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Les chariots de feu de Hugh Hudson

Un film engagé, à la gloire du sport olympique qui transcende les préjugés. Eric Liddell (Ian Charleson), croyant presbytérien écossais fervent court pour la gloire de Dieu, et Harold Abrahams (Ben Cross), juif anglais non pratiquant, court pour surmonter les préjugés. Le titre du film est inspiré d’un poème de William Blake, And Did Those feet in Ancient Time. Mis en musique par Charles Hubert Hastings Parry en 1916 dans son hymne Jerusalem, il est devenu chanson légendaire de la culture anglaise, un hymne patriotique utilisé pendant les guerres. L’histoire s’inspire librement de l’histoire de deux athlètes britanniques concourant aux Jeux olympiques d’été de Paris 1924, Harold Abrahams et Eric Liddell.

Tout commence dans la cour du collège de Cambridge, en 1919, lorsqu’Abrahams entre à l’université et se retrouve en butte à l’antisémitisme larvé du personnel. Il veut prouver qu’il est anglais comme les autres, et que les valeurs du collège sont les siennes. Même s’il ne chante pas à la chapelle, n’étant pas chrétien, il participe aux activités multiples : il joue du piano dans le groupe Gilbert & Sullivan, s’est inscrit au groupe d’athlétisme.

Il veut surtout réussir la course de la cour de la Trinité, épreuve que nul n’a réussi « depuis 700 ans », dit-on (faute d’avoir essayé ?). Il s’agit de courir autour de la cour de Trinity College dans le temps qu’il faut à l’horloge pour frapper les douze coups de midi. Départ au premier coup, arrivée obligatoire avant le dernier coup. Par esprit de solidarité, un élève, Lord Lindsay, se joint à lui, mais Abraham gagne haut la main. Il est désormais populaire parmi les étudiants et surveillé de près par la direction.

Les professeurs à la tête du collège sont conservateurs des valeurs britanniques et voient d’un œil à la fois intéressé (pour la réputation de l’école) et inquiet (pour la transgression des valeurs) l’étoile d’Abraham monter. Ils le convoquent et le lui disent, le sport pour l’esprit d’équipe oui, la compétition pour gagner « à tout prix », non. Or Abraham s’est adjoint un entraîneur professionnel pour améliorer sa foulée, faisant du sport non plus en « amateur » comme les autres élèves, mais comme une « affaire » – ce qui marque bien son caractère « juif ». Mais cet antisémitisme épidermique ne va pas sans reconnaître l’élite juive : « vous êtes Lévite », dit le principal de Trinity College (John Gielgud), cela vous engage. Les Lévites sont une tribu exclusivement vouée au service de Yahweh, mise à part des autres par Lui. Une sorte de noblesse héréditaire, en somme. Abraham doit lui faire honneur, même si son père est tombé dans « la finance ».

Ils lui opposent l’autre champion d’athlétisme du collège, Eric Liddell, écossais né en Chine de parents missionnaires, et voué à poursuivre leur œuvre une fois ses études à Cambridge terminées. Son grand frère et son petit frère l’encouragent ; sa sœur Jennie (Cheryl Campbell) est trop dévote, dans le sens rituel, pour l’approuver. Elle déclare que cela le détourne du Seigneur et de sa mission. Eric lui rétorque qu’il a été créé « rapide » par Dieu lui-même, et qu’il « sent son plaisir » lorsqu’il court. Ce sont en fait les endorphines dégagée par l’effort qui donnent ce sentiment d’euphorie – mais pour un croyant, tout vient de Dieu, même le plaisir qu’il donne « naturellement ».

La première fois qu’ils courent dans une compétition, Liddell bat Abrahams. Celui-ci le prend mal et se désespère d’un jour s’imposer, mais il rencontre Sam Mussabini (Ian Holm), entraîneur professionnel « mi-italien, mi-arabe », dira-t-il au principal du College pour le provoquer. Abrahams s’améliore et Liddell continue à courir jusqu’à ce qu’ils soient tous deux sélectionnés pour représenter le Royaume-Uni aux Jeux de Paris 1924.

