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Tahiti, le paradis retrouvé et reperdu

bougainville voyage autour du monde

Lorsque Louis-Antoine de Bougainville aborde les côtes de Tahiti, il découvre une humanité édénique : point de vêtements, point de propriété, point de morale névrotique ; tout le monde, jeunes et vieux, hommes et femmes, semble vivre à poil au jour le jour et de l’air du temps, dans la joie et les plaisirs. Cet hédonisme rappelle furieusement aux Occidentaux intoxiqués de Bible depuis un millénaire et demi le fameux Paradis terrestre, d’où Adam – le premier homme – fut chassé pour avoir cédé à sa côte seconde dont Dieu avait fait son épouse. Eve voulait « savoir » en mangeant les fruits de l’arbre de la Connaissance. C’est pourquoi son Voyage autour du monde, paru en 1771, a eu un tel retentissement sur les philosophes des Lumières.

L’île de Tahiti présente « de riches paysages couverts des plus riches productions de la nature. (…) Tout le plat pays, des bords de la mer jusqu’aux montagnes, est consacré aux arbres fruitiers, sous lesquels, je l’ai déjà dit, sont bâties les maisons de Tahitiens, dispersées sans aucun ordre et sans former jamais de village ; on croirait être dans les Champs Élysées. » Le climat est tempéré et « si sain que, malgré les travaux forcés que nous y avons faits, quoique nos gens y fussent continuellement dans l’eau et au grand soleil, qu’ils couchassent sur le sol nu et à la belle étoile, personne n’y est tombé malade ».

Polynésie 2016

« La santé et la force des insulaires qui habitent des maisons ouvertes à tous les vents et couvrent à peine de quelques feuillages la terre qui leur sert de lit, l’heureuse vieillesse à laquelle ils parviennent sans aucune incommodité, la finesse de tous leurs sens et la beauté singulière de leurs dents qu’ils conservent dans le plus grand âge, quelles meilleures preuves… ? » Le pays produit de beaux spécimens humains. « Je n’ai jamais rencontré d’hommes mieux faits ni mieux proportionnés ; pour peindre Hercule et Mars, on ne trouverait nulle part d’aussi beaux modèles. »

Les gens y vivent à peu près nus, sans aucune honte mais avec un naturel réjouissant. « On voit souvent les Tahitiens nus, sans aucun vêtement qu’une ceinture qui leur couvre les parties naturelles. Cependant les principaux [les chefs] s’enveloppent ordinairement dans une grande pièce d’étoffe qu’ils laissent tomber jusqu’aux genoux. C’est aussi là le seul habillement des femmes. » Mais, pour accueillir les vaisseaux, « la plupart de ces nymphes étaient nues, car les hommes et les vieilles qui les accompagnaient leur avaient ôté le pagne dont ordinairement elles s’enveloppent. (…) Les hommes (…) nous pressaient de choisir une femme, de la suivre à terre, et leurs gestes non équivoquent démontraient la manière dont il fallait faire connaissance avec elle. »

vahine seins nus

Pas de propriété, pas de mariage exclusif, pas de honte sur le sexe. Au contraire, cet acte naturel en faveur du plaisir et de la vie est un bienfait s’il ajoute un enfant à la population. « Vénus est ici la déesse de l’hospitalité, son culte n’y admet point de mystère et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l’embarras qu’on témoignait ; non mœurs ont proscrit cette publicité. »

La hiérarchie sociale existe, mais reste cantonnée, les seuls soumis sont les esclaves capturés à la guerre. Car la guerre existe, mais pas la guerre civile ni la jalousie entre particuliers. L’engagement n’a lieu qu’avec les tribus des autres îles. « Ils tuent les hommes et les enfants mâles pris dans les combats [donc pubères] ; ils leur lèvent la peau du menton avec la barbe, qu’ils portent comme un trophée de victoire ; ils conservent seulement les femmes et les filles, que les vainqueurs ne dédaignent pas de mettre dans leur lit ». Mais pour le reste, « il est probable que les Tahitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils ne doutent point. Qu’ils soient chez eux ou non, jour ou nuit, les maisons sont ouvertes. Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison où il entre. Il paraîtrait que, pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point de propriété et que tout est à tous ».

