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René Barjavel, Ravage

Qui connaît « l’inventeur » de la science-fiction à la française ? Du moins celui qui a mis l’anticipation au cœur de ses romans dont le premier, Ravage, publié en pleine Occupation, en 1943. Ravage est à (re)lire car son ironie touche encore, sa satire de l’illusion technologique aussi, de même que le retour aux valeurs de base de l’humain, c’est-à-dire la sauvagerie quand rien ne va plus, et l’émergence d’un chef naturel lorsque tout doit recommencer.

François et Blanchette, deux jeunes de Provence « montés » à Paris, fils et fille de paysans comme il se doit à l’époque, vivent dans la technologie de l’année 2052, à peine un siècle après la publication du roman. Les trains sont hyper-rapides, à sustentation magnétique, les autos à propulsion nucléaire cèdent peu à peu la place aux autos à quintessence, carburant d’eau de mer, inépuisable et peu polluant ; les avions sont de gros cigares à hélice enveloppante ; les taxis, des « puces » à décollage vertical. Le livre audio permet de passer le temps, bien que le « journal » subsiste, le visiophone montre le visage de l’interlocuteur – ou non s’il est à poil sortant du bain comme Blanchette. Les vêtements sont synthétiques et moulants, les plus à la mode étant aux boutons magnétiques pour les fermer. Les engins et les meubles, comme les œuvres d’art, sont en plastec, matériau souple et résistant issu de la chimie moderne. L’alimentation est assurée par des usines qui font germer le blé sous radiations et composent par biotechnologie, issue des travaux d’Alexis Carrel, de la « viande » synthétique fort agréable, rendant inutiles les paysans. La population est donc de plus en plus nombreuse dans les villes et l’on a créé autour de Paris, désormais 25 millions d’habitants) d’immenses villes nouvelles aux noms marketing : Ville Radieuse, Ville d’Or, Ville d’Azur, Ville Rouge.

François Deschamps, à 22 ans, est peintre indépendant (non autorisé par le gouvernement) et tire le diable par la queue dans un atelier parisien de la rive gauche ; son amie d’enfance Blanchette, à 17 ans, est pressentie pour devenir la vedette de la radio nationale (car les nations ont subsisté), et la fiancée de son propriétaire, le jeune milliardaire Jérôme Seita, qui veut transformer Blanche Rouget en Regina Vox. François, premier au concours d’ingénieur agronome mais sorti de la liste sur intervention de Seita, veut épouser Blanchette qui, elle, hésite et préfère plutôt le confort de l’argent.

Drame de la technique qui change l’humain, le rend esclave matériel et soumis moral, avili, affaibli. La fable écrite en 1943 prend tout son sens lorsque l’on considère le contexte : Pétain et la Révolution nationale, la terre qui ne ment pas (mot d’Emmanuel Berl pour un discours du maréchal), l’arrière-plan idéologique allemand avec la critique radicale de la Technique par Martin Heidegger (proche du parti nazi à l’époque). Vaste sujet philosophique, dont déjà Platon en discourait : l’instruction ne vaut que pour une élite, le commun des mortels doit plutôt produire et ne pas réfléchir car les machines abêtissent et asservissent. Le Jérôme, minet fluet narcissique en haut de sa tour de Radio-300 (300 m au-dessus des toits du commun), est un faiblard physique et un faible moral qui croit que l’argent achète tout, comme la célébrité. Il sera inapte à la survie lorsque surviendra la Catastrophe.

