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La nécessité commande toutes choses, dit Alain

Tel Platon partant d’un beau visage et d’un corps désirable et montait, par degré, jusqu’au suprême Bien, le philosophe Alain part d’une observation terre à terre, celle d’une simple écluse qu’il voit manœuvrer, pour appréhender « le changement de toutes choses et ce que c’est que la Nécessité ».

C’était en octobre 1907, et il admire une écluse « un des plus beaux spectacles qu’on puisse voir ». Pourquoi beau ? Parce qu’un bateau chargé de pierres avec son équipage et une famille pleine d’enfants est soulevé par la puissance de l’eau. L’écluse est le mécanisme technique qui permet de dompter l’eau en la faisant servir, tout comme le moulin sur la rivière.

Mais que l’eau soit relâchée et, libre, elle devient dévastatrice, une force en mouvement. Sans remonter au Déluge, mythe biblique, qu’il pleuve trop et les égouts parisiens débordent. L’inondation guette – la grande crue de 1905 était encore dans toutes les mémoires. Enfant, le petit Émile (qui est le vrai prénom d’Alain), a lancé des bateaux sur le ruisseau. Mais lorsqu’un grondement parvenait du moulin, il savait que le meunier avait lâché les vannes, et que l’eau accourait qui emportait tout sur son passage. « C’est là que pour la première fois j’ai éprouvé une espèce de terreur religieuse », avoue le philosophe. C’est en décembre 1995 le drame des enfants du Drac, sept morts dont une accompagnatrice et six enfants de CE1 d’une école privée près de Grenoble, dans un lâcher de barrage non prévu. EDF a été condamné, mais ni la commune ni l’Education nationale, foncièrement « irresponsable » par construction bureaucratique.

Même émotion quand, plus grand, Alain a vu la mer et son immensité, la force des tempêtes, l’ampleur des marées et la hauteur des vagues. Que peut-on contre le soleil qui se lève, s’interrogeait ironiquement Staline à propos du communisme, « loi de l’Histoire » ? Que peut-on contre l’eau qui monte, s’interroge sérieusement Alain, loi de la nature ? Même lorsque l’eau est prise dans les glaciers : ils avancent inexorablement, charriant les rocs et rabotant les montagnes sur leur passage vers la pente. Ou, s’ils fondent, ils sapent le terrain, préparant des glissements redoutables.

Prenons-nous conscience de cette force ? De cette inexorabilité des éléments ? Alain en doute : « Leçon importante, qui est bien dans les livres, mais à peu près comme Dieu est dans les églises », dit-il. On le sait, mais on n’y croit guère. Et pourtant, la Nécessité fait loi. Il a fallu le grand tsunami de 2004 en Thaïlande pour qu’on installe enfin des stations de surveillance sismique dans cette région instable. On dit qu’une nouvelle grande crue à Paris est prévue et que l’on a des plans au cas ou. Faut-il croire qu’ils seront réalistes ? Suffisants ? Bien anticipés ?

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

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D.H. Lawrence, La poupée du capitaine

Une troisième novelle de 1917, publiée seulement en 1923 (traduite aussi par L’homme et la poupée) qui reprend les thèmes qui obsèdent l’écrivain : le trio amoureux antagoniste, le mari, la femme, l’amante, l’amour possession jamais accompli, le choc des volontés et des emprises. La situation est toujours la même, la fin de la guerre de 14-18, la démobilisation, les hommes déboussolés, les femmes émancipées, les âmes retournées.

Hannele, la comtesse exilée en Rhénanie occupée par les Alliés, et dont le titre aristocratique a été aboli par l’Allemagne de 1919, survit à Cologne en cousant des broderies et des poupées reconnues pour leur qualité. Elle en réussit une fort réaliste du capitaine Alexander Hepburn, son amant non consommé. La poupée du capitaine est donc en premier un objet réel qu’Hannele manipule à l’envi, « et c’était tout à fait indécent », note l’auteur. Mais elle peut représenter aussi son autrice, la comtesse elle-même, qui exorcise ainsi son « amour » (quel que soit le nom qu’on donne à cette emprise) et l’objective à ses yeux. Car le capitaine est « mince, délicatement fait, les épaules légèrement et élégamment voûtées (…) des yeux sombres grand ouverts, et cet air de hauteur et de parfaite modestie qui caractérise l’officier et le gentleman. (…) de belles jambes fines » p.704 Pléiade.

