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Le Pari de Didier Bourdon et Bernard Campan

Les Inconnus (deux sur trois) livrent un film délirant sur la dépendance au tabac et l’exigence sociale d’arrêter de fumer. Deux beaufs mariés chacun à une sœur sont le jour et la nuit. Lui est pharmacien (Didier Bourdon) mais la pharmacie est à sa femme, ils habitent le 92, roulant en Mercedes ; il lit Le Figaro et son couple a adopté une petite haïtienne (Kelly Lawson). L’autre (Bernard Campan) est prof de technologie en ZUP du 95, roulant en 205 (rouge), lisant Libération et affichant des idées de gauche, voire gauchistes (la photo de Che Guevara dans le salon). Les filles se jalousent, elles se sont toujours jalousées ; Murielle (Isabelle Ferron) est bourgeoise et ne fume pas, Victoria (Isabel Otero) est journaliste prolo et grande fumeuse. Les gars sont tous deux fumeurs, parce que ça fait bien, parce qu’à l’adolescence ça faisait macho.

Lors d’une réunion de famille où ils se titillent, Bernard annonce par défi qu’il arrête la cigarette jusqu’à la fête des mères (dans quinze jours). Didier, qui ne peut être en reste malgré son ironie, décide d’en faire autant. Rira bien qui rira le dernier, il est sûr que l’autre va céder en cachette. Lui a toute une pharmacie pour s’aider : patch, calmants, somnifères ; l’autre n’a que l’acupuncture à la mode gauchiste ou simplement respirer l’odeur des paquets de cigarettes de sa femme pour tenter de s’en sortir. Un soir, ils se retrouvent chacun dans la queue au bureau de tabac. Se reconnaissant sans se montrer, ils feignent d’acheter l’un des chewing-gum, l’autre des Bounty – des cadeaux de curé pour les pipes des enfants de chœur chez les humoristes. Didier insiste pour raccompagner Bernard à sa voiture, garée dix mètres plus loin ; il ne veut pas que l’autre en profite pour retourner acheter des clopes. Il le suit même en voiture jusqu’à l’orée de Paris pour être sûr qu’il ne va pas y retourner.

Ce n’est que le début des tentations. Pire, les effets secondaires. Ne plus fumer énerve, rend irascible, agité, insupportable. Didier donne n’importe quoi à la vieille qui vient chaque jour lui exposer ses problèmes d’intestins. Bernard appelle l’un de ses élèves arabes Camel en référence aux cigarettes alors qu’il s’agit de Mouloud, faute peut-être d’une Gauloise dans cette classe technologique de garçons arabes. Les couples explosent. Surtout quand la Victoria, niaise devant les stars comme toutes les petite-bourgeoises, s’entiche d’un animateur télé (Robert Plagnol) jeune, mince et sympathique à l’écran. Les mecs quittent les meufs, Didier est viré de « sa » pharmacie – qui appartient à Madame. Elodie l’adoptée tente de jouer les médiatrices, elle aime son papa, mais ce n’est pas simple, les histoires d’adultes.

Les deux hommes vivent dans le même appartement tout petit, partagent le loyer, s’emploient à de petits boulots comme livreurs de pizza. Ils bouffent mal, grossissent. Ils participent à des ateliers de fumeurs anonymes pour éradiquer dans leur tête la dépendance au tabac, ce qui est l’occasion de scènes cocasses où le marketing commercial inepte (la prise de judo à qui propose une clope) et l’enthousiasme de commande (« Le tabac, c’est tabou ! On en viendra tous à bout ! ») tente de faire accroire.

C’est dès lors la déchéance. La tentative de « cambriolage » de sa propre pharmacie par Didier pour prendre des patchs et des calmants, mais Murielle a changé le code qui était « pupuce » – le degré zéro de la niaiserie de couple. Les gendarmes ne les croient pas et ils inventent toute une histoire de casses divers où ils ont assassiné et violés, ils ne savent plus dans quel ordre, au point que le commissaire ne les croit pas davantage mais relativise leurs premières déclarations, quand même plus réalistes. Ils ne sont délivrés que par le médecin traitant de Didier (François Berléand). Bernard a préparé une lettre piégée pour le bellâtre de télé mais, en se précipitant chez lui, il l’ouvre par inadvertance et finit à l’hôpital.

