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Retour du fascisme

A la question : peut-on parler de fascisme à propos de Poutine et Trump ? La professeure d’histoire de la Yale University Marci Shore répond clairement dans Télos : « oui ». Même si l’histoire ne se répète jamais dans le détail, le concept reste opérant. « À l’heure actuelle, le terme « fascisme » me semble le plus utile pour décrire à la fois ce qui se passe dans mon propre pays, les États-Unis, et en Russie. »

La relecture d’une biographie du promoteur du « fascisme », Benito Mussolini, par Denis Mack Smith, professeur à Oxford décédé en 2017, permet de retrouver dans le passé du dictateur italien les éléments du présent des dictateurs russe et américain d’aujourd’hui. Né en 1883, Mussolini a été élevé brutalement, à coups de ceinturon ; placé dans une pension catholique, il y a été battu (on ne dit rien à propos d’abus sexuels, mais c’était d’usage courant, si l’on en croit la libération de la parole encore aujourd’hui). Sa mère était institutrice et faisait vivre le ménage, tandis que son père forgeron était un soulard flemmard, violeur et violent avec les femmes, dont la sienne, et ses enfants. Le petit Benito a été élevé en sauvage, sans tendresse. Il est devenu ado un chef de bande brutal, bagarreur et qui aimait torturer ses camarades – qui en étaient fascinés. Renvoyé plusieurs fois des écoles, il n’a pas hésité à donner un coup de couteau à un élève. Tout à fait le genre américain des lycées : solitaire, instinctif, méprisant les femelles et la faiblesse.

En bref un frustré, revanchard social, empli de ressentiment social. On dirait aujourd’hui, avec Vance (né Bowman), un « plouc des collines » (hillbilly). Sa méthode est la violence physique, sa culture la brutalité, comme Poutine. Il a peu de volonté et de constance et ne cesse, jeune homme, d’enchaîner les petits boulots et les femmes, sans jamais se fixer. C’est un insatisfait perpétuel qui n’aura de cesse de parvenir à la gloire, pour enfin se sentir quelqu’un.

Mussolini lit des livres, mais sans ordre ; il se fixe sur Marx, parce que le philosophe juif allemand apporte une cohérence à son ressentiment social, mais s’en détache vite pour lui préférer le nihilisme dénoncé par Nietzsche, et les anarchistes activistes, plus en phase avec son besoin d’action violente. Il sera « socialiste », dans une Italie divisée en courants (comme « la gauche » française d’aujourd’hui), jouant son Mélenchon en poussant le groupe le plus radical pour opérer une scission et en faire le noyau du parti fasciste. Jacques Doriot avait opéré de même, du communisme au nazisme, dans la France des années 30. En 1903, Benito Mussolini se dira « communiste autoritaire ».

Comme Mélenchon a été pion, Mussolini a enseigné aux jeunes élèves avec un vague diplôme de français, mais il a été considéré comme « un tyran ». Il est plus doué pour l’imprécation et l’exhortation que pour l’analyse des faits. Il assène « ses » vérités – qui ont peu à voir avec les vraies, comme Trompe – et n’hésite pas à en changer selon les circonstances. Ainsi est-il contre la guerre coloniale en Libye, avant, quelques années plus tard, d’être à fond pour ; contre la guerre par pacifisme, avant de tourner casaque parce que l’exaltation guerrière devient populaire. Au fond, il n’a aucune idée, seulement le sens du vent (comme Trompe). C’est pourquoi « le fascisme », au départ, n’est qu’un amalgame d’idées confuses, du conservatisme au catholicisme ultra, du capitalisme à l’étatisme, du patriotisme à l’impérialisme. Il n’est unifié que par le grand imprécateur, l’orateur Mussolini, et par les arditi, ces groupes d’anciens combattants analogues aux SA de Hitler, aux mafias de Poutine et aux milices extrémistes de Trump marchant sur le Capitole. Lequel a imité en 2021 le Mussolini de la marche sur Rome en 1922.