Par ailleurs, ce capitaine est incapable d’aimer, comme de vivre. Son épouse restée en Angleterre vient le reconquérir, amie du général commandant son mari. Elle a eu vent de rumeur d’une liaison et ne veut pas quitter sa situation confortable d’épouse ayant fait son devoir, donné deux enfants au capitaine, tout en le voyant peu, toujours avec courtoisie. Une indépendance dans la reconnaissance sociale, état enviable dans la société d’après-guerre. C’est pour cela qu’ayant vu la poupée, elle veut à tout prix l’acquérir, elle assure ainsi, comme dans le culte vaudou, son emprise sur son mari. Lequel la revoit à l’hôtel, couche avec elle si elle le désire – mais lui n’en a pas. Lorsque sa femme écrit à Hannele pour la menacer de la faire expulser si elle ne lui vend pas la poupée promise, le capitaine s’aperçoit qu’elle est tombée par la fenêtre et s’est tuée. Accident ou crime ? La coïncidence est troublante, mais le sujet est éludé au profit de la métaphore d’un oiseau en cage qui se serait enfin envolé.

Après cela, Hepburn rentre en Angleterre, quitte l’armée, établit ses enfants qui lui sont indifférents en pension, et liquide ses affaires. Il n’est attaché à rien, se contente de faire son devoir, de suivre les règles. La guerre a fait dégénérer les hommes, les a rendus lâches, soumis aux ordres, donc à leur femme au retour. Hannele s’en rend compte lorsqu’elle prend le thé avec l’épouse et le capitaine, ce ne sont de la part du mari que « oui, mon amie ! Certainement. Certainement j’irai » p.740. Le militaire est la poupée de la maîtresse de maison et Hannele ne l’avait pas vu ainsi. L’amour féminin est celui d’une goule : il enserre, emprisonne, soumet – dévirilisant le mâle pour en faire une poupée (p.791). Lawrence avait une peur bleue de cette dévitalisation.

Pour lui, comme pour ses personnages masculins, l’amour est une volonté d’absorber l’autre au lieu d’être une passion égale. D’où le choc des volontés : active pour le mâle, qui veut conquérir, dompter, se faire adorer ; passive pour la femelle, qui veut agripper, conserver, soumettre. Hepburn a été chevalier servant de la dame son épouse, il envisage désormais d’être vénéré comme un dieu par sa maîtresse, qu’il veut comme nouvelle épouse. Il reste objet, mais de poupée se veut statue, aussi froid et mort, inaccessible, que cette lune qu’il contemple dans son télescope les nuits claires. Hannele reste envoûtée par sa présence physique, comme une femelle animale soumise au mâle de par la nature.

Lawrence insiste beaucoup sur le côté physique des êtres humains. Leurs corps révèlent leur désirs, leurs passions, leur âme. Leur attrait fait leur beauté, et peut permettre le lien sensuel, affectif et spirituel que l’on englobe sous le terme fourre-tout « d’amour ». Ce serait au fond une attraction universelle des énergies, analogue au magnétisme pour le minéral. Lors d’une excursion dans le Tyrol, il note la nudité des « cous virginaux », des bras, des torses, rendant les jeunes hommes blonds des Siegfried wagnériens et les jeunes femmes robustes, « corsage déboutonné », des guerrières germaines (p.768). Lorsqu’il traverse le lac dans une barque pour prendre le thé avec Hannele qui l’a invité chez des amis, Hepburn aperçoit « un grand jeune homme coiffé d’un petit bonnet rouge et vêtu d’un minuscule pagne rouge autour de ses minces et jeunes hanches (…) Un garçon dont la mue est presque achevée » p.759. Il dit son admiration pour ce corps animal, « le garçon nu, qui marchait avec sang-froid. Il ferait un homme splendide, et il le savait » p.762. Lui aurait pu « aimer » son fils, s’il était comme cela.

L’altitude exalte l’énergie génésique, chez l’homme comme chez la femme. L’écrivain le décrit bien : « Elle détestait l’effort de l’ascension, mais l’air de l’altitude, le froid dans l’air, le hurlement de chat sauvage que produisait l’eau, ces affreuses parois de roche bleu foncé, tout cela l’exaltait, l’excitait, induisant un autre type de sauvagerie » p.767. L’ex-capitaine Hepburn veut aussi soumettre la propension au sublime des romantiques anglais qui ont inventé l’alpinisme, comme des romantiques allemands qui se sont laissés griser par les montagnes à la Caspar David Friedrich. Il déteste ces paysages grandioses où le minéral règne, où toute activité demande un effort, où des hordes de touristes en short arpentent les sentiers. Mais il veut vaincre, comme la nature qui semble se mordre elle-même dans une frénésie quasi sexuelle, « les grands crocs et balafres de glace et de neige plantés dans la roche, comme si la glace avait mordu dans la chair de la terre. Et de la pointe des crocs l’eau rauque poussait son cri natal en dégringolant » p.770. Ce pourquoi il monte sans assurance sur le glacier, juste pour prouver qu’il est supérieur aux forces naturelles : « c’était son unique désir, monter dessus » p.780. Une métaphore sexuelle, d’autant que « la glace parût si pure, comme de la chair. Non pas brillante, parce que la surface était douce comme un épiderme doux et profond, mais la glace était pure jusqu’à des profondeurs immenses » p.781.

