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Jules Verne, Autour de la lune

jules verne autour de la lune livre de poche

Ce tome des Voyages extraordinaires est aussi passionnant qu’une expédition lointaine, même si la fantastique avancée de cet exploit en 1869 est aujourd’hui éclipsée par la réalité de l’exploit en 1969. Il peut se lire indépendamment du premier tome, De la terre à la lune ; il a d’ailleurs été écrit avant, l’auteur cherchant à justifier ensuite comment aller sur l’astre des nuits.

Le lecteur se souvient peut-être que les artilleurs du Gun-Club, au chômage après la guerre de Sécession, avaient imaginé un canon de 68 040 tonnes, long de 900 pieds, appelé Columbiad sur le principe inventé en 1811 aux Etats-Unis par George Bomford. Ce canon, fondu par 1200 fours dans la terre de Floride, avait propulsé par 400 000 livres de fulmicoton un obus d’aluminium de 19 250 livres à 11 000 yards par seconde, habité par trois hommes : Barbicane président du Gun-Club, Nicholl challenger irascible et Ardan, Français imaginatif.

A noter que, deux générations après la Révolution qui a imposé le système métrique, Jules Verne comme ses lecteurs continuaient à parler en pieds, lieues et livres… tout comme nos vieux avec les « anciens » francs. Mais cet aspect archaïque ajoute aujourd’hui au charme de la lecture.

Voilà donc nos compères, deux chiens, quelques poules et un coq voguant dans l’espace. Ils n’ont pas été écrasés par la poussée, ni grillés vifs par l’explosion, ni ne connaissent l’apesanteur, ni ne voient leur air expulsé lorsqu’ils ouvrent le hublot. Ce sont quelques-unes des neuf erreurs de Jules Verne (voir la référence plus bas), conscientes ou non, pour assurer une base réelle à son bond dans l’anticipation. Les trois compères vivent comme en chemin de fer Pullman dans leur obus-wagon, ils ont de l’eau, des aliments, du gaz d’éclairage et de chauffage, un appareil régénérateur d’air – et du vin de qualité ; ils peuvent observer l’espace au travers de quatre hublots, munis de lunettes de marine puissantes pour rapprocher la surface lunaire.

cratere de tycho sur la lune

Mais le voyage en huis-clos serait monotone si ne survenaient quelques péripéties telles que bolides enflammés, chien tué, excès d’oxygène, froid sidéral et autres erreurs de trajectoire. En maître du théâtre, Jules Verne campe trois caractères qui se répondent et font le mouvement.

Barbicane est un pragmatique calculateur, au nom de meurtrière – ouverture étroite et verticale en défense – ce qui rend bien son aspect froid et prudent ; mais son nom est aussi celui d’un fameux théâtre de Londres, ce qui ouvre à une certaine hauteur de vue qui va jusqu’à la religion.

Nicholl, qui l’a défié et parié sur ses échecs avant de perdre avec panache, est à l’inverse le scientiste pur qui ne croit qu’à la matière et à ce qu’il voit, un vrai « chronomètre (…) à huit trous », dit l’auteur.

Ardan, anagramme de Nadar l’aérostier photographe cher à Jules Verne, est « le Français » bon vivant et enjoué, candide en maths et poète à ses heures. Là où Barbicane ne voit que des étendues volcaniques sans vie, lui voit des traces d’un empire écroulé. « Cet amoncellement de pierres assez régulièrement disposées, figuraient une vaste forteresse, dominant une de ces longues rainures qui jadis servaient de lit aux fleuves des temps antéhistoriques. (…) il apercevait les remparts démantelés d’une ville ; ici, la voussure encore intacte d’un portique ; là, deux ou trois colonnes couchées sous leur soubassement ; plus loin, une succession de cintres qui avaient dû supporter les conduites d’un aqueduc ; ailleurs, les piliers effondrés d’un gigantesque pont, engagé dans l’épaisseur de la rainure. Il distinguait tout cela, mais avec tant d’imagination dans le regard, à travers une si fantaisiste lunette, qu’il faut se défier de son observation » (chap. XVII). Il suffit de chercher images de la face de la lune dans un moteur de recherches pour constater aujourd’hui que certains continuent à voir « des extraterrestres » dans les circonvolutions lunaires.

face cachee de la lune

Les astronautes passent assez loin de la surface de l’astre, ce qui ne leur permet que des hypothèses sur ce qu’ils observent – et la face cachée est entièrement dans l’obscurité, si bien qu’ils n’y voient pas plus que les astronomes terrestres. Tout cela est bien commode pour ne pas trop s’avancer. Si Jules Verne étaye ses chapitres de descriptions précises puisées chez Arago, ou de formules algébriques inouïe dans la littérature populaire pour la jeunesse, ce n’est qu’un trompe-l’œil. Il saute les erreurs et approximations scientifiques par convention romanesque.

