que quelques heures sur le Touvois, ne comble pas son avidité des grands espaces, cette liberté qu’il trouve plus dans le ciel que sur la terre. Son père est attaché au terroir, le fils est attaché aux oiseaux qui volent sur de longues distances, les grues, les oies sauvages. Il doit repartir. C’est dans le vent des oiseaux qu’il sera au plus proche de la jeune Inuit disparue. Le père l’accepte, malgré son amour fusionnel avec son fils unique ; Vincent aura Charlène, ils s’aiment, il sera heureux. Or le bonheur est de savoir ceux qu’on aime heureux.

Même si Ambroise vit mal sa solitude retrouvée. Il a accompli son devoir de père, par deux fois, durant l’enfance puis dans la rééducation, il n’a plus aucun but. Il se laissera dériver vers les grands oiseaux blancs qui migrent en hiver.

Le roman du terroir, spécialité de l’auteur, est ici revu version écologie, modernisé en réserve naturelle. Ce n’est plus mieux avant, c’est mieux sans l’humain. Le lecteur saura tout sur les balbuzards, les hérons cendrés, les garzettes blanches, les bécassines et les sarcelles, entre autres innombrables volatiles. Il faut assurer les nids, piéger les prédateurs, ragondins ou brochets qui croquent les canetons, faucarder les rives, faire abattre l’excès de peupliers qui pompent trop d’eau. En gardien du parc naturel, c’est depuis des décennies le travail d’Amboise. Celui de Charlène est de faire connaître la nature aux touristes, visiter les marais, les inciter à observer les oiseaux à l’affût. Quant à Vincent, il est dans la modernité des études ornithologiques et des documentaires animaliers.

Les oiseaux donnent aussi des leçons aux humains : la fidélité de couple, la défense acharnée des petits, la discipline des vols au long cours. Surtout la grande liberté du ciel et des vents, avec la planète entière pour territoire.

Christian Signol, Sur la terre comme au ciel, 2020, Livre de poche 2022, 233 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

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Christian Signol, Bleus sont les étés

L’enfance, paradis perdu éternellement ressassé. Christian Signol, rédacteur administratif dans sa province natale avant de devenir écrivain, ne cesse de chanter le terroir, la vie d’avant, l’harmonie idéale entre l’être humain, les bêtes et la nature. Le causse, en ses sommets, c’est le ciel en été : bleu insoutenable au jour et piqueté d’étoiles la nuit. Un bleu qui lui est resté dans les yeux depuis que, tout petit, il y a vécu son enfance entre parents, grand-parents, oncles et tantes.

Il dit :« Sur ce causse à la magnifique lumière, vivait mon oncle solitaire qui m’a inspiré le personnage de Bleus sont les étés. Lui qui n’avait jamais quitté son hameau natal se désolait de devoir mourir sans descendance. J’ai alors imaginé cette histoire : au cours d’un été radieux un jeune Parisien et Aurélien nouent une complicité immédiate »

Aurélien a atteint les 80 ans et vit toujours au village sur le causse, avec ses brebis. Il n’en a plus qu’une dizaine, qui lui font des agneaux une fois l’an, qu’il vend pour subsister. Mais il est seul. Sa mère, égoïste et jalouse, l’a dissuadé d’épouser la Louise lorsqu’il avait 30 ans, au motif que « deux femmes dans une maison, c’est toujours une de trop » p.15. Non, ce n’était pas mieux avant… Le respect filial de tradition l’a empêché de vivre sa vie, et surtout d’être père. Il aurait dû contrer sa mère.