Il aurait pu glisser, tomber, périr, et le lecteur un instant s’y attend, mais non. Ce n’est pas l’objet de la nouvelle. Elle est sur l’amour – impossible sans compromis. Pour lui, une femme qui aime ne doit pas faire une poupée de son mari, mais respecter les règles. Celles du mariage selon la bonne société et la religion, que Lawrence raille lorsqu’il est proféré que l’épouse doit honorer et obéir à son époux – « cela figure dans la cérémonie du mariage » p.793. Lui préfère « une épouse, aimée et chérie en tant qu’épouse, et non en tant que femme qui flirte » p.793. La fin offre une sorte d’amour, bancal, un os laissé à ronger au lecteur.

David Herbert Lawrence, L’homme et la poupée, Folio 1982, 352 pages, €9,50

D.H. Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, Gallimard Pléiade 2024, 1281 pages, €69,00

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Arnaldur Indridason, Ce que savait la nuit

A l’approche de la soixantaine, l’auteur quitte l’action pour l’empathie. Exit l’inspecteur Erlendur, introduction de l’ex-policier Konrad. Veuf et tout juste à la retraite, Konrad est obsédé par une vieille affaire d’il y a trente ans, jamais résolue malgré son enquête, la disparition de Sigurvin, entrepreneur.

Deux événements précipitent le retour : la découverte du cadavre congelé de Sigurvin sur le glacier Landjökull et la sollicitation du principal suspect Hjaltalin (prononcez yaltaline) dans l’affaire Sigurvin de parler à Konrad avant sa mort imminente pour cause de cancer. Konrad, qui n’a rien à faire sauf amuser ses petits-fils jumeaux de 12 ans le dimanche, se reprend au jeu du flic et du voyou.

Il va interroger et requestionner un à un tous les protagonistes survivants de cette intrigue interminable et complexe, occasion d’entrer dans les intérieurs et d’aborder les vies à la manière de Simenon. Il va arpenter Reykjavik, capitale de l’Islande, et mesurer combien la modernité a défiguré et abîmé la ville depuis son enfance.

Né le jour avant l’indépendance de l’île, il s’amuse d’avoir été brièvement sujet du roi du Danemark. La crise financière de 2008, qui aboutit à la faillite des banques du pays et à l’effondrement de l’immobilier, est terminée mais a laissé des traces jusque dans les familles. Certains se sont reconvertis en guides à touristes (d’où la découverte par un groupe de vieux Allemands du cadavre sur la glace), d’autres en propriétaires de casse automobile (les pièces détachées sont dix fois moins chères que les neuves). Le réchauffement climatique fait reculer le glacier de manière accélérée et le cadavre est réapparu bien plus tôt que prévu par ceux qui l’ont abandonné dessus.

Ce sont toutes ces transformations qui redonnent du grain à moudre à l’enquête et permettent de brasser à nouveaux les témoignages. Et de leur rattacher un autre décès, celui de Villi, jeune homme bourré renversé par une jeep au sortir d’un bar un soir de tempête de neige, quelques années auparavant. Sa sœur veut savoir si c’est un accident ou un meurtre, le chauffard ayant pris la fuite. Konrad se trouve donc doublement lié : par Marta son ex-chef qui lui demande d’aller parler à Hjaltalin et la sœur de Villi qui lui demande se savoir pour son frère.

Les chapitres sont courts, apportent toujours un indice, autant de marches vers l’étape finale où tout se résout. J’aime à me ressouvenir des rues de Reykjavik, du paysage désolé des landes, du climat venteux qui passe brusquement du grand soleil à la pluie glacée, de l’alcool dans les bars et des maisons en tôles, sans volets ni rideaux.

Les failles du glacier sont celles de l’Islande et sa glace, qui roule et rejette inexorablement, le temps qui n’oublie jamais.

