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Galerie Sabauda de la pinacothèque de Turin 3

Plusieurs saint Jérôme sont collectés, dont celui du maniériste Moncalvo en 1598 ; il présente un vieillard au corps bien dessiné entouré d’anges nus voletant dans ses pensées comme autant d’inspirations pour traduire les quatre Evangiles.

Un autre saint Jérôme de Valentin de Boulogne, peint vers 1620, le montre plus ascétique et plus studieux, le Christ en croix devant lui et la plume à la main. Les détails du corps et de la barbe font tout le sel de ce portrait inspiré.

Celui de Matthias Stomer vers 1635, en écrivant la Vulgate, est illuminé d’un rayon qui provient de derrière la croix du Christ. Sa chair flasque montre son âge tandis que son vêtement rouge exhibe son ardeur. Le lion couché à ses pieds s’est endormi, confiant.

L’Annonciation de Gentileschi, de 1623, est inspirée du Caravage en même temps que de la peinture florentine. L’ange Gabriel est cependant bizarrement coiffé et a le visage d’un mauvais garçon à la curieuse culotte jaune traître, tandis que Marie toujours vierge arbore une face de pudeur offensée avec un geste de refus en même temps que de salut de sa main droite. L’enflure mythique est donnée par les couleurs, le rouge du formidable rideau de lit et la robe bleu nuit de la Vierge. Ce n’est pas l’une de mes Annonciations préférées.

L’Adoration des mages de Luca Cambiaso vers 1550 est couverte de corps dans tous les sens. L’Enfant est retenu mais comme poussé par sa mère vers les lèvres des vieux Messieurs mages. L’un lui baise le peton, l’autre se pâme sous son regard, le troisième lorgne sa poitrine par-dessus ses épaules. C’est plus sensuel que mystique, et le Bambin, gras comme un petit cochon, semble prêt à être dévoré par les dévots venus de loin.

La Madone à l’Enfant avec les saints du Sodoma, a été peinte en 1513 pour Sienne et volée par les troupes espagnoles lors du siège de la ville. La Madone siège en majesté avec le Bambin nu à ses pieds, qu’elle retient par l’épaule gauche, révélée par deux putti qui titrent le rideau, tandis que se montrent devant elle, en représentation, les saints Jean et Jérôme et les saintes Catherine d’Alexandrie et Lucie.

La Vierge à l’Enfant et les saints de Mantegna est un tableau plus interactif. Tous les personnages placés sur le même plan gardent la Vierge et Jésus au centre. L’Enfant nu resplendit en majesté et captive son cousin Jean-Baptiste, un peu plus âgé et à peine vêtu de pauvres bêtes. Je l’aime bien, ce gamin enamouré.

La Sainte Famille de Van Dyck, vers 1625, montre une sainte Anne à l’initiative. C’est elle qui crée les relations de regards entre la Vierge sa fille, et le petit Jean-Baptiste, lequel est ardemment regardé par Jésus bébé qui s’élance vers lui, tandis que le père Joseph pose sur lui un œil attendri.

Matthias Stromer peint Samson le juif capturé par les Philistins (actuels Palestiniens). Tout un symbole.

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Rikjsmuseum d’Amsterdam 1

Nous prenons le tram avec un forfait pour trois jours, ce qui nous permettra de l’emprunter pour revenir à l’hôtel. Il y a foule à l’entrée du musée. Nous ne faisons heureusement pas la queue, grâce aux billets de groupe déjà pris. Des scolaires en primaire et en collège arpentent les salles mais aussi des familles en ce vendredi. Nous allons d’abord visiter le musée dont la rénovation s’est terminée en 2013. Je ne peux rendre compte de tout, le musée est trop riche. Je ne vous donne qu’une sélection de ce qui m’a marqué.

Le Louvre des Pays-Bas est un musée qui se visite en une journée, heureusement. Il retrace l’histoire de l’art hollandais, ce qui permet de resituer Vermeer dans la lignée et l’époque. Ce sont les primitifs flamands qui ont maîtrisé la peinture à huile et ont fait tellement attention aux détails. Le réalisme de Frans Hals vient d’eux, tout comme la minutie de Vermeer.

Des scènes bibliques, comme il se doit, jalonnent le 16ème siècle. Une tablette mémoriale vers 1500 montre combien la vie est brève et que le destin est le tombeau.

Jan Cornelisz Vermeyen, Sainte famille v.1528, expose un Bambin musclé nu en sa nature humaine, déjà adulte dans son regard, prêt pour sa Mission de sauvetage du genre homo.