Car elle survient, en pleine émission radio d’inauguration de la nouvelle vedette Regina. Lorsqu’elle va chanter, tout s’éteint. Plus aucune électricité nulle part, le courant électrique ne passe plus, le métal ferreux devient cassant. Les autos et les métros s’arrêtent – dans le noir absolu -, les avions tombent sur les immeubles, les trains sans freins ni moteur foncent dans l’inconnu. Plus d’armes à feu, plus d’énergie électrique, plus de climatisation, plus d’eau ailleurs que dans les rivières, plus de fermetures magnétiques, portes, coffres ou vêtements – les gens à la pointe de la mode se retrouvent tout nu : plus de civilisation. C’est fou ce que l’électricité permettait de faire…

Est-ce un phénomène naturel, une mutation des lois physiques ? Est-ce dû à la massive attaque des forces du « roi nègre » de l’empire sud-américain contre les anciens esclavagistes blancs des États-Unis nord-américain ? Nul ne sait, pas plus le vieux père de l’Académie des Sciences, convoqué par le gouvernement mais que la foule happe et lynche car la Science a failli. Le gouvernement, comme en 40, est impuissant, même le ministre de la Jeunesse et des Sports se révèle incapable de faire à vélo les quelques kilomètres entre Passy et le ministère.

Retour à l’âge de pierre, ou presque. C’est très vite la guerre civile entre bandes armées de bâtons et d’instruments en fer, où le plus fort agrège autour de lui des hommes qui raflent la nourriture. Très vite, le choléra va se déclarer. Le clergé et l’Église ont beau multiplier les messes en continu et officier jusqu’en haut de la tour Eiffel, Dieu s’en fout. Le ministre de la Santé morale, un prêtre, s’avère impuissant. Dieu punit les humains de leurs péchés et de leur laisser-aller hédoniste – thème très pétainiste.

François n’a qu’une idée en tête : retrouver Blanchette, la sauver et l’emmener avec lui pour le retour à la terre, en Provence chantée par Mistral et Charles Maurras – fort à la mode en ces années Pétain. Il marche à pied, monte les étages de la tour par l’escalier (interminable), retrouve Blanchette évanouie et fiévreuse. Une curieuse « maladie des pucelles » semble s’être déclarée en effet chez les jeunes filles pubères mais vierges avec la mutation électrique.

Nous sommes dans la satire ironique de l’époque Pétain, avec une aventure sentimentale en condition de survie, l’Exode de la ville et le retour à la terre avec fin morale « comme il faut ». Les « valeurs sûres » du travail manuel agricole, la hiérarchie « naturelle » du Patriarche à la Pétain qui gère la communauté autosuffisante, la phobie de la technique sous toutes ses formes, le bûcher des livres qui ne servent qu’à pervertir les esprits, la vie en familles élargies où les hommes sont polygames comme chez les Mormons parce qu’ils sont moins nombreux après la Catastrophe – tout cela sied à l’hebdomadaire collabo Je suis partout, où le livre est publié en feuilleton. L’auteur sera cependant blanchi en 1945 des faits de collaboration par le Comité national des écrivains, grâce à une lettre de Georges Duhamel.

Mais le livre va plus loin, il pousse à l’excès caricatural la pensée conservatrice de son époque, ce qui est une cruelle critique du pétainisme, au fond. Il est dit que François engendrera 128 enfants, « tous des garçons » avec huit femmes (dont 17 avec Blanchette) sauf une fille avec la dernière qui a 18 ans alors que lui en a déjà 129. Nous sommes dans la Bible, chérie du maréchal et des cathos tradis. Barjavel, petit-fils de boulanger, a toute sa vie (achevée en 1985 à 74 ans) pétri son pain lui-même. Nous sommes aussi, ce qui est plus curieux mais pas improbable si l’on connaît l’histoire des idées politiques, dans l’écologisme le plus contemporain. Vouloir tout arrêter, tout conserver, conduit inexorablement à en « revenir » au Livre, à la vie « d’avant » toute technique et tout État.

François va agréger autour de lui des hommes et des femmes qu’il connaît, les armer, trouver du transport par bicyclettes et charrettes, de la nourriture pour le voyage, sortir de Paris et de sa conurbation, atteindre enfin la Loire – qui fournit l’eau – passer les montagnes du centre pour aboutir à cette Drôme rêvée, curieusement préservée de la civilisation (et que les bobos investissent depuis la fin des années 1980). C’est que, depuis Paris, un gigantesque incendie a ravagé une bonne partie du pays, né d’une cigarette tombée dans une voiture abandonnée et avivée par la chaleur écrasante du climat qui s’est réchauffé (intuition prémonitoire !).