Arnaldur Indridason, Ce que savait la nuit, 2017, Points policier 2020, 341 pages, €7.80 e-book Kindle €14.99 livre audio CD €22.90

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Monte Cappane sur l’île d’Elbe

La nuit fut bonne, fatigue aidant ; le réveil a lieu plus tôt, à 6h30, pour partir gravir nos 1000 m de dénivelée avant la chaleur. Le petit-déjeuner est pris à l’hôtel avant d’aller remplir les bouteilles à la source. Elle est si fréquentée par les locaux qu’un arrêté du maire conseille aux habitants de ne pas exagérer ! Dans le petit matin, les vieux qui viennent s’approvisionner en bidons de Chianti de trois litres, s’exclament : cinghali ! Les sangliers ont en effet foui les bordures en pierres des vignes pour tenter de manger les raisins. Mais la clôture a tenu.

Une lente montée commence dans la vallée par un sentier mieux aménagé qu’hier. Nous allons le long du torrent presque à sec, parmi les châtaigniers et les chênes lièges. Dans le sous-bois, nous voyons un bouquetin qui fuit sans se presser. Dans un fourré, au passage à gué du ru où ne subsiste qu’un peu de boue, nous avons entendu les sangliers ; ils se cachent mais ne sont pas très sauvages. Ils ont été dérangés de leur bauge.

La montée se fait plus roide dans le maquis, sur le flanc sud-est du torrent, avant de déboucher sur la crête vers 650 m.

Nous la prenons alors vers le nord-est pour aborder les abords du mont Capanne, 1018 m, qui est notre destination.

Le chaos de roches et un peu casse-pattes, mais le clou est un dôme de dalles en via ferrata. Les grandes chutes de granit pentues sont plantées de pitons soutenant un câble métallique auquel se tenir à mesure qu’on grimpe.

Rien de vertigineux, tout juste de l’aérien ; rien de technique, tout juste du fatigant. Car se tenir au câble et grimper les jambes, répartir en équilibre le poids du corps, ne va pas sans effort.

Quand il pleut, le tout doit être glissant et mieux vaut ne pas s’y avancer. Mais la journée est belle, à peine voilée.

Nous atteignons le sommet du mont Capanne, parmi les touristes en nombre venus par téléphérique de l’autre côté. Nous allons jusque sous les antennes pour faire « la » photo de groupe, comme tout le monde.

Nous pique-niquons au bord de l’aire pour hélicoptère, devant quelques Allemands avec gosses qui s’empressent de redescendre avant la fermeture prandiale de la télécabine de 13h30 à 14h30. Un petit blond florentin et sa sœur ne tiennent pas en place ; je ne parviens pas à les capturer sur numérique. Ils jouent avec moi sans le vouloir car je les reverrai en fin d’après-midi, en bas du téléphérique, aussi insaisissables, jusqu’à leur voiture garée en bord de route, qui indiquent qu’ils habitent Florence. Un petit Allemand est tendre avec son père plutôt enveloppé mais ne tient pas plus en place, lacets défaits et démarche sautillante ; il souffre en outre de trachéite de ne pas se couvrir – un vrai gavroche le nez au vent. Un couple de vieux au style californien, en maillot de bain, cuivrés, cheveux longs tenus par un bandana, le corps flasque, ont le genre à avoir eu 20 ans en 1968 et de n’avoir jamais quitté l’époque. Ils sont à la fois laids par leur apparence de septuagénaires et ridicules par leur affichage de jeunesse perpétuelle flétrie.

Nous étions huit à monter ce matin, les six autres sont venus tranquillement par la télécabine – en apportant le pique-nique collectif. Ils ont pris le bus de 10h40 et nous ont rejoints alors que nous arrivions au sommet. De loin, nous apercevons la Corse.

Les descendeurs partent avec Denis car le sentier est long (près de 2 h) et pénible (ravagé par les baskets de touristes). J’ai décidé de prendre la télécabine pour descendre, ce que les Italiens appellent cabinovia – le funiculaire. Il vous dévale 644 m de dénivelée en une quinzaine de minutes, comportant 59 cabines où l’on peut tenir jusqu’à trois. Mais en général, un grimpeur et son sac à dos suffisent pour emplir la cage métallique ouverte sur le vide, qui ressemble fort à une cage à oiseau en métal peint en jaune d’œuf. Un couple avec enfant, un adulte et deux enfants, ou encore trois copains sans sac et assez jeunes, donc minces, peuvent tenir en une fois.

La descente seule coûte 12 €, la montée et la redescente 18€. Nous sommes cinq à opter pour le téléphérique et nous prenons un pot au bar-restaurant du départ. Un moment, les nuages montent et il pleut un peu, mais cela ne dure pas. Ceux qui descendent n’ont rien pris.

Dans le couloir du téléphérique, le sol est jonché de chapeaux et casquettes imprudemment gardées sur la tête alors qu’il y a toujours du vent. Quelques canettes et bouteilles aussi. Les gens qui montent présentent toutes les attitudes : désinvoltes au point de se retourner (ce qui fait tanguer la cabine), agrippés des deux mains aux barreaux, assis dans le fond plus grillagé, embrassés sans rien voir, serrant dans ses bras un enfant… Le téléphérique a son point d’arrivée près du village de Marciana.