Jan Mostaert, Adoration des mages XVe

Les peintres de genre sont Jan Steen et De Hoogh, tandis que Ruysdael ou Van Goyen ont rendu l’atmosphère particulière des canaux, des plaines humides et des ciels tourmentés.

Dans la partie d’art ancien, j’apprécie grandement les petits bijoux que sont les noix sculptées en buis de scènes bibliques ou d’église, comme les anges musiciens. Elles viennent de l’atelier d’Adam Theodrici et ont été réalisées entre 1500 et 1530.

De facture un peu plus ancienne, fin XVe siècle, le bon et le mauvais larron dansent sur leurs croix dans le même bois de buis.

Vers 1400, c’est un Christ au corps très étiré, en bois, qui vient de Bunde, un village près de Maastricht.

Le Dernier souper, vers 1520, provient d’Ulm et sculpte le Christ et ses apôtres lors de la Cène. Le très jeune Jean se penche pour baiser la main de Jésus, juste au-dessus du sexe, comme avide de dévorer déjà la chair du Christ qui est dans le plat devant lui, tandis que celui-ci donne à manger à Judas qui va le trahir. Les dix autres apôtres, tous barbus et à la chevelure ondulée, regardent ailleurs.

Étrange histoire que celle de saint Vitus, sculpté en bois vers 1500. C’était un gamin sicilien de 12 ans qui avait la foi chrétienne et n’a pas voulu abjurer malgré sa torture, flanqué nu dans un chaudron d’huile et de résine bouillantes. Il a survécu aux épreuves, soutenu par sa foi.

Autre étrangeté cet Episode de la conquête des Amériques par Jan Jansz Mostaert, peint en 1535. Dans un décor aride aux falaises sculptées par la mer, une horde d’indigènes tout nus qui surgissent de partout combattent une section d’Espagnols casqués, armés et vêtus de fer, fraîchement débarqués. C’est un choc des civilisations quasi extraterrestre.

La Vénus couchée de Lambert Gustris, vers 1540, est une belle femme nue voluptueusement allongée sur son matelas avec la main sur son sexe, tandis que d’autres femmes vaquent, habillées, à leur musique ou aux soins du linge, au fond de la pièce. Ce contraste érotique rend le spectateur voyeur d’une intimité qui, pourtant, devrait être morale, puisque les humains, dans les Provinces unies, « n’ont rien à cacher ». Les gamins s’amusent devant ; cela les émoustille.

Vers 1560, Pieter Pietersz offre à voir un Homme et une femme au fuseau qui est à la fois un portrait et une morale : l’homme sans conteste désire la femme, son regard exclusivement tournée vers elle et tenant un vase à la main, tandis qu’elle est tournée vers le spectateur, comme pour l’interroger sur ce qu’elle doit faire : choisir la vertu ou le vice. Mais elle a déjà choisi : son fuseau, clairement phallique et piquant au bout, s’est tourné vers son vagin.

C’est carrément un bordel que figure Pieter Aertsen en 1552, sous le titre gai de Danse de l’œuf. Il faut tout en dansant, retourner une écuelle en bois sur l’œuf qui roule, sans le casser. Tout le tableau désincite les mineurs à la débauche. Un jeune garçon se tient en effet sur le seuil et regarde.

Joachim Beucklaer, en 1566, présente une Cuisine bien garnie. Mais c’est la visite du Christ à Marie et Marthe, en tout petit et en gris, en fond de tableau, qui est le sujet principal. Le contraste entre la profusion de nourritures terrestres colorées et la voie spirituelle chrétienne austère en noir et blanc est mise en évidence pour édifier le spectateur.

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Musée Frans Hals de Haarlem

Il est situé dans un hospice de 1608 aux salles dallées de marbre lisse, racheté en 1908 par la municipalité pour y loger les collections d’art néerlandais des XVIe et XVIIe siècles, dont les biens des couvents, congrégations ou institutions religieuses catholiques de la ville, confisqués après 1578.

Frans Hals a fait le portrait des administrateurs, ou régents, un homme pour les vieux et une femme pour les vieilles. Le peintre s’était spécialisé dans ce que voulait sa clientèle : du portrait, le plus souvent collectif.

Les officiers des arquebusiers sont attablés pour leur banquet annuel et le peintre les a rendus vivant grâce aux couleurs de leurs habits, à la diversité de leurs expressions et aux bonnes choses à manger sur la nappe.

Les régents et régentes de l’hospice de vieillards sont au contraire en vêtements noirs et ont l’air austère. Un gamin à la bonne bouille ronde s’esclaffe dans un recoin.

