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Jean-François Coatmeur, Yesterday

Yesterday, c’est la chanson des Beatles qu’un juge vieux, laid et malade se remémore lorsqu’il a rencontré la femme plus jeune qui vit avec lui. Un juge antiterroriste qui a mis sous les verrous la plupart des membres du groupe gauchiste ARES qui visait à déstabiliser la société pour installer un pouvoir populaire de type trotskiste – autrement dit la dictature d’un seul sous l’acclamation des masses, à la sud-américaine. Mais ARES ressurgit. Le groupe lance un avertissement dans un communiqué selon lequel il visera cette fois à la tête.

La tête, c’est le président de ce pays de l’Ouest, imaginaire mais où l’on reconnaît sans peine (et non sans une certaine malice) la France de Mitterrand. La gauche « modérée » est parvenue au pouvoir pour contenir les surenchères communistes, mais c’est trop ou ce n’est jamais assez. Trop pour une fraction radicale de l’armée qui menace en termes à peine voilés de fomenter un putsch comme à Alger en 1962 et de prendre le pouvoir. Jamais assez pour une frange de gauche radicale qui voudrait que le mouvement engendre le mouvement et ne cesse d’agiter les masses. Mitterrand, devenu président en 1981, a été aux prises avec ces deux tendances et l’auteur les amplifie et les déforme pour en faire un thriller politique.

On y retrouve le doute sur le pouvoir qui taraude tout président, la liaison cachée avec une maîtresse malgré la façade du couple uni, les ambitions de la cour très proche qui se verrait bien calife à la place du calife, les magouilles des services plus ou moins secrets qui se tirent dans les pattes et voudraient tirer la couverture à eux. Tout à fait les années Mitterrand vous dis-je !

Le président au prénom russe – Igor – et au nom du sud – Lauza – est assassiné, comme il a été indiqué par ARES. Mais qui manipule qui ? A la veille d’être tué, ce même président convoque le juge Melchior au nom d’une ancienne camaraderie d’enfance et d’un amour commun pour la même gamine à l’époque, la fille de l’instit qui venait faire ses devoirs sur l’estrade de son père, laissant entrevoir aux garçons à peine pubères sa petite culotte blanche. Mais pourquoi cette convocation ? Pour lui dire quoi ? Le juge se trouve lui-même condamné par un cancer en phase terminale et voudrait bien boucler cette enquête qui remet en cause tout son travail d’antiterrorisme jusque-là.

Le tueur est un jeune homme de la mafia corse manipulé par un parrain qui grenouille avec certaines factions politiques peu claires. Tout est parfaitement organisé sauf que… comme toujours, le sexe vient enrayer la machine. La liaison cachée du président le rend faible, le couple mal assorti du juge le rend mou, la rencontre d’une fille par le tueur avant son acte le rend niais. Il n’appliquera pas les consignes, se fera repérer, trouvera la mort d’une blessure mal soignée qu’il aurait pu éviter. La liaison du président a failli être éliminée mais elle a de la ressource. La liaison du juge se terminera comme il se doit : dans les bras d’un éphèbe de 28 ans, architecte et beau comme un dieu. Lui-même s’effacera comme le vieil écrivain Gustav Aschenbach de Mort à Venise, en regardant au loin un jeune garçon en seul bermuda rouge sur la plage. Symbole de la vie qui continue, de l’inanité des ambitions politiques.

Au fond, tout ça pour ça… Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu présidentiel corrompt absolument. Malgré les quarante ans passés depuis, ce thriller hors du temps se lit toujours. Pour moi, c’est une relecture de hasard. Why she had to go, I don’t know… Now I long for yesterday.