Le fils qu’il n’a jamais eu le hante. Il va même jusqu’à découper depuis des années des photos de garçonnets dans les journaux pour les adopter un ou deux ans comme fils, avant d’en changer. Il le voit, ce fils : « Sa peau avait la couleur des abricots, il était grand, fin comme de l’ambre, avec des yeux dorés » p.24.  Il voudrait partager sa propre enfance, transmettre ce qu’il a reçu lui-même et qui lui a été si précieux : « Son enfance à lui ? oh ! c’était du ciel, beaucoup de ciel, des bêtes chaudes dans ses bras, du vent, de l’eau, la tiédeur des pierres et celle, plus rare mais si précieuse, de la main de son père. C’étaient d’interminables journées entre les buis et les genévriers, de magnifiques silences plein de soupirs, des nuits sous les étoiles, serré contre le corps de celui qu’il n’avait jamais pu oublier de malgré les années » p.18.

Alors, lorsqu’il voit débarquer aux vacances de Pâques une famille de « Parisiens » qui ont acheté une masure au village pour y passer les vacances « nature », il sent son rêve se réaliser. Un gamin de 10 ou 11 ans vient à lui, tout naturellement, et le suit dans tout ce qu’il fait. Benjamin aime la nature, les bêtes, le pays. Il est très sensible à l’attention qu’on lui porte, à l’amour qu’il sent sourdre des êtres authentiques. Ses parents l’ont adopté à l’âge de 3 ans mais sont trop citadins, trop intellos, trop à se recevoir les uns et les autres, pour l’aimer vraiment ; il ne leur ressemble pas. Le vieil Aurélien, en revanche, est une sorte de grand-père apaisé, en phase avec l’univers ; une balise en ce monde qui devient fou, un bol d’air après le métro parisien et l’école grise.

Benjamin suit tout le jour Aurélien, mange à sa table, dort même dans sa maison, avec l’autorisation initiale de ses parents. Il est heureux et voudrait ne jamais repartir. Mais la demi-sœur se méfie, pour elle, ce n’est pas « normal » (ah, les filles et la norme sociale !). Les parents s’inquiètent de l’attachement du garçon à ce vieil homme, qui va bientôt mourir. Ils sont même jaloux de cet amour qui ne va pas vers eux. Ils commencent par limiter, puis à « interdire » (ah, les bobos socialistes et l’interdiction !).

Ils reviennent aux vacances d’été, et c’est pareil, le gamin leur échappe, tout à Aurélien. Cette fois, c’en est trop. Ils décident de partir en catastrophe et de mettre le maison en vente. Ils ne reviendront plus, « pour le bien de l’enfant » (ah, le démon du bien d’adultes qui se croient détenteurs de la vérité des êtres !). Benjamin est désespéré, mais doit obéir. Aurélien est désespéré, mais décide de réagir. Lui qui n’est jamais sorti, « sauf pour mon service militaire à Montauban » (n’a-t-il pas été mobilisé en 40 ?), il va monter à Paris. Prendre le train, d’abord le tortillard jusqu’à la ville, puis le train pour la capitale, puis le métro – où il se trompe – puis un taxi. Benjamin lui a heureusement donné son adresse pour qu’il lui écrive, mais ses lettres sont interceptées par les parents qui veulent « le protéger » (ah ! mais de quoi, s’il est heureux ?). Ils habitent évidemment le sixième arrondissement, le nid des bobos bourgeois progressistes autour de Saint-Germain-des-Prés.

Autant dire qu’il n’est pas bien accueilli et doit repartir le jour-même. Benjamin, désormais pré-ado et destiné à être vissé en pension, obtient quand même l’autorisation de le guider jusqu’au train à Paris-Austerlitz. Il en profite pour passer la journée avec lui, montrant son école, Notre-Dame, la Seine, le métro, tout son univers de citadin. Aurélien repart, mais ce n’est pas la joie. Il est abattu, il n’a plus envie de vivre.