Même les femmes, quoique des inclinations particulières puissent durer un certain temps entre deux individus. Mais « la polygamie parait générale chez eux, du moins parmi les principaux. Comme leur seule passion est l’amour, le grand nombre des femmes est le seul luxe des riches. Les enfants partagent également les soins du père et de la mère. Ce n’est pas l’usage à Tahiti que les hommes, uniquement occupés de la pêche et de la guerre, laissent au sexe le plus faible les travaux pénibles du ménage et de la culture. »

Tout cet étonnement s’inscrit en miroir des Dix commandements du Décalogue, confirmés par le Sermon sur la montagne. Il semble que Bougainville, étant bien de son temps de Lumières et de Raison, ait trouvé à Tahiti le lieu des antipodes à la Morale chrétienne. Tout ce qui est interdit en Europe par l’Église et puni par ses clercs, est de l’autre côté de la terre permis et encouragé. Les relations charnelles sont l’inverse de l’amour éthéré du prochain voulu par le Dieu jaloux ; la loi naturelle entre personnes ici-bas est l’inverse de la loi divine qui exige d’obéir sans réfléchir pour gagner un monde au-delà. Tout ce qui fait du bien est licite, tout ce qui va pour la vie ici-bas est valorisé, tout ce qui est charnel est encensé. Diderot, en son Supplément au voyage de Bougainville fait de Tahiti la patrie du Bon sauvage, « innocent et doux partout où rien ne trouble son repos et sa sécurité ».

diderot supplement au voyage de bougainville

Bougainville y découvre le peuple de la Morale naturelle qui se déduit des usages spontanés, vantée par le baron d’Holbach. Pas de Dieu jaloux qui commande n’avoir d’autre idole que lui, de ne pas invoquer son Nom, qui exige de se reposer le septième jour de par sa Loi. Il n’y a ni meurtre, ni adultère, ni vol, ni convoitise de la maison ou de la femme du prochain – puisqu’il n’y a pas de propriété et que les femmes sont encouragées dès la puberté à se donner aux hommes et aux garçons, qui se donnent en échange. « Nous suivons le pur instinct de la nature », fait dire Diderot au vieillard tahitien, « nous sommes innocents, nous sommes heureux ». Pas de honte chrétienne, antinaturelle ! Pas de névrose, ni de refoulement. « Cet homme noir, qui est près de toi, qui m’écoute, a parlé à nos garçons ; je ne sais ce qu’il a dit à nos filles ; mais nos garçons hésitent, mais nos filles rougissent ». Le christianisme, c’est la fin de l’âge d’or, la honte sur l’innocence, la chute du paradis… « Ces préceptes singuliers, je les trouve opposés à la nature et contraires à la raison », ajoute Diderot.

La religion, c’est la tyrannie, la meilleure façon de culpabiliser les âmes innocentes pour manipuler les corps et exiger la dîme et l’obéissance. Prenez un peuple, clame Diderot, « si vous vous proposez d’en être le tyran, civilisez-le, empoisonnez-le de votre mieux d’une morale contraire à la Nature ; faites-lui des entraves de toutes espèces ; embarrassez ses mouvements de mille obstacles ; attachez-lui des fantômes qui l’effraient ; éternisez la guerre dans la caverne, et que l’homme naturel y soit toujours enchaîné sous les pieds de l’homme moral. Le voulez-vous heureux et libre ? Ne vous mêlez pas de ses affaires ; assez d’incidents imprévus le conduiront à la lumière et à la dépravation ». L’homme tahitien est libéral et libertaire ; il est le sauvage des origines non perverti par la civilisation chrétienne. Lui seul connait la liberté, alors que nous ne connaissons chez nous que contrainte et tyrannie (l’une disciplinant à l’autre).

vahiné obese 2016

Denis Diderot n’est pas tendre en 1772 (date de rédaction de son Supplément) avec la société de son temps – dont il subsiste le principal de nos jours malgré la Révolution, les guerres de masse et mai 68 ! « C’est par la tyrannie de l’homme, qui a converti la possession de la femme en une propriété. Par les mœurs et les usages, qui ont surchargé de conditions l’union conjugale. Par les lois civiles, qui ont assujetti le mariage à une infinité de formalités. Par la nature de notre société, où la diversité des fortunes et des rangs a institué des convenances et des disconvenances. (…) Par les vues politiques des souverains, qui ont tout rapporté à leur intérêt et à leur sécurité. Par les institutions religieuses, qui ont attaché les noms de vices et de vertus à des actions qui n’étaient susceptibles d’aucune moralité. Combien nous sommes loin de la Nature… »