Mais Liddell découvre que la compétition du 100 mètres aura lieu un dimanche. Impossible de violer le repos exigé le jour du Seigneur, et il refuse de participer. Sa foi est intransigeante et ses principes doivent être respectés. C’est alors la réunion au sommet du Comité olympique britannique et du prince de Galles (David Yelland) futur Edouard VIII qui abdiquera en 1936. Une solution amiable est trouvée par Lord Andrew Lindsay (Nigel Havers) qui a remporté une médaille d’argent aux 400 mètres haies. Il propose d’intervertir sa place avec Liddell dans la course du 400 mètres le jeudi suivant. Il accepte avec gratitude ce compromis qui met tout le monde d’accord. Cette controverse de principes entre la religion et le sport font les gros titres des journaux. Liddell prononce un sermon à l’église d’Écosse à Paris ce dimanche-là, en citant d’Isaïe 40 : « toutes les nations avant Lui ne sont rien »…

Abrahams a été battu au 200 mètres par les coureurs américains, mais remporte brillamment le 100 mètres. Liddell l’emporte au 400 mètres. Le Royaume-Uni revient triomphant en athlétisme avec ses deux médailles d’or. Les deux garçons, le blond et le brun, diffèrent par leurs valeurs, leurs modes de vie, leurs croyances et leurs comportements, mais concourent chacun à la gloire du collège et de la patrie. Après cet exploit donné au monde par leur courage et leur engagement, ils peuvent retrouver leur vie courante, la petite amie Sybil (Alice Krige) pour Abrahams, qu’il va épouser, et son travail missionnaire en Chine pour Liddell, jusqu’à sa mort à la fin de la Seconde guerre mondiale dans la Chine occupé par les Japonais.

La musique de Vangélis au synthétiseur et piano donnent au film une dimension parfois mystique, rythmant par exemple les foulées des jeunes coureurs pieds nus à l’entraînement en bord de mer, et justifiant le sourire béat des exaltés de l’espoir.

Meilleur film et meilleurs costumes pour Milena Canonero aux British Academy Film Awards 1982

Meilleur film en langue étrangère aux Golden Globes 1982

Meilleur film, meilleur scénario original pour Colin Welland, meilleure musique pour Vangélis et meilleurs costumes pour Milena Canonero aux Oscars 1982

DVD Les Chariots de feu (Chariots of Fire), Hugh Hudson, 1981, avec Ben Cross, Ian Charleson, Patrick Magee (I), Nicholas Farrell, Nigel Havers, 20th Century Fox 2000, doublé anglais, français, 2h03, €9,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

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Jeunes olympiques 4

Les jeux vont se terminer, les officiels, les compétitions. Mais pas ceux des enfants ni des adolescents en vacances. Eux jouent toujours, détendus, à l’aise, sans vouloir gagner on ne sait quoi.

Aujourd’hui le rugby, le skate, le surf, le taekwondo, le tennis, le tir, la voile.

Il y a encore d’autres sports, mais on ne peut tout illustrer. Faites confiance à l’imagination des juvéniles pour en inventer qui exercent leur corps et apaise leur énergie.

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Jeunes olympiques 3

C’est au tour de la gymnastique, des haltères, du handball, du hockey, du judo, de la lutte, de la natation et du plongeon. Toujours à hauteur de gamin, sans prétention à l’exploit. Juste pour jouer.

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Olympie antique en 2024

Le site grec antique où ont été créé les fameux Jeux se visite toujours. Il est en ruines mais conservé et étudié. Je l’ai revisité au mois de la chèvre (mêêêê !). Il y fait chaud et le soleil brûle, bronzant les athlètes nus au cuir rendu épais, comme nos garçons, par les entraînements.