Pourtant, un espoir : Benjamin lui a juré que, si on l’empêchait de le revoir, il ferait une fugue. Il débarque donc le soir de Noël, ayant quitté sa pension pour les vacances et utilisé son argent de poche pour le train. C’est la fête, mais le dernier éclat. Les parents en furie, qui ont deviné où le gamin allait, débarquent en voiture, ayant roulé toute la nuit. Ils préviennent les gendarmes. Et l’enfant est repris, Aurélien privé de fils et Benjamin de (re)père. L’auteur ne dit pas ce qu’il est devenu, mais le vieux paysan ne tarde pas à avoir une crise cardiaque. Il aura au moins vécu la réalisation de son plus cher désir dans les derniers mois de sa vie.

L’auteur décrit des caractères absolus tels qu’on les aimait dans les années soixante-dix, et fait de ses personnages des sortes de caricatures. Le vieux paysan en patriarche biblique, le garçon de 10 ans en jeune Isaac prêt au sacrifice, les parents néo-ruraux écolos progressistes comme dans Les Bronzés, sont excessifs. Pourquoi Benjamin n’aurait-il pu venir aux vacances, et rester en ville le reste de l’année ? Cela ne l’aurait-il pas motivé pour l’école, lui qui voulait plus ou moins être vétérinaire ? Gageons qu’à l’adolescence, le fils se rebellera contre ses bobos imbéciles de parents adoptifs ; peut-être se fera-t-il berger ou éleveur de chèvres au Larzac. Qu’auront-ils gagné ? De la haine, pas de l’amour.

Reste un roman sensible où l’émotion sourd sans cesse des situations. Le lecteur plaint Aurélien et son désir de fils ; il comprend que collectionner des photos de jeunes garçons n’a rien de pervers mais résulte d’une affectivité en manque ; il sait que Benjamin l’adopté a besoin de repères stables dans son existence et qu’il suffirait de peu pour l’apaiser. Un beau roman, un peu appuyé, mais qui fait compatir.

Christian Signol, Bleus sont les étés, 1998, Livre de poche 2000, €8,40, e-book Kindle €7,99

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Christian Signol, Bonheurs d’enfance

L’image du « paradis » la plus parlante aux humains reste celle de l’enfance : l’insouciance, la protection des parents, la curiosité ardente pour le monde qui vous entoure, les sensations très fortes des premières fois… L’auteur, écrivain du terroir né en Quercy dans un village non loin de Sarlat, est devenu prof à la ville avant de se retirer au pays de son enfance. Il se souvient.

Ce sont les années cinquante et soixante, ces parenthèses d’après-guerre où la vie renaissait comme au printemps, dans l’immuable des saisons et des traditions. Au village, les gens vivaient encore au Moyen-Âge, avec souvent pas l’électricité ni l’eau courante, en autarcie quasi complète. Ils produisaient leur blé, leur lait, leur vin, leurs viande, leurs légumes ; ils vendaient le surplus sur les marchés ou faisaient du troc comme jadis. C’était le temps d’avant des artisans : charron, forgeron, maçon, bourrelier, meunier, boulanger… La période était stable à la campagne, la vie lente, on prenait son temps.

L’auteur, brutalement déraciné à 11 ans pour aller au collège dans « l’enfer de la ville » (dit-il), revenait au village aux week-ends et aux vacances se ressourcer d’odeurs du foin, des feuilles d’orme cueillies pour les vaches, du cuir, de lessive ; il reprenait vie en sandalettes, pieds nus dans la rosée, courait les champs et les prés, préférant toutefois la forêt, son calme et ses mystères. Il était flanqué de son frère jumeau, plus placide selon lui, mais il dit toujours « je », en jumeau dominant.

C’est une nostalgie pour l’ancien monde – celui que j’ai connu aussi, à la campagne, même si ce n’était pas la même. Pour ma part, je ne regrette pas ce temps-là car la pensée était bien étroite, les distractions limitées, la culture absente, les cancans multiples, les haines de voisinage persistantes, qui remontaient à la nuit des temps. Il faisait froid, l’hygiène restait douteuse, les toilettes dans une cabane du jardin, les odeurs fortes entre les poules et les vaches. L’auteur se dit « progressiste », comme son milieu enseignant, mais sa nostalgie de l’enfance se confond trop souvent avec celle de l’ancien temps, celui d’avant mai 68 (l’auteur avait 21 ans).

