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Le chat de Monsieur de Buffon

buffon oeuvres pleiade
Le Bourguignon Georges-Louis Leclerc, ci-devant comte de Buffon né en 1707 et mort en 1788 (heureux homme), se méfiait des chats.

Il partageait les préjugés de la catholicité de son temps pour cet animal venu d’orient, à la fois merveilleux et diabolique comme tout ce qui vient d’ailleurs (et surtout d’orient) : « Le chat est un domestique infidèle, qu’on ne garde que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode, et qu’on ne peut chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent les chats que pour s’en amuser ; l’un est l’usage, l’autre l’abus ; et quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer » (Histoire naturelle des animaux, 1749, Pléiade 2007, p.689).

De fait, Buffon écrivait admirablement mais n’a point élevé de chats. Plutôt qu’observer et décrire, il créa de toutes pièces une fantasmagorie comme on en fit au moyen-âge avec Renart et Ysengrin, prêtant à l’animal qualités et défauts d’une certaines espèce d’hommes.

chatte

Pour Buffon – et les Chrétiens du temps – seul le chien est fidèle, le chat est trop indépendant ; le chien est l’exemple que réclame Dieu, le chat n’est que la tentation du diable. « De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine. » Ne dirait-on pas les larrons du temps ? Ou la vie réelle des aigris de cour ?

Le chat apparaît pour ce qu’il est : un hédoniste, un égotiste, voire égoïste – tous péchés largement condamnés par notre sainte mère l’Église. Et pourtant, en 1751, au 15 janvier, les députés et syndics de la faculté de théologie de Paris firent parvenir à Buffon la liste des 14 extraits de L’Histoire Naturelle jugés non conformes à la religion !… Comme quoi nulle croyance a priori ne fait jamais bon ménage avec la science, adepte de la méthode expérimentale.

chatte femme

« Le chat est joli, léger, adroit, propre et voluptueux ; il aime ses aises, il cherche les meubles les plus mollets pour s’y reposer et s’ébattre : il est aussi très porté à l’amour et, ce qui est rare dans les animaux, la femelle paraît être plus ardente que le mâle. » Décidément, quel libertin ce félin !

Quel féministe ! Même si ce mot n’existait point alors, la remise en cause du principe Mâle dans la domination amoureuse ne pouvait avoir qu’odeur de soufre.

chat et garcon

L’éducation du chat, si tant est qu’elle puisse se faire, est plutôt « à la Rousseau » et nous, humains du 21ème siècle qui avons expérimenté la chose depuis 1968, savons ce que cela veut dire : « Leur naturel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d’une éducation suivie. (…) C’était plutôt par le goût général qu’ils ont pour la destruction que par obéissance qu’ils chassaient ; car ils se plaisent à épier, attaquer et détruire assez indifféremment tous les animaux faibles… » Quels sales gosses, quand même, ces libertaires !

Moi, j’avoue bien les aimer, ces gamins-là. Mais c’est travers de notre époque.

Georges-Louis de Buffon, Œuvres, Gallimard Pléiade 2007, 1760 pages, €66.00

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Claire Lescure, Johnny Hallyday

Le rockeur national, 70 ans l’an prochain, est un mythe français, le pendant masculin de Brigitte Bardot, paru juste avant dans la même collection. Les éditions Exclusif se sont spécialisées dans la biographie légère des people avec des titres tels que Liz Taylor, Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo, Claude François, Brigitte Bardot et Steve Jobs. Johnny Hallyday, pseudo de Jean-Philippe Smet, ne dépare pas la brochette.

Le plan éditorial est simple et constant : la moitié en biographie écrite au galop, style Wikipedia augmenté, un cahier central de photos, un tiers en interviews reproduites pour donner la parole au personnage, puis des annexes composée d’une revue de presse, d’un florilège de ‘citations d’auteur’, chronologie, discographie, filmographie, bibliographie. L’ensemble se lit bien, écrit simple et enlevé. Qui aime Johnny en sortira comblé ; qui ne l’aime guère découvrira avec curiosité les dessous du mythe.