L’Italien Mussolini a toujours considéré qu’il fallait l’équivalent des invasions barbares pour redonner à l’Italie sa grandeur, débarrassée des libéraux, humanistes et autres chrétiens démocrates. La « barbarie » permettrait un nouveau souffle à l’Empire romain – et c’est ce que dit aujourd’hui Poutine à propos de l’Europe, voyant les Russes en missionnaires d’une Troisième Rome. Poseur et exhibitionniste, Benito invente des histoires de toutes pièces lorsqu’il est journaliste au Popolo d’Italia. Ce sont ses « vérités alternatives » analogues à celles de Trompe. Entre storytelling – ou « belle histoire » à croire – et propagande éhontée – sur l’exemple de Goebbels : mentez, il en restera toujours quelque-chose. Mussolini n’a aucune conviction en dehors de lui-même. Il est une force qui va, et se justifie par ses succès – comme Trompe le vaniteux bouffon. Pas étonnant si, en élisant un clown, les Américains vivent aujourd’hui un spectacle de cirque. Benito est, comme Donald, d’accord avec le dernier qui a parlé. Quelle importance ? C’est la force qui mène la politique, disent en chœur Poutine le mafieux et Trompe le trompeur. Les masses sont passives, inaptes à analyser mais seulement à « croire ». Donnez-leurs des illusions ! Seules les élites ont un esprit critique, ce pourquoi Mussolini, Poutine et Trump s’efforcent de les brider, brimer, châtier – par la peur, l’assassinat, le goulag, la coupe de tout financement.

Les groupes fascistes ont été fondés par des socialistes en faveur de la guerre, et Mussolini (qui n’a rien inventé) a pris le train en marche. C’est en 1919 qu’il lance le mot « fasciste » dans ses discours. Le terme vient de « fascio », le faisceau, en référence aux faisceaux des licteurs romains. Cet emblème des verges et de la hache a été repris par les milices squadristes issues de la brutalisation de la guerre de 14. Il symbolisait bien le surveiller et punir du nouvel autoritarisme. Le parti fasciste a été créé avec une cinquantaine de personnes seulement, des futuristes et des arditi, des intellectuels modernes comme Marinetti exaltant les machines, la vitesse et l’énergie, et d’anciens combattants las des parlottes parlementaires et aspirant à l’autorité et à l’action. Cela convient à l’agitateur Mussolini, comme au bouffon Trompe avec ses avant-gardistes de la Silicon Valley et ses milices extrémistes. Il s’agit de surprendre chaque jour, comme Trump fait, afin d’anesthésier toute critique en ne laissant jamais le temps de penser.

Mais ce sera la politique politicienne, avec l’alliance de circonstance du parti fasciste et des libéraux de Giliotti, qui va porter le fascisme au pouvoir et précipiter la dictature mussolinienne. Le libéral croira manipuler le rustre Benito, mais se fera rouler dans la farine par son culte de la force. Hitler l’a imité, comme Poutine après Staline. Trump n’a même pas eu besoin de cela, l’effondrement moral de la gauche américaine dans le woke lui a offert un boulevard populaire.

Au total, ce retour de l’histoire montre que la bouffonnerie réactionnaire peut parvenir à s’imposer au pouvoir, contre toute raison. Et c’est ce qui nous pend au nez avec la dynastie Le Pen. Bardela candidat serait peut-être différent ; il semble plus proche du modèle Meloni d’un fascisme régénéré adaptable à l’Union européenne – donc contraint – pour le moment. Mais introduire le loup dans la bergerie, que ce soit Le Pen ou Mélenchon, serait une erreur. Le « moindre mal » n’est jamais qu’un « mal » qui peut grossir…

Denis Mack Smith, Mussolini : a Biography, 1981, en anglais €24,03 – une traduction en français a paru chez Flammarion en 1985 mais n’est plus référencée.

