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Un fauteuil pour deux de John Landis

La vieille histoire du Prince et du Pauvre, ici un riche courtier en matières premières, directeur chez Duke et Duke Commodity Brokers à Philadelphie, et un misérable arnaqueur de rue. Ils font l’objet du pari entre deux businessmen sûrs de leur réussite, les frères Mortimer et Randolph Duke (Ralph Bellamy et Don Ameche), patrons de Louis. Ils prennent la « liberté » de les utiliser comme cobayes pour voir ce qu’il sort de l’inversion des rôles : les gènes ou l’environnement ? Vaste débat dans l’Amérique des self-made men. Réussit-on parce que l’on est WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ou parce que l’on est immergé dans un milieu favorable ? Pour l’un des Duke (duc en français…), c’est l’évidence : « un Nègre apprend à voler avant de savoir marcher » ; pour l’autre, pas sûr, il suffit d’expérimenter. Tant pis pour la dignité humaine.

Louis Winthorpe troisième du nom (Dan Aykroyd) est sorti d’Harvard et exerce de façon talentueuse son métier de prévisionniste sur les matières premières ; il compte épouser Pénélope (Kristin Holby), la petite nièce de ses patrons, avec leur bénédiction. Billy Ray Valentine (Eddie Murphy) est un Noir pauvre qui joue les vétérans du Vietnam, faux aveugle et faux cul de jatte sur les trottoirs en plein hiver. Que se passerait-il si le premier était déshonoré aux yeux de sa classe, le club conservateur The Heritage, chassé de la boite, accusé de vol et de trafic d’héroïne, ses comptes bloqués et sans argent, mis en prison, embrassé devant sa fiancée par une pute nommée Ophélie (Jamie Lee Curtis) payée par l’employé Beeks (Paul Gleason) ? Réussirait-il par sa valeur génétique à surmonter cette déchéance du sort ? A l’inverse, comment le nègre Valentine, lavé, brossé, costumé, argenté, réussirait-il dans le job de directeur à la place de Louis ? Qu’est-ce qu’un « gagnant » ? Celui qui profite des conditions favorables ou qui réussit grâce à ses dons innés ?

La ficelle est grosse et le début est conforme aux préjugés : Louis se noie dans la pauvreté, toute son armure sociale craque, de son costume volé par ses codétenus, à ses cartes de crédit qui lui sont confisquées, ses « amis » qui le méprisent ouvertement, son majordome Coleman (Denholm Elliott) qui feint sur ordre de ne pas le connaître, malgré qu’il en ait, jusqu’à sa fiancée qui ne veut plus le voir. Malgré son arrogance, Louis n’est pas seul. Ophélie, payée cent dollars pour l’embrasser, se prend de pitié pour l’oisillon déplumé jeté du nid ; elle le recueille chez elle et lui avoue sa profession. Elle est pute indépendante, sur rendez-vous, pour se payer une retraite à 40 ans – une vraie entreprise. Au vu de ses mains, blanches et manucurées, elle croit Louis lorsqu’il dit être l’objet d’un complot pour le rabaisser à rien. Elle veut l’aider à s’en sortir.

La suite est moins conforme aux préventions sociales : le nègre Billy s’en sort très bien. Il a la tchatche, le bon sens populaire et la faculté d’adaptation qu’il faut pour se couler dans le costard taillé à sa mesure. Il fait gagner de l’argent aux Duke en supputant que les cuisses de porc devraient baisser parce que c’est Noël, et remonter ensuite, une fois les fêtes passées. Louis s’introduit dans la société lors du pot de Noël pour discréditer son rival Billy, mais se fait surprendre et chasser. Pari gagné pour Randolph : c’est bien le milieu qui compte, pas l’hérédité. Les deux frères se congratulent en se lavant les mains aux toilettes, sans savoir que Billy est dans un cabinet, en train de fumer une clope de haschisch que Louis a mis dans son tiroir pour le faire accuser. Le « nègre » s’aperçoit qu’il n’est qu’un objet entre les mains des Duke et qu’ils vont le virer après les fêtes puisqu’il n’a pas sa place dans cette société de courtages, blanche et respectable.