Qui savait que le petit Jean-Philippe n’a jamais eu de père ? qu’il n’a jamais fréquenté l’école ? Ce sont ses fêlures intimes qui le rendront incapable d’assurer une paternité sereine avant la soixantaine… Il a été élevé par sa tante, la sœur de son père, un clown belge qui a fui dès qu’il est né. Sa mère était mannequin de haute couture sans cesse absente et envolée. La tante, elle, avait les pieds sur terre et déjà deux filles, à demi-éthiopiennes, ce qui a donné un foyer au petit garçon. Mais la famille recomposée est tombée dans le spectacle tout petit et le gamin est embarqué avec ses cousines dans la danse. Car la mère et ses filles sont danseuses, ce qui leur permet d’être six mois à Paris, six mois à Londres, un mois à Naples, un autre à Rome…

Joli dès l’enfance avec ses boucles blondes, le petit Jean-Philippe tourne des publicités pour Jean Mineur, puis obtient son premier rôle au cinéma à 11 ans dans Les Diaboliques de Clouzot : il joue un élève. Sa seule réplique est coupée au montage, mais le cinéphile attentif peut l’apercevoir dans les vues de groupe. C’est à 14 ans, en 1957, qu’il commence à chanter Elvis, ayant appris la musique par le violon, puis à la guitare avec l’un de ses modèles masculins : Lee Ketchum dit Halliday (avec un ‘i’).

C’est une erreur de transcription du pseudo sur sa première pochette de disque qui fige Hallyday avec deux ‘y’. Car le garçon triomphe l’année de ses 16 ans avec ‘Laisse les filles’. L’un de ses parrains était Charles Aznavour, un autre Raymond Devos. Qui l’eût cru ? La star du jeu de mot bourgeois n’a pas hésité à croire en la jeunesse déjantée qui se roulait par terre en public avec sa guitare…

Quiconque ne l’a pas vécu ne peut plus comprendre la mentalité archaïque du temps. Dans les années 60 subsistaient quelque chose de villageois dans la presse parisienne, du commérage, de la jubilation de faire honte au non-conforme. Paris, ville lumière ? Bof… Entre les intellos des caves enfumées et les journalistes cul de plomb sur leur chaise dans les bureaux du ‘Monde’ ou de ‘La Croix’, l’ère était à l’intolérance, aux dénonciations, au rejet de l’âge tendre. Il faut lire la Revue de presse pour s’en faire une effarante idée :

Henri Rabine dans ‘La Croix’ : « Johnny Hallyday (…) afflige le public d’une exhibition baragouinante et hystérique, promise à brève échéance au cabanon »

Claude Sarraute dans ‘Le Monde’ : « J’avoue avoir pris aux soubresauts, aux convulsions, aux extases de ce grand flandrin rose et blond, le plaisir, fait d’intérêt et d’étonnement, que procure une visite aux chimpanzés du zoo de Vincennes ».

Même la Duras, Marguerite adulée des bobos de gauche (la rive, pas le portefeuille), écrit en 1964 : « Il ne peut pas le comprendre. La jeunesse, pour lui [Johnny] ne précède pas l’âge adulte. C’est un absolu, et il voudrait que les jeunes l’emploient comme lui l’a fait. » La féministe en Pléiade n’a évidemment rien compris à cette énergie brute de la génération 1960, ni intello, ni vaniteuse, ni fonctionnaire de l’idéologie…

Adolescent trop joli, Johnny se fait un look de mauvais garçon pour se viriliser, n’hésitant pas à se tailler les joues à coup de rasoir pour avoir l’air plus dur. Il aime les femmes, mais son métier d’idole ne lui permet pas de se poser. Il épousera Sylvie Vartan, Nathalie Baye, Babeth Etienne, Adeline Blondieau, Laetitia Boudou. Avec la première il a eu un fils à 22 ans : David ; avec la seconde une fille : Laura ; avec la dernière il a adopté deux petites vietnamiennes : Jade et Joy. Il a consommé les femmes comme la drogue et le spectacle : à cent à l’heure. Il a changé de style comme un caméléon, transformant la « chanson » en show d’acteur. Ce pourquoi il reste dans le vent avec un groupe de jeunes et moins jeunes régulièrement autour de 150 000 fans.