Une fois rétabli, ils entrent tous deux dans un centre de remise en forme pour retrouver leurs poids mais c’est aussi dur que d’éradiquer le tabac. De cuillerées de carottes râpées en dômes d’épinards sur assiette, ils pètent les plombs et se font une ventrée dans les cuisines jusqu’à ce qu’ils soient surpris… par une employée qui leur tend un téléphone : le beau-père vient de crever. Ils se rendent incognito à l’enterrement, n’étant plus présentables depuis un an qu’ils ont quitté les bobonnes, mais Elodie reconnaît son papa et tout le monde se tombe dans les bras. Encore une année et Didier a divorcé de Murielle pour se mettre coach de yoga comme un gauchiste tandis que Bernard s’est embourgeoisé et a engrossé sa Victoria.

Comme quoi rompre ses habitudes met le monde sens dessus-dessous.

Le spectateur rit souvent mais avec un certain malaise. Le tabac est devenu tabou aujourd’hui bien plus qu’il ne l’était encore dans les années 1990. C’était pire dans les années 1970 ! Personne ne supporterait plus de rouler en voiture dans une atmosphère enfumée, ni de dormir avec une clopeuse de dernier moment avant la nuit, ni encore de déguster des plats au restaurant avec l’odeur du tabac de la table à côté. C’est pourquoi le côté « le tabac c’est sympa, l’éradiquer une tyrannie » que chantonne le film en sourdine passe moins bien qu’à sa sortie. Reste que les sketches sont souvent bons et les allusions meilleures encore. Quand Gilbert l’anonyme assidu (Régis Laspalès), qui reconnaît une image « pas bien » parce qu’on voit un fumeur dans un rétroviseur, explique que sa femme est morte du tabac, Didier et Bernard font une mine de circonstance. « La cigarette ? – non, renversée par un camion de la SEITA ».

Alors, « faut-il » arrêter de fumer ? Le film laisse le pour et le contre à chacun mais exécute avec brio la bêtise sociale des adjuvants, calmants, sectes aidantes, tentations et autres messages subliminaux. Lorsque le curé qui enterre évoque « la flamme » du défunt qui s’est éteinte, la « fumée » des cierges et réclame paix à ses « cendres », on se tord de rire. Cela ne va pas plus loin mais c’est déjà ça.

DVD Le Pari, Didier Bourdon et Bernard Campan, 1997, avec Didier Bourdon, Bernard Campan, Isabelle Ferron, Isabel Otero, Hélène Surgère, Fox Pathé Europe 1999, 1h30, €6,61 blu-ray €23,70

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Haruki Murakami, Ecoute le chant du vent suivi de Flipper 1973

Ces deux premiers romans du célèbre Murakami sont restés longtemps inédits. Ils sont courts, 140 et 170 pages à peu près, et déroulent l’existence d’une jeunesse japonaise au début des années 1970. Le lecteur peut y trouver le style Murakami, ce présent inimitable où une certaine philosophie enseignée s’allie à l’observation poétique.

Le roman est pour Murakami ce qu’il était pour Stendhal, un miroir promené le long d’un chemin, avec le zen en plus, la vie intensément au présent. Le futur n’existe pas puisqu’il est chimère ; le passé n’existe que lorsqu’il est souvenir ramené au présent. Le chant du vent est ce souffle qui va, comme l’existence se déroule, et qu’il faut écouter pour en saisir le fil. Il n’a pas de sens, seulement un fil. « La seule chose que nous réussissions à connaître avec une certaine précision est le moment présent, lequel cependant ne fait que passer », dit le narrateur dans Flipper, p.306. Il faut le suivre, ce moment qui passe, sous peine de se perdre.

L’histoire se déroule donc comme au fil de la plume, un présent qui s’est passé, recréé par la mémoire ou l’imagination. Le narrateur d’Ecoute le chant du vent s’éveille un matin avec une fille dans son lit, à poil. Il ne la connait pas, elle ne le connait pas, et ce décalage engendre son lot de présent reconstitué sur une saoulerie la veille au soir. La fille enfile sa robe directement sur sa peau nue et part travailler. Ils vont se revoir, elle est vendeuse dans une maison de disques et le narrateur écoute beaucoup de disques, qu’il offre parfois à ses amis. Mais il se remémore : « du 15 août 1969 jusqu’au 3 avril 1970, (…) j’ai fait l’amour 54 fois » p.90. Ce qui ne fait guère que sept fois par mois si l’on compte bien, pas grand-chose dans ces années de b(r)aise.