Bougainville avait découvert l’Ailleurs absolu, l’innocence édénique, l’humanité vraie délivrée des entraves. Il avait donné ses formes au mythe du bon sauvage, que Rousseau s’empressera de développer et que les voyageurs et les ethnologues tenteront d’aborder, avant le mouvement hippie de l’amour libre et de l’interdit d’interdire.

grosse vahine 2016

Las ! Quiconque aborde à Tahiti découvre très vite combien les vahinés ne ressemblent en rien au mythe mais qu’elles ont le profil américain de la malbouffe ; que les tanés sont trop souvent bourrés à la bière, camés au paka, violeurs incestueux ou meurtriers ; que la nudité édénique n’est plus, devenue une phobie apportée par les missionnaires ; que la religion de nature est infectée de sectes protestantes en tous genres qui régentent votre vie quotidienne jusqu’à vous dire quoi manger et à quelle heure du jour, quand travailler et quand obligatoirement ne rien faire ; que l’absence de propriété est gênée sans cesse par les clôtures, les routes barrées, la privatisation des plages…

Le vieillard de Diderot avait raison, l’Occidental a infecté Tahiti, la religion a fait perdre l’innocence. Au nom du Bien ? Les gens sont plus malheureux aujourd’hui qu’il y a deux siècles. L’enfer, Chrétiens coupables, est pavé de bonnes intentions ; je hais comme Diderot les bonnes intentions.

Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde, 1771, Folio classique 1982, 477 pages, €10.40

Denis Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, écrit en 1772 et paru en 1796, Folio classique 2002, 190 pages, €2.00 

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Scènes de vie tahitienne

« Pour dégraisser le mammouth, les 57 pelés de l’Assemblée, il n’y en a que 20 qui parlent. Les autres, il faut les enlever », déclare Jean-Marie Yan Tu, secrétaire général du syndicat A Tia I Mua. Occasion d’une petite rétrospective des petites phrases qui ont marqué l’année 2012.

« Pour faire bénéficier un grand nombre de familles nécessiteuses » est la réponse de la mairie de Faa’a (maire Oscar Temaru) à la Chambre territoriale des comptes qui s’interrogeait sur l’augmentation importante d’agents titulaires au sein de la commune entre 2007 et 2009.

« Avant, nous vivions bien de la perle, après, nous en vivions, ensuite, nous survivions et, aujourd’hui, nous sommes dans le coma », dit Aline Baldassari-Bernard, membre de l’Union des professionnels de la perle.

« Je ne tape pas ma race. Je frappe juste les riches, les Français et les Chinois », déclare Puna, condamné à 3 ans de prison ferme pour avoir poignardé son frère.

« Je suis devenu SDF », s’exclame Gaston Flosse, à son retour à Tahiti, après l’incendie de son domicile.

ado torse nu et cannabis

« Je ne consomme pas de paka [cannabis]. Si je plante, c’est juste pour offrir aux copains. Et puis, j’aime bien la plante, elle sent bon », avoue un jeune homme devant le Tribunal correctionnel, après la découverte de 50 pieds de paka à son domicile. A Bora Bora, le bilan 2012 du travail de partenariat gendarmerie- police municipale s’établit à 6000 pieds de paka (cannabis) détruits, 48 interpellations et 6 mutoi (flics) félicités.

Un ado condamné pour avoir forcé l’un de ses condisciples de 12 ans à se prostituer. Cet ado, 16 ans aujourd’hui, a été condamné par le tribunal pour enfants siégeant à huit clos à trois ans de prison avec sursis. Ces enfants étaient tous hébergés dans un foyer éducatif.

ado torse nu

Sa compagne arrive en retard au domicile, le tane jaloux de trois coups au visage la tue. Le couple avait trois jeunes enfants.

