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André et David Grandis, Les bergers d’Arcadie

« Au nom du père, du fils et du petit-fils » est la première phrase de cette autobiographie à deux, ou plutôt celle des Mémoires du père mises en forme et complétées par le fils après sa mort. Ce qu’il veut ? Perpétuer le souvenir de ce journaliste de radio et de télévision des années 1970 à 2002 au fond peu connu, même s’il a été rédac’chef à France 3 et a commenté le Festival de Cannes. Il n’a même pas « sa page Wikipédia ».

Ce livre est cependant plus que le récit d’une vie professionnelle, des rencontres avec Elvire Popesco, Darius Milhaud, Fernandel, Lionel Jospin, Tom Novembre, Henri Dutilleux et les autres. Il est le récit d’un amour exclusif, inconditionnel et fusionnel avec le fils, le dernier-né d’une fratrie après deux sœurs aînées vite parties de la maison. André Grandis a souffert de la froideur de son propre père, médecin accaparé par ses patients et peu enclin aux câlins des enfants. Il a voulu faire l’inverse avec les siens, surtout après le départ de sa femme et sa demande de divorce, lorsqu’il s’est retrouvé seul avec David, le petit dernier, 6 ans.

Il a toujours craint la solitude et s’est occupé du gamin comme de la prunelle de ses yeux. « Son autorité était empreinte d’amour et de tendresse : comment pouvais je supporter de décevoir un homme pareil ? »187. Il n’a jamais été autoritaire, punisseur, violent. Tout au contraire, il a enveloppé le petit garçon de sollicitude et d’amour, pour compenser l’éloignement de sa mère, qu’il ne voyait qu’aux vacances puisqu’elle avait décidé de suivre son nouveau compagnon en Guadeloupe.

Ce sont dès lors des souvenirs en commun qui resurgissent en ces pages. « Des flambées de châtaignes dans la cheminée à Limoges par des après-midi pluvieux, puis des promenades à vélo dans les bois, notre arrêt coutumier pour terroriser les fourmis au bord du chemin. Oscar Peterson le matin sur le trajet brumeux qui me menait à l’école Maruéjols et ses collines parfumées de lavande et de thym, les petites cabanes que tu construisais pour mes soldat,s les promenades dans les Cévennes et en Camargue chez les brocanteurs. Les ferias et autres fêtes locales dans les petits villages qui entouraient Maruéjols et les concerts de jazz à Nîmes. Les journées à la bambouseraie d’Anduze et les week-ends à Salazac et chez Ida. Les parties de pétanque le soir où l’on s’aspergeait d’insecticide pour échapper aux moustiques voraces. Nice, les promenades aux îles de Lérins, au cap d’Antibes, au cap Ferrat, dans le Mercantour ? Toutes ces randonnées et ces après-midis ou je jouais pendant que tu lisais tranquillement ton journal ou que tu regardais les merveilleux paysages. Et nos voyages en Écosse, en Autriche, au Vietnam, en Thaïlande, aux États-Unis, nos vacances à Limone et mes premières descentes de ski. Et nos milliards de conversations sur tout, toutes les passions que j’ai pu partager avec toi toujours à l’écoute. Ta tendresse lorsque j’ai connu mon premier chagrin d’amour, mes doutes quant à ma carrière de direction d’orchestre, ma déception militaire, ma séparation avec Claudia lorsqu’elle a dû repartir aux États-Unis pour ses études, et surtout, avant tout, le départ de maman » 274. Tout est résumé par le fils adulte de cette vie à deux, dans l’amour réciproque et la protection du père.

André Grandis a souffert du départ de David, une fois adulte, aux États-Unis où il pouvait trouver plus d’orchestres à diriger que dans la minuscule France ; mais c’est le destin des enfants de quitter le nid. Il a adoré rencontrer son petit-fils Paul, franco-américain, qui lui rappelait son propre fils. Mais il n’a pas eu le temps de le voir grandir, atteint d’une maladie à la fois Alzheimer et Parkinson nommée « à corps de Lewy », qui abouti à son décès en 2021 à 82 ans, non sans qu’une aide-soignante non vaccinée (selon la bêtise ambiante de l’époque) ne l’ait contaminé en plus du Covid.