La quête de la lune promise est cependant une offense au divin, la preuve d’un orgueil humain presque démesuré, malgré la précision des calculs et la prudence des affirmations. La référence à Dieu n’est pas absente, les fois où les choses n’ont pas été prévues. Et nos modernes Moïse (cité chap. XIX), s’ils voient de près la terre promise, ne l’atteindront jamais. Tenter d’égaler Dieu fait l’objet d’un châtiment, ici bénin, mais qui montre combien le spirituel est loin d’être absent de cette aventure de science pure. L’arbre de la Connaissance n’a-t-il pas été interdit à Adam par le Créateur ? Même s’il l’a obligé à travailler ensuite pour gagner sa vie – donc à découvrir les techniques de maîtrise de la nature.

C’est pourquoi Jules Verne maintient l’ambivalence : la science est aussi poésie, la quête du savoir un voyage touristique. L’offrande à la beauté de l’univers est faite sans vergogne, au-delà de l’aridité des chiffres : « C’était un spectacle sans égal que celui de ces longues traînées lumineuses, si éblouissantes dans la Pleine-Lune, et qui dépassant au nord les chaînes limitrophes, vont s’éteindre jusque dans la mer des Pluies » (chap. XII).

jules verne voyages extraordinaires pleiade

Jules Verne, Autour de la lune, 1869, Livre de poche 2003, 255 pages, €4.60

e-book format Kindle, €4.49

Jules Verne, De la terre à la lune, suivi de Autour de la lune, Archipoche 2015, 496 pages, €12.00  

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Voyage au centre de la terre, De la terre à la lune, Autour de la Lune, Le testament d’un excentrique, Gallimard Pléiade 2016, 1346 pages, €50.00 

Jules Verne, Œuvres complètes entièrement illustrées (160 titres, 5400 gravures), Arvensa éditions 2016, format Kindle, €1.79 

Charles-Noël Martin, Les 9 erreurs de Jules Verne sur les jeux de la mécanique céleste, Science et Vie n°618, mars 1969, €3.00 occasion

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Sophie Chauveau, Manet, le secret

sophie chauveau manet le secret

« Manet représente la plus grande révolution artistique de l’histoire de l’art », n’hésite pas à écrire l’auteur p.486, qui est tombée amoureuse de son modèle. Non de l’homme, mais du peintre ; non de sa peinture, mais du bouleversement qu’elle engendre. Elle enlève cette biographie au galop, comme elle sait le faire, passant sans vergogne sur les doutes et les interrogations des biographes à propos de cet homme si « secret ». Le livre se lit très bien et l’on y apprend une foule de choses sur l’époque. Manet est né en 1832 et mort en 1883, ce qui lui fait connaître la révolution de 1848, le coup d’État de Napoléon-le-Petit et l’étouffement de l’empire, la défaite humiliante face à la Prusse, les ravages de la Commune et la réaction bourgeoise qui aboutira, des années plus tard, à la République. Dommage cependant que cette fameuse révolution picturale, répétée à longueur de chapitres, soit si peu expliquée…

Édouard Manet est l’aîné d’une fratrie de trois, dans un ménage de fonctionnaire bourgeois rigide et conventionnel. Il essuie les plâtres avec son père et se rebelle très tôt, vers 12 ans, jusqu’à refuser l’école et de faire son droit – comme il était de bon ton à l’époque. C’est tout juste si, soutenu par sa mère et par son oncle, il obtient de s’engager comme apprenti marin pour le concours de Navale.

edouard manet evasion de rochefort 1881

Ce pourquoi toujours il chérira la mer et peindra les nuances de flots en expert (comme Le combat du Kearsage ou L’évasion de Rochefort). Il embarque donc à 16 ans comme pilotin et va jusqu’au Brésil. Il y connait les filles libérées et son sexe explose en elles. Il en est ébloui, illuminé, et ne sera plus jamais pareil face au puritanisme étriqué de sa miteuse classe sociale à Paris.