Les épreuves n’étaient autorisées que pour les mâles parlant grec, aussi bien pour concourir que pour y assister (ce qui excluait les femmes et les barbares). Des épreuves existaient pour les enfants et les adolescents comme pour les adultes. Les Jeux étaient dédiés aux dieux et étaient donc une cérémonie religieuse – visant à « relier » les hommes aux dieux et célébrer l’amour de la vie, l’être ensemble et les valeurs de la cite : piété, courage et beauté (tout le contraire de nos compétitions où fric et nationalisme se mêlent à l’envi). Et l’on raconte que, parce qu’une femme, fille, sœur et mère de champions olympiques s’était déguisée en homme pour voir concourir son fils, il a été décidé que tous les spectateurs mâles devaient assister nus aux compétitions, comme les athlètes.

Il n’est pas certain que la nudité ait été totale, certains parlent d’une sorte de suspensoir pour les parties, mais le mythe veut que le nu ait été une valeur athénienne et spartiate. Il était nature et transparence, en ligne avec l’égalité démocratique et avec la discipline militaire. Il était aussi orgueil du corps sain, présenté tel quel aux dieux. Lesquels n’y étaient pas insensibles, si l’on en croit le nombre de déesses séduites par des mortels ou de dieux, charmés par jeunes filles et jeunes garçons bien charnels – à commencer par le plus grand, Zeus, qui aima successivement Danaé, Alcmène, Léda, Sémélé, Léto, Europe, Ganymède, Euphorion…

Le temple d’Héra, sœur et épouse de Zeus, est le premier édifice dorique connu du Péloponnèse bâti vers -600. Il comprenait un pronaos, une cella et un opisthodome ; la cella était divisée en trois nefs dans le sens de la longueur par deux colonnades de huit colonnes. Elle abritait les statues de culte de Zeus et d’Héra dont les jeunes filles remplaçaient le péplos tous les quatre ans par un neuf qu’elles avaient brodé. Le temple abritait divers objets symboliques : dans la cella le « disque d’Iphitos » gravé du texte de la trêve sacrée, la table chryséléphantine (d’or et d’ivoire) réalisée par Colotès, un élève de Phidias, sur laquelle on plaçait les couronnes préparées pour les vainqueurs des jeux et l’Hermès de Praxitèle ; dans l’opisthodome, Pausanias décrit le coffre de Cypsélos, chryséléphantin aussi, orné de nombreuses scènes mythologiques. Il semble qu’à l’époque romaine le temple ait plus été une sorte de musée qu’un lieu de culte. C’est ici que, devant le temple, l’autel consacré à la déesse sert encore pour l’allumage de la flamme olympique.

Le temple de Zeus Olympien, de style dorique, est colossal avec ses 64,2 m de long et 24,6 m de large. Il fut érigé entre 470 et 456 avant et a subi plusieurs catastrophes, un incendie volontaire vers 426 après, un tremblement de terre un siècle plus tard, une inondation qui l’a recouvert d’une couche d’alluvions. Le fronton Est représentait la course de chars entre Pélops et Oenomaos, le fronton Ouest la bataille des Lapithes contre les Centaures. Douze métopes situées aux extrémités supérieures des porches intérieurs représentaient les douze travaux d’Héraclès (fils de Zeus et fondateur des Jeux olympiques). Ce grand temple de Zeus, pourtant imposant, n’a pas fait l’objet d’une anastylose (remontage des pierres écroulées), bien que des restes de colonnes et de linteaux gisent encore sur le sol.

Il abritait l’une des sept anciennes merveilles du monde, la statue chryséléphantine de Zeus, abondamment décrite par Pausanias. Cette statue fut sculptée par l’atelier de Phidias vers -440 -430. Elle mesurait 12,75 m de haut ; le corps était fait d’ivoire, les cheveux, la barbe, les sandales, et la draperie, en or. Le trône était d’ébène et d’ivoire. Par vénération pour le sculpteur, l’atelier fut conservé jusqu’au Ve siècle après. Ses dimensions, 32 m × 14,5, sont exactement celle de la cella du temple. Il fut ensuite transformé en basilique chrétienne – ce pourquoi il n’a pas été détruit… On le visite encore aujourd’hui, ce qui est plutôt émouvant.