Teiva Manutahi de Porinetia Ora a publié un communiqué assassin des « crimes économiques » commis contre le Pays, pêle-mêle : « La pêche aux Chinois, les phosphates aux Australiens, la perliculture aux Italiens, le tourisme aux fonds de pension américains. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement indépendantiste ne fait pas confiance à nos jeunes diplômés polynésiens. L’émancipation économique de la Polynésie est livrée pieds et mains liés à des intérêts dont la fiabilité est discutable. Porinetia Ora pense que seul le libéralisme le plus total et seule l’ouverture à la concurrence la plus libre permettront à nos industries de se relever et de prospérer ».

L’Octopus du milliardaire Paul Allen est à quai à Papeete. 126 m de long, construit en 2003, l’un des plus grands yacht privés du monde, propriété du cofondateur du géant informatique Microsoft avec Bill Gates. Ce palace flottant compte environ 41 cabines, peut accueillir trois hélicoptères, dispose de multiples hors-bord et jet-ski, d’un sous-marin de poche. L’un de ses ponts accueille bien sûr une piscine, mais également un terrain de basket. Il est estimé à plus de 250 millions $.

Le Président Temaru est golfeur. Sa Présidence a lancé un appel à projets à 7 milliards sur deux parcelles du domaine d’Atimaono à Papara. C’est que le Pei VEUT son hôtel de luxe pour attirer les riches golfeurs du monde entier.

Torrents d’eau sur le fenua et milliards de francs pacifiques pleuvent sur la Polynésie à quelques mois des élections territoriales. Connaissant le jeu polynésien, on pourrait dès à présent imaginer que ces prêts ne seraient pas remboursés, que c’est un dû au fenua. Une bouffée d’oxygène quand même qui devrait permettre de redonner de l’espoir, mais qui pourrait uniquement servir à payer les fonctionnaires du pays ! Le gouvernement local se félicite que les robinets de l’État soient à nouveau grand ouverts par le gouvernement socialiste. Qui ne demande rien n’a rien alors redemandons, redemandons encore et toujours !

Hiata de Tahiti

La France dans le Pacifique, quelle vision pour le XXIème siècle ? était le sujet d’un colloque organisé par le Sénat le 17 janvier, à Paris – loin du fenua, en métropole.

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Concours de chant Heiva 2012

Concernant les critères et règlement du concours de chants traditionnels, ces groupes doivent présenter des œuvres authentiques, légendaires ou abstraites inspirées du patrimoine culturel, de l’environnement naturel ou de la vie en société de la Polynésie française. Les groupes de chants sont composés de 60 personnes au minimum. Les vahine sont en robe Pomare ou mama ru’au (grand-mère) ; les tane en chemise à manches longues et en pantalon. Ces tenues sont obligatoires. Les accessoires traditionnels tels l’éventail, le panier, le chapeau sont tolérés. Les chants traditionnels sont les Himene Tarava Tahiti, les Himene Tarava Raromatai (des Iles sous le Vent), les Himene Tarava Tuha’a pae (des Iles Australes) et les Himene ruau.

Himene Tarava Tahiti est considéré comme le chant dominant. Chant festif dont le caractère remarquable est la puissance vocale. La qualité du meneur est primordiale. La difficulté de ce chant repose sur l’harmonie à 9 voix différentes. Les voix perepere et hau apportent tout son charme à ce chant polyphonique.

Himene Tarava Raromatai ressemble au Tarava Tahiti mais présente une configuration scénique différente. L’interprétation se veut plus tonique. Le texte original doit comporter obligatoirement 6 strophes de 6 lignes, en plus du orero (salutations) qui doit faire l’objet d’une introduction séparée.

Himene Tarava Tuha’a pae dont on distingue le Tarava de Raivavae différent de celui de Rapa, de Tubuai, de Rimatara et de Rurutu, ce dernier étant le plus connu. Chaque île des Australes possède son propre Tarava. Le Tarava Tuha’a pae présente une configuration scénique différente des autres chants tandis que la mélodie ainsi que la tonalité sont également distinctes. Toute la beauté de ce chant repose sur le rythme et le solo des tane (hommes) repris par les vahine (femmes). Le texte original doit comporter obligatoirement 6 strophes de 6 lignes, en plus des salutations.