Dès lors, Billy va rejoindre Louis en suivant son bus dans un taxi jusque chez Ophélie, pour lui révéler le complot contre eux deux, et envisager la façon de se venger. Après avoir écarté le coup de fusil, qui mènerait en prison, quoi de mieux que de ruiner les financiers ? Pour cela monter un coup de délit d’initié, comme les Duke savent le faire – et Louis aussi, à leur bonne école. Billy sait que les Duke attendent que leur employé fantôme Beeks, qui ne figure pas dans la liste mais reçoit un copieux chèque chaque mois, doit voler une copie du rapport confidentiel sur la production mensuelle d’oranges aux États-Unis, pour le ministère de l’Agriculture. Ils s’arrangent pour monter dans le même train que Beeks avec Ophélie et Coleman, le majordome de Louis, lui subtiliser sa valise d’attaché et remplacer le rapport par un autre qui dit l’inverse. La récolte a été bonne et le cours doit baisser, mais ils font croire que la récolte a été mauvaise, ce qui fera immanquablement monter les cours. La scène dans le train est désopilante, faisant même intervenir un gorille, une sorte de sous-nègre de caricature, qui va jouer son rôle lui aussi à la perfection… et une certaine « humanité ».

La bourse des matières premières était alors dans le World Trade Center, les tours jumelles que les Arabes ont fait sauter en y jetant deux avions bourrés de passagers. Mais nous sommes sous Reagan, et les Arabes se tiennent tranquille. C’est l’effervescence sur le parquet : le rapport va bientôt tomber sur les écrans et les spéculations vont bon train. Les Duke font acheter force contrats à terme, croyant pouvoir les revendre largement au-dessus du cours d’ouverture de 102 $ ; Louis et Billy, qui ont rassemblé toutes les économies de Coleman, d’Ophélie et d’eux-mêmes, se positionnent en vendeurs à découvert, pour les racheter lorsque le cours se sera effondré. La vente à découvert est quand vous n’avez pas les titres et que vous les vendez d’abord ; vous devrez les racheter avant la clôture du marché. Opération réussie : ce qui valait 102 $ à l’ouverture est monté jusqu’à 129 $, avant de clôturer à 29 $. Une belle plus-value : la différence entre la vente vers les plus hauts et le rachat vers les plus bas. Les Duke ont perdu 394 millions de dollars qu’ils doivent couvrir immédiatement, selon le règlement de la Bourse. Ils ne peuvent pas, ils sont ruinés ; leurs biens personnels seront donc saisis en plus de leur office. Randolph en fait une crise cardiaque.

Louis, Billy, Ophélie et Coleman sont désormais riches et, selon les conventions du temps, passent des vacances sur une plage tropicale des îles Vierges à boire des cocktails, à manger du crabe et à naviguer en yacht. Louis n’épousera pas Pénélope mais plutôt Ophélie, il ne travaillera plus chez Duke et Duke qui a fait faillite, mais profitera de sa fortune – peut-être pour monter quelque chose avec ses associés Billy et Coleman ?

Gros succès dû aux acteurs, au parti-pris de comédie, mais aussi au jeu de « qui est riche ». Vu l’époque, les blagues racistes sont en nombre, ce qui ne plaît pas aux wokes d’aujourd’hui. On ne dit plus nègre, ni noir, ni black, il paraît qu’il faut dire désormais « nwar » – où s’arrêtera la stupidité sociale ? Mais on rigole, ce qui devrait plaire à tout le monde. D’ailleurs, le terme « nègre », employé à tout va, est réhabilité par Billy et même par le gorille : ces « sous-Blancs » montrent qu’ils sont aussi talentueux que les vrais Blancs ; il suffit des circonstances.

Tout le monde, dans cette société américaine, est dans le paraître. Chacun est déguisé et, pour la société, l’habit fait le moine, pas ce qu’il y a entre les oreilles. Mais c’est bien le soi qui crée la réussite réelle, pas le costume. Même la pute montre qu’elle n’est pas qu’un objet sexuel à la Marilyn, mais capable d’humanité ; même le majordome, formaté bourgeois conforme, montre qu’il n’apprécie pas la trahison des patrons. Au fond, le « rêve américain » est ouvert à tous – à condition de révéler ce qu’on est en vrai.