L’ensemble du sanctuaire (temples et bâtiments, y compris gymnase et stade) était dédié à Zeus, sous l’égide duquel se tenaient des Jeux d’Olympie. Ils avaient lieu tous les quatre ans, à partir de 776 avant, date de la paix entre Lycurgue, roi et législateur de Sparte, et le roi Iphitos d’Élide (région d’Olympie). Au moment de ces Jeux, on estime à plus de 40 000 le nombre de personnes présentes sur le site (athlètes, spectateurs, marchands, artisans, poètes, sculpteurs et architectes). La dernière célébration des Jeux antiques a eu lieu en 393 après, année où l’empereur Théodose 1er, sur l’insistance de l’évêque de Milan Ambroise, ordonne l’abandon des rites et des lieux de culte païens… Les monuments seront détruits à la suite de l’édit de Théodose II en 426 pour que s’installe une petite communauté de chrétiens.

Le stade était, dans l’antiquité, entouré de bois d’oliviers. Il est aujourd’hui vide, et toujours gardé par un cerbère femelle qui siffle dès qu’un touriste fait quelque chose « considéré comme » inconvenant, ainsi courir sur le stade ou s’asseoir sur une pierre à l’entrée ! Nous nous posons sur la pelouse bien au-delà de la piste pour écouter le guide. Ce stade est le quatrième construit à Olympie et remonte au Ve siècle avant. Les athlètes, les juges et les prêtres accédaient au stade par la crypte, un étroit couloir de 32 mètres, aménagée au IIIe siècle avant. À l’entrée Est se dressaient les statues des divinités Tyché et Némésis. Les spectateurs passaient par les talus. Le stade mesure 212,54 mètres de long sur 28,50 mètres de large. La piste spécifiquement (le « dromos »), entre la ligne de départ (« aphésis ») à l’est et celle d’arrivée (« terma ») à l’ouest, symbolisée par une bande de pierre, mesure 600 pieds (le pied d’Olympie est de 32,04 cm ) soit 192,24 mètres de long. Toute la piste est entourée d’une rigole qui reliait de petites cuvettes destinées à recueillir les eaux pluviales qui descendaient des talus.

La palestre montre sa double rangée de colonnes érigées. Elle remonte au IIIe siècle avant et a le même plan carré qu’un gymnase, en plus petit. Les athlètes s’y entraînaient à la lutte et au saut. Autour de l’espace central, les portiques étaient organisés en petites pièces où les athlètes nus se préparaient, s’oignaient d’huile pour la lutte, et s’entretenaient avec leur entraîneur. Les petites pièces des angles est et ouest sont des bains. La palestre est séparée du gymnase par un propylée de style corinthien datant du IIe siècle avant.

Le gymnase remonte à l’époque hellénistique. Les athlètes y pratiquaient les sports nécessitant de la place dont le javelot, le disque et la course. Il est constitué d’un grand espace rectangulaire central à ciel ouvert (120 m sur 200 m) bordé de portiques doriques.

Les Grecs s’exerçaient aux jeux pour révéler leurs talents. Ils devaient, pour être de bons citoyens de leur cité, se montrer de bons soldats, physiquement forts et moralement solides. Le corps et l’esprit sont entraînés en même temps, l’un reflétant l’autre dans l’harmonie antique. Ils se dépassaient lors des compétitions en l’honneur des dieux, comme pour les approcher, sinon les égaler. Les jeux gymniques avaient lieu une fois tous les quatre ans à Olympie, mais quatre autres centres organisaient des jeux panhelléniques en alternance avec Olympie : Delphes, l’Isthme de Corinthe, Némée. Olympie était le plus prestigieux.

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Jeunes olympiques 2

Aujourd’hui canoë, cheval, cyclisme, escalade, escrime et foot.

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Jeunes olympiques 1

C’est l’été, saison du sport, de l’exercice des corps.

