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2024 comme en 1981 ?

Télescopage des générations : si l’histoire ne se répète jamais, les ornières psychologiques demeurent. Les électeurs français ont voté en 2024, comme en 1981, avec la même légèreté, sans savoir ce qu’ils font. Ils ont été surpris aujourd’hui par le résultat « à gauche » – alors qu’ils avaient voté massivement au premier tour pour l’ultradroite. Ils se sentent dupés par les magouilles socialistes, enchaînés volontaires aux trotskystes insoumis, et abandonnés par une ex-majorité centrale qui éclate et qu’ils préféraient quand même. Quant à la droite « de gouvernement », elle poursuit son lent suicide à cause des querelles d’egos…

La relecture (rapide) de l’essai d’Alain Duhamel, publié à chaud en 1982, quelques mois après la victoire historique de Mitterrand et du PS en mai 1981, est un délice rétro. On y retrouve notre époque, nos travers, nos ornières politiques. (Alain Duhamel n’a rien à voir avec Olivier Duhamel, politologue accusé d’actes inconvenants)

  • François Mitterrand tentait sa chance aux présidentielles pour la troisième fois : ce sera le cas de Marine Le Pen en 2027.
  • La gauche avait lentement monté, élection après élection, et tout le monde le voyait : comme le Rassemblement national depuis quelques années. « Chaque succès, si limité fût-il, c’était une base investie, une mine disposée, une tourelle conservatrice neutralisée, un écuyer de gauche à qui l’on mettait le pied à l’étrier, un suzerain régional du PS conforté » : transposez-le à notre époque et le RN a remplacé le PS dans un mouvement identique.
  • Le prestige international de VGE, à l’époque, était grand, tout comme celui de Macron, « mais il s’effilochait devant la brutalité soviétique » : remplacez soviétique par Poutine et vous aurez la même recette.
  • Le bilan du gouvernement Barre en 1980 apparaissait franchement négatif dans le domaine où cela comptait le plus, l’emploi et les prix : aujourd’hui, si l’emploi ne va pas trop mal (en tout cas mieux que sous le Hollande socialiste), les prix ont dérapé à cause du Covid, de l’Ukraine et de Gaza.

Tous les symptômes sont les mêmes et le coup de semonce des Législatives de 1978, où la gauche a failli gagner, ressemble fort au coup de semonce des Législatives 2024, où le RN a failli gagner.

Même dans les villages tranquilles de la banlieue verte, à quelque distance de Paris, 45 % des électeurs ont voté RN au second tour. Pourquoi ? Alain Duhamel note que « la social-démocratie commence avec l’urbanisation, (…) continue avec le salariat, (…) s’achève avec l’élargissement de l’enseignement ». La fameuse classe moyenne forme les gros bataillons démocratiques qui veulent être gouvernés de façon modérée, plutôt à gauche sur les mœurs et le social, plutôt à droite sur l’économie et l’industrie. C’est toujours le cas de nos jours. Alain Duhamel notait la montée irrésistible de l’individualisme, les sports individuels (tennis, ski, jogging, planche à voile) ayant plus la cote que les sports collectifs (foot, rugby, cyclisme). Il notait aussi la vogue du baladeur (walkman en globish, mais ce n’est plus politiquement correct depuis le féminisme), la musique perso en chaîne stéréo (aujourd’hui en streaming). Tout cela « pouvait faire croire à un repli sur soi, à une tentation d’hédonisme, à la naissance d’une culture plus égoïste, à une recherche de compensations ludiques ou rêveuses ».

Ce qui a changé ? – parce que l’histoire ne se répète jamais – est l’irruption de l’instantané du net et le panurgisme des réseaux sociaux. Désormais, tout ce qui se passe sur la plaNet (donc principalement aux États-Unis, plus gros contributeurs de contenus et leaders dans les algorithmes de diffusion) sature le temps de cerveau disponible. Pour ceux uniquement qui se laissent faire, selon la « servitude volontaire » acceptée par chacun – ce n’est par exemple pas mon cas.