Certes le monde était différent, sous la houlette de l’homme blanc et dans l’espérance ancrée de la démocratie désaliénant les citoyens du monde (ONU, UNESCO, FMI…). Aujourd’hui, le « c’était mieux avant » est repris par les partis extrémistes à la culture rancie, qui préfèrent élever des murs plutôt que parler avec l’Autre qui ne pense pas comme lui. Et « les écologistes » se muent trop volontiers en conservateurs acharnés de tout ce qui est, aveugles aux mouvements du monde et des sociétés. Bien-sûr qu’il vaut mieux « être ensemble », faire partie d‘un groupe familial, amical, local, s’ancrer dans « une communauté ». Mais la ville, son individualisme et ses propositions de culture sont incomparables pour émanciper chacun de ses déterminismes et le révéler à lui-même.

Sauf que cette liberté fait peur au grand nombre, qui préfère se réfugier dans les traditions, l’immuable, le Moyen-Âge. Aussi, chacun lira ce témoignage selon qui il est.

Christian Signol mérite d’être lu pour ce qu’il décrit des années qui ne sont plus, dans ce récit qui n’est pas un roman. Ceux qui les ont vécues vieillissent et, peu à peu, commencent à disparaître. Il dit le basculement du monde. Ce n’était pas le premier, ce ne sera pas le dernier.

Aujourd’hui même, le monde bascule à nouveau avec les attentats islamistes du 11-Septembre, l’essor du populisme des extrêmes depuis Trump 2016, la pandémie d’origine chinoise 2019, l’invasion russe d’un État souverain 2022, les catastrophes naturelles qui se multiplient en raison du réchauffement du climat. Beaucoup se réfugient dans la nostalgie et quittent les villes pour les villages – mais sans consentir à la frugalité d’avant…

Christian Signol, Bonheurs d’enfance, 1996, Livre de poche 1998, 191 pages, €7,70, e-book Kindle €6,99

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Christian Signol, Les menthes sauvages

Ce roman est la suite des Cailloux bleus, publié l’année précédente, mais peut se lire indépendamment. Christian Signol, né dans le Quercy en 1947, est l’un des petits-fils de la famille qu’il romance. Il aime le paysage et la terre, bien que le premier soit rude et la seconde pleine de cailloux. Il aime le climat changeant, très contrasté, caniculaire l’été et glacial l’hiver. Mais le printemps est explosif et fait jouir de la vie.

Philomène aime ses brebis ; son mari Adrien aime ses cailloux. Tous deux aiment la terre et le Quercy, ils ont bataillé très dur pour devenir propriétaires et assurer des récoltes régulières en blé, seigle, vigne pour le vin, et moutons pour la laine. Ils vivent en autarcie, comme la plupart des paysans avant 1945.

L’auteur met en scène le changement du monde qui fait passer, en deux générations, du Moyen Âge aux fusées interplanétaires. Il semble qu’en effet les campagnes isolées se désenclavent tous les 40 ans grâce à une nouvelle technique : le chemin de fer vers 1880, la radio vers 1920, la télévision vers 1960, et – mais ce n’est pas encore l’époque – l’Internet vers 2000 (sans évoquer encore l’IA qui vient).