La route de liaison passe sous le village de Marciana, étagé en hauteur. Seuls les cafés et glaciers se trouvent à proximité, l’intérieur du village est vide malgré sa forteresse, son musée, ses églises. Nous n’avons que trois-quarts d’heure avant le bus prévu à 16h07 et nous parcourons quelques rues ; malheureusement elles montent et nous renonçons vite, la journée a été assez rude comme cela. Nous visitons l’église Santa Croce au plafond peint à fresques avant d’aller prendre un granité citron (2 € le verre moyen) en attendant les autres.

Ils ne tardent pas à arriver et nous occupons à nous quatorze la moitié du bus. Il met 45 mn pour rejoindre Pomonte par la côte. Le ciel est gris, la plage quasi vide et il fait lourd. Le bus nous ramène vers 17h20 et nous pouvons jeter un œil dans l’église de Pomonte qui est ouverte. Un vitrail moderne derrière le chœur est de bel effet au soleil couchant.

Dans la cour familiale de notre chambre d’hôte, trois enfants jouent à Batman avec les déguisements de rigueur. Il y a Giacomo, le fils de la maison, 8 ans, sa petite sœur Rita déguisée en princesse, 6 ans, et un copain, William, 9 ans. Il s’agit du petit blond costaud que j’ai vu hier à la plage plonger du rocher. Je l’ai reconnu à ses cheveux très blonds, à ses yeux bleu clair, mais surtout à sa médaille de cou, un soleil en ronde bosse d’acier poli. Une fille dans les 11 ou 12 ans, Paola, vient aussi jouer un moment, mais ne s’attarde pas. Ils sont bruyants et pleins de vie, je n’ai pas envie de lire et je les écoute, allongé sur mon lit après la douche. Ils articulent bien l’italien – du pur toscan – même si je ne comprends pas tout. William a la voix rauque ; il paraît un petit dur sans cesse à s’exercer, bon copain plein d’initiative et sans peur.

Nous nous donnons rendez-vous pour l’apéritif au café en face d’hier, afin de ne pas faire de jaloux parmi les commerçants, dit Denis. Les boissons sont les mêmes mais le service est moins bon et les antipasti plus réduits ; les patrons sont anciens. L’ado solaire d’hier soir repasse depuis la plage, toujours torse nu mais les cheveux plaqués par le bain. Peu de monde revient comme lui de la mer. Il enfile une ruelle sur le côté d’une boutique juste après l’église.

Le restaurant de l’hôtel est le même qu’hier, avec Simone en patronne à petite robe noire, que nous avons vue en maillot de bain cet après-midi avec les enfants. Spaghettis aux fruits de mer, pavé de poisson et des fruits, le tout accompagné d’un vin blanc toscan de l’année. Le poisson serait du tchernia, « qui ressemble à du saint-pierre ? » dis-je à Denis (à cause de l’animateur de télé). Les convives du restaurant d’hier et d’avant-hier logent à l’hôtel et nous les revoyons souvent. J’ai remarqué un ado carré et sa sœur, dans les 13 et 11 ans, émouvants à observer. Lui responsable, elle discrète, tous deux jouant un jeu social face à leurs deux parents.

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A Noël dans l’île de la Cité

La Cité est un État dans l’État à Paris, un quartier préservé au cœur même de la Ville. Contrairement à Londres, la Cité n’est pas la City financière, mais le lieu du droit et de la religion.

noel a paris rue st louis en l ile

La rue Saint-Louis-en-l’Île, qui la traverse de part en part, garde une atmosphère quasi médiévale, surtout en hiver, lorsque la nuit tombe tôt et que les boutiques s’allument.

bistrot a paris rue st louis en l ile

Rien que le bistrot fait envie par son atmosphère quiète, toute de cuivre, de verre et de bois.

boucherie a paris rue st louis en l ile

La boucherie ferait presque aimer le bœuf, malgré les hormones, la vache folle et les injonctions morales des écolos sur le méthane.

charcuterie a paris rue st louis en l ile

La charcuterie, d’où sortent de savoureuses odeurs de cochon cuit, rappelle que la France n’est pas encore un pays musulman. Faudra-t-il, pour cause de politiquement correct et ne pas « choquer » les religions susceptibles, vendre bientôt le cochon sous le manteau – comme l’alcool au Pakistan ?

confiserie a paris rue st louis en l ile

Noël est le temps de la confiserie, dont quelques boutiques offrent le choix.