Un film intelligent – ce n’est pas si courant chez les Yankees.

DVD Un fauteuil pour deux (Trading Places), John Landis, 1983, avec Dan Aykroyd, Eddie Murphy, Ralph Bellamy, Don Ameche, Denholm Elliott, Paramount Pictures France 2007, 1h52, doublé anglais, français, €39,68

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

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Mark Twain, La tragédie de David Wilson le parfait nigaud

Ce troisième roman du Mississippi, ce paysage mental de Samuel Clemens, met en scène le personnage d’intello venu du nord dans cette petite du sud. Il est aussitôt jugé par les habitants – médiocres – comme un parfait imbécile, pour avoir proféré au bar le premier jour une remarque sur un chien. Dans les petits esprits, peu cultivés et réduits au moralisme de la messe du dimanche, quiconque pense autrement de l’opinion ne peut être normal. L’aristocratie du sud, ces Premier habitants de Virginie comme ils s’appellent volontiers, ont la morgue d’Ancien régime que l’on prête habituellement aux Français, bien qu’ils soient venus d’Angleterre. Quant au reste de la population, ce sont des nègres, donc des esclaves considérés comme des objets qu’on peut exploiter, fouetter, baiser ou vendre comme bon vous semblent.

Dans cet univers étriqué en Noirs et Blancs, l’auteur entremêle de façon parfois un peu baroque deux histoires : la substitution de bébés par une nounou noire, et l’essor du juriste David Wilson pour faire mentir son surnom de parfait nigaud.

Mark Twain

Nés le même jour, l’un des bébés est le fils du maître, aristo de la ville, et sa mère meurt en couches ; l’autre bébé est le fils de la nounou noire (pour 1/16ème). Tous deux sont blonds et blancs, le « nègre » n’ayant qu’1/32ème de sang noir – ce qui ne se voit physiquement pas… L’auteur faire donc apparaître l’imbécilité de la loi sur l’esclavage, comme si la négritude était une tache indélébile, même diluée bien au-delà de ce que le futur IIIe Reich admettra pour les Juifs… S’il se contentait de côtoyer les esclaves dans Tom Sawyer, Mark Twain a fait de l’un d’eux un compagnon amical dans Huckleberry Finn ; cette fois, il en fait le personnage principal du livre.

Chambers (abréviation yankee de ‘Valet de chambre’ en français) prend au berceau la place de Tom, le fils de la maison. Le faux Tom est élevé en petit maître, tandis que le faux Chambers est élevé comme un nègre. Mark Twain en arrive à montrer combien l’éducation fait le larron, bien que la « race » (ainsi disait-on à l’époque) ne puisse que ressurgir quand même (selon les préjugés du temps). Le vrai Tom, élevé en Chambers, est beau, bien bâti, gentil, mais illettré et rustre – il ne parle adulte que petit-nègre et ne sera pas à sa place une fois la supercherie découverte. Le vrai Chambers, élevé en Tom, est capricieux, égoïste, autoritaire, lâche et indolent – s’il a poli ses manières à l’université, il n’a acquis aucun diplôme et est saisi par le démon du jeu.

Dans le même temps – d’où la complication du roman – deux jumeaux italiens arrivent dans la ville et séduisent ses habitants aussi niais que badauds. Ils viennent d’Europe et connaissent beaucoup de pays ; à l’aise en société, ils font un compliment à chacun. Mais c’est une conversation privée avec le faux Blanc Tom et le faux nigaud David qui va faire surgir un plan diabolique dans la tête du « nègre » Tom pour se sortir du pétrin. Il a besoin d’argent pour régler ses dettes de jeu, mais son (faux) oncle l’a déjà dépanné et refuse désormais tout déshonneur, sous peine de le rayer de son testament. En voulant le voler, Tom le tue avec le couteau indien qu’il a volé aux jumeaux pour payer sa négresse de mère qui menace de dénoncer la substitution des bébés. Pas simple, comme intrigue… Ce sont donc les jumeaux qui sont accusés, faute de témoins, puisqu’ils sont accourus les premiers aux cris de la victime alors que Tom s’est enfui avant d’être découvert.