Car le sexe est, avec la cigarette et l’alcool, la principale préoccupation des ex-teenagers des années soixante. L’université les ennuie ou les formate, le métier et le mariage arrangé les rebutent, ils préfèrent les petits boulots et les étreintes éphémères en attendant de choisir. Le fan de flipper recherche un modèle presque unique au Japon (trois exemplaires seulement) de machine à trois leviers ; il baise en attendant un couple de jumelles qui ne portent pour tout vêtement qu’un haut, et rien quand elles le lavent. Mais elles font divinement le café et caressent doublement.

Le J’s bar de Kobe accueille chaque soir le narrateur revenu pour l’été dans sa ville natale pour une bière (ou un Jim Beams) et le copain Le Rat étale son spleen de gosse de riche qui ne sait que faire de son existence. Il écrit des romans où l’on ne meurt ni ne baise… Au fond, ce sont des romans où il ne se passe rien, comme dans sa vraie vie.

Comment écrire se demande l’auteur ? En langue étrangère… car si l’on rédige avec un vocabulaire basique et des phrases simples, votre style s’épure de toutes les scories « littéraires » qui traînent inévitablement dans votre langue maternelle. Une fois cet exercice effectué (et avec un clavier différent puisque l’anglais de Murakami ne se tape pas en alphabet occidental), le retour à sa propre langue est plus simple : vous avez trouvé votre style.

Pourquoi écrire? Ça vous tombe dessus comme un destin, au bruit d’une balle frappé au baseball ou à la chaleur d’un pigeon blessé tenu au creux des mains. On « sent » qu’il faut écrire. Juste pour dire le bruit du vent et le chant des humains – ou l’inverse.

Ce ne sont pas de grands romans comparés aux suivants, mais un ton, doux-amer, apaisé, non sans humour parfois. Il vous donne envie de vivre simplement, tout simplement.

Haruki Murakami, Ecoute le chant du vent (1979) suivi de Flipper 1973 (1973), 10-18 2017, 309 pages, €7.80 e-book Kindle €12.99

Les œuvres de Haruki Murakami déjà chroniquées sur ce blog

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Le dernier jour de Rodolphe Marconi

Ce n’est pas un grand film, presque une réalisation d’amateur. Car l’histoire est faible, révélée à la fin comme dans une nouvelle littéraire, ce qui réussit peu au format long métrage. Mais les acteurs sont tellement présents que leurs relations emportent tout et que l’histoire se crée de cette trame, sans insister.

Simon (Gaspard Ulliel), à 18 ans (20 ans au tournage), est fragile et intense. Parti de la maison familiale d’Oléron après le bac, il a passé le bac afin de poursuivre les Beaux-Arts à Paris (il est en deuxième année). Il revient dans le cocon familial et îlien pour Noël. Artiste évaporé qui laisse sa sœur dans l’ignorance du lieu et de l’heure de son arrivée, tout le touche et il a peur de blesser. Il ne se promène jamais sans une caméra ancien modèle, avec laquelle il filme tout et rien, ces petits moments du souvenir. Comme s’il était absent à l’existence, spectateur de lui-même.

On le rencontre dans le train de nuit pour La Rochelle où une jeune fille jolie et placide (Mélanie Laurent) lui demande une cigarette. Ce poncif des films qui n’ont rien à dire était l’entrée en matière classique des années fin de siècle (le XXe) ; ce parti-pris d’enfumage est aujourd’hui très agaçant. Les deux tirent sur leurs tétines en se jetant l’un l’autre des regards subreptices. Puis le garçon va se coucher dans son compartiment – et la fille le suit un moment plus tard, alors qu’elle ne le connaissait manifestement pas avant. Premier jalon du mystère.

Et l’on retrouve les deux sur le bac pour Oléron, la fille invitée chez le garçon ; tout le monde pense qu’elle est sa fiancée ramenée de Paris. Dans l’histoire elle a 17 ans et lui 18. Second mystère.