noel berthillon a paris rue st louis en l ile

Berthillon le glacier fait de nombreuses affaires, même en dehors de l’été. Les amateurs cherchent plus le goût du fruit et la légèreté en fin de repas que le froid sur la langue, après les agapes chargées de Noël.

restaurant a paris rue st louis en l ile

Le restaurant est prêt, les tables installées attendant les pratiques.

creche de noel a paris rue st louis en l ile

Une discrète crèche de Noël, dans une vitrine, évoque les traditions. Oui, la France est surtout un pays chrétien, dans sa longue histoire. Nous ne sommes pas Américains, pot mélangé de diverses provenances (après éradication des Indiens). Que les bobos mondialisés se le disent : ils ne font pas la Loi ; qu’ils se haïssent eux-mêmes de leur insignifiance : c’est leur croix. Pour le reste, les Français aiment le bon vivre avec Rabelais autant que vivre à propos avec Montaigne.

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Lac Tekapo et Christchurch

L’arrivée sur le lac Tekapo reste gravée dans la mémoire. La couleur du lac est d’un bleu intense qui paraît irréel. Ce coloris est dû à de la « farine de pierre », des particules minérales si fines qu’elles restent en suspension. Elles sont le résultat de l’érosion de la montagne par les glaciers qui alimentent le plan d’eau.

Sur une des rives, l’église du Bon Pasteur dont la première pierre fut posée en 1935 par le Duc de Gloucester, rien que cela ! L’atmosphère ici est si pure que l’Université de Canterbury a installé en haut du Mont St John un observatoire.

Nous démarrons ce matin par un solide brunch avant de rejoindre notre van. Un parcours un peu plus monotone que les jours précédents surtout sur la partie Timaru/Christchurch. On retrouve « la civilisation ». La grande ville de l’île du Sud est Christchurch, capitale provinciale du Canterbury, fondée par une colonie d’émigrants religieux. Un fleuve serpente dans la ville : l’Avon. Comme chez Shakespeare à Stratford-on-Avon. Et comme à Venise, on s’y promène en barque conduite par des gondoliers. La ville est considérée comme la plus anglaise des cités hors de Grande-Bretagne.

Le Botanic garden est une roseraie avec la Peacock Fountain, le Canterbury Museum, des bosquets, un gazon anglais, des arbres variés, des expos temporaires (dahlias lors de notre présence), des serres. C’est la fin de 2010, nous irons réveillonner au Château dans une salle gothique.

Mais avant allons visiter Antartica avec film en 4D, pingouins, blizzard, igloo et même un gamin en fourrures… nous serons en Antarctique, brrr !

Une visite assez rapide de la ville en fin d’après-midi. Il reste encore des traces du tremblement de terre passé. Et voilà que, tandis que j’écris ces lignes, un autre tremblement de terre beaucoup plus meurtrier s’est produit en ce mois de février 2011. On dénombre 150 victimes et 200 disparus. La cathédrale est à terre, de nombreux bâtiments officiels également. Nous avons pris quelques clichés de la ville lors de notre voyage ; ces photos sont désormais de l’histoire.

Hiata de Tahiti

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Sur le Kristinartindar du Vatnajökull

Le camp s’éveille, lentement. Il y a la queue aux toilettes mais nous en trouvons d’éloignées où il y a moins de monde. Nous partons dès 8h45 pour éviter la foule qui fera le même itinéraire balisé que nous.

Nous montons sur le verrou glaciaire jusqu’au col du Kristinartindar, à 1126 m. Quatre heures de montée nous mènent jusqu’au pique-nique, à 1037 m. Notre approche est lente parce que le sentier est fort caillouteux, du style à vous faire faire un pas en arrière pour deux en avant. Le pierrier le plus raide est juste avant le col !

La langue glaciaire s’étend devant nous. Elle paraît étroite vue de haut, mais la carte nous révèle qu’elle est large de plusieurs kilomètres ! Le glacier se fissure longitudinalement dans la pente et transversalement sur les bords, en fonction des frottements de la glace.

Un couple de Danois de la soixantaine vient pique-niquer non loin de nous, de vrais montagnards avec le visage buriné et le matériel. Ils déballent réchaud et casseroles alu pour un repas chaud comme chez eux. La femme, qui parle un peu français, me demande de faire une photo d’eux avec leur appareil.

Cette « longue » randonnée qui en inquiétait certains, se révèle moins fatigante que celle il y a deux jours. Il y a surtout moins de montées et de descentes successives avec un objectif visible et un peu d’entraînement en plus.