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

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Bernard Werber, Sa Majesté des chats

Succédant à Demain les chats et suivi par La planète des chats, ce roman peut se lire indépendamment. Vous l’avez deviné, il parle de chats. Comme dans La ferme des animaux d’Aldous Huxley, la carence des humains a poussé les animaux domestiques à s’émanciper.

C’est la guerre des espèces après la guerre de religions. Les Barbus ont en effet décimé à coups de Kalachnikov les humaniots (les chatons des chats humains) des Imberbes et les villes dévastées se sont retrouvées infestées de rats. Ils ont plus à manger qu’il ne faut avec tous les cadavres, et plus aucun prédateur sérieux. Comme les fanatiques en noir, les rats noirs fanatisés par un rat blanc de laboratoire qui s’est nommé Tamerlan déferlent sur les rares îlots où les « jeunes humains » (les vieux ont péri) et les chats de compagnie se sont réfugiés. A Paris, sur l’île aux Cygnes, les rats qui savent nager attaquent ; ils sont repoussés mais bloquent désormais l’amont et l’aval par des barrages. Car les rats ont une intelligence collective et une société hiérarchisée.

La chatte Bastet, qui ne se prend pas pour rien, apparaît au lecteur comme une vraie sale bête : égoïste, narcissique, impitoyable, utilitariste, féministe, elle ne voit en Nathalie qui la nourrit et la caresse qu’une « servante », en son fils Angelo qu’un ado chat violent immature et en son mâle au troisième œil Pythagore un couard trop hésitant. Ce troisième œil est une prise USB de chat de laboratoire ; elle lui permet de se connecter à Internet, qui fonctionne toujours grâce aux centrales nucléaires automatiques fournissant l’électricité – jusqu’à ce que les fanatiques religieux fassent sauter le système pour imposer leur seul dieu et leur soumission aux clercs.

Au fil des pages, un peu primaires au début mais prenantes dès le premier quart du roman, la chatte va devenir plus sympathique à mesure qu’elle s’humanise. C’est assez tiré par les poils mais il suffit de suivre et de croire : ça marche. Pas de contresens : l’auteur n’expose pas une vie de chat comme il a exposé une vie de fourmis ; il s’agit cette fois d’un conte philosophique. Puisque les chats ont, dit-on, neuf vies, la première a été chez Bastet en Egypte où elle était déesse à jambes et seins humains, adorée des fidèles. Elle se veut réincarnation pour le monde à venir après les erreurs humaines et la bêtise, la haine de l’autre et l’incapacité à le respecter, qui a dégradé l’Homme au point d’en faire une espèce en voie de disparition. Même les Barbus sont combattus par les rats qui ne font pas de quartier envers tout ce qui n’est pas de leur espèce. Allah ne les sauvera pas malgré leur soumission car, comme tout bon dieu, il est impitoyable aux cons et aux haineux qui sèment la division.

Bastet veut une clé USB dans le crâne comme Pythagore ; une fois obtenue à la faculté d’Orsay préservée jusqu’ici des hordes rato-islamiques, elle découvre l’immensité de l’univers et de la connaissance. Pouvant communiquer avec Nathalie, elle apprend que la plus haute civilisation consiste à comprendre l’humour, l’amour et l’art. Vous l’aurez noté, c’est tout ce à quoi les Barbus sont incapables d’accéder du fait de leur carcan religieux et qu’ils détruisent donc par jalousie au nom d’un concept d’esclave. C’est aussi tout ce que les rats détestent, espèce collectiviste, prolifique et prédatrice.

Je vous passe les aventures et les inventions, il y en a pléthore, faisant rebondir l’intrigue. Les humains sont décimés, comme les chats, mais Bastet s’allie peu à peu avec d’autres espèces comme les chiens, les cochons, un perroquet, des goélands, pour contrer les hordes de Tamerlan qui ratissent tout sur leur passage.