Père aimant, fils reconnaissant, petit-fils qui va bénéficier de cette expérience humaine unique dont on parle trop peu, l’époque étant accaparée par « les femmes », le féminisme, la féminité, jusqu’à saturation. Oui, les pères existent et sont importants pour tous les enfants ! Il n’y a pas que les mères, surtout lorsqu’elles veulent « vivre leur vie » sans s’encombrer de charges. « Je ne crois pas te l’avoir dit (écrit le fils), mais lorsque j’étais petit, je faisais parfois des cauchemars à t’imaginer mort et je me réveillais à chaque fois en pleurs et en proie à une crise d’angoisse terrible, incapable d’imaginer le monde sans toi, inconsolable » 273.

David adulte songe à la reproduction d’une peinture de Poussin, dans le salon d’André où il a passé toute son enfance : les Bergers d’Arcadie. « Elle m’a toujours fasciné par le mystère qui s’en dégage. Ces trois bergers, encore une trinité d’hommes, et cette muse qui contemple un tombeau dont l’inscription est partiellement cachée. Étant né au fond de la campagne française, le pastoralisme me touche intimement. Cette Arcadie se confond avec les paysages de mon enfance et ma spiritualité nostalgique. (…) Je me plais à voir en ces trois bergers un grand-père, un père, et un fils » p.296.

Un bel hommage à l’amour paternel et filial, à la transmission des valeurs, à la célébration de la vie dans toute sa complexité. Non, les mémoires ne servent pas seulement à «commémorer » ; elles servent aussi à instiller par l’exemple le meilleur de la génération précédente à la génération suivante.

André et David Grandis, Les bergers d’Arcadie, 2024, éditions Les routes de la soie, 407 pages, €27,00 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Michel Bataille, L’arbre de Noël

Il est curieux de lire un demi-siècle plus tard ce roman d’un neveu de Georges Bataille qui a manqué de peu le prix Goncourt, ex-æquo aux deux premiers tours et battu au troisième tour. Ce qui montre que ce prix est de circonstance. Car ce roman traite de deux sujets qui préoccupaient diablement la fin des années soixante : la bombe et les relations père-fils.

Laurent est veuf, sa femme est morte de maladie et il élève seul son fils Pascal, désormais 10 ans. Lors de vacances avec lui en Corse, où ils dorment dans la belle voiture anglaise aux sièges rabattant (probablement une Jaguar), ils naviguent en slip sur un petit zodiac dans une crique belle comme en Polynésie. Cette référence n’est pas là par hasard… Un avion explose en vol très au-dessus d’eux, mais un parachute en sort et amerrit à une dizaine de mètres de leur bateau. Il porte un cylindre métallique qui se révélera être une bombe nucléaire – comme celles des essais français de Mururoa en Polynésie.

De retour à Paris, Laurent envoie son fils dans un camp de louveteaux au bord d’un lac d’Auvergne, non loin de l’endroit où il a acheté un château médiéval aux quatre tours ronde, les Tours d’Hérode. L’enfant s’amuse mais a vite froid ; il est rapatrié par un prêtre qui rentre à Paris, à cette époque où les religieux catholiques ne sont pas encore soupçonnés d’abuser des petits garçons. Examens médicaux faits, il s’avère que Pascal a été contaminé, mais pas son père. L’enfant de 10 ans est atteint d’une « leucose » dit l’auteur, terme qui s’applique aux animaux. Il s’agit plutôt d’une leucémie, mais Michel Bataille aime à croire aux liens profonds entre le garçon et les loups.

En effet, Pascal n’a plus que trois mois à vivre et il le sait, ayant l’oreille qui traîne, comme tous les enfants. A Noël, il ne sera plus. Il est indifférent à la mort, comme les loups qui ne vivent qu’au présent. Comme eux, il est un prédateur de la vie, en symbiose avec la nature. Ce pourquoi il adore le château en pleine forêt, à mille mètres d’altitude, avec Verdun en régisseur, ex-compagnon de résistance de son père, et Marinette qui vient faire la cuisine et le ménage. Des taiseux, des Auvergnats, des éternels.

Laurent, le père, est bouleversé d’apprendre la nouvelle. Il se met alors en retrait de son agence de publicité – le comble de la société de consommation pour les années soixante – pour passer entièrement les mois restants avec son fils. Ils s’exilent loin de tout au château. Là, les désirs de l’enfant sont des ordres. Il veut conduire un tracteur bleu ? On achète le tracteur. Il veut chercher le trésor du château ? On va chercher pelles et pioches. On découvre un souterrain qui mène au chenil ? Il faut des loups. Qu’à cela ne tienne, Verdun et Laurent vont voler le couple de loups du zoo de Vincennes. Qui sont vite apprivoisés et sauvent même le gamin d’un cheval fou. Tout est fait pour le bonheur des derniers instants.