Ute paripari est un genre de chant Maohi célébrant la beauté et la renommée de certains lieux. Il se chante à une ou deux voix, de préférence avec des strophes enchaînées. Le texte doit s’inspirer des paripari fenua. Le nombre d’interprètes est limité à 5-8 artistes.

Ute are’are’a est un chant maohi comique. Comme le précédent c’est un chant à une ou deux voix, de préférence avec des strophes enchaînées. Le texte est humoristique, sans vulgarité. Le nombre d’interprètes est limité à 5-8 artistes.

Les critères de notation pour les tarava : le thème sur 12 points, la tonalité sur 16 points, le rythme sur 20 points ; les voix sur 40 points ; et la présentation générale sur 12 points. Le jury est composé de personnalités sollicitées pour leur expérience et leur expertise. Cette année la Présidente est professeur d’himene au Conservatoire Artistique de Polynésie française. 3 membres spécialisés en chants traditionnels. 4 membres spécialisés en danses traditionnelles. 1 membre spécialisé en percussions. 1 membre spécialisé en écriture.

Pour le cru juillet 2012, il y eût une concurrence acharnée entre 21 groupes de chants.

Le groupe Heikura Nui a quant à lui choisi Au plus profond de mon âme « Te hohonuraa o ta aau ». « Tefavarua i tipaepo était le roi. Temihinoa était l’héritier. Tipaerui, le district. Ta’ata, la place de réunion. Le messager cria : « Dégagez le chemin, le chemin du roi, dégagez ! ». L’orateur annonça : « Bienvenue à toi, grand roi ! le roi Tufavarua ! Bienvenue aussi à toi Temihinoa, le fils du roi ! Le roi répondit : L’âme de Temihinoa, mon fils, s’assombrit de plus en plus. Il n’a pas trouvé femme. Voici donc mon message : A toutes les belles filles de la terre, préparez-vous. Lorsque Matarii se lèvera, lorsque les arioi seront de retour, retrouvez la place To’ata. Moi, votre roi, je choisirai la belle qui sera la femme de Temihinoa. Le peuple cria sa joie. Les belles disparurent… » Auteur : Patrick Araia Amaru. Prix du meilleur orchestre patrimoine + Prix du meilleur auteur en chants + Prix du meilleur compositeur en chants.

Hiata de Tahiti

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Heiva joli

Article repris sur Medium4You.

On fête durant deux mois l’une des plus anciennes traditions festives du fenua. Dès 1819, un « code Pomare » interdit tout Heiva, toute activité relative à la danse. Qui se cache derrière cette interdiction ? Les pasteurs anglicans qui se justifient par des motifs de « bonne morale ». La reine Pomare durcit les interdictions en 1842. Dès 1845, les Français estiment que Sa Majesté est allée trop loin, ils autorisent à nouveau les danses locales, avec modération et décence. D’excès en interdits, d’autorisations en tabu (tabou), la danse tahitienne fut contrôlée jusqu’à la fin du 19e siècle. C’est la fête nationale du 14 juillet qui permettra d’instaurer ces journées de réjouissances. L’éclat du 14 juillet 1881 sera renforcé par la création d’un Tiurai (juillet, fêtes de juillet), mot né de la déformation du mot anglais « july », désignant le mois de juillet. On y chante mais on n’y danse pas encore. Durant l’hiver austral, il y a peu d’activités agricoles, on a donc tout le temps pour les chants, auxquels s’adjoignent bientôt les courses de pirogues à rames, de pirogues à voile, les baraques de jeux, les danses même si les débuts sont timides.

Cette année encore, à Pirae, on trouve des stands de massage, de tatouage, d’artisanat et de floralies. Des concours en matière de bijouterie, de couture de tifaifai, de vannerie ; des démonstrations des associations des cinq archipels sur la pratique de la vannerie, la sculpture, la bijouterie… pendant tout un mois.