En ces temps où les gouvernements encouragent le tout-électrique, même pour les voitures, en cette époque de Bayrou moral et d’écologisme pétainisant, relire Ravage est un délice.

René Barjavel, Ravage, 1943, Folio 1972, 313 pages, €9,40, e-book Kindle €8,99

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Gérard Gengembre, La Contre-Révolution

La Contre-Révolution est la réaction à la Révolution : comment la penser, comment s’y opposer théoriquement et pratiquement. La pratique ne survivra pas à la Restauration, ce faux-semblant du retour à l’ordre d’Ancien régime ; la Révolution a définitivement fait entrer l’histoire dans l’esprit et le comportement des hommes, c’en est fini du Plan divin, et le parti légitimiste se délitera face à la petite politique, avant de s’effondrer avec le refus du comte de Chambord d’accepter le drapeau tricolore. La théorie a subsisté longtemps, tout le siècle XIX, avant de se fondre par Maurras dans le nationalisme, qui remplace la religion en tant que Providence. Aujourd’hui simple « butte témoin » de la pensée, la Contre-Révolution n’existe plus guère.

Sauf qu’elle reprend du poil de la bête avec l’intégrisme musulman. La théocratie islamique avec sa Révélation mahométane et son Coran applicable comme un Plan divin, est-elle si différente de la théocratie catholique avec sa Révélation christique et son Evangile applicable comme un Projet divin ? Etablir le Califat ou la Cité de Dieu, est-ce si dissemblable ? La perte de l’idée contre-révolutionnaire explique peut-être pourquoi le monde intellectuel français a tant de mal à comprendre l’islamisme d’aujourd’hui : nous n’avons plus les codes. Le mérite de cet ouvrage touffu, paru pour le Bicentenaire de 1789, est de faire œuvre de mémoire à destination du temps présent.

L’essai se déroule en trois parties : réagir, reconstruire, fin des temps. Le texte est dense, pas toujours simple, usant de mots sophistiqués et d’une phraséologie souvent tortueuse. Le style « normalien universitaire » ignore la clarté du juriste, la précision de l’historien comme le lyrisme d’écrivain. Mais Gengembre tente une histoire des idées, bien délaissée sur la droite à cause de l’engouement marxiste – dont l’idéologie apparaît fort proche malgré les apparences ! Car si la volonté n’existe pas en histoire, comme tente de le prouver Marx avec ses lois historiques, si la « science » veut remplacer la Providence et l’Avenir radieux la future Cité de Dieu, quelle différence ? Les humains sont toujours le jouet d’une « main invisible », qu’elle soit celle de l’Histoire ou celle de Dieu et ils ne savent pas ce qu’ils font, jouets de forces qui les dépassent. Quant au Projet, il se réalise quoi qu’il arrive, donnant un sens à l’Histoire. Ce qui n’était pas dans les idées des Lumières, pour lesquelles la raison se devait de remplacer la foi et « la » politique s’affirmer contre « le » politique, volonté libre de faire contrat et d’aller où l’on choisit.

Cette prise en main humaine des hommes entre eux laïcise l’existence ; Dieu s’éloigne et se fait plus personnel, voire inexistant. Cette laïcisation de la modernité frappe la Contre-Révolution d’obsolescence. Toute l’obsession des contre-révolutionnaires sera de replacer Dieu au centre de la réalité humaine, de rétablir l’Ordre immuable de la Création et la réalisation par étape de son Projet qu’est la Cité de Dieu. Il faut pour cela frapper en négatif tous les acquis de la Révolution, voir le diable à l’œuvre dans l’orgueil de la raison, dans la division des partis, Babel dans l’accueil de tous au nom de l’Abstraction. Le corps de doctrine cherche à penser la Révolution pour en obtenir une maîtrise symbolique – faute d’être réelle. Les théories du Complot feront florès, comme le concept de décadence, avec l’Apocalypse possible à la fin.