Mais la descente de huit kilomètres vers la vallée de Morsardalur est pénible sous le soleil. Du pierrier pentu qui descend du col, le chemin se fait presque plat, serpentant jusqu’à l’autre glacier, son verrou et ses cascades, sa rivière et ses flancs verts. La grande cascade de Svartifloss est entourée d’orgues basaltiques.

Puis le chemin devient désertique, caillouteux et interminable. Il finit par finir sur une crête qui domine la plaine de lave déblayée déjà par le volcan Laki au XVIIIe siècle avant le récent rabotage de 1996.

Mais le sentier n’aboutit pas encore. Ce n’est que lentement qu’il s’incline vers la forêt naine d’aulnes et de lentisques, bien agréable à voir mais qui ne donne pas d’ombre à moins de ramper. Si tu es perdu dans la forêt islandaise, dit le dicton, lève-toi ! Quelques campanules ajoutent leur tache mauve et vive aux pissenlits. Le chemin de descente est différent de celui de la montée pour éviter, dans les deux sens, le troupeau des touristes dilettantes en sandales. Il est aménagé de marches en bois transversales tous les deux ou trois mètres en fonction de la pente. Cela pour retenir la terre et les pierres lors des grandes pluies.

Nous arrivons enfin, après 8h30 de balade, sous le soleil qui cuit et déshydrate. Pas un nuage au ciel ! Le camping est presque vide parce qu’il n’est que 17h. Il se remplit vers le soir par l’arrivée de mobil-homes familiaux tout frais, prêts pour la promenade du lendemain. Il y a surtout des Allemands et des Hollandais qui, tous, bronzent au soleil qui descend, les gamins jouant au foot le torse nu – mais en pantalon, signe de la montée de la pudeur due aux islamistes, et aux nouveaux intégrismes chrétiens en réponse dans toute l’Europe.

Le dîner est ce soir facile à préparer mais long : du gigot d’agneau au barbecue et des pommes de terre rôties dans la braise sous papier alu. Deux gigots suffisent largement pour douze. Ils cuisent en 1h30 sur l’un des barbecues disséminés dans le camp à disposition des usagers. Les gigots ont été enduits d’une sauce à l’ail pour l’un et à la moutarde pour l’autre, occasion de goûter des deux préparations.

Nous allons voir les 10 mn de film documentaire sur l’éruption de 1996 dans la boutique de souvenirs du camping. Les images sont impressionnantes sur cette force de nature, mais la musique d’épopée et le commentaire en anglais empli d’optimisme à l’américaine laisse dubitatif. On chante l’homme contre la nature.

A la nuit qui tombe, trois gros 4×4 islandais viennent ronfler à nos portes. Vont-ils se mettre juste derrière nous alors qu’il y a un grand terrain vide un peu plus loin ? Certes oui, c’est l’amour de la vie en communauté ! Comme nous faisons exprès du bruit en chantant, criant et tapant sur des casseroles pour les inciter à aller un peu plus loin, Kinder surprise ! Un bambin de trois ans vient soulever par curiosité le bas de la tente pour montrer son auto. Un petit Islandais qui n’a froid ni aux yeux ni au reste car il est en tee-shirt.

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Région des glaciers d’Islande

La nuit est chaude, à quatre dans la même pièce. Le petit-déjeuner a lieu une demi-heure plus tôt que d’habitude car le guide voulait avoir du temps pour lui. Le beurre se dit smörk (smeuhrk !) et nous appelons le yaourt le surmilk. L’un du groupe raconte ce matin des anecdotes de médecin du travail comme cette femme, enceinte de sept mois et qui ne s’en était pas aperçu, ni son médecin remplaçant, d’ailleurs. Il est en verve, le café est plus fort. Comme hier matin, je remplis le livre d’or du gîte.

Nous partons en bus pour Hveravellir, des solfatares très touristiques. Le paysage est lunaire, minéral, tout de lave poreuse. Le ciel est bas et déploie toutes ses nuances de gris. C’est dans ce genre de paysage, plus au centre, juste au-dessus du glacier Vatnajökull et tout près du lac Askja, que les astronautes américains Neil Armstrong et Buzz Aldrin sont venus s’entraîner avant d’être envoyés sur la lune en 1969.

On y trouve plusieurs refuges et un terrain de camping, avec WC et cabines payants pour se changer, avant d’aller se baigner dans les solfatares (300 KR). L’eau soufrée sort à 90° mais est tout de suite tempérée par l’apport d’eau froide dans le bassin de bain. Il n’y a guère de monde ce matin. Il y a du vent et il pleut… Il y en a beaucoup plus l’après-midi, où le vent est plus faible et où luit un rayon de soleil. Un geyser d’eau soufrée fait comme un volcan.