Les concours de chants et danses sont très prisés. Les groupes ont répété durant des mois, fabriqué leurs costumes, sué sang et eau. Deux catégories de danses, Hura Ava Tau (préparation à la danse) : les groupes qui concourent dans cette catégorie sont des groupes jamais primés ainsi que les groupes récemment crées qui se présentent pour la première fois au Heiva ; et Hura Tau (temps de la danse) groupes confirmés ou experts qui ont été primés au moins une fois. Ils sont tenus de présenter obligatoirement quatre types de danses traditionnelles :

Otea est à l’origine une danse guerrière essentiellement masculine qui a évolué au fil du temps. La danse est rapide et cadencée par les percussions. Elle met l’accent sur les mouvements de hanches. Elle se pratique actuellement sous trois formes Otea amui : danse d’ensemble exécutée par les hommes et les femmes. Les mouvements et les pas exécutés par les hommes peuvent différer de ceux exécutés par les femmes. Otea vahine : danse d’ensemble exécutée par les femmes. Otea tane : danse d’ensemble exécutée par les hommes. Le otea est une danse rythmée et énergique. Les rythmes qui composent les otea peuvent être repris dans les séquences du patrimoine musical traditionnel des percussions telles que toma, pahae, hitoto, agencées selon le thème et la chorégraphie. La disposition des danseurs sur scène est très géométrique. Ils sont placés en colonnes par sexe. Ils restent le plus souvent de face, mais ils peuvent néanmoins effectuer des rotations qui seront alors les mêmes pour l’ensemble du groupe ou de la colonne. Les pas de danse sont principalement le mouvement de jambes en ciseaux pour les hommes et le déhanchement pour les femmes. Contrairement à l’aparima, la gestuelle de l’otea est relativement abstraite, mais demeure liée au thème de la danse. Avec ses costumes flamboyants, ses mouvements vifs, sa vitalité rythmique et son ambiance fougueuse, l’otea est probablement la plus célèbre de toutes les danses polynésiennes. L’accompagnement musical est indissociable de l’otea, il porte d’ailleurs le même nom et est uniquement rythmique. Les instruments qui le composent sont le toere (instrument de percussion évidé, taillé dans une pièce de bois (ati ou tamanu, miro ou bois de rose ou kava) ayant les 2 extrémités pleines. On le tient verticalement et il se joue avec une seule baguette. De grande taille, il repose horizontalement sur 2 tréteaux et se joue avec 2 baguettes ; le fa’atete, instrument qui se rapproche le plus du tambour traditionnel. La membrane du fa’atete est en peau de veau tendue par un système de ficelles, de bouts de bois et d’anneaux et le pahu, tambour de plus d’un mètre de haut que le musicien frappe de la paume de ses mains.

Aparima (apa = les gestes et rima = les mains) est une danse mimée maorie qui privilégie la gestuelle. Elle mime les paroles des chants sur une mélodie de guitares et du ukulele. Aparima vava (vava=muet), sur un accompagnement de percussions, sans paroles psalmodiées ni chantées, la gestuelle mime de manière symbolique des activités de la vie quotidienne. Cette danse exécutée en position assise ou à genoux. Chaque geste revêt une signification particulière. Aparima himene est un accompagnement chanté ou musical qui donne lieu à une interprétation gestuelle. Les intégrales de textes et mélodies existants sont strictement interdites, même si elles sont l’œuvre de l’auteur ou du compositeur présenté par un groupe inscrit au concours. Les instruments sont le ukulele, seul instrument à cordes de musique traditionnelle. Il est une sorte de petite guitare composée de 4 à 12 fils de taille variable, fabriquée à partir d’une demi-noix de coco polie sur laquelle on fixe un manche. Parfois la guitare et le chant se joignent aux percussions des to’ere et le pahu.

Pa’o’a est une danse maohi basée sur le dialogue des corps. Les musiciens et le chœur s’assoient en cercle, chantent et marquent le rythme en frappant leurs cuisses de leurs mains. Une danseuse soliste ou un ou plusieurs duos mixtes, dansent à l’intérieur du cercle le tamure (danse, de son vrai nom ‘ori tahiti). Le pa’o’a est une danse liée à la fabrication du tapa : assises par terre, les femmes battaient l’écorce en rythme en s’accompagnant de chants. Les thèmes de la danse restent liées aux activités quotidiennes, comme la fabrication du tapa, la chasse ou la pêche.