Précisons que le libéralisme comme le nationalisme, étant issus de la Révolution ne sauraient être contre-révolutionnaires. Tous deux révèrent l’individu émancipé grâce à l’éducation de tous liens biologiques, familiaux, sociaux, intellectuels et spirituels – tout l’inverse de la Contre-Révolution. Ils font des passions humaines (l’intérêt et la guerre) le ressort des nations. Le nationalisme de Maurras, repris par l’extrême-droite et le fascisme, constituera l’aveu d’échec des contre-révolutionnaires : l’individu sera intégré à la doctrine et « politique d’abord » deviendra le slogan, en lieu et place de la religion.

Car la Contre-Révolution se veut antihumaniste, antirationaliste, anti-individualiste, antilibérale, anticapitaliste, antimatérialiste, antibourgeoise, antihistoriciste et anti-industrielle. Elle récuse en bloc la Réforme, les Lumières, la Révolution, l’urbanisation et l’industrialisation, les échanges mondiaux et le primat de l’argent – en bref la modernité. Notons que certains courants écolos se situent volontiers aujourd’hui dans cette conception du monde, prônant comme les contre-révolutionnaires le retour à la terre et aux valeurs communautaires paysannes, les circuits courts et le troc, l’immuabilité de la reproduction sociale pour ne pas exploiter la planète ni les autres. Pour eux comme pour les précédents, la société moderne, urbaine et industrielle est « irréaliste », vouée à « aller dans le mur » ; ils opposent le pays légal au pays réel et Paris aux provinces, les bourgeois (bohèmes) nomades hors-sol aux paysans enracinés sur leur terre, dans leur langue et coutumes régionales, la bureaucratie lointaine à la solidarité communale, la société du contrat à la communauté organique, les « droits » sans « devoirs » et ainsi de suite…

L’anglais Burke, dès 1790, oppose le progrès lent, mûri, intégrant les traditions – à la Révolution table rase vouée à tout reconstruire dans l’abstraction (comme les départements carrés et la semaine de dix jours). Les droits des gens sont meilleurs que les Droits de l’Homme, « greffe abstraite et catholique », volontiers absolutiste comme la hiérarchie d’Eglise où le Pape veut s’imposer aux rois. Ce qui explique largement le Brexit, constate-t-on aujourd’hui, les « directives de Bruxelles » tenant lieu de « bulles papales ». L’Etat abstrait est potentiellement despotique : 1793 le montrera, tout comme 1917 et, après lui, Mao, Castro, Pol Pot, tous nés de la Révolution française et des idées des Lumières.

Le courant contre-révolutionnaire s’établit sur la famille, cellule de base de la société, ce pourquoi éducation, avortement, mariage et procréation assistée révulsent autant les catholiques intégristes aujourd’hui.

Pour que vive la famille, il faut assurer la propriété ; elle est évidemment foncière et terrienne, vouée au travail à la sueur de son front selon le texte biblique, et pas à l’agiotage ni à la spéculation (« l’argent gagné en dormant » de Mitterrand, adepte de « la France tranquille » sur fond de clocher campagnard). Il y avait un certain retour aux valeurs pétainiste dans le socialisme de Mitterrand, ancien Cagoulard fervent lecteur de Barrès et de Chardonne ; les croyants de gauche n’y ont vu que du feu.