Jean-François Coatmeur, Yesterday, 1985, Livre de poche policier 1988, 319 pages, occasion 4,00 e-book Kindle €6,49

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Jean de La Varende, Le troisième jour

De cet écrivain mort en 1959, on a fait un écrivain « régionaliste », avec l’affectation de mépris à la mode dans les salons littéraires de Saint-Germain-des-Prés. Or il est avant tout un écrivain, un homme qui écrit ses passions et met en scène des personnages bien typés. Certes, il est catho tradi, attaché au roi et anti-moderne, mais est-ce une raison pour bouder le talent ? Le wokisme sévit parmi tous les imbéciles, pas uniquement chez les « racisés ».

Le Troisième jour, au titre énigmatique, met en scène la Normandie, patrie de l’auteur – bien qu’il ait passé son enfance en Bretagne. Il se situe à la fin du XIXe siècle, après Napoléon le Troisième (le Second n’a jamais régné) et durant les premières années de la République elle aussi Troisième. Mais cela importe peu, la campagne reste alors hors du temps. Les gens sont simples, attachés à leur terroir et à leurs forêts. Il s’agit du pays d’Ouche, dont la capitale, Conches-en-Ouche, près d’Évreux, n’est aujourd’hui qu’à une heure et demie de la gare Saint-Lazare. C’est un paysage de champs et de forêts où, à la fin du XIXe siècle était fabriqué du charbon de bois pour alimenter de petites mines de fer.

C’est là que s’épanouit un beau gamin blond nommé Georget, entre sa mère Fanny et son beau-père Aubert, avec le comte déclassé Mantes pour ami. Georget est issu de liaisons compliquées que tout le roman suffira à peine à débrouiller. Mais tout commence par un loup qui suit l’enfant un hiver, alors qu’il n’a que 11 ans. Cela ne démonte pas le petit Normand qui le chasse à coup de boules de neige, sans le prendre pour un gros chien, et le tient en respect avec son bâton. Il criera « Harlou ! » dès qu’il sera à la maison, déclenchant une chasse qui finira par la mort du loup. Comme il l’a traqué avec le comte et le piqueux du marquis voisin, il en aura les pattes. Pour remercier le marquis de La Bare, puisque l’animal a été tué sur ses terres, le garçon ira lui porter le trophée de l’une des pattes monté sur bois par Aubert et orné d’une belle plaque de cuivre indiquant la date.

Le vieux marquis, qui a perdu son fils aîné Manfred à la guerre contre les Prussiens, et son fils cadet Gaston, entré dans les ordres et mort des fièvres en mission chez les Nègres du Sénégal, est touché et ravi par la beauté, la santé et la vivacité de Georget. L’auteur en brosse un portrait lyrique : « Georget, ce petit homme si franc, si luron, lui avait fait passer une heure excellente. Il le revoyait dans sa solidité ; il aurait voulu, de ses deux mains longues, enserrer les mollets ronds, les genoux larges, les jambes de poulain, et caresser cette peau dorée. Le bezot n’était pas très grand pour son âge, mais tellement bien établi, si fortement campé, avec des aplombs si justes ! Bâti en force blonde… » p.130. Il va en été « sa petite chemise à demi ouverte », découvrant sa poitrine, comme le note sa bonne amie Léone, presque 14 ans qui le console de ses malheurs (p.330).

Georget est comme un poisson dans l’eau dans son pays, ami des charbonniers de la forêt, participant aux contrebandes avec les rustiques poneys hurtus acclimatés depuis l’Irlande. Il n’est pas politique mais comme les gens du cru, qui voient la république de loin. Des « anarchistes paysans, épris seulement de force, de liberté paysanne et appartenant à toutes les oppositions quand elles agissaient. Il ne se ralliaient jamais qu’à la révolte » p.198. Ils respectent les anciens nobles, mais comme faisant partie de leur terroir ; il n’en sont pas sujets mais restent « sire de sei », maîtres d’eux-mêmes.