Adrian, terrien et conservateur, bien que de gauche politiquement, est attaché à ce que rien ne change. Mais ses enfants ne l’entendent pas de cette oreille, notamment Guillaume, le fils aîné, qui préférerait vivre en ville plutôt que d’arracher de maigres ressources au sol pierreux du Quercy. Adrian s’est battu pour la terre, il a fait la guerre de 14 contre l’ennemi, il a été blessé et meurtri, il ne comprend pas que ses fils dédaignent ce patrimoine qu’il a fait fructifier pour eux. Philomène son épouse pousse la petite Marie au collège, mais elle ne supporte pas la solitude de l’internat et revient bien vite au village. Elle pousse alors Louise, sa petite dernière, qui réussit fort bien. Faute de bourse, car nous sommes sous l’Occupation et qu’il faut faire allégeance au pétainisme pour obtenir des subsides de l’État (tous les régimes autoritaires sont des mafias), Philomène se débrouille pour placer Louise auprès de sa sœur et la conduire jusqu’au bac, avant qu’elle-devienne professeur. Ce fut l’itinéraire au masculin de l’auteur.

Les cailloux bleus et Les menthes sauvages sont les premiers romans du terroir de Christian Signol. Ils ont connu un gros succès parce que la période était faste. Les années 1980 en France, en effet, voulaient « changer la vie » avec la gauche, ce qui faisait regretter le bon vieux temps des grands-parents. Les années 80 ont vu ressurgir les lampadaires municipaux en forme de lanterne, les sabots à la maison (mais suédois en cuir, et pas en bois), et du chèvre chaud dans la salade. Le chèvre était considéré comme un fromage qui sentait trop fort pour les bourgeois, donc une façon de renverser la table pour les néo-ruraux socialistes. Depuis, l’écologie l’a emporté sur le socialisme, et la paysannerie est allée à ses limites industrielles. Sans forcément reprendre les pratiques ancestrales, dévoreuses de temps et de fatigue, les paysans en reviennent aux exploitations plus modestes, au repos de la terre, à la diversification des cultures, à l’engrais naturel, et à certaines pratiques non mécaniques sur les sols. Adrien n’avait pas tort, bien qu’il n’ait pas eu tout fait raison.

Christian Signol décrit au galop trois générations qui se succèdent, depuis la guerre de 14 jusqu’au début des années 60. Les parents s’accrochent à la terre mais les enfants la quittent l’un après l’autre. Guillaume pour aller à la ville et s’acoquiner avec l’extrême droite, ce qui lui permettra de sauver son frère François arrêté par la Gestapo pour avoir voulu fuir en Angleterre, mais qui l’a obligé lui-même de fuir en Algérie à la Libération avant de gagner l’Indochine dans la Légion étrangère. Marie, qui avait refusé le collège, s’est mariée à un artisan en ville qui s’est mis à son compte tandis que Louise, devenu professeur à Montpellier, s’est mariée avec un autre professeur du même lycée. Tous ont eu des enfants, ce qui fait la joie des grands-parents lorsqu’ils viennent en vacances.

Je ne crois pas qu’Adrien aime ses petits-enfants parce qu’il leur à constitué un patrimoine de terres et de vignes, comme semble le dire l’auteur. Adrien aime le vital tout simplement : les jeux et les rires des enfants, tout comme leur curiosité insatiable, sont l’expression même de la vie. Cette vitalité ragaillardit, sans pousser la réflexion plus avant. À 62 ans, Adrien est déjà fort décati par les travaux des champs et refuse le tracteur. Il mourra d’une crise cardiaque quelques années plus tard, pour ne pas avoir voulu suivre le progrès. Ce genre de résistance n’est pas positive, malgré le « c’était mieux avant » des aigris et des flemmards. Le conservatisme est acceptable jusqu’à certaines limites, mais pas au point de refuser tout changement. Ce sont les enfants qui le démontrent à leur père dans ce roman, et ce n’est pas si mal comme leçon.

Un bon roman du terroir qui se lit très agréablement, l’auteur est un conteur né.