Pour la stabilité de la société, rien ne vaut la religion, Tocqueville le montrera en Amérique. Les contre-révolutionnaires sont déstabilisés par la liberté offerte par la raison aux humains ; ils lui préfèrent la Providence et le Plan de Dieu, la promesse de rachat à la fin des temps et l’idéal de la Cité universelle chrétienne à construire (d’où une certaine idéologie de la conquête et de la colonisation pour « civiliser » les sauvages – i.e. les ouvrir au message du seul Dieu vrai – ce que reprennent sans vergogne les sectes intégristes de l’islam). La religion apaise la société par son encadrement moral, son idéologie de la résignation et sa conception hiérarchique et immuable du monde : Dieu dans l’univers, les prêtres, les fidèles ; le roi dans la nation et l’Etat, les nobles et les fonctionnaires, le peuple ; le père dans la famille, la mère, les enfants – tout s’emboite harmonieusement dans l’Ordre cosmique. Ce pourquoi certains courants technocratiques (y compris à gauche) considèrent que l’Etat est une grande famille qui ne doit laisser personne sur le bord du chemin et un instrument du social via l’administration, correcteur des mœurs via l’éducation. La constitution d’un Etat n’est pas un texte mais avant tout « une ambiance, un mode de vie, un ensemble littéralement indéfinissable qui procure une forme de bien-être » p.188. Ce pourquoi ce qu’on appelle aujourd’hui « le vivre-ensemble » ne saurait tolérer voile islamique ni incivilités anti-républicaines, ni qu’une soi-disant « loi divine » (catholique ou islamique) se déclare « supérieure » aux lois du pays.

Remettre en cause cet ordre « naturel » engendre anarchie, désordres, débordements – comme en juillet 1789, en mars 1871, en juin 1940, en mai 1958 et en mai 1968. A chaque fois il y aura « retour à l’ordre moral », réaction et frilosité. Les attentats de 2015 en France, mais surtout ceux du 11-Septembre 2001 aux Etats-Unis, sont la version récente de ce « désordre » qui engendre la « réaction ». « Le coupable idéal existe : banquier, protestant, étranger » p.49 – on dira aujourd’hui financier (souvent américain, souvent juif), islamiste, immigrant ou prédateurs de nos entreprises (Chinois, Saoudien, Américain…). Les théories du Complot et les Cassandre sont presque toujours à l’extrême-droite, à l’exception des écolos dont la frange « politique », nous l’avons vu, flirte avec le fixisme religieux (préparé par l’idéologie marxiste des « lois scientifiques de l’Histoire »). Pour Bonald, la guerre est une nécessité de la sauvagerie, facteur de progrès car « apporter la civilisation » doit apaiser les sociétés non constituées (argument des colonialistes comme de George W. Bush en Irak) ; pour Maistre, la guerre purifie, ce que croyaient le fascisme comme les soldats perdus de la décolonisation – ou entre les islamistes de Daesh.

Faute de pouvoir jouer le jeu de la petite politique, la Contre-Révolution se réfugie dans la littérature : les pamphlétaires ont du talent (Flaubert, Barbey d’Aurevilly, Bloy), les romanciers un regard aigu (Balzac), les historiens célèbrent le féodalisme médiéval et les troubadours ou analysent la société organique (Taine), les essayistes usent d’un romantisme lyrique (Chateaubriand, Barrès). Selon l’auteur, il faut distinguer les résistants au changement, les antirévolutionnaires et les contre-révolutionnaires. Les premiers sont épidermiques, les seconds manifestent le ras-le-bol des exclus (en général des campagnes ou, aujourd’hui, du périurbain), seuls les troisièmes ont un projet total de contre-société. Mais seuls Louis de Bonald et Joseph de Maistre émergent comme théoriciens contre-révolutionnaires, tout en n’ayant pas la même conception des choses. « Finalement, la Contre-Révolution aurait échoué de n’être qu’un refus, et une espérance de retour, alors qu’elle pouvait être porteuse d’un avenir à inventer » p.88. Peut-être des écolos de nos jours préparent-ils cet avenir durable de Gaïa rêvé par l’ancienne théocratie ?

Car, selon la conception contre-révolutionnaire du monde, l’entrée dans l’histoire en 1789 a engendré la décadence, conduisant à l’Apocalypse prophétisée par les textes sacrés. Le temps n’est plus immuable mais relatif et doit se conquérir, la grande politique se réduit à la petite avec la division des partis, le catholicisme se réduit en cléricalisme puis en intégrisme, le divorce, l’avortement, le mariage gai et la procréation assistée pour les lesbiennes réduit la famille au simple assemblage de monades nomades irresponsables, la politesse se réduit en hypocrisie, la délicatesse en sentimentalisme et misérabilisme, la distinction en préciosité et snobisme – la perte de sens induit le mal du siècle (spleen baudelairien, exotisme rimbaldien, drogues hippies, psychoses contemporaines). C’est toujours la même histoire devant l’Eternel : goûter par orgueil du fruit défendu engendre la Chute, consommée jusqu’au Jugement dernier.