De cette visite découlera tout un enchaînement de circonstances qui feront reconnaître l’enfant par le marquis, par le piqueux, par la marquise. Il s’avérera que le gamin a de qui tenir : il a du sang La Bare en lui, et même pas mal, mais je ne veux pas déflorer l’aventure de la découverte. Le paysage est brossé comme il se doit, d’une langue sensible et sensuelle, les personnages ont du caractère et sont campés pour le montrer, Georget en vigoureux lutin, Fanny en mère solide qui sait ce qu’elle veut, Aubert en beau-père vieilli mais bon et généreux, Mantes en aristocrate déchu et tourmenté, La Bare en pater familias sans plus de famille et soucieux de transmettre ses biens et ses traditions à sa lignée, le piqueux en valet respectueux qui a connu la famille du marquis depuis quarante ans et reconnaît en Georget l’un des leurs.

Un beau roman qui gagne à être relu, réaliste et romantique comme un Normand sait l’être.

Jean de La Varende, Le troisième jour, 1947, Livre de poche 1972, 346 pages, broché occasion €38,80

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Christine Fizscher, L’ombre de la terre

La poésie n’est pas facile vendre car elle demande du silence et du recueillement pour la lire, ce qui manque de plus en plus en notre époque sollicitée par les mobiles, le net, les chaînes en continu et les médias sociaux.

Le génie fait entrer très vite dans l’œuvre, que l’on pense à Eluard, à Saint-John Perse, à Rimbaud, à Baudelaire ou même à Villon. C’est un peu plus difficile pour les auteurs contemporains qui n’ont pas derrière eux la tradition et notamment pour musique la discipline du vers rimé en pieds déterminés.

Christine Fizscher écrit depuis dix ans au moins et a publié deux romans de liaisons et d’amours, La dernière femme de sa vie et La nuit prend son temps.

Ses vers libres ont un rythme et du souffle, mais sotto voce, comme s’il ne fallait pas effrayer le silence ni peupler les ombres. Tout commence en été en Grèce, tout finit peut-être en Espagne en hiver. Entre temps des amours enfuies, des souvenirs d’enfance estompés, la maison de famille qui s’efface.

Difficile de parler de poèmes : ils sont tissés de mots dont les sons se répondent ; ils sont colorés de sens selon les termes choisis. Mieux vaut citer quelques vers pour se faire une idée.

« Ta voix me chauffe comme un poêle,

fait jaillir des larmes, des branches de foudre,

elle hisse de courtes voiles

pour les plus violents des vents.

Mais voilà, je reste à ma table sagement,

avec dans les jambes et les reins

des impatiences, des secrets murmurés ;

dans les veines mon sang blotti,

dans la gorge des sons retenus, froissés.

Et j’ordonne à ta voix de te taire, de s’effacer. »

 

Ce n’est pas hermétique mais intemporel, une inquiétude de la chair qui s’exprime par la langue, l’intime en narration, au rythme des saisons.

L’ombre de la terre qui attache et angoisse s’oppose au soleil qui luit et tranche ; elle est un tempérament.

François Cheng s’en est ému dans une lettre-poème en réponse envoyée à l’auteur.

Christine Fizscher, L’ombre de la terre, photographies de Jonathan Abbou, éditions Dumerchez 2018, 47 pages, €15.00

 

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Amours valentin

L’amour n’est pas simple, en français. Le mot, en effet, vient du provençal et de la conception passablement romantique – platonicienne ? – qu’avaient du sentiment les troubadours.

Il a fallu se différencier de la conception féodale, pour laquelle la femme était un bien comme un autre, et le mariage une alliance d’intérêts.

Il a fallu aussi abandonner la conception antique de l’amour car, bien sûr, le terme ‘amor’ est issu du latin amare = aimer. Mais ce latin avait une connotation différente, toute pratique, élaborée par les Grecs, experts en art psychologique. « Amour » – d’où vient « amitié » – se distinguait chez eux d’éros (la titillation érotique) et de philia (l’affect sentimental).

