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Cathédrale de Palerme

Palerme a été fondée par les Phéniciens, un comptoir dans un « bon port » (panormos). La flotte de Carthage, battue à Himère par les Grecs en 480 avant, s’y réfugie. Au cours de la première guerre punique, elle est conquise par les Romains en 253 avant, puis par les Ostrogoths en 535 après, une fois l’empire romain effondré. Reprise par Bélisaire pour Byzance, Palerme est conquise par les arabes en 831 jusqu’à ce que les Normands s’en emparent en 1072. Les Hohenstaufen en sont maîtres en 1194, puis les Angevins en 1266, puis les Aragonais en 1282 et les Espagnols.

Devant la Porta Nuova, puis devant la cathédrale, le guide égrène la litanie des comtes et des rois, des remaniements et des styles. Nous ne visitons pas toute la cathédrale, fondée par Guillaume II vers 1135, prévue le dernier jour, mais nous allons voir notamment les tombeaux royaux.

Deux tours encadrent la façade du XIVe ornée d’un portail gothique et reliée par des arcs à un clocher refait au XIXe. A gauche de la façade, la loggia dell’Incoronata des XIIe et XVIe, où les rois se présentaient au populo après leur couronnement. Fuga au XVIIIe a remanié le Duomo, notamment par une coupole contestable, qui écrase le bâtiment. Nous entrons dans la cathédrale par le côté droit, début XVe.

Dans les chapelles (visite payante), les tombeaux des souverains de Sicile. Celui en porphyre rouge de Frédéric II Hohenstofen la « stupeur du monde » (1250), celui d’Henri VI (1197), celui de Roger II (1154), celui de sa fille Constance (1196).

La chapelle à droite du chœur contient les reliques de sainte Rosalie dans une châsse en argent de 400 kg, datant de 1431. Elle est la patronne de Palerme. Rosalia Sinibaldi est née vers 1125 au sein d’une famille noble normando-sicilienne et morte en 1160. Son père fut sauvé à la chasse par un comte qui demanda sa main. Malgré ses 14 ans, elle vit dans son miroir le visage de Jésus et refusa le mariage. Elle s’est retirée en ermite dans une grotte des monts Sicanes, sur les terres de son père, avant d’émigrer vers une autre grotte du mont Pellegrino, au-dessus de Palerme. Durant la peste de 1624, aucune sainte n’est parvenue à guérir la ville, seule Rosalie apparut à une femme qui but de l’eau de san Pellegrino et fut sauvée. La peste s’est arrêtée l’année suivante et ce « miracle » a fait de Rosalie l’une des trois grandes saintes de Sicile avec Lucie de Syracuse et Agathe de Catane. Après la découverte de son corps le 15 juillet 1624 et pour remercier la Sainte d’avoir sauvé leur ville de la peste, les Palermitains ont pris l’habitude de la célébrer durant un festival de six jours appelé U Festinu, du 10 au 15 juillet de chaque année. Mais elle n’a guère fait de miracle durant la pandémie de Covid 19. Ses festivités ont été annulées.

Des lycéens visitent le monument aussi, tous en T-shirt sauf un débardeur, certains en uniforme. Mais la couleur unique du tee-shirt ou du débardeur fait uniforme. Quelques filles arborent leur ventre nu. Les élèves sont sympathiques avec leur professeur malgré leurs hormones de 16 ans. L’enseignement général n’est que jusqu’à 15 ans et, dès le lycée, les adolescents choisissent leur spécialité : lettres, sciences, économie, langue. Ils ont seulement quatre matières, aucune autre. Ils sortent un peu plus faibles que les élèves français en culture générale mais les matières qu’ils préfèrent sont mieux assimilées avant l’université. Ils parlent par exemple bien mieux les langues que les Français, les pratiquant en intensif. Côté vacances, ils ont trois mois l’été de mi-juin à mi-septembre, mais seulement une semaine à Noël et une semaine à Pâques. Pas plus. Il est mauvais de se déshabituer à travailler.

Le bus passe devant le Palais de justice, imposant, de style mussolinien, net et carré. Mais il s’avère beaucoup trop petit tant il y a de procès. le guide nous dit qu’il y a à Palerme autant d’avocats qu’à Rome. Une annexe a été bâtie derrière.

A l’hôtel Principe di Villafranca, via Giuseppina Turrisi Colonna, une fois les chambres prises (sans ascenseur) et les bagages déposés, un peu rafraîchis, nous allons dîner au Vino Divino, Piazza Sant’Oliva. Le restaurant est original, les murs couverts de casiers à vins de Sicile et d’Italie. Il sort par son menu de la trilogie italienne des pâtes, risotto et pizza. Nous avons une friture en entrée, puis un demi-filet de dorade (trop cuit) sur une purée de potiron, et une salade de fruits en dessert. Les boissons sont à notre charge, nous prenons évidemment de l’eau en bouteille, et un bon vin blanc de Sicile à six euros le verre. Il est bio.