edouard manet le combat du kearsarge et de l alabama 1864

Dommage cependant qu’il en ramène – nous suggère la biographe – une syphilis carabinée (déguisée tout d’abord en morsure de serpent et plus tard en tabès) dont il finira par mourir à 51 ans. Exactement comme son père.

edouard manet le dejeuner sur herbe 1863

Rebelle aux écoles, aux conventions et aux études – mais très bien élevé et courtois -, il est en revanche très attentif aux relations humaines. Son oncle maternel, ancien officier royaliste, le prend sous son aile et l’emmène petit visiter le Louvre et voir la peinture ; sa mère invite, lorsqu’il est adolescent, une jeune Hollandaise à venir donner des cours de piano. La belle joue divinement et les frères Manet sont tous sous le charme. C’est Édouard qui va s’enhardir le premier et coucher avec elle jusqu’à lui faire un enfant. Pour Sophie Chauveau il n’y a aucun doute, Léon est bien son fils ; pour d’autres biographes, rien n’est sûr.

edouard manet enfant au chien 1862

Quoiqu’il en soit, Édouard Manet va s’attacher à l’enfant, tout comme son frère (dont on dit qu’il pourrait aussi être le fils), et va le peindre aux divers âges de sa vie. Avec un chevreau, aux cerises, à la pipe, en fifre, en lecture, au déjeuner à l’atelier, au chien (l’enfant triste reporte toute son affection sur la bête). Léon, falot et allergique lui aussi aux écoles, restera fidèle toute sa vie à son « parrain » Édouard. Mais être fils de son parrain (à supposer qu’il l’eût su) ne devait pas être drôle tous les jours dans la société corsetée et victorienne de la France du Second empire, puis des débuts de la IIIe République ! Car Édouard Manet épouse la domestique pianiste Suzanne… mais ne reconnait pas l’enfant qu’elle a (en est-il vraiment le père ?).

edouard manet la peche 1863

Le seul tableau où Léon apparaît avec ses deux parents, Suzanne et Édouard, est dans La pêche en 1863 ; encore est-il représenté centré sur lui-même et son chien, de l’autre côté de l’anse où le pêcheur lance ses lignes… Est-ce pour cela qu’Édouard assure par testament à Léon une certaine part de sa fortune au moment de mourir ?

edouard manet olympia 1863

La bourgeoisie triomphante, repue et contente d’elle-même, impose ses goûts (de chiotte), sa morale (puritaine), sa politique (conservatrice) et ses débauches masculines (théâtres, cocottes, folies-bergères et putes entretenues) – vraiment du beau monde. L’académisme en peinture montre combien le fonctionnariat et la bien-pensance peuvent tomber dans le pompier convenu et ignorer toute nouveauté. Édouard Manet est « refusé » plusieurs fois au Salon annuel. En 1863, son Olympia est un scandale national : pensez ! le portrait d’une pute à poil qui se touche la touffe, assistée d’une négresse (réputée « chaude ») et d’un chat noir (réputé diabolique et sorcier sexuel) ! D’autant que la lumière vient derrière celui qui regarde le tableau et que le spectateur se sent assimilé à un voyeur… Toute la cochonnerie est donc dans son regard – et cette ironie passe mal chez les contents d’eux. (Ce n’est pas différent sur la Toile aujourd’hui avec le puritanisme yankee et catho sur les « torses nus »).

edouard manet blonde aux seins nus 1875

« Manet comprend enfin que ce qui offusque les bourgeois, c’est leur propre abjection, leurs sales façons d’acheter et de traiter les femmes. Lui ? Il les traite si bien » p.452. Il peint toutes les femmes qu’il aime, et il aimera souvent ses modèles jusqu’à coucher avec elles tant il se pénètre d’elles en pénétrant en elles. Berthe Morisot, camarade en peinture, sera le second amour de sa vie (elle épousera son frère).