Le procès des vrais jumeaux mettra en lumière l’inversion des faux jumeaux de la nounou. Car, retournement de situation théâtrale, le parfait nigaud se révèle juriste avisé et curieux des développements scientifiques : il a pour marotte de collectionner les empreintes digitales des habitants et d’en étudier les courbes ou les méandres. La dactyloscopie lui permet de confondre le vrai meurtrier à cause des empreintes qu’il a laissé sur le couteau ; elle lui permet aussi de montrer que Tom n’est pas Tom, puisqu’il a pris les empreintes des deux bébés à différents âges. Au tribunal, attraction de la petite ville qui s’ennuie, sa plaidoirie est du grand guignol comme Mark Twain, plus orateur qu’écrivain, aime à en écrire.

esclave noir fouette

Malgré ce patchwork mal construit d’histoires différentes, le lecteur se prend à croire à l’intrigue quasi-policière tout en réfléchissant aux graves questions du temps que sont l’inné et l’acquis, l’influence de l’hérédité et de l’éducation, les ravages de l’esclavage tant sur les victimes ramenées au rang de bêtes que sur les maîtres, avilis par l’usage d’humains comme du bétail.

Comme souvent quand Mark Twain est gêné, il camoufle sous la bouffonnerie ses convictions politiques et morales. Il juxtapose ainsi la chiromancie (du niveau de l’astrologie et de la voyance) et la dactyloscopie (observation scientifique des empreintes digitales), l’une faisant avancer l’histoire, l’autre la réglant au bout.

Ce roman n’est pas édité en poche en français car moins captivant que Tom Sawyer et Huckleberry Finn, moins humoristique que la Vie sur le Mississippi, et d’un sujet plus « sensible » au politiquement correct multiculturel. Mais il peut se lire avec plaisir et gravité ; la traduction Pléiade de Philippe Jaworski est limpide.

Mark Twain, La tragédie de David Wilson le parfait nigaud, 1894, in Œuvres, Gallimard Pléiade 2015, traduit par Philippe Jaworski, €65.00

Les œuvres de Mark Twain chroniquées sur ce blog

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Genre rétro

Un « grand débat de société » amuse la galerie ces temps-ci en France. Comme les politiciens sont impuissants à conforter l’économie et que leurs outils sont obsolètes, comme l’éducation dite « nationale » et la formation dite « permanente » ne préparent en rien à faire confiance, à travailler avec les autres, à entreprendre ou créer, comme la seule issue d’un gouvernement aux abois est de taxer encore et toujours sans jamais réduire la dépense – une diversion existe : l’idéologie.

Elle fait appel aux croyances et surtout pas aux faits ; elle agite les mythes rassembleurs et clive les appartenances ; elle ne met pas la raison en tête mais le cul en premier. Car qu’est-ce que cette rationalité tant vantée chez les socialistes de gouvernement comme chez les chrétiens activistes de Civitas – puisqu’ils s’assoient dessus ? Leur discours cul par-dessus tête affirme « la » théorie du genre. Or elle n’existe pas : seules « des » études de genre existent dans les universités américaines (Gender studies). Même si des députés socialistes affirment le contraire, dans leur inculture crasse formatée éducation nationale ; même si la porte-parole d’un gouvernement de Bisounours le répète, dans son féminisme hargneux de minorité visible.

baigneur garcon

Écoutons Sylviane Agacinski, philosophe rationnelle accessoirement épouse de Lionel Jospin : « Dans la mesure où le genre désigne le statut et le rôle des hommes et des femmes dans une société, c’est en effet une construction historique et culturelle. Ce qu’il faut défaire, c’est la vieille hiérarchie entre hommes et femmes : c’est ce qu’ont voulu les féministes. En revanche, cette déconstruction n’abolit pas la différence sexuelle… » Voilà qui est dit, et bien dit. Que je sache, ce ne sont pas les hommes qui portent à ce jour les enfants dans leur ventre. En revanche, les hommes comme les femmes sont capables au même titre d’élever les enfants. Françoise Héritier, anthropologue, ne dit pas autre chose : la différence biologique existe, mais l’être humain n’est pas que biologique, il n’est pas conditionné par ses programmations instinctives, comme les fourmis. Il est un être social qui, sitôt né tout armé de gènes, est plongé dans le milieu physique, familial, social, national et culturel pour se développer et construire sa personnalité.