L’auteur en profite pour continuer son Encyclopédie du savoir relatif et absolu dont les Livres I à XI sont déjà parus et dont il distille le XII entre les chapitres. Cette philosophie pratique dessine un système de valeurs et de diagnostics sur ce qui nous arrive. A la manière d’Aldous Huxley, les animaux qui parlent comme des hommes sont des hommes déguisés en bêtes pour mieux se faire entendre des autres hommes, trop bêtes pour comprendre tout seuls. Jean de La Fontaine, cité en ce roman, a bien créé ses fables contre le système de cour de son temps.

Bien que destinée plutôt à un public ado, ou aux fana félines (surtout femmes), j’ai bien aimé cette fiction philosophique de notre temps qui se dévore comme une souris craquant savoureusement sous la dent. Si les chats me paraissent dans le réel plus affectifs que dans la fiction contée par la cynique utilitariste Bastet, l’alliance des espèces pour la survie planétaire est un objectif louable.

Bernard Werber, Sa Majesté des chats, 2019, Livre de poche 2020, 522 pages, €8.90 e-book Kindle €14.99

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Boycott the US ?

Trump le prouve, l’Amérique s’isole. Elu de justesse par une vague de conservateurs bigots adeptes de la morale des années 50 et du créationnisme, de nationalistes suprémacistes blancs angoissés de devenir minoritaires (quelque part vers 2060) et de libertariens hostiles à l’impôt qui veulent que l’Etat se retire des programmes sociaux, le président de la (pour le moment) première puissance mondiale donne le ton : America first, America is back.

Ce qui signifie en langage clair : égoïsme sacré et primat de la force sur le droit.

D’où la récente rafale de décisions économico-stratégiques : taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium, déni de l’Organisation Mondiale du Commerce en refusant de nommer les arbitres et en bafouant ses règles, renégociation de l’Alena, dénonciation de l’accord sur le climat, rejet de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce sont évidemment les entreprises européennes qui seront le plus frappées par les sanctions américaines – à croire que nous ne sommes plus ni alliés ni même « amis ». Car, dans le même temps, après avoir tempêté et exhibé son gros bâton entre les jambes, Trump a accepté brusquement « l’offre » du dirigeant nord-coréen d’une rencontre historique… sur le nucléaire. La leçon est claire : respect à la position de force. L’Iran n’a rien à offrir, la Corée du nord si ; l’Europe a l’habitude de se soumettre (sauf en 1996), rappelez-vous les 9 milliards de $ d’amende à la BNP pour avoir commercé avec l’Iran, Alstom bradé à General Electric sous une menace de même nature sous le faiblard Hollande. L’Europe devra montrer ses muscles par des rétorsions franches et substantielles si elle veut survivre dans la « guerre » économique que lance le pachyderme de Washington.

A moins de changer d’alliance et de se rapprocher de la Russie, de la Turquie et de l’Iran – contre les alliés américains : l’Arabie saoudite pépinière d’extrémistes islamiques et Israël au gouvernement « quasi fasciste » (Rony Braumann né là-bas) qui menace tout le Proche-Orient et attise le radicalisme religieux. Car où est l’intérêt actuel de l’Europe à soutenir ces régimes qui font surgir le terrorisme sur notre sol ? Notons que la remise en cause du soutien ne s’adresse pas aux peuples mais à leurs gouvernements va-t’en guerre et à leurs groupes dévots extrémistes.

Chacun, si l’on en croit Trump, défend ses propres intérêts.

Donc, pourquoi pas nous ? Il ne s’agit pas de faire la leçon aux Américains sur leurs choix au nom de « la Morale » dont les néo-cons et les blancs cassés, âgés et sans diplôme, se foutent. Pour eux, « la morale chrétienne » est celle de l’Ancien testament (celle du Talmud), pas celle du Nouveau. Les dirigeants européens, qui sont tous allés voir le monstre, se résignent jusqu’à présent à collaborer – comme sous l’Occupation. Les États-Unis national-identitaires sont aujourd’hui, comme l’Allemagne nationale-socialiste hier, le pays le plus puissant. Et ses alternatives (Poutine, Erdogan et Rohani) peut séduisantes. Mais le nationalisme identitaire gagne l’Europe et si Marine Le Pen avait été moins nulle, peut-être la France aurait-elle basculé. Un ou deux attentats islamistes de grande ampleur en plus suffiraient-ils pour voir s’allier la droite Wauquiez avec un Front national relooké Marion ? Ou une immigration de masse suffirait-elle pour (comme en Italie) voir se joindre extrême droite et extrême gauche ?