La tendance à l’individualisme s’est exacerbée avec la remontée des murs pleins au lieu des clôtures ajourées des maisons individuelles, le narcissisme du corps (chez les garçons comme chez les filles), l’émiettement des relais d’opinion (presse, médias, syndicats, partis). En compensation, de nouvelles sociabilités (virtuelles et à distance) sont nées – bien plus fortes parce qu’elles donnent l’illusion de la liberté alors quelle contraignent chacun personnellement dans son repli sans échanges personnels ni conversation face à face.

En 1981, après « la crise » du pétrole (1979) et l’envolée des prix, du chômage, du déclassement, « deux exigences apparemment contradictoires : une aspiration forte à un système plus protecteur ; une revendication de changement cousinant de très près avec un vif rejet de la cruauté des temps. Il fallait en somme punir les gouvernants et mieux défendre les gouvernés. » Les Français reprochaient à Valéry Giscard d’Estaing sa distance, son obstination à ne pas écouter les revendications, et même sa morgue technocratique. Trop d’intelligence et pas assez de chaleur humaine. « François Mitterrand avait presque l’air (…) d’être le plus protecteur des deux ». Même chose en 2024, n’est-ce pas ? Emmanuel Macron sur son Olympe et Marine Le Pen en mère du peuple. Même si « la gauche » était loin d’être unie, comme aujourd’hui, et même les socialistes loin d’être d’accord entre courants, « la gauche était déjà sociologiquement et culturellement majoritaire. Elle l’est cette fois devenue politiquement. »

Je crains – hélas ! – que ce soit le cas aujourd’hui pour le Rassemblement national. Il fait partie d’un mouvement général de repli sur soi dans tous les États du monde, notamment en Occident jusqu’ici démocratique et même en Europe jusqu’à présent libérale. L’illibéralisme progresse, sur l’exemple d’Orban en Hongrie et de Meloni en Italie ; la démocrature s’étend.

La peur du chaos du monde, des migrations démographiques, du réchauffement climatique, de la course à l’énergie, font que les valeurs conservatrices l’emportent désormais sur l’optimisme humaniste. L’excès même de l’humanisme, valeurs chrétiennes dévoyées dit-on, pousse à un retour de balancier : trop de « respect » pour les étrangers entraîne trop de « joue gauche tendue », trop d’accueil sans contrepartie et trop de dénigrement de notre propre histoire ; trop de féminisme, dû aux siècles de domination masculine désormais plus justifiée, entraîne un masculinisme exacerbé en réaction et un rejet des femmes et de leurs valeurs de modération et de partage ; trop d’aides en tous genres pour ceux qui ne font aucun effort indisposent ceux qui payent les impôts, se lèvent tôt le matin et se privent pour avoir une vie décente.

Réfléchir sur 1981 nous permet de mieux voir ce qui se passe en 2024 et ce qui se passera, plus probablement, en 2027…

Alain Duhamel, La république de M. Mitterrand, Grasset 1982, 259 pages, occasion €1,91, e-book Kindle €9,99

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Pierre Desproges, Chroniques de la haine ordinaire

Pierre Desproges, journaliste devenu humoriste à la radio et à la télé, livre en cette seconde moitié des années 1980 sa critique décapante de la société parisienne de son temps. Il était en 1986 sur France Inter et regroupe une part choisie de chroniques des six premiers mois.

Desproges, atteint déjà d’un cancer qui allait l’emporter deux ans plus tard, excellait dans la satire. Le crabe qui le rongeait de l’intérieur lui donnait un regard cynique sur ses contemporains, surtout les content d’eux, les arrivés de la gauche au pouvoir qui régnaient en cour sous Mitterrand. Il use de la grossièreté comme les prolétaires des beaux quartiers qui se caviardisent – c’est de bonne guerre. Il accumule les qualificatifs pour bien cerner ceux qui en jettent tout en masquant leur être. Il brocarde les modes ineptes du temps : le jeunisme, le juridisme, le narcissisme, les apparences.