La vieille querelle de l’inné et de l’acquis ne concerne que les croyants des religions du Livre. Ils ont cette foi que Jéhovah/Dieu/Allah a tout créé en sept jours, tout dit lors de la Chute du paradis terrestre en vouant les humains à travailler et enfanter dans la douleur pour avoir osé être curieux de connaissance. Les dérivés laïcs de ces croyances (rousseauisme, socialisme, positivisme, gauchismes et écologismes divers) gardent la foi qu’un Dessein intelligent existe (la Nature, l’Histoire, le Progrès) et que découvrir ses lois permettra la naissance d’un Homme nouveau – beau, intelligent, épanoui, en bonne santé…

Dès lors, surgissent comme partout les activistes et les conservateurs.

Ceux qui veulent conserver souhaitent que rien ne bouge, car tout est bien. Créé une fois pour toutes, dans la perfection de l’Esprit omniscient et tout-puissant, il « suffit » de découvrir le Sens pour être enfin apaisé, fondu dans le grand Tout divin.

  • Découvrir le sens littéral du Texte tonné sur la montagne ou susurré tel quel par l’ange messager Gabriel/Djibril dans l’oreille du prophète.
  • Découvrir le sens du progrès historique par les lois marxistes « scientifiques » de l’économie, donc de la sociologie, donc de la politique, donc du mouvement historique.
  • Découvrir les équilibres non-prédateurs de l’humain dans son milieu planétaire, donc renoncer au néolithique, cette appropriation de la terre pour la cultiver, engendrant la propriété privée et la thésaurisation des récoltes, donc les États et la guerre, donc le machisme, l’esclavage, le colonialisme, l’exploitation de l’homme par l’homme jusque dans les usines et les bureaux.

Pour les conservateurs croyants, il suffit d’attendre que la Vérité émerge, que la Voie se dégage – et l’avenir sera radieux, forcément radieux.

Pour les activistes de ces mêmes croyances, la destinée écrite de tous temps a besoin d’un coup de pouce, d’un coup de main ou d’un coup de force – selon leur radicalité. La société nouvelle doit accoucher dans la douleur. D’où cette fascination pour les révolutions, qu’elles soient françaises passées (on ne parle jamais de l’anglaise, pourtant plus ancienne et bien plus efficace !), marxiste-léniniste, maoïste, castriste, arabes, ukrainienne, vénézuélienne, notre-dame-des-landaise…

Les conservateurs mettent en avant le temps, qui fera naître inéluctablement le progrès ; les activistes mettent en avant la volonté politique, qui fera accoucher au forceps ce même progrès. D’un côté Civitas (et tous les religieux intégristes), de l’autre le parti Socialiste (et tous ses avatars plus ou moins radicaux). C’est ainsi qu’il faut commencer à la racine : dès l’enfance, dès l’école.

Le gène serait une contrainte qui conduit à la famille, donc à l’inertie conservatrice. Nier le gène au profit de la construction revient à changer l’homme dont on a déjà écrit les Droits sur une table de la Loi. « On ne naît pas femme, on le devient », disait Simone de Beauvoir, masculinisée en Castor (Le deuxième sexe). Son compagnon Jean-Paul Sartre lui-même, disait la même chose des Juifs, on ne l’est que par le regard des autres : « C’est l’antisémite qui fait le Juif » (Réflexions sur la question juive). Demandez aux Juifs (ou aux Corses, Arméniens, Bretons et autres) s’ils sont d’accord…

collegiens torse nu au vestiaire

Le biologique est donné, le social est construit. Ce qui fonctionne sur l’appartenance ethnique et culturelle fonctionne pour le sexe. La propension majoritaire hétérosexuelle est autant le résultat de la société et de l’éducation que la propension minoritaire homosexuelle. Il n’y a aucune « raison » à penser que la répression de l’homosexualité suffit à l’éradiquer – ni que l’encourager suffit à éviter l’attirance pour l’autre sexe. Les Grecs antiques comme les Anglais victoriens aimaient pour partie les beaux éphèbes et pour partie les femmes : ces deux sociétés n’ont en rien disparues faute de descendance ! Leur sensualité était surtout indifférente à la distinction des genres…