Nous randonnons quelques heures parmi les rochers lunaires entre lesquels poussent une végétation rase. L’Achemilla est ainsi nommée parce que ses feuilles retiennent la rosée. Les alchimistes croyaient en les vertus de cette eau du ciel. Les chimistes ne croyaient que ce qu’ils vérifiaient. Ils ont voulu examiner de quelles vertus une telle eau pouvait être qualifiée et, pour cela, ont fait s’évaporer le liquide pour étudier les qualités du résidu. Ils n’ont justement trouvé aucun reste dans cette eau pure.

Une hutte traditionnelle au toit de tourbe s’élève non loin des solfatares. Sa construction fait appel au bois mais, dans la tradition, aucun bois n’était nécessaire. La tourbe coupée en larges plaques suffisait, disposée transversalement sur plusieurs couches. Le bois était et reste très rare sur l’île, seul le bois flotté venu de Sibérie par les courants marins est récupérable mais trop précieux. Le procédé stengur superpose de longues et minces plaques de tourbe ; le klömruhnaus, utilisé jusque dans les années 1950, superpose des sections de tourbe en alternant l’horizontale, l’oblique, et l’horizontale oblique inversée. Les mouvements des murs en cas de séisme sont ainsi compensés.

Nous marchons deux heures vers une crête. La pluie se met de la partie. Un creux s’ouvre, aux deux cheminées restantes comme des doigts, ce sont des dykes. Nous pique-niquons à l’abri du vent contre une paroi verticale de lave.

Nous sommes entre le glacier d’Hofsjökull et le glacier Langjökull. La légende veut qu’un beau jeune homme fût voleur. Il avait piqué des fromages à une vieille un peu sorcière, qui lui a jeté un sort lorsqu’elle s’en est aperçue. Le jeune homme était condamné à toujours voler. Honte de la famille, il ne pouvait s’en empêcher. Au bout, de quelques années, sa parenté à bout alla trouver la sorcière pour qu’elle lève le sort, jugeant qu’il avait été assez puni. Mais on ne peut lever un tel sort, la seule chose possible est de jeter un autre sort pour adoucir la peine. Le sort jeté alors est que le jeune homme volera toujours, mais qu’il ne sera jamais pris. La région des glaciers a toujours été propice aux hors-la-loi. Le Eiriksjökull est un glacier qui a été ainsi nommé du nom d’Erik, un bandit fameux qui a perdu ses jambes en bataillant contre des fermiers sur le glacier même, jusqu’à ce qu’il parvienne à s’enfuir.

Nous revenons à pied au parking par le même chemin qu’à l’aller. La pluie s’arrête, mais le vent demeure. Ce sont les effets du glacier dont on aperçoit les langues grises au loin. Nous prenons un bain dans le bassin chaud où se déversent les sources, après nous être changés dans le bus. L’endroit est très encombré de parents et de gosses qui adorent être à poil alors qu’il fait 8° dehors. Surtout à cause du vent, d’ailleurs. Dans l’eau, il fait 40°.

Après 45 mn de piste mal entretenue, nous arrivons au camp où tout le monde va, près d’une rivière glaciaire. De petits bungalows au toit très pointu et un terrain de camping font gîte. Beaucoup de Français et d’Allemands occupent le terrain. Je retrouve un jeune couple de Français vu dans l’avion, qui fait le circuit depuis le sud, mais n’ira pas dans les fjords du nord-ouest d’où nous venons faute de temps. Ils ont habité un an la Norvège et les oiseaux sur les falaises, ils connaissent. Ils partent d’ailleurs mardi pour Oslo avant de regagner la France. La Norvège est un peu leur seconde patrie, à ce que me dit le garçon, un blond dans la vingtaine qui fume trop.

Un camion tchèque haut sur roues s’arrête devant les commodités juste pour faire de l’eau. Une plantureuse matrone d’Europe centrale en sort, flanquée de deux gamins de 10 et 8 ans hardis et joyeux. Leur spectacle a de quoi vous rendre heureux pour la soirée. Je fais ma seconde vaisselle monstre, avec deux autres, à l’eau froide. Les tortellinis bolognaise collent un peu, mais les bananes cuites à la cassonade sans graisse sont plus faciles à nettoyer.

Un bungalow d’Islandais bourrés fait la fête fort avant dans la nuit. Nous sommes samedi soir, jour de cuite traditionnelle. Ils se sont approvisionnés en alcool dans les magasins d’État, seuls habilités à vendre ce poison avec de fortes taxes. Mais cela ne dissuade guère les obstinés de la boisson ! Dans le ciel dégagé, un magnifique coucher de soleil dans les rouges a lieu vers 22h30, avant qu’il ne se relève avant 4h.

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