Le guide nous donne quelques clés de lecture des tableaux. Les personnages qui regardent le spectateur sont les notables. Les gens les plus importants sont ceux qui sont assis. La diagonale guide le regard et la perspective est donnée par la table ou par la position des pieds de ceux qui sont représentés. Les mains sont assurées sur les accoudoirs et en bord de table, ou bien accueillantes et ouvertes, dirigées vers le spectateur pour l’inviter à participer, ou encore affectives, placées sur le cœur pour témoigner de sa bonne foi.

Les Douze membres de la Fraternité des pèlerins de Jérusalem, peints par Jan Van Scorel en 1528, alignent leurs têtes. Celles-ci étaient peintes et disposées au dernier moment selon la hiérarchie des Importants : ceux qui vous regardent le sont plus que ceux qui ne vous regardent pas. Chacun est surmonté de son blason pour bien les reconnaître.

Frans Hals, en peignant en 1541 les Régents de l’hôpital St Elisabeth, a fait qu’aucun des personnages ne regarde le spectateur, ni ne se préoccupe du dernier arrivé ; tout se concentre sur le Régent assis en bout de table, toutes les mains vont vers lui et les siennes ont un mouvement d’enfermement sur sa personne. C’est un instant suspendu, comme surpris, un instantané. Le tableau est beaucoup plus vivant que l’alignement de têtes pur et simple.

Ces tableaux étaient exposés soit à l’entrée des hospices pour inspirer confiance, soit à l’entrée des guildes de commerçants pour donner une idée de l’importance et de la prospérité de ceux avec qui l’on venait signer des contrats commerciaux. Chacun connaissait les codes et pouvait ainsi savoir à qui il avait à faire avant même de le rencontrer.

Frans Hals n’a par exemple pas été tendre avec les vieilles régentes de sa fin de vie lorsqu’il a peint, à plus de 80 ans, les Régentes de l’hospice des vieillards en 1664. Il a dû se retirer à l’hospice lorsqu’il fut tombé dans la misère et a peint un tableau commandé par les régentes. Il ne les aime pas et les peint de façon très réaliste, sinon lucide : elles sont plutôt un repoussoir.

Outre les Frans Hals, on y voit aussi le Triptyque de la Naissance, de la Flagellation, de la Crucifixion et de la Résurrection du Christ d’un suiveur d’Hans Memling.

Une Madone au Bambin blond.

Le Mariage de Thétis et Pélée avec profusion de personnages à poil de Cornelis Cornelisz van Haarlem

Le Moine et la Béguine où un moine pince le sein d’une nonne devant le raisin et le vin (tous deux de 1591).

Un Massacre des Innocents montre de jeunes enfants torturés et égorgés, hurlant, tandis que les corps musculeux nus des mâles qui les massacrent arborent des fesses et des torses en pleine euphorie sexuelle. Le contraste est un raffinement de sadisme, mêlant la cruauté au plaisir dans un paganisme tourmenté.

Une Tentation de saint Antoine de Jan Mandijn (1555) est, à la Jérôme Bosch, un grouillement de bestioles infernales issues de l’imagination enfiévrée de l’ermite continent qui peine à se concentrer sur sa Bible.

Jan de Braij peint en 1663 Peter de Braem et sa famille, accueillis par le Christ qui déclarait : « laissez venir à moi les petits enfants. » Il y a en effet profusion de petites filles blondes, outre deux garçons adultes.

La mère et l’enfant de Peter de Grebber (1622) reprend les codes de la Vierge à l’Enfant, mais version protestante, terre-à-terre : il s’agit d’une véritable mère qui donne le sein à son bébé déjà grand, tout en lisant un livre. Le démarquage du catholicisme se fait avec le livre – petit pour une Bible – et la coiffe de la femme – qui évoque l’auréole de Marie.

J’aime bien l’Accueil des enfants à l’hospice de charité pour les orphelins de Jan de Braij en 1663. Il figure trois des sept vertus de charité : nourrir les affamés, abreuver ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus. Un robuste gamin de 12 ans, en premier plan sur la droite, a déjà ôté toutes ses guenilles pour commencer à enfiler une culotte ; son copain vis-à-vis, déjà vêtu, s’enfile avidement de la nourriture dans la bouche.

La Partie à l’intérieur de Dirk Hals en 1628 met en garde le spectateur contre le libertinage, la gaieté et la fièvre du jeu en présentant des personnages rigolards, paillards et soiffards qui braillent, éclusent et se bâfrent dans un tintamarre de plats heurtés et de viole. Pendant ce temps, un couple de petit garçon et petite fille, tous deux vêtus comme les adultes, se prennent la main au-dessus d’un gros chien placide aux yeux fatalistes. C’est truculent et plein de vie.