Hivinau est rythmé par un pata’uta’u (récitations de textes traditionnels) soutenu par des percussions. C’est une danse très joyeuse et festive, elle se danse en double cercle, jeunes hommes et jeunes femmes tournent en deux cercles concentriques dans des sens différents. Sur un thème se développe le dialogue entre le ra’atira (le meneur) et la troupe. Il déclame d’une voix forte le récit auquel les danseurs répondent par des « Hiria, ha’a, hiria ha’a ha’a ». Les mouvements et les pas des hommes peuvent différer de ceux des femmes. La chorégraphie des danses paoa et hivinau doit être exécutée selon la définition donnée ci-dessus et les paroles doivent correspondre au thème du spectacle.

Les groupes Huva Ava Tau et Hura Tau doivent présenter sur scène un effectif minimum de 60 danseurs et danseuses et 12 musiciens et chanteurs minimum.

Pour le cru 2012, 17 groupes de danses sont en concurrence.

Pour vous familiariser avec les pas de danse, en voici quelques-uns pour les tane : paoti = mouvement des genoux en ciseaux ; taparuru = claquements rapides des pieds ; tue = action de donner un coup de pied vif et discret ; horo = pas de course utilisé pour les déplacements ou les entrées en scène.

Et pour vous Mesdames qui ne rêvez que de danse tahitienne : tamau = déhanchement saccadé de la gauche vers la droite (flexions alternatives des genoux alors que la pointe des pieds reste collée au sol ; fa’arapu = roulement rapide des fesses ; varu = mouvement des hanches en huit ; ori opu = danse du ventre.

Hiata de Tahiti

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Les îles du troisième sexe

A Papeete, les ‘rae rae’ (dire réré) ou encore les ‘mahu’ (dire mahou) sont des travestis. La taille, la voix, la corpulence et surtout la démarche permettent de les repérer. Selon une légende, on éduquait en fille le troisième enfant de la famille, qu’il soit physiquement fille ou garçon. Auparavant cela se passait bien, jusqu’au jour où l’homophobie est apparue (avec le puritanisme chrétien). Aujourd’hui, ils/elles se battent pour faire reconnaître leurs droits de personnes, comme partout dans les pays occidentaux. Dans la vie de tous les jours, le mot ‘mahu’ désigne les efféminés, les travestis, tandis que les ‘rae rae’ sont plutôt ceux/celles qui se prostituent. Le quartier ? Pont de l’Est et Commerce à Papeete.

Les ‘mahu’ sont souvent d’excellents animateurs, cuisiniers, graveurs, etc. Ils vivent en couple avec un tane (un homme, un vrai), ils ont souvent un enfant ‘faamu’ (adopté) et vivent sans complexes. Ils ne sont pas opérés mais restent physiquement masculins. Les Occidentaux, à leur arrivée dans les îles, découvrirent que l’adoption était très répandue. Il s’agissait d’un don, non d’un abandon. L’enfant se partageait entre sa famille d’origine et sa famille adoptive (comme les fils des vassaux confiés à un seigneur féodal). L’enfant ‘faamu’ (qui signifie « faire manger ») était considéré comme membre à part entière de la famille. Il avait les mêmes droits que ses frères et sœurs adoptifs, en particulier sur le patrimoine familial (là, grosse différence avec nos seigneurs féodaux !). Cette adoption plénière aujourd’hui se heurte à l’absence d’actes légaux conformes au droit civil applicable en Polynésie. Mais la pratique subsiste. Hier, sur les annonces affichées dans le petit centre commercial, j’ai lu : « maman popaa, deux enfants, cherche à adopter un enfant faamu, merci de téléphoner au numéro… »

Mahu, voici la définition trouvée dans le « Dictionnaire illustré de la Polynésie » : homme travesti qui, dans l’ancienne société tahitienne, vivait à la manière des femmes et en leur compagnie. Certains étaient homosexuels mais ce n’était pas une caractéristique essentielle, contrairement aux ‘rae rae’ modernes. D’après les observations faites par les premiers navigateurs, les ‘mahu’ existaient à l’époque des Grandes Découvertes. Il ressort donc que le phénomène ‘mahu’ ne s’inscrit pas dans le cadre d’une décadence générale mais est (était ?) au contraire une institution sociale ancienne et bien réglée. L’explication sociologique la plus plausible de cette coutume pourrait être formulée de la manière suivante : il s’agit d’une « image négative ». Ces images sont aussi courantes dans certaines sociétés que les « images positives » exaltées aujourd’hui par les médias telles que les héros de la guerre ou du sport, les vedettes de film ou les célébrités de la politique. En d’autres mots, les ‘mahu’ étaient autrefois des antihéros qui montraient à la jeunesse le chemin qu’il ne fallait pas emprunter (comme les hilotes ivres montrés aux très jeunes Spartiates). On ne doit pas cependant en conclure que les ‘mahu’ étaient des parias. Ils étaient toujours bien traités et très recherchés comme domestiques à cause de leurs connaissances parfaites des travaux féminins, la force mâle en plus… Il existait des ‘mahu’ dans les autres îles de la Polynésie, en plus de Tahiti ; le terme qui les désigne varie d’un lieu à l’autre.

