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Laurent Olivier, Le monde secret des Gaulois

Conservateur général du Patrimoine au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, Laurent Olivier nous livre ses réflexions d’historien et d’archéologue sur « nos ancêtres » que l’on croit connaître – et dont il s’avère que nous ne connaissons que la vision acculturée de la puissance coloniale romaine. En 25 chapitres peu cousus, on peut dire que le livre est mal structuré. D’où les redondances, les répétitions, le délayage parfois. Mais le propos s’avère au final très intéressant, en tout cas bouleversant notre façon de voir – celle qui nous a été entonnée par les « maîtres » d’école.

Le fil conducteur du propos est le suivant : que connaissons-nous des Gaulois ?

Pas grand-chose, et de seconde main puisqu’ils n’ont laissé aucun texte, aucun monument en pierre. Seuls les Grecs et les Romains, parfois tardivement, ont rendu compte de ce peuple tout d’abord effrayant, puis vaincu par César. Les textes sont à lire avec esprit critique et dans leur contexte, notamment La Guerre des Gaules, texte écrit pour justifier les campagnes militaires du général. L’archéologie, depuis les années 1980, nous en apprend plus grâce aux fouilles et au nouveau regard porté sur les découvertes. C’est ainsi qu’il faut relativiser l’absence de restes de bâtiments, puisqu’il s’avère que la plupart étaient en bois, matériau périssable. De même l’absence de « villes », si l’on considère le modèle méditerranéen : les « villes » gauloises étaient des regroupements lâches de fermes étendues et des centres d’artisanat, pas des centres organisés d’un pouvoir civique.

La dépréciation des Gaulois a été l’apport des auteurs romains qui ont souligné leur « barbarie » – autrement dit leur non-conformité à la norme romaine – et qui ont vanté la « civilisation » apportée par Rome (routes, ponts, aqueducs, villes, cirques, chauffage par le sol, etc.) – autrement dit leur acculturation pour se soumettre aux normes d’existence, d’organisation sociale et de façons de penser romaines. Cela rappelle la conquête de l’Ouest et l’acculturation des Indiens ; cela rappelle aussi l’entreprise de « civilisation » des Français en Algérie, l’hégémonie coloniale économique, militaire et culturelle des États-Unis sur l’Europe – ou celle de Staline et de son imitateur petits bras Poutine sur son « glacis stratégique ».

En fait, nous dit Laurent Olivier, c’est Jules César qui a créé le peuple gaulois ; auparavant, il n’y avait que des Celtes, quel que soit le nom qu’on leur attribue selon les pays et les auteurs (Galates, Keltoï, Galli, Germains). Oui, les Germains sont des Celtes, venus par la même migration depuis le Caucase et installés plus à l’est et peut-être plus tard. César, repris par Tacite, oppose les Gaulois, vaincus puis acculturés en Gallo-Romains soumis à Rome, et les Germains, autres Celtes d’au-delà du Rhin, frontière de l’empire, considérés comme encore plus barbares et sauvages. Ce mythe a été adopté avec enthousiasme par les nationalistes du XIXe siècle, dès Napoléon III. L’empereur des Français se prenait pour le successeur de Rome, d’esprit « latin », en opposition avec l’empire prussien, d’esprit « romantique » germain. Cette vision déformée, donc fausse, a duré jusque dans les années 1970 ; elle était enseignée dans les manuels du Primaire, inchangés depuis la IIIe République – et accentuée sous Pétain qui faisait des Gallo-Romains des collabos de César, en cours de civilisation et de progrès, tout comme les Français vaincus par Hitler allaient se re-civiliser grâce à la discipline germanique.

Mais pourquoi tant de haine et de fausseté ?