Un sapin de Noël est coupé dans la forêt par Verdun et décoré avec Pascal. Des cadeaux sont achetés, comme d’habitude. Et puis Laurent est pris du désir violent d’aller téléphoner à Victoire, sa petite amie avec qui il a eu une relation durant le camp de louveteaux de Pascal. Il part en ville. Lorsqu’il revient, il entend un hurlement de loup. Il se précipite, Pascal est mort – brutalement, comme prévu. Mais heureux.

Jolie histoire mais qui contient tellement d’invraisemblances qu’elle est plutôt un conte de Noël. Contre la bombe et la guerre ; contre la mise en danger des innocents ; pour la relation intime entre père et fils. Pas « trop » intime, ce pourquoi Victoire est introduite dans l’histoire, même si Pascal couche un soir « quasi nu » avec son père – parce qu’il a pissé au lit (symptôme de sa leucémie).

L’auteur s’inspire de l’accident nucléaire de Palomares, survenue l’année précédente au-dessus de la mer Méditerranée, au large des côtes espagnoles. Deux avions de guerre américains, un bombardier et son ravitailleur, sont entrés en collision et ont explosé en vol, lâchant quatre bombes H dans la nature. Aucune n’a « explosé » comme à Hiroshima mais leurs détonants conventionnels, destinés à les déclencher, ont dispersé le plutonium sur 250 hectares. Une bombe est tombée en mer, via son parachute, mais elle n’a rien contaminé, restant fermée. D’ailleurs, comment l’enfant serait-il empoisonné, fût-il presque nu sur le bateau, alors que son père dans le même bateau ne l’est pas ? (Ce pourquoi le film le met en plongée à ce moment-là).

La capture des loups comme si de rien n’était, à l’aide d’un gros sac comme dans les contes, n’est pas vraisemblable, pas plus que leur apprivoisement quasi instantané. Le « réalisme » exigé des romans aspirant au prix Goncourt n’est pas respecté, c’est peut-être ce qui a entraîné la décision finale de l’attribuer à La Marge d’André Pieyre de Mandiargues, malgré le poids émotionnel de l’histoire.

Car il s’agit d’une belle histoire : une histoire d’amour filial profond, bien dans l’air du temps en cette après-guerre persistante qui se mettait à aimer les enfants (d’où le baby boom) et à souhaiter des relations humaines moins conflictuelles que la méfiance et la haine réciproque des années d’Occupation et de Résistance. Une histoire d’utopie aussi, un rêve de paix universelle et de réconciliation avec la nature, thèmes dans l’air du temps qui allaient exploser en mai 68.

Même s’il ne reste pas comme une œuvre littéraire classique (il n’est pas réédité), le roman est cependant bien écrit, il obtient la Plume d’or du Figaro littéraire. Il est fait pour l’âge du rêve, celui des adolescents.

Un film de Terence Young avec William Holden dans le rôle du père, Brook Fuller (11 ans) dans le rôle de l’enfant et Bourvil dans le rôle de Verdun l’a adapté au cinéma en 1969. Pas un grand film mais un conte familial confit dans l’émotion, qui a ses amateurs.

Michel Bataille, L’arbre de Noël, 1967, Pocket 1988, 249 pages, occasion €1,47

DVD L’arbre de Noël, Terence Young, 1969, avec William Holden, Bourvil, Brook Fuller, LCJ Editions & Productions, 1h30, €10,47

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Nick Hornby, A propos d’un gamin

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Autobiographique ? Le jeune Nicholas Hornby, lorsqu’il avait 11 ans, a vu ses parents divorcer. Hornby a écrit aussi sur le foot, la pop, la dépression, les relations humaines, notamment sur les adolescents. Il s’est marié deux fois et n’a eu que des fils ; il n’en avait encore qu’un seul – autiste – lorsqu’il écrit en 1998 About a Boy.

Nous sommes au début des années 1990 et Will est un solitaire rentier de 36 ans. Il s’est créé une bulle et des occupations routinières comme aller au pub, lire des revues branchées et regarder des films en vidéos. Pour mettre un peu de sel dans ses rencontres, il s’inscrit à une association de parents divorcés et s’invente un fils de deux ans. C’est dans ces circonstances compliquées qu’il fait la connaissance de Markus, 12 ans, cet âge où l’enfance se perd avant que n’explose l’adolescence. Markus n’est pas rebelle, ni geignard ; il observe, logique, et se demande quoi faire lorsque les adultes censés s’occuper de lui défaillent.

