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Donna Leon, Quand un fils nous est donné

Dernier roman avant le Covid… Donna Leon a quitté Venise et a de la peine à trouver une intrigue neuve. Elle s’attaque cette fois-ci à la structure sociale vénitienne, cet entre-soi îlien qui fait que vous ne trouvez un boulot que si vous êtes recommandé, que votre fortune est soigneusement dissimulée, que tout se sait sur tous sauf sur l’argent. Le comte Faller, beau-père du commissaire Brunetti, le convoque pour une discussion amicale – mais grave.

Un de ses vieux amis a décidé d’adopter un fils. Au bord de la mort, sa santé déclinante, il a faim d’être encore aimé. Pour cela, il veut « acheter » un jeune amant car, oui, il est omosessuale. Rien d’inconvenant désormais (pas comme dans les années cinquante ou soixante lorsqu’il était jeune), mais moralement réprouvé : l’amour ne se vend pas comme on achèterait un animal de compagnie. Orazio Faller demande donc à Guido Brunetti d’enquêter discrètement sur le jeune animal (dans les 35 ans) : est-il amoureux ? Intéressé ? Fidèle ? Le vieux Gonzalo fait-il une terrible erreur ?

Gonzalo, lui-même comte espagnol naturalisé italien vingt ans auparavant après avoir fait fortune au Chili dans l’élevage et s’être reconverti en marchand d’art à Venise reconnu et respecté, a pris sa retraite il y a quelques années. Décati et affaibli, il veut cependant se remettre en selle, pressé par le jeune Attilio, quand même marquis, qui veut se lancer comme lui étant jeune. Dans le beau monde vénitien, l’art est le seul domaine où l’on puisse avoir métier sans déroger au yeux de ses pairs. Mais, pour y réussir, il faut être « introduit » et initié… Quoi de mieux que de succomber à un spécialiste hors d’âge où téter le lait du savoir.

Brunetti est partagé : à Venise, la vie privée est privée et – un peu à l’anglaise sans « la courtoisie » dit l’autrice née dans le New Jersey mais vivant désormais à Londres – on ne met pas son nez dans le linge intime des gens. Même si Venise est l’île-ville des ragots en tous genres, souvent fort exagérés ; ils stimulent l’imagination et répondent à cette faim de sociabilité de ces presque méditerranéens (Venise n’ouvre que sur l’Adriatique qui ne s’ouvre elle-même qu’à l’extrême sud sur la Méditerranée). De plus, Gonzalo est le parrain de Paola, fille du comte Orazio Faller et épouse de Guido Brunetti ; il fait presque partie de la famille même si les liens se sont distendus avec les années.

Tout savoir sur quelqu’un est facile à Venise où tout telefonino ou ordi se craque, où les informations se transmettent confidentiellement entre « amis » ou s’achètent auprès des basses classes. Mais la spécialiste hackeuse de la questure, la signora Elettra, part en vacances pour trois semaines et elle n’aura pas le temps de beaucoup se « renseigner » via le net et ses ex-petits amis informateurs. Brunetti en est réduit à faire de la police traditionnelle en allant voir tel ancien condisciple, en téléphonant ou se faisant inviter à un dîner via son beau-père comte. Gonzalo, qui sait qu’on le réprouve dans la ville et que son ami Faller se renseigne sur lui, se rend dans le bureau de Brunetti pour lui expliquer son point de vue : l’adoption est irréversible et nul n’y pourra désormais plus rien.

Vraiment ? Il meurt peu après en Espagne d’un AVC foudroyant. L’avocat vénitien ami d’université de Brunetti lui apprend en semi-confidentiel que le testament existe bel et bien, que le décret d’adoption est réel, que l’héritage est conséquent, y compris « un certain compte » (donc non déclaré). Tout est donc joué, sauf que… Une amie très chère de Gonzalo, du temps où il vivait au Chili, débarque à Venise depuis l’Angleterre où elle vit avec un aristocrate. Elle veut organiser un dîner en mémoire de Gonzalo avec ceux qui l’ont connus. Il lui a « sauvé la vie » au temps de Pinochet, la ramenant en Espagne. Curieusement, elle est assassinée par étranglement à son hôtel le soir même de son arrivée dans la Sérénissime. La partie véritablement policière du roman commence enfin. Brunetti enquête : Si le Où est connu, restent les Qui ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Est-ce lié à l’adoption ? A d’obscures affaires passées ?