Une averse chaude nous mouille lorsque nous sortons du restaurant à la nuit tombée. Notre hôtel est le Principe de Villa Franca, autrement dit le prince de Villefranche. Il n’est qu’à quelques centaines de mètres.

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Alix le héros occidental

« Alix est né en une nuit, inspiré par la statuaire grecque et par la ‘Salammbô’ de Flaubert », dit Jacques Martin qui lui donna le jour en 1948. Alix surgit brusquement dans l’histoire vers l’âge de 15 ans, en simple pagne bleu de travail, les pieds nus. Il est esclave dans les confins barbares, une ville assyrienne où il a été vendu par les Phéniciens. Il doit sa liberté au chaos voulu par les dieux sous la forme d’un tremblement de terre et à la fin d’un empire asiatique sous les coups de boutoir de l’armée romaine. Double libération des forces obscures. Adoubé par le général Parthe Suréna qui lui met la main sur l’épaule, lui donne une épée et le dit « courageux », il se voue à Apollon et à César.

Dès le premier album, Alix se lave de son esclavage initiatique en renaissant par trois fois : par la mère, par le père et par l’esprit.

  • Capturé par des villageois superstitieux qui veulent le massacrer, il est poussé dans le vide et plonge dans l’eau amère. Il en émerge, renaissant, la main sur le sein, tel Vénus sortant de l’onde.
  • Puis, grondement mâle, Vulcain se fâche et fait trembler la terre qui s’ouvre pour avaler le garçon. Alix est sauvé d’un geste de pietà par le bras puissant de Toraya, un barbare qu’il séduit parce qu’« il lui rappelle un fils qu’il a perdu jadis ».
  • Dernière renaissance : la civilisation. Butin de guerre de soldats romains, Alix est racheté par le grec Arbacès, séduit par sa juvénile intrépidité. Marchand cynique et fin politique, il tente de le l’utiliser à son profit en tentant d’abord de le séduire, puis en le cédant au gouverneur romain de Rhodes, Honorus Gallo Graccus. Ce dernier a commandé une légion de César lors de la conquête de la Gaule. Il a fait prisonnier par une traîtrise familiale le chef Astorix (créé avant Goscinny !), a vendu la mère aux Égyptiens et le gamin aux Phéniciens. Il reconnaît Alix qui ressemble à son père. Comme il a du remord de ce forfait, il adopte donc l’adolescent pour l’élever à la dignité de citoyen et à la culture de Rome.

Durant les vingt albums dessinés par Jacques Martin, Alix a entre 15 et 20 ans. Il a du être vendu par les Romains vers 10 ans pour devenir esclave, avec tout ce que cela peut suggérer de contrainte physique, de solitude affective et de souplesse morale. Mais, tels les jeunes héros de Dickens, cœur pur et âme droite ne sauraient être jamais corrompus. Alix a subi les épreuves et n’aura de cesse de libérer les autres de leurs aliénations physiques, affectives ou mentales. Enfant sans père, il offre son modèle paternel aux petits.

C’est pourquoi, comme Dionysos ou Athéna, Alix surgit tout grandi d’un rayon de soleil dans Khorsabad dévastée. Apollon est son dieu, son père qui est aux cieux. Il a comme lui les cheveux blonds et le visage grec. Astucieux, courageux, fougueux – rationnel – le garçon voit son visage s’illuminer dès le premier album, ébloui d’un sourire lorsqu’il aperçoit la statue d’Apollon à Rhodes. Dans le dessin, l’astre du jour perce souvent les nuées.

Alix aime la lumière, la clarté, la vérité – comme le Camus de ‘Noces’. Il recherche la chaleur mâle des rayons sur sa nuque, ce pourquoi il pose souvent la main sur l’épaule du gamin en quête de protection. Ce pourquoi il va si souvent torse dénudé, viril et droit au but : il rayonne. Son amour est simple et direct, son amitié indéfectible. Il ne peut croire à la trahison de ceux qu’il aime, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour les protéger et les sauver. Apollon est le dieu qui discipline le bouillonnement de la vie jeune, ces hormones qui irriguent l’être du ventre à la tête en passant par le cœur. L’élan vital fait traverser le monde et ses dangers poussé par une idée haute, une force qui va, sûre de son énergie au service de la bonne cause.