Mais Jean-Philippe Smet est moins tête de linotte que le mythe Johnny Hallyday ne le présente. « J’ai essayé toutes les drogues. Je sais de quoi je parle. A Londres, dans les années 70, ça circulait librement. Mais je n’ai jamais été accro. Je ne comprends pas cette notion. Si je dois arrêter quelque chose pour mon métier, ou parce que ça fait de la peine à ma famille, je le fais de suite. Je suis plus fort que ça. (…) La scène apporte du rêve, la drogue du désespoir. C’est de la merde ! » (interview au Matin à Gstaad par Didier Dana). Drogue, idéologie, convictions : Johnny chevauche tout cela avec une allégresse qui le fait préférer aux Duras et consorts, tous confits dans l’image pieuse de leur étroite religion, fût-elle « progressiste ». Il y a de la vie dans Johnny !

Une bio attachante sur un monstre de la société du spectacle.

Claire Lescure, Johnny Hallyday – Jusqu’au bout avec Johnny…, octobre 2012, éditions Exclusif collection Privée, 256 pages, €19.00

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Sophie Chauveau, Le rêve Botticelli

Sophie Chauveau adore Florence. Elle a entrepris une trilogie romanesque qui commence avec ‘La passion Lippi’, se poursuit par ‘Le rêve Botticelli’ avant de culminer avec ‘L’obsession Vinci’. Ces trois peintres au tournant du 16e siècle recèlent en eux une vie inimitable, une vitalité jamais vue, un style inouï. Botticelli est arrivé à 13 ans dans l’atelier Lippi. Petit dernier d’une famille nombreuse dont quatre sœurs mortes en bas âge, il n’est pas aimé, délaissé par sa mère et par ses frères. Surdoué de la ligne, il n’est ni gros mangeur ni artisan comme eux. Sa vraie famille sera celle des Lippi, famille improbable composée d’un moine et d’une nonne. Le petit Jésus des peintures de Filippo Lippi, son fils Filippino – dit Pipo – s’attache à ce grand frère solitaire, dont son père reconnaît le talent. Dès la puberté, le gamin en fait son amant. Le livre commence par une scène d’amour à l’âge légal d’aujourd’hui.

Pipo Lippi =

Botticelli est incapable d’aimer une femme tant sa mère a été distante avec lui. D’ailleurs, regardez ses tableaux : les garçons y sont réalistes tandis que des femmes ont toujours des formes idéalisées. Sandro Botticelli adore son petit compagnon comme sa sœur, sa filleule Sandra, fille de son maître Filippo Lippi. Amoureuse de son parrain depuis toujours, elle deviendra – mais largement adulte – sa maîtresse. Jusqu’à lui donner un fils.

Botticelli est effondré : un fils ? Comment l’accepter, l’élever, transmettre ? Il en est incapable et ne le verra pas avant qu’il ait 13 ans.

=Botticelli autoportrait

Giaccomo, le fils =

L’enfant est élevé par un autre, sa mère mariée pour les convenances. Botticelli vivra au rythme de sa ville, créant un style, la morbidezza, cette tristesse vague qui préfigure la passion de Florence. Tour à tour débauchée et rigoriste, la ville passera du clan des Médicis à celui des Dominicains menés par Savonarole, un ayatollah formant des bandes de talibans, enfants à peine lettrés qui rançonnent les habitants et contrôlent leurs mœurs. « Ordre est donné de supprimer les beaux vêtements et les parures, les bijoux et les fêtes, l’alcool et les jeux, tous, même ceux des enfants… Le carnaval est remplacé par des processions dont le rythme s’accélère. Annuelles, mensuelles, hebdomadaires, quotidiennes… Le théâtre, la musique, la danse sont proscrits comme tout ce qui semble licencieux au moine. Si le plus grave crime pour l’Eglise était hier la simonie, la sodomie l’a remplacée. Cheval de bataille de Savonarole » p.354.

Mais, contrairement aux pays d’islam, le jeu ne durera que deux ans. Les Florentins sont prêts à faire pénitence pour la fin de siècle 1499, mais pas à aliéner durablement leurs libertés de mœurs et leur goût pour la beauté. Savonarole sera brûlé en place publique, sous les acclamations de la foule qui, un an auparavant, le portait aux nues.