Lent à démarrer, un brin trop délayé au début, comme si l’autrice ne savait pas encore où aller, l’intrigue prend alors toute sa consistance. Même si le lecteur attentif comprend assez vite de quoi il retourne, les indices étant répétés trop souvent, il en sort avec le plaisir d’une vraie enquête de terrain, des personnages familiers qui flattent son biais de confirmation, en plus d’un panorama sociologique de Venise où l’excès de tourisme et le laisser-aller institutionnel italien encouragent férocement le repli sur soi, sur son clan et ses ancêtres.

Donna Leon, Quand un fils nous est donné (Unto us a Son is Given), 2019, Points policier 2021, 322 pages, €7,90 e-book Kindle €7,99

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Marcel Proust à Illiers-Combray

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proust-du-cote-de-chez-swannLes grands-parents paternels du célèbre écrivain français étaient épiciers, provinciaux et catholiques. Ses grands-parents maternels étaient agent de change, parisiens et juifs. Dans ses œuvres, Marcel en a fait les Guermantes et les Swann. Les premiers, respectables et établis, entraient par la grande porte de la rue d’Illiers, village à 25 km au sud-est de Chartres ; les seconds, riches et fantasques, entraient côté jardin. Telles étaient les relations sociales rigides de la France au milieu du siècle bourgeois.

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Les Proust d’Illiers ont eu deux enfants, Françoise et Adrien. Le second, éduqué pour devenir prêtre, opta pour la médecine, où il se fit un nom en soignant le choléra et en instaurant les cordons sanitaires. Célèbre, bientôt Directeur de la Santé en France, il put épouser au-dessus de sa condition Jeanne Weil, fille parisienne de la haute bourgeoisie d’argent et mère poule pour son fils aîné Marcel. De tante Françoise, l’enfant fit tante Léonie.

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C’est là que la famille allait passer ses vacances, à Pâques et durant l’été. Train de Paris à Chartres, changement pour le tortillard qui menait à la gare d’Illiers, fiacre pour joindre le bourg et sa rue principale, près de laquelle habitait la grand-mère, veuve et peu fortunée, mais surtout Françoise-Léonie, épouse du riche Amyot, qui possédait la maison que l’on peut encore voir.

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Elle se visite, propriété de la Société des Amis de Marcel Proust présidée par un académicien, aujourd’hui Jean-Pierre Angrémy, plus connu sous son nom de plume de Pierre-Jean Rémy.

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« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. » (Du côté de chez Swann, I1)

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Longtemps, j’ai habité de tels villages. Perdus dans la Beauce immense et plate ou dans une vallée étroite creusée sur ses bords. Longtemps, j’ai goûté à la vie provinciale, à ras de terre, immobile comme si le temps n’y avait point de prise. Et pas seulement durant les vacances.

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proust-illiers-fenetre-a-ragots-chambre-de-tante-leonieJe retrouve ainsi à Illiers, devenu Illiers-Combray en 1971 en hommage à l’écrivain, cette atmosphère assoupie, enfermée, macérant, des bourgs provinciaux de la France profonde. Où, hors culture des champs alentours et exercice des professions bourgeoises, les gens se guettent, s’évaluent et ragotent à la sortie de la messe ou chez les commerçants de ce qu’ils ont vu de leur fenêtre.

Il faut être un enfant pour trouver à cette existence plate un quelconque attrait.