Son ironie lui fait voir juste et exprimer littérairement le vrai. Ainsi de « Jack Lang, cette frétillante endive frisée de la culture en cave » (9 avril 1986), d’André Gide « ce vieux pédé de Nobel à béret basque » (16 mai 1986), de « Marguerite Duras, la papesse gâteuse des caniveaux bouchés » (12 juin 1986).

Il n’écorne pas que les gens en vue qui aiment se faire voir, mais aussi les institutions taboues que sont la démocratie et les psys, les jeunes ou le foot. La démocratie est « la pire des dictatures parce qu’elle est exercée par le plus grand nombre sur la minorité » (3 mars 1986) – et de citer « la victoire de Belmondo sur Fellini », « la loi du Top 50 », le « 20h30 » télé qui reporte toute intelligence vers minuit… Ou des psys : « depuis pas loin d’un siècle qu’une baderne autrichienne obsédée s’est mis en tête qu’Œdipe voulait sauter sa mère, la psychanalyse a connu sous nos climats le même engouement que les bains de mer ou le pari mutuel urbain » (28 mars 1986). Ou des jeunes : « Depuis trente ans la jeunesse, c’est-à-dire la frange la plus parasitaire de la population, bénéficie sous nos climats d’une dévotion frileuse qui confine à la bigoterie. Malheur à celui qui n’a rien fait pour les jeunes, c’est le péché suprême, et la marque satanique de la pédophobie est sur lui » (9 avril 1986) – notez que, sous Jack Lang, il était mieux vu d’être pédophile qu’être pédophobe, c’est aujourd’hui le contraire. Ou du foot, cette religion du peuple devenue opium télévisé qui détourne les gens normaux de penser politique, « quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds et vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron, en ahanant des râles vulgaires de bœufs éteints. Quel bâtard en rut de quel corniaud branlé oserait manifester publiquement sa libido en s’enlaçant frénétiquement comme ils le font par paquets de huit, à grands coups de pattes grasses et mouillées, en ululant des gutturalités simiesques à choquer un rocker d’usine ? » (16 juin 1986).

Quasi quarante ans plus tard, le talent est intact ; Desproges est écrivain plus qu’amuseur médiatique. S’il a des imitateurs, leur oral ne passe pas l’écrit.  Lui a passé les années en décrivant, comme Balzac, la société de son temps. Qui a connu ces années Mitterrand confites en dévotion à « Dieu » appelé du petit nom de « Tonton » s’y reconnaîtra sans peine, ces années du Bien où les zélites zélotes dictaient du haut de leurs Elysées la Morale au bas peuple. Pour les plus jeunes, ils découvriront que rien de nouveau n’existe sous le soleil, que les mêmes modes existent, les mêmes façons de faire, les mêmes mépris. Et ils prieront saint Pierre Desproges : « délivre-nous du Bien. » Ce pourquoi il est réédité.

Pierre Desproges, Chroniques de la haine ordinaire 1 – février/juin 1986, Points Seuil 2017, 176 pages, €6.50

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Un siècle de bains de mer

Se baigner a toujours été une tentation, mais pas toujours un plaisir. Ce n’est que l’hédonisme post-68 qui en a fait un bonheur d’été, un art de vivre décorseté. Longtemps, en effet, l’eau était hostile. Les marins ne savaient pas nager et les mamans craignaient par-dessus tout le coup de froid, puis les microbes. Ce pourquoi on se baigne habillé en 1900, surtout aux Etats-Unis puritains.

A Brest en 1910, le « bain de mer » a déjà des vertus prophylactiques et est même considéré, les jours de soleil voilé, comme médical. Le torse se dénude un peu, mais pas trop, juste pour prendre sa dose de vitamine D.

Mais la « Grande » guerre survint, qui fit se replier sur soi les corps et la morale. Retour à l’habillé pour se tremper dans l’eau en 1918 – même si les vêtements mouillés refroidissent nettement plus que la peau nue, dès que l’on sort de l’élément liquide ! Le catholicisme aimait assez ce qu’on allait plus tard appeler, chez les « autres », le burkini.