Le spectateur fait la connaissance de la famille, recuite en passions sous serre, dans cette île où tout le monde se connaît et dont on ne peut sortir sans que tout le monde le sache. La sœur aînée lance des piques à son frère, manifestement jalouse de voir qu’il reste le chéri à sa maman. Le père, évidemment maladroit (encore un poncif), lance des piques à sa femme tout en proposant plus ou moins à son fils de lui montrer le nouveau bateau qu’il vient d’acquérir. Mais comme on est fin décembre, les jours sont courts et l’eau à 10°.

Les deux jeunes couchent ensembles dans le même lit comme s’ils se connaissaient depuis longtemps. « Tu couches à poil ou en tee-shirt ? », interroge la fille le premier soir, entièrement nue devant la glace. « En tee-shirt », répond le garçon interloqué et vaguement pudique. Ils sont couchés, ils ne baisent pas, et leurs fantasmes se tiennent tout droit dans leurs têtes. Même le lendemain, lorsque Simon a trop chaud et ôte son tee-shirt, Louise n’est pas excitée par ce beau corps ; et si le garçon vient sur elle, c’est pour… lui masser le dos. Troisième mystère.

Comme il n’y a rien à faire dans l’île sauf se promener et observer les pêcheurs, le garçon propose à la fille d’aller dans le café qui sert de boite à la fois aux adultes et à la jeunesse. Au retour, dans la vieille Aronde coupé qui est un autre signe de la date antique de cette histoire (après le train de nuit et le bac), Simon demande à Louise de l’attendre un moment. Il monte dans le phare où son ami Matthieu (Thibaut Vinçon) est en service. Lasse d’attendre son retour, Louise suit ses traces et ne peut qu’être présentée à Mathieu. Simon aurait manifestement voulu garder son ami d’adolescence pour lui seul, mais il ne peut faire autrement. Quatrième mystère.

Alors tout s’enchaîne enfin.

Mathieu en pince pour Louise qui se laisse faire. Simon ne comprend pas, à la fois timide parce qu’il n’a manifestement jamais enfilé une fille, et jaloux parce qu’il a dû avoir quelques relations intimes avec Mathieu avant son départ pour la capitale. Chacun embrasse chacun devant l’autre – sur la bouche – mais c’est plus long pour les deux garçons. Mathieu et Louise vont admirer le corps de Simon qui nage dans la piscine. Louise, seins nus sous une robe transparente pour une soirée prêtée par la mère (!), essaye le rouge à lèvres sur Simon, « ça te va bien », lui dit-elle tandis que le père entre dans la pièce (!). Les trois se retrouvent dans le lit de Mathieu (!), mais c’est Louise qui l’enserre. Simon en sera réduit à se branler sur le lit, fantasmant sur l’odeur de son ami, lorsque le couple aura été se promener.

La mère de Simon reçoit un coup de téléphone qui la laisse sans voix ; son amant d’il y a 20 ans se manifeste. Elle va le voir à l’hôtel, ne veut pas renouer mais, son mari lui étant trop pesant, elle finit par rebaiser. Puis déclare à son mari qu’elle le quitte.

De ce fait, elle avoue à Simon que son père n’est pas son père et que le « vrai » (disons plutôt le biologique, qui n’en a rien eu à foutre autrement que pour la première seconde) désire le voir. Mais lorsque Simon, déstabilisé, veut rencontrer ce géniteur, l’hôtelière lui annonce qu’il est parti le matin et a réglé sa note. Sa mère s’est fait engrosser (dit-elle) « par le premier venu » parce qu’elle venait de perdre un bébé et qu’elle a voulu tout de suite en faire un autre, alors que son mari refusait.

Tout s’écroule dans l’univers du garçon. Son père est un faux et le vrai ne veut pas de lui ; sa mère a couché avec un autre, a menti à tout le monde, n’a désiré qu’un fils de substitution pour compenser le vrai, et elle quitte le foyer pour aller on ne sait où ; sa « fiancée » (qui ne l’a peut-être pas accompagné par hasard) couche ouvertement avec son meilleur ami (et ex-amant).