Alix adolescent ressemble à l’éphèbe verseur de bronze trouvé à Marathon. Il est une version idéalisée en blond de Jacques Martin jeune. L’autoportrait de 1945 de l’auteur (publié dans ‘Avec Alix’), montre les mêmes cheveux bouclés, le nez droit, les grands yeux, le visage allongé. Cet égotisme permet la mise en scène de son propre personnage, projeté dans une époque où tous les fantasmes pouvaient se réaliser sous couvert d’aventures et de classicisme historique.

Dès les premières pages du premier album, Alix « l’intrépide » est malmené sadiquement par les adultes. Empoigné, frappé, jeté à terre, cogné, lié à une colonne pour être brûlé vif, il n’oppose que sa chair nue, ses muscles naissants et son cœur vaillant au plaisir quasi-sexuel que les brutes ont à faire souffrir sa jeunesse. En 1948, l’époque sortait de la guerre et la brutalité était courante ; les adultes se croyaient mission de discipliner l’adolescence pour rebâtir un monde neuf. Le jeunisme et la sentimentalité pleureuse envers les enfants ne viendront qu’après 1968 et dans les années 1980.

Alix sera assommé, enchaîné torse nu dans des cachots sordides, offert aux gladiateurs, fouetté vif pour Enak avant d’être crucifié comme le Christ.

Les jeunes lecteurs aiment ça, qui défoule leurs pulsions. Ils l’ont plébiscité. Les albums des dix dernières années sont moins physiques, moins sadiques ; l’autoritarisme adulte a reculé au profit de passions moins corporelles. Les filles sont désormais lectrices d’Alix à égalité avec les garçons.

A partir des ‘Légions perdues’, Alix prend dans le dessin le visage de l’Apollon du Parthénon, sur sa frise ionique est. Dans ‘Le fils de Spartacus’, il s’inspire un peu plus du David de Michel-Ange (p.8).

« Rien de tel pour se réveiller que ce brave Phoebus », dira Alix dans ce même album (p.36). Apollon fut condamné à la servitude pour avoir tué python le serpent – tout comme Alix fut esclave. Apollon veille à l’accomplissement de la beauté et de la vigueur des jeunes gens – tout comme Alix élève Enak et Héraklion. En revanche, Apollon invente la musique et la poésie, arts peut-être trop féminins vers 1950. Alix y paraît tout à fait insensible, n’étant ni lyrique, ni philosophe, mais plutôt de tempérament ingénieur. Le propre d’Apollon est aussi la divination, or Alix reste hermétique aux présages et aux rêves (apanages d’Enak) qui se multiplient dans ses aventures.

L’hiver, il est dit qu’Apollon s’installe chez les Hyperboréens, loin dans le nord. Alix, de même, revient plusieurs fois à ses sources gauloises – le plus souvent dans un climat neigeux et glacé. La Gaule hiberne encore, elle ne s’éveillera que fécondée par la puissance romaine – la civilisation. Les filles qu’aime Apollon meurent le plus souvent : Daphné devient laurier, Castalie se jette dans un torrent, Coronis meurt sous les flèches. On ne compte plus les jeunes filles amoureuses d’Alix qui disparaissent.

Alix, solaire, rayonne. Le poète chinois, dans ‘L’empereur de Chine’, lui déclare : « tu es bon et courageux, fils du soleil (…) parce que ton cœur est généreux. » Par contraste, Enak est terrestre, mélancolique et nocturne. Alix le réchauffe à ses rayons, l’entraîne en aventures par son débordement d’énergie. Le gamin est comme une plante avide de lumière, terrorisé quand il est seul. Comme le dieu, la présence d’Alix suffit à chasser les idées noires et les démons, à déranger les plans des méchants, précipitant leur démesure et amenant le dénouement.

Alix est la raison romaine, évaluateur moral et bras armé de l’ordre civilisateur, impitoyable à la cruauté et à la tyrannie. Alix n’admet ni les despotes ni les marchands ; ils rompent l’équilibre humaniste. Vendu plusieurs fois, à des Phéniciens puis par Arbacès (‘Alix l’intrépide’), il combat les menées des riches égoïstes (‘L’île maudite’), des naufrageurs avides (‘Le dernier spartiate’), la lâcheté des marchands contre ceux qui font régner la terreur (‘Le tombeau étrusque’, ‘Les proies du volcan’), les exploiteurs de la révolution (‘Le fils de Spartacus’) ou des technologies d’asservissement (‘Le spectre de Carthage’, ‘L’enfant grec’). Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Dans les derniers albums issus des scénarios préparés par l’auteur (décédé depuis), il contre l’enrichissement personnel maléfique (Le‘Démon de pharos’) et s’oppose aux nationalistes ethniques de la Gaule bretonne (‘La cité engloutie’).

Rappelons que le personnage d’Alix a su séduire François Mitterrand et Serge Gainsbourg, tous deux personnages de talent et non-conventionnels.

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Dessins de Jacques martin tirés des albums chez Casterman :

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