Christian Signol, Les menthes sauvages, 1985, Pocket 2014, 480 pages, €7,70

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Christian Signol, La rivière espérance (trilogie)

Christian le rossignol nous chante en trois volumes une belle histoire, celle d’un passé idéalisé pour le meilleur et pour le pire mais où l’homme vivait au rythme de la nature, accordé aux paysages qui l’avaient vu naître. Alors le lecteur marche pour les bons sentiments, pour le romantisme diffus, pour le vieux rêve d’une humanité à sa place dans son environnement. Et puis, un peu de réflexion éloigne et rend sévère.

Une documentation serrée ne fait pas le réalisme des personnages comme des situations. Il s’agit plutôt d’une utopie, sous des oripeaux à la Zola. Nous n’avons rien contre les utopies, même si elles ne sont plus dans l’air du temps. Rien non plus contre le réalisme à la Zola, même s’il nous paraît un peu voyeur. C’est le mélange qui nous irrite : la prétention de faire vrai alors que l’imagination devrait être au pouvoir. Il y a presque falsification, une amplification de presse du cœur ou de littérature sentimentale. Et c’est dommage : le site, le métier, l’époque, les personnages, auraient tous mérité mieux. L’auteur aussi, qui sait écrire, il l’a montré dans d’autres romans plus resserrés. Tout se passe comme si, cette fois, la Dordogne et ses bateliers l’avaient dépassé bel et bien, entraîné dans ses méandres et ses tourbillons pour le laisser sans gouvernail, à la dérive. Comme son héros, l’auteur abdique presque, sa barque va où elle veut, jusque dans l’océan d’où l’on ne revient pas, à ce qu’on dit.

Le premier tome est le plus réussi, peut-être, parce qu’il évoque l’enfance et que les personnages sont encore frais, à peine éclos de l’imagination, parés de mille beautés. Ni l’époque, ni le métier, ne les ont encore vraiment agrippés, et l’auteur reste roi. Benjamin est un gosse de rêve parmi un rêve de parents. Amoureux dès 10 ans, vigoureux, volontaire, courageux, il a une mère aimante et dynamique qui mourra au tome trois dans son sommeil, à un âge avancé, un sourire encore aux lèvres ; il a un père fort, tenace et consciencieux, qui aime et protège son petit comme Dieu seul sait le faire. Alors on s’étonne passablement par la suite que Benjamin devienne obstiné et borné, anarchiste égoïste, envie son propre fils aîné, voulant que tous se courbent devant lui, orgueilleux jusqu’au suicide, ne s’arrêtant plusieurs fois que juste au bord – somme tout un vieux con. Il y a quelque invraisemblance à cette métamorphose. Une hérédité idéale, une éducation parfaite, des épreuves d’homme à l’âge nécessaire – comment tout cela peut-il aboutir à cette quarantaine obtuse et aigrie, à ce conservatisme replié sur sa routine, violent contre l’époque et le monde entier ?

Ce n’est pas la seule invraisemblance. Qu’un homme découvre la lecture, les philosophes et le grand large, qu’il devienne républicain, marin, qu’il trouve l’amitié, la solidarité, et qu’il voie du pays – comment peut-il finir braqué contre le progrès, contre le temps qui change, haineux du fils qui s’adapte, celui-là même qui ressemble le plus à son grand-père, ce père aimant et aimé, exemplaire ? Cette malfaçon psychologique suffirait à elle seule. Mais que les filles disparaissent est plus invraisemblable encore. Le Benjamin avait deux sœurs : pfuit ! Envolées. L’enfance finie, où l’on s’aimait, on ne les revoit plus. Ceux que l’on côtoie encore n’ont pour enfants que de petits garçons qui deviennent vite des gamins magnifiques, musclés, vifs et volontaires – des utopies de gosses – avant de se transformer aussi vite en adultes balourds et falots. Christian Signol n’aime ni les femmes (sauf les mères de héros ou la vierge Marie ?), ni les adultes moyens. Il fait une véritable fixation sur les prénoms qui se terminent en « in »  ou « ien » : Benjamin, Victorien, Vivien, Aubin, Émilien…