Car si d’aventure la situation devait se dégrader avec les Etats-Unis, l’alliance et « l’amitié » pourraient bien exploser. La décision de dénoncer le traité signé avec l’Iran a été annoncée le 8 mai – une date symbolique pour la relation transatlantique puisqu’elle rappelle la victoire sur le nazisme. En rejetant de façon complète tous les efforts des plus proches alliés de l’Amérique, celle-ci bafoue l’alliance et dit son mépris pour ses alliés.

A quoi peut donc encore servir l’OTAN ?

D’autant plus que la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies donnait force de loi à l’accord de Vienne.

A quoi peut donc encore servir l’ONU ? Les accords internationaux constituent-ils encore une garantie de sécurité collective ? Donald trompette clairement que non. Avis aux Coréens du nord et aux Chinois…

Trump déclare que l’individualisme est roi en Amérique et que l’isolationnisme est roi dans le monde.

Tout ce qui est collectif est désormais banni pour l’Amérique, de l’assurance maladie en interne aux traités de commerce et aux accords internationaux. En bon dealer des groupes qui le soutiennent, le chacun pour soi doit aboutir à la domination du plus fort (même s’il n’est pas le meilleur), en gros les suprématistes blancs bigots et libertariens. Qui ne retrouverait, dans cette posture, le racisme clairement affiché durant les années 30 qui affirmait que la « race » aryenne, étant supérieure en tout (sauf à la course olympique), devait dominer son « espace vital » et influencer le monde entier ?

Si l’Amérique s’affiche égoïste et adepte de la seule force, devrons-nous résolument boycotter l’Amérique ?

Exit Google au profit de Qwant, exit Microsoft au profit des logiciels libres, exit Apple au profit de Samsung, exit Amazon au profit de la Fnac, exit Facebook au profit de Copains d’avant (même si c’est passablement ringard – mais Facebook est déjà ringard chez les 13-17 ans), exit Twitter ce piège à temps, exit Linkedin au profit de Viadeo, exit Mac Donald’s au profit de Flunch ou du bistrot du coin, exit les jeans Lévi-Strauss, les boots et autres bombers, exit les films yankees et les séries hollywoodiennes au profit de chaînes européennes, exit les voyages aux Etats-Unis pour d’autres destinations (d’ailleurs bien plus intéressantes).

J’espère et je souhaite que l’Europe et surtout les trois grands pays que sont l’Allemagne la France et le Royaume-Uni parlent enfin d’une seule voix pour affirmer leur refus de l’extraterritorialité des lois américaines et prennent la décision d’appliquer des contre-sanctions très dissuasives – puisque Trump et ses trumpistes ne comprennent que ça. L’alliance avec l’Amérique se dévitalise et l’amitié est en train de crever.

Nous nous détournons de plus en plus des Etats-Unis.

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William Faulkner, Descends, Moïse

william faulkner descends moise
Formé (symboliquement ?) de sept récits qui traversent les années 1860-1940, c’est à une radiographie du Sud que se livre Faulkner. Il reprend et ressasse toutes ses œuvres et toutes ses généalogies pour composer un millefeuille de Blancs et de Noirs, en ligne directe et métissés, dont les existences se croisent et se heurtent. Le titre du livre est celui de la dernière nouvelle, également celui d’un negro spiritual qui assimile l’asservissement des Noirs à celui des Juifs sous Pharaon. La famille McCaslin transmet la honte et la culpabilité de génération en génération.