edouard manet berthe morisot au bouquet de violettes 1872

Bien que demi-mondaine, La blonde aux seins nus se révèle dans sa féminité. Rien de pire que les nouveaux riches ou les nouveaux puissants, hier comme aujourd’hui : ils se font plus royalistes que le roi, sont plus imbus que lui de leurs privilèges, plus rigoristes sur la Morale (en public) et bien pires en privé avec tout ce que l’argent et le pouvoir peuvent acheter… Le bar aux Folies-Bergères peint cet érotisme torride sous la fête et l’alcool.

edouard manet le bar aux folies bergeres 1882

Manet peint la réalité et celle-ci est insupportable à ceux qui se croient. Tout doit être rose, « idéal », montrer le paradis rêvé et non pas la sordide vérité telle qu’elle est. Le déjeuner sur l’herbe, peint à 30 ans la même année que l’Olympia, est un pied de nez à ces prudes qui déshabillent une femme des yeux sans oser jamais le leur demander en vrai. Quitte à peindre une fille nue, autant la parer du titre de « vénus » et la poser en décor mythologique – ça fera cultivé et ravira la bête bourgeoisie qui se pique de littérature sans avoir lu grand-chose. Même une « simple » botte d’asperge fait réclame : est-ce de la « grande » peinture ?

edouard manet botte d asperges 1880

Dommage que Sophie Chauveau ne mentionne pas une seule fois la photographie en train de naître, qui oblige les peintres à inventer du neuf. Édouard Manet ne s’est jamais voulu « impressionniste », même s’il a frayé la voie au mouvement où il comptait nombre d’amis. Mais à lire Sophie Chauveau, le lecteur peut croire que la seule « lutte des classes » a créé tous les ennuis et les rebuffades du peintre. Même si Zola n’est pas sa tasse de thé, criard, gueulard, ignare en peinture, adorant se faire mousser, très près de ses sous – et pas reconnaissant le moins du monde. En 1889, « tous ses amis, Monet en tête, souscrivent généreusement pour faire entrer l’Olympia au Louvre, seul Zola refuse de donner un sou. Rapiat, renégat, ou manque de goût et de cœur ? » p.474.

edouard manet stephane mallarme 1876

Heureusement, Manet n’a jamais manqué d’amis. D’Antonin Proust, ami d’enfance, à Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Nadar, Offenbach, et tous les peintres de la nouvelle école : Degas, Pissarro, Monet, Renoir, Sisley, Berthe Morisot, Caillebotte, Fantin-Latour…

Un bon livre, insuffisant pour connaître le peintre Manet (il manque notamment une liste chronologique des peintures citées), mais qui donne envie d’aller (re)voir sa peinture !

Sophie Chauveau, Manet, le secret, 2014, Folio 2016, 491 pages, €8.20

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Jules Verne, De la terre à la lune

jules verne de la terre a la lune livre de poche

Le 21 juillet 1969 a produit ce que le 1er décembre 1865 a inventé : aller sur la lune. Il a fallu un siècle, mais ce sont bien les Américains qui y sont parvenus, et il n’y avait aucun Français à bord.

Jules Verne, romantique de la connaissance, écrivain de théâtre et journaliste scientifique, est un adepte du franchissement : toute frontière est faite pour être dépassée. Optimiste comme son siècle, fasciné par l’esprit pionnier américain comme par la devise « à Français rien d’impossible », il multiplie les explorations comme autant d’aventures : humaines, scientifiques, morales. La lune étant là, il lui fallait y aller.

Visionnaire, mais réaliste, il fait le point des savoirs de son temps puis propose un saut dans l’inconnu. Les deux figures complémentaires de l’Américain Barbicane, président du Gun-Club, et du Français Ardan (anagramme de l’aérostier photographe Nadar) sont un effet de mise en scène. Accentué par la rivalité avec le capitaine Nicholl et par l’obstination dans l’éneaurme de l’ingénieur en explosifs et balistique J.T. Maston qui, après la fin de la guerre de Sécession, ne rêve que guerre et destruction « en grattant de son crochet de fer son crâne en gutta-percha » (chap.1). C’est bien le Français qui va faire muter le projet fou des Américains en proposition encore plus folle : être dans l’obus même. Nous passons de l’artillerie, orientée vers la guerre, à l’exploration, cette fois en faveur de la science – du show pyrotechnique à la froide connaissance !

nadar aerostier photographe

L’Amérique est tout pratique et capable de tout oser ; la France est enthousiaste et capable de tout révolutionner. Seuls les Anglais – ennemis coloniaux de la première et « héréditaire » de la seconde (au XIXe siècle), sont montrés comme du mauvais côté du pragmatisme (près de leurs sous) et du mauvais côté de la roideur intellectuelle (la frilosité de l’imagination). Pour Jules Verne, il n’est non seulement possible d’aller dans la lune, mais il est aussi exaltant de le tenter et moral de l’accomplir. La pulsion de mort renversée en pulsion de vie.