Parce que les Gaulois ont pillé Delphes sous le nom de Galates, puis Rome en -390 sous le nom de Galli, suscitant une frayeur intense que l’Urbs n’a cessé de vouloir effacer – jusqu’au génocide. César fera dans les 1,2 millions de morts, massacrant non seulement les guerriers qui se rendent, mais aussi les femmes et les enfants, rasant des villes, embarquant comme esclaves tout le reste. Les chiffres romains sont à prendre à la lettre, dit l’auteur, car ils étaient comptabilisés par les scribes sur le terrain pour le Sénat, et donnaient la mesure des cérémonies de victoire. « Rome fait aussi de la terreur qu’inspire la menace gauloise un instrument de sa politique extérieure. Ce péril barbare, qui menacerait sans cesse d’anéantir les Romains, permet de justifier en effet une politique de domination expansionniste qui ne dit pas son nom. Face à la ‘sauvagerie gauloise’ qui minerait l’ordre du monde, les Romains n’exportent pas la violence, disent-ils : ils se bornent à répondre à l’appel de cité ou de nations amies, qui implorent leur aide, afin qu’ils les aident à recouvrer la paix » p.42. George W Bush, Poutine, n’ont pas dit autre chose…

Les historiens grecs sont moins méprisants envers les Keltoï – les Celtes, dont les Gaulois installés en Aquitaine, Transalpine, Celtique, Belgique. Ils sont « perspicaces, élégants et ouverts d’esprit » ; ils sont passionnément épris de parole et d’apparence, un peuple très politique. Ils s’habillent avec recherche, soignent leur chevelure, portent de lourds bijoux en or. Ils sont de mœurs libres : dès la prime adolescence les garçons cherchent à séduire les mâles (comme dans la Grèce antique), et voient dans un refus un déshonneur. Le pays est extrême, disent les Romains habitués à la tempérance du climat méditerranéen ; tout chez les Gaulois est excès. Ils ont, comme chez nous dans la période archaïque, des « grands guerriers », disent les Grecs, de beaux mâles à la Achille qui combattent quasi nus par héroïsme et entraînent une cour de jeunes hommes qui leurs sont dévoués. Beaucoup de stéréotypes de la part des historiens romains surtout – pour se distinguer.

Que retenir, après critique, des historiens antiques ?

Deux grandes époques successives  (p.240) : la période archaïque, cinq siècles avant Vercingétorix, où les grands guerriers aimaient la bataille et l’honneur, où les rois étaient ostentatoires et généreux en redistribuant vin et richesse alentour, où l’État n’existait pas, et où l’économie était celle du don et de la réciprocité (les monnaies ne servaient que de cadeaux ostentatoires, pas au commerce).

Puis la période récente, proche de la conquête de César, après le IIe siècle : la monétarisation croissante de la société gauloise à cause des échanges inégaux avec les Romains (le vin contre des métaux ou des esclaves – une cruche contre le jeune garçon qui la sert), le rôle politique de la plèbe et l’approbation de la multitude, les royautés populaires du type de celle de Vercingétorix, et l’organisation en « semi-Etats ». Les richesses ne sont plus redistribuées mais accumulées dans les tombes « princières », une inversion des valeurs qui fait passer les riches du service de la communauté à la communauté à leur service.

Mais toujours la trame fondamentale : la séparation des pouvoirs systématique à la Montesquieu (« le pouvoir arrête le pouvoir »), la place des conseils et assemblées, le rôle d’arbitre des femmes (bien moins « soumises » qu’à Rome), et la fonction régulatrice des druides qui, devins, disent la Loi – qui s’applique à tous, puissants comme misérables. Les femmes « arrêtent le pouvoir des hommes avant qu’ils n’aillent trop loin, ou dans une direction qu’elles jugent inappropriée. (…) [Ce pouvoir] incarne plutôt une faculté d’arbitrage, qui se place au-dessus de toute prise de décision comme de toute action » p.219.

Le pouvoir n’est pas de droit mais doit se justifier par l’approbation de tous. « La société gauloise est par conséquent une société d’opinion profondément respectueuse de la liberté individuelle, c’est-à-dire de la capacité de chacun à raisonner de manière personnelle. Chacun est libre de développer son jugement, car chacun entend se faire son propre avis, en toute indépendance. Comment peut-on alors parvenir à s’entendre dans une telle cacophonie ? Par l’omniprésence des conseils, qui constituent la troisième grande caractéristique des sociétés non étatiques » p.224. Les auteurs libéraux du XVIIIe siècle, Locke, Montesquieu, retrouveront cette façon de faire société politique chez les « sauvages » de Nord-Amérique.