Les deux se cherchent, inaccomplis, solitaires. Markus est mal attifé, mal coiffé, mal intégré dans sa nouvelle école de Londres. On le prend pour un looser puisqu’il n’aime ni le foot ni les chanteurs à la mode des autres gamins. Des tortionnaires se font les muscles sur sa personne, piquent ses lunettes, se moquent de lui – façon d’exister et de s’affirmer.

Un jour, Will est en pique-nique avec les parents divorcés et doit broder sur l’absence de non fils inventé. Markus, le gamin d’une adhérente, lance des morceaux de baguette aux canards. Brusquement, il en tue un. On ne sait pourquoi, la bête coule – humour anglais de l’absurde. Le gardien croit que Markus est le fils de Will. Au soir de ce Jour du canard mort, la mère de Markus fait une tentative de suicide et Will assiste le gamin avec l’amie de sa mère. Ce coup double en un seul jour, est-ce le déclic ? Will considère autrement le gosse et Markus crée un lien avec l’adulte.

Obstiné, il va rompre la glace de solitude confortable de l’homme pour, chaque fin d’après-midi, aller le titiller à l’heure du thé qui coïncide – miracle anglais quotidien – avec la sortie de l’école. La conversation a du mal au début, puis s’engage ; Markus découvre qu’il existe d’autres adultes plus normaux que sa déjantée de mère, ex-hippie végétarienne qui enseigne la thérapie musicale… et que son père geignard qui l’a largué sans remord pour rester exilé à Cambridge où sa principale occupation est de tomber du rebord d’une fenêtre.

Le roman a du mal à démarrer car chacun est dans sa bulle d’individualisme tellement années 80 (notre génération Mitterrand). Puis les liens se tissent, sans en avoir l’air, jusqu’à former « une pyramide » de contacts mutuels et d’entraide, juste pour ne plus jamais être seuls. « Tu n’as pas tout inventé à propos de Markus. Tu es concerné, tu fais attention à lui, tu le comprends, tu t’inquiètes pour lui… », dit à Will sa nouvelle petite amie Rachel (p.241). Car Will n’est pas pédophile – précaution de l’auteur contre les préjugés du temps. Est-ce de l’amour filial ? Ou le début d’un lien plus vaste et moins fort, quelque chose comme la bienveillance envers un proche et les proches de ce proche ? « Il avait organisé toute sa vie de façon à ce que les problèmes de personne ne deviennent les siens, et à présent les problèmes de chacun devenaient les siens, et il n’avait de solution pour aucun » p.277.

hugh grant pour un garcon dvd

Pas grave. Le simple fait d’exister avec les autres et pour eux, en interactions, suffit pour que chacun trouve sa place en ce monde et dans cette société. Markus, 12 ans, devient ami avec Ellie, 15 ans, folle de Kurt Cobain ; Will devient ami avec Rachel et avec Fiona, la mère de Markus qui, lui, devient plus ou moins ami avec Alistair – dit Ali – le fils de Rachel… Ils se tiennent chaud, ils s’épaulent et n’ont pas besoin de ces grands sentiments gênants pour un Anglais moyen encore englué profond dans le puritanisme victorien.

Le véritable héros de l’histoire est Markus, ni enfant ni ado, qui va mûrir de trois ans en quelques mois, et entraîner avec lui la kyrielle d’adultes immatures chargé par les conventions sociales de veiller sur lui. « C’était un gamin compliqué et bizarre et tout ça, mais il avait ce truc pour créer des ponts où qu’il aille, et très peu d’adultes étaient capables de parvenir à ça » p.295. Les monomaniaques sortent de leur coquille, les familles déglinguées retrouvent un semblant de communauté. C’est drôle, émouvant, profond. Une réflexion existentielle sur le passage à l’adolescence, sur la paternité, sur le fardeau des mères, sur la société soi-disant « libérée » des années post-68, mais enserrée dans tout un tas de préjugés, manies et hystéries.

Hugh Grant a créé un beau rôle en endossant la défroque de Will, dans le film sorti en 2002. J’avais lu le roman avant d’aller voir le film ; puis j’ai relu le livre. Les deux se complètent sans fusionner. L’écrit est plus grave que l’imagier, mais l’acteur en beau spécimen de mâle anglais hétéro montre sa vulnérabilité touchante. Pour un gamin.