Parmi les mères, Marie, la femme de Benjamin, est un personnage réussi. Modeste mais tenace, elle aime et sait ce qu’elle veut. On la respecte comme mère et comme épouse, celle qui seconde son mari et le remplace lorsqu’il est empêché. C’est à se demander si ce n’est pas Marie la véritable héroïne du roman. C’est elle qui fixe l’amour du garçon, lui fait de beaux petits mâles, les élève avec équilibre, après avoir élevés et aimés ses petits frères difficiles ; celle qui maintient l’entreprise de batellerie ; celle qui conserve et transmet, en rythme avec l’époque.

Malgré toutes ces critiques, la saga se lit bien. Le style coule comme de l’eau, l’auteur a un véritable amour pour ses personnages, assez rare en littérature où les écrivains se font volontiers entomologistes. Un amour pour le paysage aussi, cette vallée de la Dordogne cent fois décrite, complaisamment, en ces trois volumes.

Mais le lecteur reste avec cette idée que les êtres imaginés ont dépassé leur créateur. Qu’une fois le premier livre écrit, l’auteur avait tout dit. En labourant lourdement une suite, il a gâché l’ouvrage, usant du raccourci, de l’agacement, du parti pris. Les bons sentiments ne supportent pas de s’étaler. Pas plus que les modes politiques d’être plaquées sur une histoire. La saga des Donnadieu était belle sans la démagogie « républicaine », qui apparaît bien plus anarchiste et individualiste que fraternelle ou révolutionnaire dans le déroulement de cette histoire. Elle eut gagné aussi à éviter les outrances suicidaires des protagonistes qui, rituellement toutes les 150 pages, tentent de se perdre. Sans évoquer les caricatures tout d’une pièce que sont les comparses du décor, tous bien bons ou bien méchants sans nuance, ou bien l’insignifiance insigne de la piétaille avec qui, pourtant, ces paysans enrichis par le commerce, ont été élevé !

On a trop aimé le cœur du sujet – la Dordogne – et les personnages idéalisés qu’elle secrète sous la plume de Christian Signol, pour ne pas souffrir de les voir déformés, abîmés par l’absence de maîtrise. L’auteur aurait pu être grand ; il a failli. Nous en avons, nous lecteurs, un profond regret.

Christian Signol, La rivière espérance / Le royaume du fleuve / L’âme de la vallée, 1993, trilogie Robert Laffont 2007, 848 pages, €28.50 e-book Kindle €19.99 ou Pocket tome 1 €6.40, tome 2 €5.50, tome 3 occasion €3.50

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Christian Signol, Antonin paysan du Causse

Une biographie romancée d’un homme de la France d’avant, écrite au galop, en réunissant tout le savoir des petits-enfants nés après la dernière guerre sur les grands-parents qui ont vu leur univers brisés par la Grande guerre de 14-18 que certains présidents ont aimé bien légèrement « célébrer ».

Antonin est né à la terre et a vécu comme au Moyen-âge, sans eau courante ni électricité, sans acheter quoi que ce soit à la ville qu’il n’ait vendu des poules ou des fromages en contrepartie. Le Causse est une région pauvre où la terre est aride et le plateau calcaire trop empierré. Depuis des millénaires, des générations ont arraché leur pitance aux cailloux, élevant des chèvres et des volailles, chassant le lièvre roux ou la bécasse.

Mais, hors les rois et les impôts, ils étaient heureux. Ils ne connaissaient que leur paysage, ses odeurs et ses lumières ; que les gens du pays avec lesquels ils avaient été élevés, se bagarraient, jouaient, flirtaient et se mariaient ; que la culture commune des histoires aux veillées, des courses de Pâques et des feux de Saint-Jean ; que la morale sévère du curé pour empêcher de se caresser de trop près. L’enfant grandissait entre ses parents et ils étaient doux avec lui, le regardant grandir et l’éduquant au travail. Les bêtes venaient lécher les mains et donnaient du lait nourrissant. Le bois ne manquait pas pour se chauffer l’hiver et cuire la soupe tous les jours, non plus que la paille pour les chèvres et les brebis, ni la vigne pour faire le vin qui durait toute l’année.