Les trouvailles archéologiques, depuis les années 1980 mais surtout depuis les années 2000, ont modifié la vision misérabiliste imposée par le colonialisme romain, puis reprise par les nationalistes des XIXe et XXe siècles qui opposaient ruralité à la gauloise au progrès urbain à la romaine. Armes en fer de Gergovie, sanctuaire de Gournay-sur-Aronde, édifices monumentaux de Bibracte, cité oppidum de Titelberg ou de Corent… « Depuis qu’on les a remarquées, les trouvailles gauloises nous présentent avec insistance la marque d’une civilisation raffinée, que nous avons encore du mal à reconnaître » p.340.

En conclusion, « ce que nous dit la Gaule » devrait nous servir de leçon.

« Les Gaulois n’ont pas édifié de pyramides, car ils n’ont jamais imaginé que leurs souverains puissent être des dieux vivants sur terre. C’est pourquoi ils ne leur ont pas construit de palais gigantesques, car ils ne leur étaient pas asservis. Ils n’ont pas élevé non plus de temples majestueux, ni édifié d’extraordinaires capitales de marbre, car ils n’ont pas voulu être gouvernés par des pouvoirs aveugles et écrasants – qu’ils soient sur la terre comme au ciel. Ces réalisations grandioses, que nous prenons pour des marques supérieures de civilisation, ne sont en réalité que l’expression de formes les plus brutales de domination de l’humanité. Car la civilisation, considère la pensée gauloise, ne peut être l’écrasement de l’autre, sa réduction à l’état de chose » p.379.

C’est peut-être un peu surinterprété, mais c’est passionnant.

Laurent Olivier, Le monde secret des Gaulois – Une autre histoire de la Gaule, IXe siècle avant-Ier siècle après JC, 2024, Flammarion collection Au fil de l’histoire, 415 pages dont 8 pages centrales dillustrations en couleur, €23,90, e-book Kindle €15,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Un autre livre de l’historien archéologue Laurent Olivier, déjà chroniqué sur ce blog :

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Psychanalyse du libéralisme

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Répétons-le, le libéralisme n’est pas le capitalisme :

  1. Le capitalisme est une technique d’efficacité économique qui vient de la comptabilité née à la Renaissance italienne et qui recherche l’efficience maximum, prouvée par le profit.
  2. Le libéralisme est une doctrine politique des libertés individuelles, née en France et en Angleterre au 18ème siècle contre le bon plaisir collectif aristocratique, et qui s’est traduite dans l’économie tout d’abord par le laisser-faire, ensuite par la régulation.

Le libéralisme économique a utilisé le capitalisme comme levier pour démontrer sa croyance. Laissez faire les échanges, l’entreprise, l’innovation – et vous aurez les libertés, la richesse et le progrès. Mais s’il est vrai que l’essor des découvertes scientifiques, des libertés politiques et du capitalisme économique sont liés, il s’agit d’un mouvement d’ensemble dont aucune face n’est cause première.

Comme il est exact que la compétition des talents engendre l’inégalité dans le temps, le libéralisme politique cherche un permanent rééquilibrage : d’abord pour remettre en jeu la compétition, ensuite pour préserver la diversité qui est l’essence des libertés. Toute société est organisée et dégage des élites qui la mènent. Les sociétés libérales ne font pas exception. Ce sont ces élites qui sont en charge du rééquilibrage. Mais elles sont dégagées selon la culture propre à chaque pays :

  • l’expérience dans le groupe en Allemagne,
  • l’allégeance clanique au Japon,
  • l’efficacité financière et le bon-garçonnisme aux Etats-Unis,
  • l’appartenance au bon milieu social « naturellement » compétent en Angleterre,
  • la sélection par les maths dès la 6ème et l’accès social aux grandes écoles en France…

Tout cela est plus diversifié et moins injuste que le bon vouloir du Roy fondé sur la naissance aux temps féodaux, ou la cooptation et le népotisme fondé sur le respect des dogmes aux temps communistes. Pour appartenir à l’élite, il ne suffit plus d’être né ou d’être le béni oui-oui du Parti, il faut encore prouver certaines capacités. Le malheur est que la pente du népotisme et de la conservation guette toute société, notamment celles qui vieillissent et qui ont tendance à se figer. Ainsi de la France où le capitalisme devient “d’héritier”, tout comme la fonction politique.