D’où ces premiers chapitres remplis de chiffres et de calculs où, méthodiquement, chacun des spécialistes démontre qu’il faut un canon de telle longueur, fondu en tel métal, dans un lieu précis, portant telle dose de fulmicoton (plus dense et plus explosif que la poudre), emportant un obus aménagé de telle façon, qui devra être lancé tel jour à telle heure et telle minute. L’exaltation sert au financement, et c’est la planète entière qui contribue par ses dons, les États-Unis et la France venant en tête. Mais c’est bien l’Humanité qui est concernée et, si la performance technique est le ressort américain, l’universel est le ressort français.

Là est la morale, quasi libérale : l’intérêt bien compris de chacun sert à tous. La liberté d’entreprendre encourage la liberté de gagner tout comme celle de conquérir. Nous sommes dans la volonté de puissance humaine, dont les Américains sont la pointe. Pourquoi ? Parce qu’ils sont démocratiques, montre Jules Verne, et que, depuis les associations, les assemblées et les clubs, chacun débat, propose, encourage et objecte. Volonté libre, où l’individu rencontre ses semblables pour forger une volonté collective – industrielle ou patriotique – diffusée en instantané par le télégraphe et la presse. Le héros n’est plus solitaire, mais porté par la publicité et la foule.

L’écrivain populaire déroule le chant du Progrès. De la fascination pour l’astre lunaire aux instruments d’optique pour l’observer, des calculs d’elliptique aux contraintes balistiques, de la théorie à l’organisation pratique. La Floride, alors terre vierge emplie de jungle, de caïmans et d’indiens Séminoles, devient terre de progrès avec la fonte du canon géant et l’ordonnancement des fours, puis par le processus précautionneux de pose des balles d’explosif. La ville de Tampa passe de 3000 à 150 000 habitants, 1200 fours, 60 000 tonnes de fonte : nous sommes dans la démesure – à l’américaine – mais aussi dans la furia francese. Tout est prévu, pensé, ordonné, étape par étape. Et cette organisation fait le sel de ce premier tome tant préparer l’aventure compte autant que la vivre !

jules verne obus lunaire

L’obus lunaire est une arche où sont rassemblés, outre les passager, deux chiens, une série d’instruments d’observation et de défense, mais aussi des provisions, des semences, des appareils de purification d’air, du gaz de chauffage… C’est un Nautilus stellaire, un ballon de l’espace, une Maison en soi que, tels des escargots, les humains arrachent vers l’espace. Cocon, forteresse, base d’exploration et lieu de convivialité, l’obus est ce que le voyageur emporte à la semelle de ses souliers : le meilleur de sa patrie et du savoir humain.

Ce roman n’est pas, à mon goût, le meilleur de Jules Verne, mais quel enthousiasme ! L’ardeur du récit emporte le jeune lecteur, tout en l’édifiant par une saine pédagogie scientifique. Oui, tout est possible… ou presque. Il suffit de vouloir, puis d’oser, enfin de calculer. Mais l’instinct d’aller est premier, la passion ne vient qu’en second, qui doit être maîtrisée par l’intellect. Et la science vaut bien mieux que la guerre.

jules verne voyages extraordinaires pleiade

Jules Verne, De la terre à la lune – Trajet direct en 97 heures et 20 minutes, 1865, Livre de Poche 2001, 254 pages, €4.60

e-book format Kindle, €3.49

Jules Verne, De la terre à la lune, suivi de Autour de la lune, Archipoche 2015, 496 pages, €12.00 

Jules Verne, Voyages extraordinaires : Voyage au centre de la terre, De la terre à la lune, Autour de la Lune, Le testament d’un excentrique, Gallimard Pléiade 2016, 1346 pages, €50.00

Jules Verne, Œuvres complètes entièrement illustrées (160 titres, 5400 gravures), Arvensa éditions 2016, format Kindle, €1.79

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