Pieter Brueghel II, en 1625, peint ses fameux Proverbes hollandais dans un village imaginaire : humains et animaux font ce qu’il ne faut pas faire et mettent le monde sens dessus-dessous. Près de 90 proverbes moralisateurs sont ainsi illustrés et l’on passe plusieurs minutes à les chercher et les deviner. Il y a : jeter l’argent par les fenêtre, tenter de faire de l’ombre au soleil, qui trop embrasse mal étreint, tondre la laine sur le dos, et ainsi de suite.

En face, la Maison de poupée de Sara Rothé van Amstel, du XVIIIe siècle, donne une idée des Intérieurs de maison dans la bourgeoise marchande prospère. Au rez-de-chaussée la cuisine d’un côté de l’entrée, la salle à manger de l’autre, au premier étage le salon et la bibliothèque, au second étage les chambres, au dernier étage les cellules des bonnes et nurses.

Les natures mortes me ravissent par leur minutie et par le traitement de la lumière. Elles ont un sens moralisateur, montrant la brièveté de la vie qu’il faut saisir à pleines dents, l’huître encore vivante offerte à la mort sans coquille, un citron à demi-épluché doux en apparence mais astringent aux gencives, comme la vie. Les fleurs vives se fanent, la nourriture se gâte, la belle argenterie se ternit. La tarte aux mûres de la nature morte peinte par Willem Claeszoon Heda (1660) est crevée et dégouline de fruits cuits parfaitement morts. Les harengs sont fumés et le gibier faisande. Parfois est ajouté un crâne pour insister sur le symbole.

La nature morte aux fruits, noix et fromages de Floris van Dijck, peinte en 1613, offre du dessus un empilement de fromages flanqués de fruits et de pain, une épluchure pendante au premier plan. Le tout soigneusement coloré, de façon à sentir la texture de chaque bonne chose. Le guide nous fait remarquer que souvent les plats sont en déséquilibre, on dirait qu’ils vont tomber. C’est une façon de happer le spectateur qui a le réflexe immédiat de tendre la main pour le rattraper.

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Visite de Monte San Angelo

Hier soir et ce matin et ce matin nous croisons une palanquée de pèlerins polonais. Le Monte est catholique et, depuis Jean-Paul II le pape polonais, ce pays déverse ses touristes sur l’Italie. Nous avons affaire aujourd’hui à un car d’au moins quarante pèlerins, tous âges confondus de 30 à 75 ans. Hier, nous avons croisé un couple de Russes sur le sentier. À Bari, c’était deux mâles costauds, pâles et blancs, dans la basilique Saint Nicolas. Je reconnais facilement les Russes à leur apparence robuste et à leur teint trop blanc.

Il fait frais ce matin à 854 m et j’ai mis une couverture cette nuit.

Nous visitons l’extérieur du sanctuaire à saint Michel. Une inscription runique dite de Herebrecht figure dans la grotte.

Nous commençons la journée par l’église Sainte-Marie majeure, datant de 1170. Des sirènes tournantes forment une rosace sur le porche d’entrée de la cour. Frédéric II est représenté sur les tympans au-dessus de la porte qui date plutôt de 1198, agenouillé sous la Vierge au Bambin, la tête tournée vers le spectateur pour qu’on le reconnaisse.

À l’intérieur, une fresque représentant Saint-Michel et Saint-Georges. Le bénitier est païen. Une vierge en plâtre toute en rose et bleu, est entourée d’angelots potelés tout nus, de vraies pâtisseries.

Nous passons ensuite dans les ruelles montueuses de la vieille ville. Elles sont pittoresques mais beaucoup de maisons sont à vendre car trop anciennes. Elles sont à restaurer, à moderniser, et aucune place n’est prévue pour les voitures dans les rues trop étroites de cette ville loin de tout. Escaliers, passages couverts, pavés, linge au-dessus de la rue, toits plats recouverts de tuiles romaines, paraboles et antennes se succèdent en chaos paysager.

Le château normand a été reconstruit par les Angevins, remanié par Frédéric II et agrandi par les Aragonais. Une date de 1491 est gravée sur l’un des murs. En face, une boutique d’artisanat en bois propose de petits cercueils cadeaux avec une cigarette dessus. Envoyer un cercueil, dans les pays romains, est souvent un signe de la mafia pour menacer celui qui le reçoit… Ici, cela se veut un cadeau fumant.