C’est là qu’intervient la « vertu » dont Montesquieu (après Aristote) faisait le ressort social. La « vertu » est ce qui anime les hommes de l’intérieur et qui permet à un type de gouvernement de fonctionner sans heurt.

  • la « vertu » de la monarchie serait l’honneur, ce respect par chacun de ce qu’il doit à son rang ;
  • la « vertu » du despotisme (par exemple communiste ou Robespierriste jacobin) serait la crainte, cette révérence à l’égalité imposée par le système ;
  • la « vertu » de la république serait le droit et le patriotisme, ce respect des lois communes et le dévouement à la collectivité par volonté d’égale dignité.

Cette « vertu », nous la voyons à l’œuvre aux Etats-Unis – où l’on explique que la religion tient lieu de morale publique. Nous la voyons en France – où le travail bien fait et le service (parfois public) est une sorte d’honneur. Nous la voyons ailleurs encore. Mais nous avons changé d’époque et ce qui tenait lieu de cadre social s’effiloche.

C’est le mérite du psychanalyste Charles Melman de l’avoir montré dans L’homme sans gravité, sous-titré « Jouir à tout prix ». Pour lui, la modernité économique libérale a évacué l’autorité au profit de la jouissance. Hier, un père symbolique assurait la canalisation des pulsions : du sexe vers la reproduction, de la violence vers le droit, des désirs vers la création. Freud appelait cela « sublimation ». Plus question aujourd’hui ! Le sexe veut sa satisfaction immédiate, comme cette bouteille d’eau que les minettes tètent à longueur de journée dans le métro, le boulot, en attendant de téter autre chose au bureau puis au dodo. La moindre frustration engendre la violence, de l’engueulade aux coups voire au viol. La pathologie de l’égalitarisme fait de la perversion et de la jouissance absolue des « droits » légitimes – bornés simplement par l’avancement de la société. Les désirs ne sont plus canalisés mais hébétés, ils ne servent plus à créer mais à s’immerger : dans le rap, le tektonik, la rave, la manif, le cannabis, l’ecstasy, l’alcool – en bref tout ce qui est fort, anesthésie et dissout l’individualité. On n’assume plus, on se désagrège. Nul n’est plus responsable, tous victimes. On ne se prend plus en main, on est assisté, demandant soutien psychologique, aides sociales et maternage d’Etat (« que fait le gouvernement ? »).

Il y a de moins en moins de « culture » dans la mesure ou n’importe quelle expression spontanée devient pour les snobs « culturelle » et que toute tradition est ignorée, méprisée, ringardisée par les intellos. L’esthétisme est révolutionnaire, forcément révolutionnaire, même quand on n’en a plus ni l’âge, ni l’originalité, ni la force – et que la « transgression » est devenue une mode que tous les artistes pratiquent… Le processus de « civilisation » des mœurs régresse car il est interdit d’interdire et l’élève vaut le prof tout comme le citoyen est avant tout « ayant-droit ». Il élit son maître sur du people et s’étonne après ça que ledit maître commence sa fonction par bien vivre. La conscience morale personnelle s’efface, seule l’opinion versatile impose ce qu’il est « moral » de penser ici et maintenant – très influencée par les séries moralistes américaines (plus de seins nus, même pour les garçons en-dessous de 18 ans) et les barbus menaçants des banlieues (qui va oser encore après le massacre de Charlie dessiner « le Prophète » ?).