Nick Hornby, A propos d’un gamin (About a Boy), 1998, 10-18 2010, 317 pages, €7.50
Film DVD Pour un garçon, réalisation et acteur principal Hugh Grant, 2003, Studiocanal, €11.70

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Thorgal 21, La couronne d’Ogotaï

Thorgal 21 la couronne d ogotai

L’album commence fort : dans le château menaçant, hanté par les vagues, les soudards de Kriss veulent partir piller le Saxon. Mais Thorgal n’en a pas le goût. Enserré dans les filets de la femelle qui lui fait croire qu’il est Shaïgan SM (sans merci). Sans mémoire, il se laisse guider par l’instant, sadique et masochiste par indifférence, bras armé de la Kriss qui n’a pour handicap que d’être femme dans un monde de brutes mâles. Il n’est pas lui-même, d’ailleurs il est tué dès la troisième page. Surprise et sentiment ! Kriss de Valnor, touchante parce qu’elle est raide dingue de Thorgal, se suicide pour le rejoindre… Émoi chez les jeunes lecteurs.

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Mais ce n’est pas fini. Jolan, le gamin de 10 ans, est parti en barque sur la mer viking grosse de vagues écumantes comme acérées de dents. Accompagné de Lehla, 10 ans et de Derek, 12 ans. Il connaît son devoir : aller délivrer sa mère, enfermée dans le château imprenable construit sur la mer où règne Kriss, la venimeuse et cruelle aragne qui a fait d’Aaricia sa servante personnelle, crâne rasé et marque à la joue. Courageux petit bonhomme de Jolan, un rêve de papa et un idéal pour gamins (voir l’album précédent).

Mais voilà, Derek dirige le bateau sur la passe gauche et un rocher détaché par la foudre s’écrase sur la barque. C’est le destin. Jolan survit miraculeusement, il se réveille nu sous la fourrure dans sa maison de l’île sauvage. Mais ses copains sont morts et enterrés.

Thorgal 21 jolan 10ans nu sous la fourrure

Il n’a que dix ans, se sent coupable de les avoir entraîné là, et il pleure. Un homme en blanc l’a recueilli, c’est un Veilleur, venu rien de moins que de 30 000 ans dans le futur ! Nous entrons dans le paradoxe de Thorgal. Enfant venu des étoiles, son passé le rattrape… sous la forme de l’avenir.

Thorgal 21 jolan 10ans nuLe Veilleur est chargé de récupérer ce qui n’aurait jamais dû rester sur la terre, la couronne mentale d’Ogotaï donné par son grand-père venu des étoiles, que le petit Jolan portait lorsqu’il était un adorable sale gosse égoïste de 6 ans chez les Xinjins en Amérique du sud (voir les quatre albums du pays de Qâ). Mais l’adonaissant reste enfant, émerveillé de tout ce qu’il voit et incapable de tenir sa langue. Il ne doit qu’aux pouvoirs du Voyageur d’échapper à la mort.

Thorgal 21 jolan 10ans et le veilleurParadoxes du temps, il finit par aider le Veilleur à récupérer l’engin, destiné à être recyclé dans le futur pour qu’il ne pollue pas les ambitions humaines. Pour cela, il suffit de se retrouver juste avant que son père ne jette dans la rivière la couronne aux pouvoirs qui avait monté à la tête de son petit garçon. Se revoir comme on était à 6 ans, c’est s’apercevoir combien l’on a grandi. Qu’il était infantile et dans l’envie immédiate, le Jolan de 6 ans !

Thorgal 21 jolan 10ans et 25ansC’est aussi se dire que son père mérite mieux que d’être laissé à son destin écrit dans le futur par les maîtres du temps. Et c’est un « non ! » franc et massif qu’oppose le Jolan de 10 ans à cette perspective. Le chant de Thorgal lui-même, qui ne s’est jamais résigné à ce que le sort lui offrait. La geste de l’Occident.

Thorgal 21 jolan 10ans se revolte

Nous sommes à la moitié de l’album et l’ado se réveille. Aidé de son double de 25 ans (le rêve de grand frère qu’a tout garçon), il va berner le Veilleur et changer le destin. Par amour filial.

Thorgal 21 jolan 25ans

Dans un corps d’adulte, il sauvera son père, délivrera sa mère et sa sœur, avant d’échapper aux griffes de Kriss. In extremis comme d’habitude, mais facile lorsqu’on dispose de ‘pouvoirs’ ! Il faut quand même faire vite si l’on ne veut pas se prendre un pilum dans le sternum.