C’est tout ce monde, que la plupart de nos grands-parents ont connu, qui s’est écroulé en 1914, lorsque des citadins vaniteux ont décidé « la guerre » pour le prestige ou pour venger l’orgueil blessé. La saignée de 14-18 a surtout marqué les campagnes parce que les citadins étaient soit planqués, soit trop malingres pour se battre. Elle a enlevé des bras aux fermes, qui n’ont pu alors que péricliter, incitant les vieux à se réfugier au bourg chez leur descendance, et celle-ci vendre les fermes, les bergeries et les terres aux bourgeois venus s’encampagner le week-end.

Antonin est revenu blessé de la guerre de 14, inapte au travail comme avant. Il a vu son père mourir, puis sa mère décliner. Il a rompu la promesse de la marier qu’il avait faite à 15 ans à Armandine, la fille qu’il avait dans le sang. Il a vu le maire se mécaniser, puis restaurer des vieux bâtiments pour les louer aux citadins, les derniers natifs partir, trop vieux pour subsister, ses terres mêmes êtres expropriées pour faire passer une route reliant le hameau à la Nationale 20. Même si quelques écolos, après 68, ont émis l’espoir de venir installer « un atelier de tissage » comme ce fut la mode un temps, ou « élever des chèvres », le temps immémorial est bel et bien révolu.

L’électricité, la télé, désormais Internet, interdisent d’en revenir à la vie traditionnelle centrée sur l’agriculture, l’élevage et l’autarcie. Sauf si un cataclysme économique, social, politique ou écologique devait remettre les compteurs à zéro.

Antonin est attachant enfant, lorsqu’il jouit des parfums et des histoires ; il est émouvant, adolescent sans le savoir (on passait alors directement de l’enfance à l’âge d’homme), lorsqu’il serre d’un peu trop près la fille avec qui il veut faire sa vie et qu’une commère le dénonce, le curé venant chez ses parents faire la morale ; il est touchant, adulte, lorsqu’il voit les horreurs de la guerre et, pire peut-être, les ravages qu’elle fit dans la façon de vivre au village. Il se marie tardivement mais sa femme meurt en couche et l’enfant qu’elle porte avec ; il aide la Résistance par rébellion native contre tous ceux qui veulent imposer de loin leur loi.

Mais il ne peut rien contre le destin qui fait de lui un vestige, un solitaire et une fin de race.

Christian Signol recycle dans ce roman maintes publications sur le terroir, en plus des souvenirs familiaux qu’il a pu recueillir. Il écrit clair, direct, avec quelques émotions face à la nature, aux plantes, aux bêtes et aux gens. Comme ce petit garçon blond de la ville qui prend la main du vieux pour qu’il lui fasse caresser la chèvre Mélanie ou qu’il lui explique pourquoi les herbes et comment le vin. Juste le temps d’un bref été. Comme un remords de n’avoir jamais pu engendrer.

Elle est là, la France profonde, ultra-périphérique puisqu’elle disparaît peu à peu avec ceux nés dans l’avant-siècle qui précède le nôtre, comme l’a montré Jean-Pierre Le Goff. Il ne faut pas les oublier parce qu’ils nous ont faits et « je crois que pour pousser haut, les arbres, comme les hommes, ont besoin de racines profondes et vigoureuses. C’est seulement si l’on sait cela que l’on a des chances de résister aux tempêtes du temps » p.182. Pas de retour à la terre, mais une conscience de notre histoire multimillénaire.

Christian Signol, Antonin, paysan du Causse (1897-1974), 1986, Pocket 1987 réédité 2007, 183 pages, €5.95

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