Je cite toujours Charles Melman : plus aucune culpabilité, seuls les muscles, la thune et la marque comptent. A la seule condition qu’ils soient ostentatoires, affichés aux yeux des pairs et jetés à la face de tous. D’où la frime des débardeurs moule-torse ou des soutien-gorge rembourrés, du bling-bling si possible en or et en diamant qui brillent à fond et des étiquettes grosses comme ça sur les fringues les plus neuves possibles (une fois sale, on les jette, comme hier la voiture quand le cendrier était plein). Quand il n’y a plus de référence à l’intérieur de soi, il faut exhiber les références extérieures pour exister. On « bande » (nous étions 20 ou 30) faute d’être une bande à soit tout seul – Mandrin contre Renaud. La capacité à se faire reconnaître de son prochain (son statut social) devient une liste d’objets à acheter, un viagra social. En permanence car tout change sans cesse.

Pour Charles Melman, cet homme nouveau est le produit de l’économie de marché. La marchandisation des relations via la mode force à suivre ou à s’isoler. D’où le zapping permanent des vêtements, des coiffures, des musiques, des opinions, des idées, de la ‘morale’ instantanée – comme la soupe. Les grandes religions dépérissent (sauf une, en retard), les idéologies sont passées, il n’y a plus rien face aux tentations de la consommation. D’où le constat du psychanalyste : « La psychopathologie a changé. En gros, aux ‘maladies du père’ (névrose obsessionnelle, hystérie, paranoïa) ont largement succédé les ‘maladies de la mère’ (états limites, schizophrénie, dépressions). »

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Il nous semble que cette réflexion, intéressante bien que « réactionnaire », est un peu courte. Charles Melman sacrifie à la mode « de gauche » qui fait de l’Amérique, de la consommation et du libéralisme anglo-saxon le bouc émissaire parfait de tous les maux occidentaux – et surtout français.

L’Amérique, Tocqueville l’avait déjà noté à la fin du 19ème siècle, est le laboratoire avancé des sociétés modernes car c’est là qu’on y expérimente depuis plus longtemps qu’ailleurs l’idée moderne d’égalité poussée à sa caricature. Egalité qui permet le savoir scientifique (contre les dogmes religieux), affirmée par la politique (contre les privilèges de naissance et de bon plaisir), assurée par les revenus (chacun peut se débrouiller en self made man et de plus en plus woman). Cet égalitarisme démocratique nivelle les conditions, mais aussi les croyances et les convictions. Big Brother ne s’impose pas d’en haut mais est une supplique d’en bas : le Big Mother de la demande sociale.

L’autorité de chacun est déléguée – contrôlée mais diffuse – et produit cette contrainte collective qui soulage de l’angoisse. On s’en remet aux élus, jugés sur le mode médiatique (à la Trump : plus c’est gros, plus ça passe), même si on n’hésite pas à les sanctionner ensuite par versatilité (attendons la suite). Ceux qui ne souscrivent pas à la norme sociale deviennent ces psychopathes complaisamment décrits dans les thrillers, qui servent de repoussoir aux gens « normaux » : blancs, classe moyenne, pères de famille et patriotes un brin protectionnistes et xénophobes (le contraire même du libéralisme).

La liberté est paternelle, elle exige de prendre ses responsabilités ; l’égalité est maternelle, il suffit de se laisser vivre et de revendiquer. « Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices, et ils ne s’en emparent jamais qu’avec beaucoup d’efforts. Mais les plaisirs que l’égalité procure s’offrent d’eux-mêmes. Chacun des petits incidents de la vie privée semblent les faire naître et, pour les goûter, il ne faut que vivre. » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II.1) La marchandisation, c’est le laisser-aller groupal des modes et du ‘tout vaut tout’. Y résister nécessite autre chose que des slogans braillés en groupe fusionnel dans la rue : une conscience de soi, fondée sur une culture assimilée personnellement. On ne refait pas le monde sans se construire d’abord soi-même. Vaste programme…

Charles Melman, L’homme sans gravité, 2003, Folio essais 2005, 272 pages, €7.20

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique tome II, Garnier-Flammarion 1993, 414 pages, €7.00

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