Le collège moderne est graffité, c’est un bâtiment assez grand au-dessus d’une place arborée qui s’ouvre vers la mer. Il y a peu d’animation dans la ville : ceux qui travaillent dans la plaine, à Mattinata ou Manfredonia, sont partis ; la noria de leur voiture est passée ce matin vers 8 heures et repassera sous ma fenêtre vers 18h30. La rentrée scolaire, dans le sud italien, n’a lieu que vendredi prochain. Les écoliers et collégiens sont en vacances du 15 juin au 15 septembre, soit trois mois pleins d’été.

La boutique l’Ange des saveurs propose tout un choix de produits typiques du lieu : orecchiette, tomates confites à l’huile, huile d’olive, fromages, saucissons, biscuits, amandes, légumes secs du pays et même des cannes en bois brut taillées dans les maigres forêts d’ici.

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Noël renaissance

Noël, nouveau cycle, renaissance, Bambin – tout cela est symboles. Avant d’être récupérée par l’église chrétienne, Noël était la fête païenne du solstice d’hiver, le moment où le soleil au plus bas allait reprendre de la hauteur. Les êtres devaient l’aider en empathie, tout comme les Egyptiens chaque jour lorsqu’Osiris sur sa barque, dieu qui a vaincu la mort, remontait des profondeurs de la terre pour irradier le ciel.

D’où les bougies qu’on allume, moins pour faire joli dans la nuit que pour inciter le soleil à revenir l’an prochain, à chauffer la terre et ses vivants. D’où le sapin, arbre toujours vert donc les aiguilles ne roussissent que lorsqu’il est mort. D’où le houx et ses boules rouges, vivace en hiver, couleur sur la neige glacée, vivant parmi les morts. D’où le gui qui ne connait aucun cycle de déclin mais reste identique à lui-même sur la branche.

L’enfant est pour les hommes le symbole même de la vie qui renaît, à chaque génération, comme le soleil chaque fin d’année. Ce furent Osiris rené de ses morceaux épars, l’enfant de Cybèle, le Jésus de la crèche- le Bambin, comme l’appelait Voltaire, mi-ironique, mi-affectueux. L’enfant comme symbole de vie, signe d’espoir, foi sur l’avenir.

Noël est devenu en Occident une fiesta commerciale ; la masse se rue sur les « jouets » venus de Chine, les gadgets électroniques marketés aux USA et assemblés au Vietnam, assoiffée de champagne tout en se goinfrant de foie gras, chapons fins, huîtres et autres homards (du mousseux, de la ballotine, du poulet, des moules et des crevettes pour les pauvres).

L’avenir n’est plus qu’à court terme : le prochain confinement, la prochaine dose de rappel, les prochaines élections.

L’espoir n’est plus qu’en la barricade, la frontière, le repli ; un espoir régressif du « c’était mieux avant ».

La vie se meurt, on se capote, on se pilule, on s’avorte, on s’aime entre soi et sans l’autre sexe. Si le désir d’enfant est trop fort, on adopte un chien de poche comme jouet ou un petit métèque. C’est se donner bonne conscience, dans le suicide des siens. Le petit blond est en voie de disparition et la petite blonde vouée à épouser faute de grives un crépu coloré. Non que les métèques et les colorés soient moins dignes ni moins aimables, mais enfin : qui sommes-nous ? Voués à nous diluer sans combattre ?

C’est faute de le savoir, baignés dans l’irresponsabilité commerciale et la niaiserie papale du « tous frères » (la bonne blague ! dites-ça aux victimes du Bataclan !), que la foule démissionne dans l’ambiance Disney du melting pot et la grande samba du divertissement à bas prix. Le fric, le sexe et le pouvoir, il n’y a pas à sortir de là. Creusez Noël et vous les trouverez. Sans plus aucune transcendance.

Bien loin de « la fête » populaire traditionnelle.

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Martin Amis, London Fields

martin amis london fields
Dès les premières pages, l’auteur nous annonce un assassinat et désigne l’assassin. Plus de 700 pages plus tard, l’événement survient. Entre temps, une peinture de la société londonienne qu’il projette à la fin du millénaire, mais une peinture à la truelle, pas au pinceau. Le roman tient plus du pensum que du léger. Il y a un bon tiers de longueurs, des pages carrément chiantes (l’auteur use de cette vulgarité de vocabulaire pour faire « vrai ») – et ce n’est pas de la faute de la traductrice, puisque d’autres pages sont incisives et sèches selon le talent habituel de l’écrivain.