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Pour Marcel, la mémoire enjolivant, ce furent ses relations avec sa mère. Son frère cadet Robert n’est jamais évoqué par l’écrivain, jaloux d’exclusivité fusionnelle avec sa génitrice. Tout tourne autour de la figure maternelle, maternante, matricielle : la cuisine où officie « Françoise » (de son vrai nom Ernestine) ; la salle à manger où le petit Marcel aimait à lire au calme le matin, sous la suspension de cuivre, protégé par les boiseries, entre cheminée et assiettes au mur ; sa chambre au premier, au bout du couloir qui n’est interminable que dans le désir de l’enfant pour sa mère ; la chambre de sa tante en face, où elle aimait broder en prenant son thé (et sa « madeleine »), en regardant par la fenêtre passer les voisins sur lesquels elle ferait des ragots.

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Plus viril, le salon à vitrail de l’oncle Jules recelait des poteries mauresques et un chevalier en bronze, seigneur d’Illiers, dont l’armure et le port altier effrayaient l’asthmatique, perpétuellement angoissé, marmot Marcel.

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Maison étroite, engoncée entre le mur arrière d’une épicerie et la maison voisine, mal isolée et inchauffable l’hiver, donnant sur une rue bornée par la maison d’en face et, de l’autre côté, sur un jardinet étique, il fallait toute l’imagination de l’enfant pour en faire un palais de la mémoire.

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Mais Proust enjolive, il tresse de respectabilité tout l’humble du quotidien. Certes, on fabriquait des madeleines à Illiers, première étape du chemin de saint Jacques partant de Chartres ; mais les premières versions des œuvres font état de « pain grillé » ou de « biscottes », moins chics mais plus en rapport avec les vertus d’économie bourgeoise de la province d’alors. Et la Petite Madeleine n’a-t-elle pas les initiales mêmes de Proust Marcel (ainsi qu’on faisait l’appel à cette époque dans les écoles) ? N’est-elle pas le symbole voulu de sa personne même, “petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot” comme il dit, toute ronde et dorée, féminine, « à croquer » ?

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Il suffisait à l’enfant des images colorées de la Légendaire Princesse de Brabant pour s’évader en imagination ; du portrait du Christ « véritable, tel qu’il fut envoyé au Sénat romain » pour tomber amoureux ; du livre de chevet écrit par George Sand (les ‘Amis’ ont choisi « François le Champi » parmi d’autres) pour être ailleurs, surtout quand maman le lisait. En revanche, la gravure des gamins des rues, ce n’était pas vraiment Marcel – sauf dans ses fantasmes, peut-être ?

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Mais qu’importe qu’Albertine s’appelât dans la réalité Alfredo ou que la bourgeoise madeleine fut le simple et populaire pain grillé – n’est-ce pas la vertu du romancier que de créer un monde à soi ?

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Par grand soleil ou temps pluvieux, la visite de cette « Maison de tante Léonie », à 2 heures au sud-ouest de Paris, mérite qu’on s’y arrête. Les guides de l’été sont des filles érudites qui n’ennuient jamais et font revivre les fantômes, animant les objets.

Mais, par dessus tout, on pénètre cette atmosphère réelle, concrète, physique, de laquelle est parti l’écrivain pour composer la meilleure part de son œuvre.

Maison de Marcel Proust à Illiers-Combray (28), 4 rue du Docteur Proust.

  • Se visite tous les jours sauf le lundi, fermé du 15 décembre au 15 janvier, les 1er mai, 1er et 11 novembre.5€ pour les adultes, gratuit sous 12 ans. Tél. 02 37 24 30 97.
  • Site internet Illiers-Combray  
  • Visite maison tante Léonie en MP3 
  • Cartes postales et liens 

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Folio, 708 pages, €6.84

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Plein d’idées de tourisme en Polynésie

Le président-ministre du tourisme du gouvernement de la Polynésie française a lancé une idée fabuleuse. Encore une me direz-vous ? Attendez de lire la suite. Il a pour objectif 500 000 touristes mais seulement 165 000 touristes ont visité le fenua en 2011. « Oscar Temaru, Mayor of Faa’a, welcomes you to Tahiti Nui! Haere mai i te fare ! Bienvenue à la maison!”. Cela fait sensation. Cette idée géniale de l’hébergement chez l’habitant à titre gratuit des touristes venant au fenua… plairait certainement aux étrangers mais fait déjà grincer les dents les hôteliers, les pensions de famille.