Du 26 juillet au 11 aout, 32 sports vont être mis en compétition mondialement à Paris, ville trop étroite pour accueillir 15 millions de visiteurs autour de la Seine. Les ponts pour la plupart fermés, les quais interdits sur les deux rives, les rues adjacentes aux trottoirs grillagés de hautes barrières de fer comme dans une prison. Paris n’est plus Paris : tout est asservi au « divertissement » mondialisé. Des affiches ne vous incitent pas à participer mais à « anticiper » ! D’autres vous enjoignent de « détravailler » devant la télé. Une bonne part, la moitié peut-être, des Parisiens ont fui en avion, en train, en auto, et en RER quand il ne convulse pas en « incidents ».

Fuir la ville en été, fuir la foule enbierrée des « jeux », les gueuleries avinées des Anglo-saxons et Germaniques dans les rues étroites du centre. Fuir. Pour retrouver le naturel, sinon la nature. Les vrais jeux, qui sont ceux des enfants. Des petits d’homme qui imitent, essaient, tentent.

Ce sont pour moi les vrais, ces jeunes olympiques libérés du carcan scolaire et de l’encombrement du trop de vêtements.

Aujourd’hui, arc, aviron, basket et boxe, quatre disciplines olympiques par des vues glanées ici ou là sur le net.

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Manuel Vasquez Montalbán, Le labyrinthe grec

Deux enquêtes en même temps pour le détective qui se fait vieux après la mort de Biscuter tandis que Charo s’éloigne. Un certain Brando (qui ne se prénomme pas Marlon) lui confie la rude tâche de suivre sa fille de 17 ans pour savoir pourquoi elle baise avec tous les vieux qu’elle rencontre depuis ses 14 ans. En même temps, un couple de Français le convie à rechercher un certain Alekos, jeune Grec de trente ans au corps d’Antinoüs et au visage de pirate turc. Il était en couple depuis quelques années avec la dame puis a disparu ; on sait qu’il se cache à Barcelone.

C’est le Normalien, ancien ami d’études de Carvalho, qui a conseillé ses services aux Français, rencontrés en Thaïlande. Mais par où commencer ? Alekos est peintre et s’est enfui avec un autre Grec, un éphèbe d’à peine 17 ans, tels Verlaine et Rimbaud. Barcelone bruit des destructions et reconstructions schumpétériennes des Jeux olympiques car l’année qui va suivre, 1992, verra la consécration postfranquiste de l’Espagne : Jeux olympiques à Barcelone, Exposition universelle à Séville, Capitale culturelle de l’Europe pour Madrid. Les vieux quartiers sont détruits, tel le Pueblo Nuevo – quartier neuf au XIXe – et les derniers « artistes » anarchistes et fauchés y donnent les ultimes fêtes dans la fumée en souvenir de mai 68, baise à l’appui. Un jeune d’aujourd’hui bien monté « défonce la rondelle » de celle qui fut jeune 25 ans avant.

C’est probablement là que le détective trouvera Alekos et son mignon. Quant à la fille Brando, il l’aperçoit en train de chevaucher nue une bite de vieux puis de gifler un jeune musclé à petite bite avant de comprendre qu’elle cherche l’aventure « sociale » pour écrire des romans. Son livre préféré est naturellement Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir.

Il y a plus de sexe et moins de cuisine dans cet énième roman du détective, la seule recette longuement proposée (p.115 édition 10-18 1995) étant un étouffe-chrétien à base d’aubergines frites à l’huile inondées de sauce à la tomate et à l’anchois, surmontées d’un œuf poché baignant dans la sauce hollandaise et d’une cuillerée de caviar par-dessus. Ce n’est guère appétissant… Peut-être une façon de se moquer de ses lecteurs gastronomes comme de ses lecteurs tout court. Le volume de rhum, whisky et martinis que s’envoie Carvalho est humainement impossible et renvoie à la caricature du détective new-yorkais de légende.