L’amour des troubadours se veut, lui, absolu. Il concerne en premier l’amour de Dieu, puis celui de « la » Femme. Pour en avoir une idée, on peut le rapprocher de la musulmane absolue humilité devant Allah. Ou de la ‘passion’ au sens christique des Parfaits cathares. L’amour provençal n’est pas cette amitié passionnée qui mêle l’érotisme au sentiment, comme l’est l’amour grec. Il est moins ouvert et plus rigide, axé sur « le Bien » à la manière de Platon, plutôt que sur l’éventail des sujets aimables offerts par la nature. L’amour provençal, qui devient l’amour français, est résolument hétérosexuel ; il s’exalte dans le discours plus que dans les gestes ; il est un théâtre, typique d’une société de cour où la hiérarchie est respectée et les limites à ne pas franchir bien fixées.

L’amitié est « sociale », pratique, elle peut concerner le sentiment entre homme et femme et est utilisée comme tel jusqu’au 18ème siècle. Mais l’Hamour (comme écrivait par dérision Flaubert) est déjà cette exaltation passionnelle qui dominera le romantisme. Il est abstrait et absolu, sans « objet » autre qu’idéal, hors de ce monde. Une sorte d’excès malsain qui sent la fièvre, une drogue qui, à la retombée, fait mal. La réalité n’est en effet jamais aussi parfaite que l’idée qu’on se fait…

L’ardeur éthérée de la ‘fin amor’ provençale sera confortée par les interdits d’Église et par le souci du lignage, reste sourcilleux de la conception féodale et de l’ordre établi. Ce n’est qu’au 18ème siècle que le badinage retrouvera la liberté des Grecs et que le plaisir reprendra ses liaisons dangereuses. Quand l’homme choisit, il est l’amant ; quand la femme choisit, l’homme est le galant. La Rochefoucauld retrouve la subtilité de la psychologie grecque pour distinguer les moments : « Dans les premières passions les femmes aiment l’amant, dans les autres elles aiment l’amour. »

De ce siècle d’humanisme érotique, le suivant singera l’aspect sans en garder l’esprit. Stendhal se moquera des bourgeois de son temps, revenus aux mœurs féodales de la femme comme « bien à vendre » – donc vertu à préserver : « Qu’est-ce qu’un amant ? C’est un instrument auquel on se frotte pour avoir du plaisir. »

L’aujourd’hui a réinventé toutes les pratiques, de « la baise » à la Catherine Millet (partout, à tout moment, si possible sous le regard des autres) à l’amour platonique (qui reste si fort chez les adolescents) jusqu’aux diverses « amouracheries » de passage (Delteil), amourettes par amusement, « amorisme » de l’exaltation perpétuelle et sans objet (Guitton), « amoureries » du rut populaire (Céline), « amarcord » – formé sur amour et record – ou nostalgie des souvenirs érotiques (Fellini), « amiévrie » de foule sentimentale lisant des magazines (Tinan)… mille mots pour dire les mille inventions du physique, de l’affect et de l’esprit amoureux – queue, cœur, crâne : les trois étages de l’homme.

Et Valentin dans tout ça ? Le prénom vient du latin ‘valens’ qui signifie justement vigoureux, plein de force. Vous voyez où l’on veut en venir ?

Février est le cœur de l’hiver et le 14 juste le milieu. C’est à ce moment que la vie doit triompher de la mort, à ce moment qu’on doit penser très fort au printemps, à la renaissance de la nature. De toute la nature : les feuilles en bourgeon, les fleurs en bouton, les petits agneaux pour Pâques… et les poupons d’homme qui naîtront en novembre, leur mère ayant bien mangé tout l’été.

En Grèce à cette saison de l’année, Zeus se mariait avec Héra ; à Rome, des adolescents nus couraient dans la ville en fouettant les passants, surtout les filles – et plus si affinités. L’Église a récupéré l’idée, bien sûr, pour la châtrer aussi sec en la transformant en discours, ces discrets billets babillant des mièvreries aux aimées. La ‘fin amor’ provençale, toute platonique et exaltée, l’y a fort aidé !

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