C’est la symbolique politico-religieuse qui fonde une société, pas la biologie, montre Maurice Godelier. Or les humains ne font société que par le symbole : « déconstruire » est scientifique, mais construire est une exigence si l’on veut faire société. Une société ne fonctionne pas sur le seul rationalisme scientifique, trop réducteur pour embrasser l’humain. Le désir n’a pas de « sens social », seule la reproduction en a un, d’où l’encadrement de la sexualité par la religion, la morale et la loi dans tout groupe humain partout dans le monde et dans l’histoire des primates (eh oui, les singes aussi sont « sociaux »). Les sociétés humaines ne se sont donc pas fondées sur le ‘meurtre du père’ selon Freud, mais sur un refoulement sublimé, ou canalisé par les rites, du désir forcément asocial (anarchique).

Brice Couturier dans un Matin récent de France Culture, a fort justement insisté sur la différence entre égalité entre les sexes – objectif légitime et consensuel – et déconstruction des stéréotypes de genre qui relève d’une tout autre logique. Les stéréotypes sont partout : l’esprit critique et la raison consistent à les déconstruire – non pour les abandonner totalement avec horreur, mais pour comprendre comment ils fonctionnent – et accepter ceux qui sont nécessaires. Par exemple, Poutine comme nouveau Mussolini est un stéréotype actuel répandu : il est partiellement vrai ou, du moins, il trahit peu la vérité (qui est plus nuancée, dans son contexte et l’histoire d’aujourd’hui). Poutine vu comme nouveau Mussolini permet de comprendre comment il fonctionne, le stéréotype peut être ainsi un schéma pour l’action.

Mais les stéréotypes ne sont pas des modèles de comportement. Les enfants qui construisent leur personnalité ont besoin de modèles sociaux, ils n’ont besoin ni de foi (affaire personnelle) ni de préjugés (le nom vulgaire des stéréotypes). Les « mythes » en société existent, Roland Barthes a écrit un beau livre là-dessus ; on peut en jouer, aimer les belles histoires – sans pour cela les croire ni sacrifier à leurs incitations. Caroline Eliacheff : « stéréotypes. Ceux-ci ne sont pas immuables : on peut proscrire ceux qui introduisent une hiérarchie ou des comparaisons dévalorisantes; on peut ne porter aucun jugement sur les enfants qui ne s’y conforment pas : libre à eux de se dégager des stéréotypes mais pas de les ignorer. Ce n’est pas la même chose de « faire comme les garçons » et « d’être un garçon » ». Le film Tomboy est à cet égard éclairant !

Ce pourquoi il faut faire confiance à l’esprit critique et au libre examen – attitude intellectuelle qui n’est possible qu’en démocratie – et pas chez les croyants du Livre qui – eux – doivent obéir au Texte d’en haut. Critiquez Poutine en Russie et vous aurez cinq ans de camp. Comme le modèle de Marine Le Pen est celui de Mussolini actualisé en Vladimir Poutine, les votants français devraient savoir ce qui les attend…

La neutralité de la raison n’est

  • ni le relativisme généralisé (tout vaut tout – donc enseignons au même niveau que la terre est plate puisque c’est ce que disent les religions du Livre – et qu’elle est ronde puisque c’est bien ainsi qu’on la voit de l’espace)
  • ni le rationalisme qui est une dérive réductrice de la faculté de raison (les trois ordres de Pascal ou de Nietzsche).

L’esprit critique n’est pas le scientisme – mais la méthode scientifique (partielle, incomplète, évolutive) est la seule méthode efficace que nous ayons pour l’instant trouvée pour approcher le vrai. Reste que si l’esprit critique est utile en société (pour innover, avancer, proposer), ce n’est pas lui qui FAIT société, mais un ensemble de mythes et de rites arbitraires – symboliques.

  • Déconstruire les stéréotypes sociaux du genre : oui.
  • Nier de ce fait qu’il n’existe plus ni homme ni femme mais une gradation sexuée où transgenres, gais, lesbiens et bi sont fondés en biologie : non.

L’acceptation des différences est sociale, mais la vérité biologique est scientifique.

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