Dans un Propos de mars 1908, Alain s’amuse. « Notre République, depuis qu’elle a atteint l’âge mûr, adore les petits jeunes gens ; c’est dans l’ordre. Ce sont comme de hardis petits pages, toujours courant pour le service de la dame. » Rappelons que « la République », la Troisième, est née en 1875, et dure depuis sans interruption autre que « l’État français » pétainiste de 1940 à 1944. Cela ne faisait qu’un peu moins de trente ans que la République existait en 1908.
La République a créé le nouveau métier de politicien. Et tous ces petits jeunes gens, « le baccalauréat en poche et […] après quelque licence en droit », sont des « attachés » qui deviendront politiciens. « Les attachés, comme d’insolents moineaux, picorent les miettes, miettes de secret, miettes de femmes. Avec les jeunes ils jouent Figaro, et avec les vieilles ils jouent Chérubin. » Car la politique, en ce temps-là, passait par les femmes : celles qui tenaient salon, celles qui contentaient les notables, celles qui recueillaient les secrets de l’oreiller. On ne pouvait être un petit jeune gens en politique sans avoir une maîtresse, pour écouter ce qui se disait en aparté. Aujourd’hui, il vaudrait mieux s’accoquiner avec une journaliste.

Mais apprendre la politique ne se résume pas à en singer les coutumes. « Ils sont Parisiens trop tôt, rient trop de tout, et parlent trop. Ils jugent trop facilement des intérêts d’après ce que l’on entend dans les boudoirs d’actrice. » Alain n’est pas tendre pour la chair tendre. « Au reste, un peu trop polis toujours, et sans autorité, comme tous les valets de cœur. » Les jeunes gens de la politique sont avant tout des courtisans. Quelles que soient les époques, la jeunesse politicienne ne change pas. Certes, les diplômes se sont épaissis, les « grandes » écoles sont requises depuis que les « licences » sont acquises par tout le monde, et le « droit » compte moins que la « science politique » avec ses cours d’économie, de sociologie électorale, d’administration de l’État, de gestion des entreprises, de marketing et communication, de géopolitique. Mais les profils des énarques ne sont pas très différents des « petits jeunes gens » d’Alain. Ils restent des « valets ».
Or, révèle Alain, « la politique, à ce que je crois, se forme hors de la grande politique, dans la pratique des affaires privées et publiques. » C’était à l’époque surtout en province que l’on pouvait acquérir ces qualités ; c’est aujourd’hui surtout à l’international, dans les grandes entreprises et les banques. Et pas l’inverse, comme les arrivistes socialistes des nationalisations l’ont naïvement cru : sortir de l’Administration conduit aux catastrophes à la tête des entreprises, on l’a vu clairement avec le Crédit lyonnais, la Société générale, Alcatel, Areva, Vivendi et autres faillites dues aux hauts fonctionnaires qui savaient tout, parachutés là où ils ne savaient rien. Ce n’est à l’inverse que « sous l’œil observateur de ceux pour qui la journée est longue, que l’on apprend à s’observer soi-même, à se surveiller, à ramasser son jugement au-dedans de soi, et à ne dire que la moitié de ce que l’on peut dire. »
La politique ne s’apprend pas à la Cour, on n’y acquiert qu’un carnet d’adresses ; elle s’apprend par l’humble pratique au jour le jour des négociations avec les salariés, les syndicats, les fournisseurs, les commerciaux, les inventeurs, les concurrents, les actionnaires. Ce pourquoi la politique américaine – avant les excès de l’ère Trump – qui portait aux ministères des gens qui avaient réussi dans les affaires, était moins mauvaise et plus efficace que la politique française qui ne porte depuis des décennies que de pâles énarques. De Gaulle était militaire, il savait diriger ; Pompidou était banquier, il savait compter ; Giscard encore, issu de l’inspection des Finances, avait une teinture du terrain. Mais la suite n’a été qu’une théorie de politiciens élevés dans le sérail, depuis Mitterrand jusqu’à Hollande, en passant par Chirac et Sarkozy. Macron a eu le mérite d’avoir été banquier un temps, mais peut-être pas assez longtemps, ni dans les postes à négociation. Je frémis pour la suite : le pion Mélenchon ? L’éleveuse de chats Le Pen ? Le sans-diplôme Bardela ? Ou encore et toujours des énarques ?…
Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50
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