Honte d’avoir été aristocrate maître d’esclaves, culpabilité d’avoir ravi la terre aux Indiens et d’avoir détruit son équilibre pour planter le coton et élever des villes. Honte et culpabilité d’avoir fauté avec des négresses et d’avoir mêlé ce que Dieu avait séparé, jusqu’aux conséquences radicales du meurtre et de l’exécution. Blanc et Noir, civilisation et nature, s’entremêlent comme les eaux du delta.

Dans le premier récit, bien loin dans le temps, une chasse au renard se transforme en chasse à l’homme pour récupérer un esclave noir qui fugue régulièrement pour aller monter sa belle. Nous sommes dans le burlesque de la comédie, le bouffon seul à même de dire que le roi est nu. Le second récit met en scène Lucas, descendant mi-noir, mi-blanc, en rivalité avec son demi-frère blanc, et qui chasse le trésor imaginaire des confédérés avec une machine électrique venue de la ville. Le troisième récit quitte un instant la famille pour mettre en scène un Noir pur sang qui, ayant perdu sa femme, se révolte contre la condition humaine (et finit pendu) ; une vraie bête aux muscles puissants et aux instincts bruts, une sorte de rêve américain jusqu’à Rambo et XIII.

Mais c’est le quatrième récit qui est le plus beau, sauf sa section 4. Cette fois, c’est un vieil homme de 1940, Isaac dit Ike, qui raconte son enfance en forêt, durant les chasses annuelles des Blancs du comté. Il a dix ans, douze, ans, seize ans, et le vieux Sam, mélange d’Indien et de Noir, lui apprend à marcher sans bruit, à observer les traces, à s’orienter sous les arbres, à tirer ou à ne pas tirer selon les moments. A douze ans, le gamin tue son premier cerf et Sam le baptise du sang de la bête, cérémonie initiatique qui le met en communion avec la nature et avec la vie même. Ce sont les pages les plus belles de Faulkner, emplies d’émotion et de respect. « Sam Fathers ne l’avait-il pas déjà consacré, et délivré de la faiblesse et du remords ? – non pas de l’amour et de la pitié pour tout ce qui vivait et courait et, en une seconde, cessait de vivre en pleine splendeur et en pleine course, mais simplement de la faiblesse et du remords » Les Anciens, 2 p.789 Pléiade.

garcon chasseur

A seize ans, il rencontre un ours, le Vieux Ben rusé et inoxydable, que tous chassent depuis des années. Ce sera un autre qui le tuera, mais pas cette année-là. Il faudra dresser spécialement un chien, différent des autres, sans peur et sans reproche : Lion.

La section 4 de ce récit est en revanche une jérémiade illisible. Rupture de ton, phrases interminables, écriture expérimentale sans ponctuation – un vrai pensum qui dérive vers le prêche biblique. Faites comme moi, survolez ces pages chiantes, qui durent quand même un long moment. Tout ça pour se plaindre d’être Blanc, Américain, propriétaire, chasseur, mâle et ainsi de suite. Appel à la Bible, dissection des desseins de Dieu – en bref, réservé aux lecteurs purement américains avec de la patience ; je ne sais pas si beaucoup lisent encore ça aujourd’hui.

Le dernier récit est contemporain de l’écriture, 1940. La guerre menace en Europe ces bouffons de xénophobes tandis que les Américains racistes, ayant libéré les Noirs, ne peuvent envisager d’avoir des enfants avec eux. La vieille alliance (biblique ?) de l’homme et de la nature, durant la chasse, ne résiste pas à la ville et au regard social. Et cela se termine mal.

Un beau livre, sauf la centaine de pages de délire prêcheur. Il est peu connu mais fait pénétrer un peu plus l’Amérique, ses mythes et ses complexités sociales par un esprit européen du XXIe siècle.

William Faulkner, Descends, Moïse, 1940, Gallimard L’imaginaire 1991, 336 pages, €10.00
William Faulkner, Œuvres romanesques tome 3, Gallimard Pléiade, 2000, 1212 pages, €66.00

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