Martin Amis n’aime pas l’allure que prend son siècle ; il le dit et l’amplifie, situant sa fiction dix ans plus tard. Il considère que, malgré l’émancipation des années 60 et 70, le Royaume-Uni reste un pays où les classes sociales restent plus marquées qu’ailleurs et continuent de façonner la société. Il tente (donc ?) de passer outre en peignant (laborieusement) un personnage lower class, amateur de bière, de meufs et de fléchettes, cambrioleur raté détestant tout travail et inapte à la paternité. Pour le contraste, il l’oppose à un banquier de la City, époux papa, chic et littéraire. Entre eux deux, Nicola la pute qui allume le banquier Guy avec le malfrat Keith, tout en offrant à la vulgarité de Keith les fantasmes de la classe de Guy. Vous avez compris ? Pas vraiment, l’auteur non plus.

Il apparaît au fil des pages que l’intrigue est un prétexte à écrire dans l’écriture, à inoculer l’auteur dans ses personnages. London Fields n’a rien de la fraîcheur ni de la décision d’Orange mécanique ; il semble pourtant en être inspiré. Mais Amis se met en scène imaginant des caractères ; ceux-ci prennent leur autonomie et infléchissent la fin prévue, « tuant » l’auteur qui est lui-même assassin. Vous suivez ? Toujours pas ? L’auteur pas vraiment non plus, ce qui fait désordre. Quand il se perd, il s’étend et bavasse, tire des mots pour disserter à mesure qu’ils apparaissent dans l’histoire, en « une tentative d’épuisement » – certes expérimentale comme c’est la mode des milieux zartistiques – mais particulièrement indigeste à suivre : une impasse tout comme souvent l’art contemporain et la musique atonale. Ainsi passent sous le microscope littéraire la pluie, le baiser, les toilettes, les céréales du petit-déjeuner, les culottes, les baby-sitters, la glycérine (si, si !)…

Certains personnages sont réussis, comme le bambin Marmaduke, tyranneau de la première adolescence (2 ans), qui n’hésite pas à mordre au sang, à planter ses doigts dans les yeux et à hurler tant et plus en déchirant ou détruisant tout ce qui passe entre ses mains – le vrai fantasme du bébé garçon pour un mâle anglais. L’auteur avait à cette époque un fils, Louis, qui avait un peu plus d’un an : s’en est-il inspiré ? Tout autre est le bébé fille Kim, battue et brûlée à la cigarette par sa mère, femme du malfrat Keith ; l’auteur en tombe amoureux et la protège. Il avait, dans la vraie vie, une fille inconnue qu’il n’a découverte qu’en fin d’adolescence ; peut-être introduit-il ici sa nostalgie de paternité frustrée ? Réussis aussi sont les types de Noirs chaloupant des milieux interlopes, terrés dans les pubs enfumés à frimer et jouer au billard le jour avant d’aller braquer un appart ou casser une vitre pour l’autoradio le soir, passant le reste de la nuit à taper sur des blondes (pas leur femme, Noire, à qui ils font maints gosses dont ils ne s’occupent jamais).

Mais lorsque l’on a épuisé l’attrait de ces quelques portraits, ne reste au final que le charme trop rare, dans ce roman pour moi raté, des quelques phrases acérées comme la plume Amis sait en tracer. Elles auraient dû constituer le cœur du livre ; elles ne font que surnager sur la bouillie passablement indigeste des 747 pages :

« A mon retour, deux ouvriers à moitié nus, qui mangeaient leurs œufs dures et buvaient de la bière (…) L’un avait seize ou dix-sept ans, mince et bronzé et tout à fait ravi des promesses de sa puissance ; l’autre, le plus âgé, le souffle court, trente ans, les cheveux longs et édenté, était bien détruit comme s’il vieillissait d’un an tous les deux mois » p.123.

« Vierge ! Ah ! ouais. Nicola n’avait encore jamais dit ces mots, même quand elle aurait pu : vingt ans plus tôt [à 13 ans], dans le petit intervalle entre le moment où elle avait découvert ce que cela signifiait et celui où elle avait cessé de l’être » p.312.

« Le triomphalisme revêche de Paris, la fureur et le désespoir de New York, l’audace, style chat et souris, de Rome, le meurtre en haillons du Caire, la longévité de bateau-théâtre de Los Angeles, la captivité industrielle de Bombay ou Delhi… » p.519.

« Ils pénétrèrent dans le pub et son univers bruyant de désirs primitifs, de désirs avoués, chaudement poursuivis et régulièrement gratifiés. (…) Les desiderata comprenaient des biens et des services, du sexe et de la bagarre, de l’argent et davantage de télé, et surtout, en une fatidique synergie, l’alcool et les fléchettes » p.591.