Ne reste qu’à rêver d’un Âge d’or lointain dans le passé, avant 1789 pour les contre-révolutionnaires, avant la Réforme pour les plus croyants, avant le néolithique pour les adeptes de Gaïa… Dieu se retire de la société mais la terre, le climat, la planète, se rappellent à elle !

En bref un livre dense, écrit chiant, que j’ai relu volontiers car il ouvre d’éclairantes perspectives sur le présent.

Gérard Gengembre, La Contre-Révolution ou l’histoire désespérante, 1989, éditions Imago 2001, 353 pages, €25.00 e-book Kindle €15.99

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Georges Coulonges, La terre et le moulin

georges coulonges la terre et le moulin pocket

Qui se souvient de Georges Coulonges ? Né dans le Médoc, cet homme de radio et de télé a écrit pourtant le téléfilm Pause-café, et la chanson Potemkine chantée par Jean Ferrat. Romancier du temps, de ces années 1980 à la modernité nostalgique, à la paysannerie fantasmée en régionalisme, au socialisme du terroir, à la trilogie chèvre chaud en salade, sabots suédois, poutres apparentes…

Il conte ici l’histoire d’une terre, de l’atavisme où pousse l’authentique. Marie-Paule, descendante de fermière, ne veut pas lâcher son lopin de 30 hectares et hésite donc à épouser son Pierre. Si elle mariait Raymond, cela ajouterait 25 hectares mitoyens. Et ce pigeonnier symbole de seigneurie que son père déjà avait voulu bâtir. Entre bêtes à mener au pré, tracteur à labours, fêtes de village et messes où tout le monde se regarde, la vie aux champs est la vie traditionnelle, à peine bouleversée par la télévision. La prédation des écrevisses, des goujons et des fruits commence dès l’enfance, comme le sexe avec les copains du bourg d’une centaine d’habitants. C’est qu’il s’agit de prendre et de produire, de profiter et reproduire. « Ceux qui cultivent la terre : sans qu’ils le sache, la terre les cultive » p.330. La personne n’existe pas (sauf les fous, comme Aline), n’existent que la lignée, le devoir, le statut à maintenir sous le regard de la famille et des voisins. Une France de notaires, pas d’entrepreneurs.

Nous sommes dans ces années 1980 où la France commence à changer autant qu’en un siècle. Les ruraux sont depuis devenus citadins ou rurbains ; le « retour » à la terre a été fuite du béton ou obligation du chômage ; l’écologie est devenue cet autre nom du savoir paysan. La France garde dans sa culture cet atavisme méfiant, comptable, amasseur ; fermé, peu curieux, lent à agir ; attaché à la terre, aimant les héritiers plus que les enfants, proche de la bête plus que de la nature.

On aimerait bien que ce leg quitte enfin l’esprit. Le monde a changé et change encore, tandis que la France éternelle reste accrochée aux conservatismes et à l’esprit étroit du terroir au lieu de s’ouvrir sur le monde et d’oser entreprendre.

C’est cette France là que nous conte Coulonges dans un beau roman du Quercy écrit sec, au temps où la mode à peine en naissait. Le temps du Cheval d’orgueil et de Chemin faisant où la France paysanne ne s’essayait à la modernité que sous la houlette de l’État après celle du curé : on ne quitte la polyculture autarcique que sous appellation contrôlée pour le vin ou le pruneau, on ne pratique le tabac que sous la SEITA. Récit symbolique d’une France déjà archaïque, radicale, gaulliste de la dernière heure, socialiste des copains – et seulement de la génération d’avant.

Georges Coulonges, La terre et le moulin, 1984, Pocket 2003, 332 pages, €6.36

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