En 1930, les épaules se dénudent aux Etats-Unis avec le débardeur de bain, mais pas question de montrer le moindre « nibble ». Le pointu téton masculin apparaît aussi pornographique que le lourd mamelon féminin.

Pourtant, les années folles en Europe remettent au goût du jour le sauvage et le naturel. Des filles de la haute osent se baigner nues dans les criques reculées en 1930. Elles s’encanaillent : en effet, seuls les jeunes garçons du peuple se baignaient nus sans vergogne ces années-là.

Dès 1940, les congés payés réhabilitent le populaire et ses mœurs – plus libres que celles des bourgeois collet monté. Le torse nu camping s’affiche sur les plages, au grand dam des poitrines creuses au pouvoir, pour qui ce laisser-aller vestimentaire « explique » la défaite – alors que les jeunes Allemands vainqueurs exhibent volontiers leurs pectoraux virils. Molière avait hélas raison : « cachez ce sein que je ne saurais voir ! » : ce mantra des impuissants érige le déni en bonne conscience.

Les années 1950 sont celles du baby-boom ; les enfants font l’objet de toutes les attentions tandis que les femmes commencent à revendiquer une autonomie. Les préoccupations reviennent à la santé, au médical : du soleil sur la peau pas trop, pas de bain froid durant trois heures au moins après avoir mangé – même une brioche ! De même communiait-on à jeun : il ne fallait pas mêler le Corps divin aux vulgaires nourritures terrestres. Le slip existe, mais le maillot de bain à bretelles (parfois en laine !) fait fureur. En une pièce pour les filles.

La grande révolte des mœurs à la fin des années 60 fait sauter tout ce carcan. « Laissez craquer vos gaines », conseillait Gide en début de siècle ; il a fallu attendre deux générations. Par refus de la société de consommation qui pousse à s’habiller même pour se baigner, par mépris de la morale sociale qui pousse au conformisme pour se faire bien voir et à se contraindre par discipline d’usine, l’àpoilisme fait des relations peau contre peau le nouveau mode d’être. Jusqu’à l’excès : on ne se dit plus bonjour, on couche d’abord avec.

En 1981, la gauche arrive au pouvoir, et avec elle le désir. Tout, tout de suite durera un an et demi avant que trois dévaluations du franc et une quasi faillite de la Banque de France n’obligent Président et idéologues « de gauche » à délaisser l’hédonisme pour la « rigueur ».

La discipline revient, mais plus individuelle que collective, plus narcissique que contrainte. Le culte des héros sportifs, la volonté de sculpter son corps, le féminisme qui remet en cause la prééminence du garçon, forcent à se muscler. La plage se prépare et les ados se comparent.

Si les garçons semblent plus sensibles à leur apparence que les filles, ces dernières ne sont pas en reste, affichant des hauts mini, moins pour afficher leur musculature que pour mettre en valeur leurs atouts plus ou moins gonflés. Comme quoi le « féminisme » est bien une idéologie : les filles ne veulent pas être « l’égal » des garçons, mais avoir les mêmes droits. A quand leur torse nu ?

Ces toutes dernières années, la frilosité américaine de l’attentat 2001 passe dans le moralisme des séries télé et contamine peu à peu les mœurs en Europe ; le rigorisme islamiste s’allie au renouveau disciplinaire catholique ; le tout est accentué par les attentats – et voilà qui pousse à se protéger de tout et de n’importe quoi. La plage est moins nue, le jean y fait son apparition, voire la salopette. Certains se baignent en tee-shirt – à cause des UV et du réchauffement climatique disent les peureux.

Demain, la combinaison de plongée intégrale sera peut-être exigée pour tous. Et les bédouins du burkinis pour une fois en avance sur l’Histoire.