Pour ce genre de phrases, Martin Amis renouvelle La Rochefoucauld ; dommage qu’il fasse moins court.

Martin Amis, London Fields, 1989, Folio 2009, 747 pages, €10.07

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Grande Muraille et tombeaux des Ming

Nous prenons le petit déjeuner au buffet de l’hôtel, tous un peu ensommeillés. On peut manger du pain et des œufs, mais aussi des algues croquantes pimentées… Exclamations d’horreur de ces dames. Le car nous attend pour la visite prévue aux tombeaux des Ming et à la Grande Muraille.

tombeau des ming allee

Dans le petit matin gris et brumeux de la Chine du nord roulent des vélos en tous sens et des camions fumeux, très lents. Le temps est plus froid qu’hier, il fait –5°. Nous traversons Pékin-vieille, aux trottoirs remarquablement propres comparés aux crottoirs de Paris. Après le gigantesque périphérique en hauteur, Pékin-neuf voit traîner quelques sacs en plastique et papiers dans les buissons au pied des immeubles. Les parkings à vélos sont bien remplis. Parfois, nous croisons la Volga noire d’un apparatchik, cette auto stalinienne de luxe imitant la Cadillac.

La visite guidée nous arrête à dépôt-vente d’objets artisanaux pour touristes. Il s’agit d’exploiter la manne des capitalistes en goguette bourrés d’argent. L’ouverture économique a peut-être fait décliner l’appellation de « camarade » au profit de « Monsieur, Madame, Mademoiselle », mais l’activisme scolaire pour promouvoir la vente est aussi pesant que celui pratiqué autrefois pour « construire la révolution ».

tombeau des ming soldat

Les Tombeaux des Ming sont en pleine campagne. Une allée sacrée y conduit, les animaux et personnages de marbre sont mis en cage pour qu’on ne touche pas : c’est la Voie des Esprits, allée d’honneur du cortège funéraire de l’empereur. Les foules chinoises ont en effet la vulgarité de « toucher » et  salir ; la chiourme veille donc, en utilisant les éternels procédés administratifs : panneaux d’interdiction, barrières, gardiens, amendes… La bureaucratie se réinvente partout à l’identique. Mais les alentours sont soigneusement balayés, comme dans un cantonnement militaire. La discipline socialo-administrative insiste toujours sur ce qui se voit. Les bidasses ont les mêmes réflexes durant leur service. Lettrés, fonctionnaires, militaires comme lions mythiques, xiechi (bête imaginaire), chameaux, éléphants, licornes, chevaux, restaient de marbre en saluant le maître du monde qui s’en allait à sa dernière demeure. Le tombeau du Troisième Ming, Yongle, est original car il s’agit du premier Ming à s’être fait enterrer volontairement dans cette vallée en 1424. Seize concubines royales y ont été brûlées vives pour l’accompagner. Cet empereur Yongle a fondé la Cité Interdite à Pékin.

tombeaux des ming Changling arche

Le terrain est partout quadrillé par des vendeurs de gadgets. Une vendeuse emmitouflée présente à son étal des oranges et de grosses pommes jaunes soigneusement disposées sur des écrins de papier. Son bambin, tout de rouge encapuchonné, montre du doigt cet étranger « long nez » qui photographie.

tombeaux des Ming Changling

Nous visitons néanmoins un bel ensemble de temples en bois et de jardins aux sapins centenaires. Ils ont échappé on ne sait pourquoi aux hordes scatologiques de Mao qui exigeaient faire table rase de tout. Pour construire quoi ? Tous l’ignorent. Détruire est une jouissance en soi pour l’adolescence et tout prétexte religieux (ou idéologique, ce qui est la même chose) est bon. L’atmosphère de ces temples me rappelle celle des temples japonais, en plus grouillant et plus rustique, mais avec ce souci religieux du jardin, ancré plus profond que les croyances mêmes. Ordonner la nature, maîtriser ce qui pousse, arranger les massifs, est une ascèse qui se suffit à elle-même. Comme si l’on s’approchait de Dieu en jouant son rôle de maître et possesseur de la nature. La promenade solitaire, sous les pins de la colline, le long du chemin de ronde qui entoure la butte de la tour, me fut un délice.