= Simonetta

Sophie Chauveau a le talent de traduire ce bouillonnement de vie, ces mœurs extravagantes, ces amours jamais loin de l’art. Pipo, adolescent au corps déchaîné à 15 ans, se rangera à la quarantaine pour engendrer trois enfants. Qui l’aurait dit d’un pareil sodomite ? « Tout le monde l’aimait, il était universel. Gentil, joli, tendre, serviable, doué et drôle, moins intimidant que Léonard, plus rieur, plus simple que Botticelli, il était la plus pure image d’artiste de Florence » p.456. Sandra sa sœur, qui ne vivait que pour son parrain Botticelli, le violera à 27 ans pour lui faire un fils, Giaccomo, que le père biologique finira par accepter. Entre temps, Léonard de Vinci, intelligent et très beau gosse, aura piqué Pipo à Botticelli ; Lorenzo de Médicis, sauvé à 10 ans par le peintre lors du massacre des Pazzi et résolument amateur de femmes, souhaitera goûter des amours interdites avec le beau peintre…

Lorenzo de Medicis =

Ce dernier aimera à la folie les femmes… en peinture. Il inventera la naissance de Vénus, le Printemps dans son bourgeonnement naturel, l’innocence de la Calomnie, les Madones qu’il n’a jamais eues pour mère. Sans parler des chats.  

Botticelli adore les chats. Ils remplacent sa famille, il les nourrissait dans les terrains vagues lorsqu’il était enfant. Ces bêtes en bande ont un comportement moins infantiles que tout seuls. Ils sont très attachants, défendent leur maître, n’acceptent que ceux qu’ils sentent être ses amis. Ce roman est aussi un hymne aux félins. Les chats, ce sont un peu ces gamins de Florence, souples et rusés comme eux, plein d’intuition et de réserve, jolis, gracieux et affectueux comme des adolescents.

Luca, le beau neveu =

C’était toute une époque que cette fin de quinzième siècle florentin. Botticelli est un surnom, formé sur ‘botticello’ – le petit tonneau – qui qualifiait les membres de sa famille gros mangeuse. Pas lui Sandro, grand, sec, éthéré – refusant le lait maternel parce que sa mère l’a tout de suite rejeté. Faut-il être tordu par la vie pour faire un grand artiste ?

= Sandra, sa filleule mère de son fils

Le lecteur peut le penser, et pourtant : Botticelli a su s’entourer d’une famille d’adoption, d’animaux fidèles, d’amis fervents, de grands frères reconnaissants une fois adultes. Botticelli immortalisera Pipo en saint Sébastien, Sandra en Vénus naissante ou en victime de la Calomnie, Lorenzo de Médicis en Mars alangui, sa femme Simonetta – la plus belle de Florence – en Vénus mère, Luca son neveu en ange et Giaccomo, son fils, en ado calomnié… Jamais le terme de Renaissance ne s’est appliqué si bien à la peinture. Certains historiens d’art disent que Vénus est Simonetta Vespucci et que Mars serait Giuliano de Medicis plutôt que Lorenzo. Je n’en sais rien, j’en reste à ce que déclare l’auteur qui a dû vérifier aux sources qu’elle jugeait fiables. Ce qui compte est moins ces détails – qui n’intéressent que les spécialistes myopes – que l’ensemble. Il montre que le peintre peignait la vie autour de lui, sous prétexte de mythologie. Il puisait son art dans la réalité vivante qu’il adulait.

Voici un beau roman qui fait aimer Florence, la peinture et la vie. Nul ne s’ennuie à suivre les amours et les regards, le trait dessiné et l’exaltation de la nature. Car Botticelli, contrairement à son grand ami Léonard, est un adepte de la ligne claire. Pas de sfumato pour sa peinture mais la nette délimitation des traits. D’où l’audacieuse nudité de ses personnages, masculins comme féminins. Seul Michel-Ange, plus tard, osera faire mieux. Une saine et revigorante lecture !

Sophie Chauveau, Le rêve Botticelli, 2005, Folio 2007, 482 pages, 7.41€

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