Roulé dans la farine depuis l’enfance, manipulé par tout le monde, rejeté par tous – comment trouver sa vie avec une identité explosée ? Sur un coup de tête, Simon brise une vitre – et s’égorge sans vraiment le vouloir (?) Le boy toy de l’un et l’autre, protégé jusqu’ici par le cocon de la vitre, fait éclater la transparence. La vérité tue ! C’était le dernier jour

Raconté avec pour début cette dernière scène, dans une tentative maladroite d’appâter le spectateur et de le sensibiliser aux « mystères ». Avec un ultime rajout final inutile du « je ne sais pas si je suis mort, mais… » qui enlève de l’intensité dramatique.

En bref un film gauche, trop tiré, à l’histoire mal écrite – mais qui réussit à toucher parce que les acteurs ont les rôles dans leur peau. Et voir Gaspard Ulliel à 20 ans mérite bien quelques maladresses.

DVD Le dernier jour de Rodolphe Marconi, 2004, avec Nicole Garcia, Gaspard Ulliel, Mélanie Laurent, Bruno Todeschini, Lancaster 2007, 105 mn, €14.99

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Arni Thorarinsson, L’ombre des chats

arni thorarinsson l ombre des chats
Notre journaliste islandais qui se prend pour auteur de polars a remis le couvert – mais cette fois il rate sa cible. Nous avions bien aimé ses titres précédents, nous aimons moins ce dernier. Il est trop islando-islandais, perdu dans la fumée des sempiternelles cigarettes allumées toutes les deux pages et dans ces noms gutturaux aussi variés qu’à répétition, assénés jusqu’au tournis dès le premier chapitre.

Certes, l’Islande est post-crise, le « capitalisme » (disons la finance internationale) a ruiné ses banques et nombre de citoyens – tous cousins. Mais les récriminations dix ans plus tard font un peu réchauffé : qui avait sonné l’alarme ? Qui avait dénoncé les pratiques spéculatives ? Qui s’était laissé séduire par le chant des sirènes argentées ? Probablement pas ce journaliste qui, aujourd’hui, se gargarise a posteriori jusqu’au poncif de sa morale conventionnelle .

Lors d’un mariage de deux gouines, au premier chapitre, l’un des cadeaux est un pénis tranché de grand Noir musclé, flottant dans un bocal. Dans le même temps, un beau parleur « aimé de tous » se fait amocher dans une queue à un bar (où tous les ivrognes islandais attendent parfois des heures d’avoir leur dose réglementée par moins 10°). Le rapport ? Le féminisme. Il semble que l’auteur s’en soit entiché.

Son personnage est rédacteur-adjoint d’un journal islandais « libre et indépendant » – ou du moins qui souhaite le rester. Il reçoit des scoops manipulateurs sur le financement électoral des candidats socialistes, et d’étranges SMS sexuels du probable prochain leader du parti – un homme. Durant ce temps son ex-femme, en fuite après une escroquerie, lui envoie des messages désespérés de l’étranger, passant par des boites mail éphémères. Tout est-il donc complot ?

Malgré une voisine d’origine vietnamienne qui nourrit trois chattes (une noire, une blanche et une noir et blanc… voyez le lourdingue symbole multiculturel), cela ne se passe pas l’année du chat, mais l’année des illusions. Tel pourrait être le « message » du roman, dont l’enquête policière brouillonne et poussive ne réussit pas à accrocher. Même si un curieux suicide à deux, assisté par ordinateur, intrigue.

C’est écrit fluide, malgré la multiplication des dialogues, mais découpé à la va-comme-je-te-pousse, sans même des étoiles de séparation entre les paragraphes. Ce « procédé » issu du cinéma n’aide ici en rien l’histoire, encore une illusion.

La fin voit émerger le coupable, mais le lecteur s’en moque, il n’est pas intéressant. Encore un mâle portant beau qui s’efforce de survivre dans cette société narcissique. Serait-ce un anti-modèle l’auteur ? Un acte manqué qui révèle son désir soigneusement caché ? Pourquoi tous les personnages positifs de ce livre sont-ils uniquement des femmes ?

Idéologie lourde, suspense lent, personnage enfumé – ce n’est pas le meilleur Thorarinsson ! Mais je vous laisse juge.

Arni Thorarinsson, L’ombre des chats, 2012, Points policier octobre 2015, 380 pages, €7.70
Les autres romans policiers d’Arni Thorarinsson chroniqués sur ce blog

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