D’après Oscar Tane, les touristes fortunés continueraient d’aller dans les hôtels, certains pourraient même aller dans des pensions. Imaginez quel échange culturel. Et les autres ? Ben ils iront dans les favelas d’Outumaoro. D’après le président-ministre du tourisme, c’est une idée formidable pour le brassage culturel, la culture accessible pour tous et donc GRATUITE. Un bémol peut-être pour le remboursement du billet d’avion, le ministre réfléchit encore. Encore et toujours plus d’idées novatrices et miraculeuses du golf (faire partie du circuit mondial) et le semi-marathon (comme à Hawaï)… arrêtez !  Je n’ai plus de place pour mes ragots. Et pourtant la mère cancans, c’est moi !

Longtemps, l’activité économique de nombreux atolls des Tuamotu a reposé sur l’exploitation des cocoteraies et la culture du coprah. Les insulaires pouvaient vivre grâce aux cocotiers qui leur fournissaient un revenu. Cela a duré pendant de longues années. Puis l’activité perlicole  a supplanté cette unique source de revenus. Aujourd’hui, on manque de bras pour entretenir les cocoteraies, c’est trop dur, il est nécessaire d’avoir un bateau pour entretenir les cocoteraies des motu, alors on exploite seulement les cocotiers du village et puis  il est plus facile d’aller à Tahiti vivre auprès de la famille et planter du pakalolo (cannabis). Un grand nombre de fermes perlières ont fermé, l’activité dans les cocoteraies a repris. Il ne faut pas qu’elle disparaisse, que les îliens ne viennent pas s’entasser dans les favelas de Faa’a. Mais qui prendra la décision de se saisir de ce problème à bras le corps. Qui trouvera ou tentera de trouver des solutions ? Pas de réglementation, manque de formation, de valorisation, d’accompagnement des générations futures.

Notre président–ministre fourmille d’idées certes, mais celle-ci vient de Nouvelle-Calédonie : « L’agro-tourisme ». Les représentants calédoniens de « Bienvenue à la ferme » sont venus en Polynésie à l’invitation de la Chambre d’agriculture. Ils ont identifié un « fort potentiel » qui devrait inspirer la création d’un réseau polynésien similaire avec des spécificités, comme par exemple la pêche lagonaire. Mais attendez un peu que les volontaires aient fini de nettoyer le lagon. Pardon ? Mais que croyez-vous que fassent ces volontaires, ils retirent tout le fatras  que les Polynésiens ont jeté dans « leur garde-manger » : pneus, frigos, roues de voitures, machines à laver, jouets d’enfants, ferraille, remorques, etc, etc. Cela fait à chaque fois plusieurs tonnes de déchets. Si en Nouvelle-Calédonie, cette expérience est une réussite, qu’en sera-t-il ici malgré le dévouement d’Henri Tauraa, le Président de la CAPL. Les conseils des Néo-Calédoniens ont été « regroupez-vous ». Moi, la langue de vipère, je me demande si le terme « se regrouper » appartient au vocabulaire polynésien. Vous reconnaitrez que je ne suis pas polyglotte, et avec l’âge, cela empire ! Pardon Henri.

Comment faire face à l’incivisme ? Dix ans déjà que la Polynésie est classée sanctuaire des baleines. Des règles sont édictées, sont-elles connues, sont-elles appliquées ? Il faudrait que très rapidement la justice et les forces de l’ordre passent à la vitesse supérieure. On a édité des brochures pour informer les « voyeurs «  de baleines. Où se placer par rapport à l’animal et à son petit, règlementation des sonars, tout est simple. Et pourtant ! Le 7 octobre certains n’ont pas hésité à monter à califourchon sur des baleines. Qu’attend-on pour sévir, attaquer le portefeuille des contrevenants, ça c’est parlant. Les baleines viennent mettre bas dans les eaux polynésiennes, les baleines viennent se reproduire dans les eaux polynésiennes. Ne sont-elles pas des cadeaux ?