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Stéphanie, Des cornichons au chocolat

stephanie des cornichons au chocolat
Philippe Labro a avoué en 2007 avoir lui-même écrit ce journal intime d’une ado de 13 ans. Même avec les clichés de langage d’époque et les tournures de phrases typiques, l’écriture était trop belle pour être véridique, même si certains ados écrivent bien dans l’émotion de leur âge. Écrivaient, devrais-je dire car une génération a passé et l’Internet a tout bouleversé de la culture et de l’expression. Les ados d’aujourd’hui ne lisent que le minimum scolaire requis, n’écrivent plus aucune lettre – encore moins un journal intime. Tout se passe sur fesses-book (où l’on se montre), plus récemment sur SnapShot (dont on croyait naïvement que les photos s’autodétruisaient au bout de 10 secondes) et sur d’autres sites. Le journal intime est le portfolio des images de soi, le texte a disparu.

Rescapé de l’époque précédente, de l’âge de l’écrit, ce livre court est un Attrape-cœur à la française. Labro joue au Salinger avec une autre génération d’écart, sauf que son personnage n’est pas garçon de 16 ans mais fille de 13. Comme toujours pour l’adonaissance, le romantisme se porte bien et le livre se lit d’un trait. Stéphanie est une collégienne dont presque toutes les copines à la Ferme (le collège) « les ont » (les règles). Pas elle et cela la travaille, d’où cet exercice de selfie par écrit, comme on faisait avant. Qui suis-je ? Où vais-je ? Suis-je normale ? Entre Garfunkel le chat Blue-Point et l’Autre, un collégien plus jeune atteint de myopathie, la très jeune fille ère, solitaire, sans mamie ni papi, entre un père très souvent absent « pour affaires » et une mère midinette égoïste.

C’est surtout aujourd’hui le portrait en creux de cette génération adulte en 1983 – la génération Mitterrand – qui apparaît cruel avec le recul. Les soixantuitards hédonistes ne pensent qu’à eux-mêmes, narcissiques et jeunistes, se moquant pas mal des états d’âme de leur progéniture ; Stéphanie distingue les Gens Heureux (un brin cathos tradis) des parents qui s’en foutent, divorçables (comme les siens) ou divorcés (comme beaucoup de ses copines). Ils s’habillent frime pour faire américains dans le vent, plus jeunes que leur âge qui déjà les avachit ; ils courent et transpirent en salle de gym pour apparaître « en forme » mais signent toutes les dispenses de sport pour le collège ; ils « adorent » manger italien mais par flemme, car la pizza et les pâtes sont vite faites ; ils accumulent des livres sans jamais les lire et vont en vacances à Méribel et à Deauville parce que cela fait chic. Ils considèrent que leur fille est « autonome » et qu’elle « s’assume », mots à la mode pour signifier qu’elle reste souvent toute seule. Ils sont pitoyables, égocentrés, contradictoires, tout leur est permis et seul le présent compte. Les parfaits « bobos » de la génération fric et frime née dans les années 60 et adultes sous la gauche au pouvoir.

Leur adolescente de 13 ans est malheureuse et ne trouve que la fugue pour leur remettre les yeux en face des trous. Comme chez Salinger, le happy end est de rigueur, non sans tragédie pour le chat, symbole d’enfance. Le journal commence avec les règles que toutes ont mais pas Elle, et se termine avec les règles enfin survenues, et une certaine maturité avec. La fin des cornichons au chocolat, dont on apprend chapitre 27 pourquoi : « j’aime les cornichons avec les chocos, parce que la vie que j’ai vécue jusqu’ici, c’est du cornichon et du chocolat, parfois ça fait mal, parfois c’est doux, parfois c’est piquant, parfois c’est agréable, et c’est tout ça qui fait que ma vie elle est comme elle est ».

Les parents d’aujourd’hui ne sont plus autant égoïstes, ils sont plus attentifs à leurs enfants – parfois trop à l’adolescence. Mais « l’âge bête » reste ce qu’il a toujours été, ces hauts et bas permanents d’excitation et d’abattement, d’élans et de déprime, de sentiments éthérés et d’aigu réalisme. Ce roman a passé les années sans presque aucune ride, tout comme l’Attrape-cœur.

Stéphanie – alias Philippe Labro, Des cornichons au chocolat, 1983, Livre de poche 2008, 251 pages, €5.32

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