grande muraille Badaling

Nous déjeunons à la Grande Muraille. Le restaurant « choisi » (par la visite officielle) est un débit à touristes. La nourriture est quelconque, prise à la baguette, dans tous les sens français de ce mot. La Grande Muraille est le seul monument terrestre visible aujourd’hui depuis la lune. C’est dire son gigantisme. Cette muraille aurait servi, selon les justifications des empereurs, à protéger la Chine des envahisseurs mongols. Elle a été bâtie et complétée régulièrement du 5ème au 16ème siècle. Les historiens penchent aujourd’hui plutôt pour une fonction d’isolement… intérieur ! Il s’agissait d’empêcher les sujets chinois d’aller se perdre dans les étendues mongoles pour échapper au fisc et aux soldats de l’empereur. La Muraille délimitait aussi la ligne de partage entre nomades et sédentaires, entre « désert » et terre « cultivée », entre barbarie et civilisation, le chacun maître de soi et l’État militaire et fiscal. L’empire du Milieu était aussi un empire fermé. Dehors est le chaos, les démons menant une vie errante ; dedans est l’harmonie hiérarchique et patriarcale sous la houlette de l’empereur. La Chine développe l’angoisse du sans limite ; elle est obsédée – comme la France – par le jardin maîtrisé. A-t-elle aujourd’hui changé ? Et nous ?

Sur les remparts, restaurés pour quelques centaines de mètres, le soleil a percé un tantinet la brume. Le vent souffle, il fait froid. La Muraille court sur les crêtes et barre la vallée. Elle monte et descend, épousant le relief de ses larges dalles grises aussi loin que peut porter le regard. Beaucoup de Chinois s’y promènent en ce lundi. Le grand chic est de se photographier l’un l’autre. Ils sont accompagnés d’enfants qui ne sont pas à l’école. Passe un jeune garçon entre son père et sa mère. Ses yeux sombres sont interrogateurs mais il me sourit lorsque je le salue d’un signe de tête. Une chinoise pose pour l’album de souvenirs au côté d’un soldat de bois armé comme en l’an mil. Elle a pris la même attitude martiale que lui, politiquement correcte en Chine, la poitrine paonnante et le menton haut, avec l’inévitable air préoccupé et mortellement « sérieux » de tout bon partisan.

grande muraille

Au bas de la muraille, le commerce bat son plein. J’assiste à des négociations épiques de nappes brodées, arrachées après marchandage comme s’il s’agissait de tapis. Les femmes craquent devant les motifs de fleurs et les prix. On rit. Les chinoises, prises par l’avidité du commerce s’excitent et deviennent convaincantes. Elles ont l’anglais roublard. Quelle idéologie peut-elle être aussi efficace que l’intérêt personnel ? Le fanatisme de secte ?

Nous remontons dans le car pour rentrer à Pékin. La route, monotone, nous fait somnoler par à-coups. Et c’est l’inévitable arrêt, sur le chemin, pour visiter une fabrique de vases en bronze au décor cloisonné. L’artisanat est purement manuel dans des locaux collectifs. Des compartiments de cuivre sont collés sur la surface du vase. Ils reproduisent un motif qu’un second atelier est chargé de remplir d’émail de couleur, en dégradant les teintes là où il le faut. La chaîne se poursuit par un passage au four. Le vase est ensuite poli. Une grande salle de présentation sert à la vente directe. Elle est emplie de vases, de boites, de plats, jusqu’à des baguettes pour dîner et des stylos dans le même style ! Je trouve ce décor cloisonné plutôt chargé, et la forme des objets chinois tarabiscotée. Mais certains tons, en harmonies de verts et de bleus me séduisent, des décors de fleurs sur fond noir aussi.

Nous revenons à l’hôtel vers 19h après une rude journée. Cette fois, pas question de goûter au buffet officiel, insipide et au service peu aimable. Nous allons non loin de là, dans un restaurant conseillé par le guide de Pékin que j’ai emporté, au Donglaishun. Cet endroit est réputé pour sa « fondue mongole ». Il s’agit de carpaccio de mouton, accompagné de chou cru, que l’on plonge à cuire dans l’eau qui bout sur le brasero au centre de la table. On mange viande et légumes assaisonné d’une sauce au sésame et à la coriandre fraîche. Un ami se régale, sa femme et ses belles-sœurs sont moins friandes de ce mouton qui sent fort et dont il faut enlever le gras. L’endroit, en tout cas, est original. J’avais entendu des gens, dans le car, en parler ce matin. Nous prenons ailleurs le dessert – car les Occidentaux ne peuvent se passer de sucré en fin de repas. Nous allons nous installer au bar à thé de l’hôtel pour prendre une linzertart – bien occidentale – après avoir sacrifié au rituel du léchage consciencieux des vitrines chic d’artisanat du hall. Elles regorgent de sceaux de jade, de boites en porcelaine, de bols en bois, de statuettes. Il y a de belles choses, mais il est nécessaire d’examiner ce qu’il y a ailleurs avant de se décider.

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