Les ‘rae rae’ ont une vie beaucoup plus difficile. Ils sont plus « déguisés » qu’habillés en femmes et reconnaissables aisément : talons de 20 cm de haut et démarche provocante. Ils usent et abusent d’alcool et des drogues, se shootent aux hormones. Pour avoir l’argent nécessaire, ils se prostituent le plus souvent. Ils peuvent être opérés, ou pas selon leurs moyens et leur désir. Ils ont souvent des problèmes psychologiques, écartelés entre deux genres et mal vus par la société, vivant aux limites de la légalité.

Mes Polynésiens de m’affirmer : « bien sûr, ce n’est pas la faute de ces enfants mais c’est parce que leurs parents regardaient des films porno pendant la grossesse de la mère, qu’ils sont devenus ‘mahu’ ou ‘rae rae’ ! » No comment : l’éducation sexuelle est bien pauvre en Polynésie… Les familles sont ignorantes et l’école se garde bien de sortir de la neutralité scientiste qui réduit le baiser au vol des abeilles et l’acte sexuel à la pollinisation.

Hiata de Tahiti

Note d’Argoul :

Dans toute civilisation court le mythe de l’Androgyne. La division du monde en deux sexes apparait trop restreinte. Le pouvoir de créer un humain est une puissance que les hommes jalousent. En Polynésie, la confrérie des Arioï, réunissait des mâles qui visaient à capter et à contrôler les pouvoirs surnaturels féminins en étant éduqués comme des filles, en jouant le rôle de conteurs, de danseurs et de bouffons, et en ayant des relations sexuelles consenties avec des adolescents mâles dès la puberté. Les Arioï peuvent se frotter le ventre avec qui ils veulent mais ils n´ont pas le droit d´enfanter.

La théorie de l’« image négative » me paraît être liée aux catégories du Bien-et-du-Mal apportées par les missionnaires, donc pas très « traditionnelle ».

En revanche, le choix du « troisième enfant » pour être éduqué en fille pourrait fort bien avoir eu une fonction démographique. Les îles ne sont pas extensibles et la place comme la nourriture ne s’y multiplient pas au gré des naissances. L’encouragement à l’homosexualité – ou à l’a-sexualité – est une coutume culturelle attestée ailleurs, qui permet de réguler les naissances. Notre élite de l’ancienne France ne destinait-elle pas le troisième fils à entrer dans les Ordres ou à se faire curé ? Une autre hypothèse, toujours démographique, laisse entendre que les tribus protégeaient ainsi quelques hommes des guerres incessantes et des sacrifices humains qui décimaient les mâles.

Il va de soi que ces coutumes sociales équilibrées se sont trouvées bouleversées par l’irruption de l’idéologie chrétienne dans les îles, tout comme par les libertés acquises grâce à la modernité (contrôle des naissances, choix volontaire du plaisir sans conséquences, images médiatiques pro-hétéro ou focalisées sur l’argent). Le mal-être contemporain des « déviants » est dû à l’inutilité sociale d’une coutume devenue désuète. Ce mal-être engendre des comportements affectifs de compensation et d’oubli tels qu’alcool et drogue. Le coût de tels substituts conduit à la prostitution, donc au mépris social. On tourne en rond. Seule une nouvelle tolérance par la société de comportements sexuels différents de l’hétérosexualité ‘biblique’ obligatoire rompra le cercle vicieux. Gauguin a peint « Le sorcier d’Hiva Oa » en 1902, qui pourrait bien figurer un prêtre ‘mahu’.

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