Thorgal 21 kriss pilum dans le sternum

Mais comment résoudre les paradoxes du temps ? Le Jolan de 25 ans qui étreint le Jolan de 10 ans après la délivrance est-il « possible » ? Certes non… Ce pourquoi le chef des Veilleurs, venu exprès du futur, entraînera Jolan adulte vers les lointains. C’est le destin de Thorgal et de sa lignée de ne pouvoir vivre jamais au présent, dans l’intimité de sa famille, reconnu dans son village à faire comme tout le monde. Mais il y aura deux Jolan désormais, le gamin et son clone, une forme d’immortalité…

Thorgal 21 jolan darek lehla

C’est une leçon à l’adresse des petits garçons et des petites filles aussi : ne jamais se résigner, faire ce qu’on doit, pour ceux qu’on aime. Jolan ressuscite ses amis, Lehla a tout quitté par amour pour suivre Jolan, au risque de la noyade. Son frère Derek aussi, au nom de l’amitié. Sans cela, la vie vaudrait-elle d’être vécue ? Lorsque l’on a 10 ans, le corps frêle, le cœur débordant, l’esprit aiguisé d’un petit Viking déluré, c’en est d’autant plus émouvant. C’est fort, Thorgal !

Rosinski & Van Hamme, Thorgal 21, La couronne d’Ogotaï, 1995, éditions du Lombard, 48 pages, €11.40

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John Burdett, Bangkok Tattoo

Nous retrouvons l’inspecteur thaï Sonchaï, de la police de Bangkok, accessoirement partenaire d’un claque tenu par sa mère le soir. Ni le bien, ni le mal ne sont clairs en Asie où le binaire des religions du Livre n’a pas cours. Tout est nuances. Ainsi le sexe est-il joyeux, tout au rebours du puritanisme yankee. L’histoire commence rituellement par le meurtre d’un grand Américain – évidemment espion – dans une chambre d’hôtel avec une fille – évidemment prostituée.

Mais le schéma simpliste qu’on imagine ne saurait être selon nos habitudes. Il est bien sûr que le colonel de police, parrain de la prostituée, veut étouffer l’affaire. Il est clair que l’ennemi militaire de la police cherche à le faire tomber. Il est inévitable que la CIA soupçonne Al-Qaïda puisque la Thaïlande a des marges musulmanes. Mais tout est illusion, comme toujours, voile de Maya dit le bouddhisme dont la Thaïlande est imprégnée. Bangkok se déploie dans son chatoiement asiatique, tout en variations et porté par le karma, cette accumulation de bienfaits permettant d’accéder à la fin des réincarnations.

L’auteur joue avec ses personnages, il leur donne des caractères attachants bien dessinés. Chanya, paysanne futée, sait se faire aimer des hommes sans compromettre son esprit, tout en calculant combien financer un hôpital pour soigner des malheureux peut lui faire gagner de bienfaits pour contrer ses turpitudes sexuelles. Apparaît Lek, le doux adjoint de 18 ans tout frais sorti de l’école de police, qui se demande s’il est garçon ou fille et adore danser. Le colonel Vikorn joue tous les rôles, avec une subtilité politique inégalée. Un imam musulman et son fils, sont contrastés comme le noir et le blanc du Livre, mais transcendés par l’amour filial et la sagesse infinie d’Allah. Un otaku japonais, autiste informatique depuis tout petit, dessine divinement des tatouages sur la peau avec des aiguilles de bambou traditionnelles. Sonchaï, inspecteur né de GI et de pute, tombe amoureux et va peut-être enfin rencontrer son vrai père, avocat américain qui l’a conçu lors d’une permission du Vietnam. Et qui diable est Don Buri

L’intrigue et bien amenée, embrouillée à l’asiatique et contée d’un ton léger. L’humour entrelace la tragédie et offre de savoureux aperçus des contradictions thaïs comme des blocages yankee.

Les chapitres sont ainsi égrenés par des intermèdes édifiants où Pisit, la vedette de la radio Rod Tit FM, invite des personnalités à débattre des questions sociales de Thaïlande. Le journal de Chanya ouvre des abîmes de réflexion sur l’aspect chevalin des ‘executive women’ américaines qui – en oubliant d’être femmes – incitent les mâles à aller voir ailleurs ou à sombrer dans la psychose. Bouddha reste omniprésent, indulgent et sage, orientant la spiritualité de tous les actes, même ceux en apparence les plus sordides.

A savourer comme une soupe Tom Yam après une mise en appétit de sauterelles grillées !

John Burdett, Bangkok Tattoo, 2005, 10-18 juin 2009, 381 pages, 7.69€

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