Hiata de Tahiti

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Mario Vargas Llosa, Qui a tué Palomino Molero ?

« Bordel de merde de vérole de cul ! » : ainsi commence le roman, par une injure au monde. « Bordel de merde de vérole de cul ! » : ainsi se termine le roman, par une injure au destin. Entre ces deux bordées s’étend l’histoire, à ras de mottes, dans un petit village du bord de mer. Nous sommes au Pérou en 1954. Un garçon de 18 ans est retrouvé par un gamin chevrier empalé et pendu, brûlé de cigarettes, battu sur tout le corps et visage tailladé, testicules arrachées pendant jusqu’à mi-jambe. « Il était jeune, mince, brun et osseux. » En une ligne, tout est dit du destin de Palomino, métis de quartier qui savait si bien chanter et jouer de la guitare.

Si paloma est la colombe, Palomino est ce prénom mièvre qu’affectionnent les très petites gens d’Amérique pour rendre la vie Disney. Éphèbe artiste à voix d’or, pourquoi diable ce jeune homme s’est-il engagé dans l’armée ? Le gendarme du lieu, bon paysan à qui le fonctionnariat permet de manger, observe à ras d’éducation la progression de l’enquête. Son lieutenant blond n’est pas un métis comme lui, ni comme la victime, et il bande pour une bonne grosse, femme de pêcheur tétonnante et musclée. Il aime l’humain, le lieutenant, comme Lituma le gendarme.

Et le récit avance ainsi comme un roman policier. Tout le monde se tait de peur de représailles des puissants. Palomino à la voix d’ange est pleuré, mais il a suivi son destin. Pourquoi celui-ci a-t-il voulu qu’il tombât amoureux d’une inaccessible, la fille blanche du colonel de la base ? Comment un troufion métis pourrait-il ne serait-ce qu’un instant envisager de transgresser l’ordre établi, immémorial, selon lequel chacun chez soi, les officiers entre eux et les Blancs à part ? Sauf que le colonel, rigide avec ses hommes, n’est pas qu’un père pour sa fille orpheline…

Qui a donc tué Palomino Molero ? Eh bien c’est le destin, l’indifférence de Dieu pour les pauvres et les humbles, les yeux fermés sur les turpitudes des puissants. Mario Vargas Llosa situe le roman 50 ans plus tôt que sa publication, dans un éternel péruvien issu de la colonisation. Une bourgeoisie blanche, propriétaire et soldate, domine une paysannerie métisse, pauvre et ballotée.

Tout se sait dans le village, ce que font les gendarmes et ce qu’ils savent. L’existence villageoise est impitoyable et les ragots tiennent lieu de fesses-book. Ce pourquoi le scandale ne peut être étouffé, même si la hiérarchie tente de minimiser. Ce sont alors les fantasmes populaires qui émergent, la paranoïa du Complot : « Ce sont les gros bonnets » qui tirent les ficelles ; l’amour-passion en enceinte militaire est trop beau, « c’est probablement une histoire de pédés » ; d’ailleurs, puisque l’armée est impliquée, « il s’agit d’espionnage », donc de l’ennemi héréditaire « l’Équateur », qui voudrait bien récupérer son accès à la mer perdu à la fin du XIXe dans une guerre imbécile.

Court, linéaire et vivant, ce roman introduit facilement à l’œuvre du Prix Nobel de littérature 2010. Qu’on se le lise !

Mario Vargas Llosa, Qui a tué Palomino Molero ? (Quién mató a Palomino Molero ?), 1986, Folio 1989, 190 pages, 5.41€

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