Car on sent l’auteur lassé des aventures et intrigues dans un monde qui change à toute vitesse, une fois le couvercle du conservatisme bourgeois ôté. Les « socialistes » font comme partout ailleurs : ils instaurent un néo-conservatisme, mais petit-bourgeois, à base d’imitation servile du libéralisme égoïste yankee. Le fils Brando, éditeur à la suite de son père et de son grand-père, ne s’y est pas trompé en changeant en cinq jours seulement la politique éditoriale au profit de ce qui se vend : de la mode, des paillettes et du cul, surtout pas de la littérature.

Carvalho se passionne pour la quête du couple de Français, lui directeur-adjoint de la télévision platoniquement énamouré de l’éphèbe et elle amante charnelle esseulée du beau Grec qui l’a entraîné. Il expédie en revanche la fille Brando, trop vieux pour tester ses talents sexuels. Les années 1990 qui débutent sont celles où il se sent devenir vieux, passé 50 ans, et aspire au repos dans sa propre maison. L’auteur est né en 1939 et l’on vieillissait dix ans avant aujourd’hui.

Manuel Vasquez Montalbán, Le labyrinthe grec (El laberinto griego), 1991, Points Seuil 2009, 224 pages, €6.60

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Manuel Vasquez Montalbán, Hors-jeu

Pepe Carvalho vieillit, avec le siècle qui se transforme. La fin des années 1980 voit la gauche au pouvoir, en Espagne comme en France, et le socialisme adapter là comme ailleurs le pays à la mondialisation américaine. Barcelone vise les jeux olympiques et le foot devient professionnel et mercenaire. Il attire le fric et la spéculation pour la plus grande gloire populiste du socialisme triomphant à la veille de la chute du mur de Berlin.

Le titre espagnol est moins lapidaire que le titre français pour ce roman policier sociologique qui observe avec amertume et une certaine ironie la fin d’un monde ancien et l’émergence d’un monde jeune, individualiste et cruel. « L’avant-centre sera assassiné en fin d’après-midi » : tel est la teneur d’un message (anonyme) envoyé au Barça – qui vient d’engager un jeune footeux blond anglais marqueur de but comme avant-centre. Bien que la stratégie de l’entraîneur soit de traiter les avants comme des défenseurs et les arrières comme des avants, la lettre intrigue. Qui en veut au joueur ? au club de foot ? à la ville ? à l’époque ?

La police est bien-sûr mise au courant mais le commissaire Contreras, bien connu des lecteurs comme de Carvalho, est soumis aux lenteurs des procédures. Le club engage donc le détective en plus, pour fouiner là où la police ne peut aller, sous le prétexte d’une étude socio-psychologique des fans et des joueurs de foot de Barcelone – un thème fumeux très à la mode intello à la fin des années 80 mais qui permet d’entrer partout et de justifier sa présence.

Pepe ne découvre pas grand-chose, mais la police rien du tout. Il s’agit surtout de mettre au jour le réseau d’intérêts bien partagés des milieux économiques et du milieu sportif, les politiciens comme d’habitude en arbitres corrompus. La ville s’urbanise et guigne les terrains des pauvres ; les clubs de quartier traditionnels qui occupent les gamins et les défoulent ne sont plus à la mode ; le club « international » pour la façade olympique compte beaucoup plus car l’Espagne socialiste du post-franquisme veut présenter un visage moderne et dans le vent (la Movida).

L’intrigue policière est donc la métaphore de l’époque. Si elle parait ringarde aujourd’hui, après une génération de socialistes aussi intellos que méprisants, se croyant nés avec la science infuse qu’il faut tout bouleverser pour se faire une caste au soleil, les rouages décrits avec une jubilante précision restent éternels. Donald Trump reprend les mêmes recettes. « Les rouges sont contre tout parce qu’ils cherchent des noises au pouvoir jusqu’à ce qu’ils l’aient obtenu, et alors ils cherchent à leur tour des poux dans la tête des autres » p.98.

Ce serait déflorer l’intrigue que de trop en parler mais disons seulement que la prophétie se réalisera, bien qu’autrement, sur fond de rivalité entre l’ancien et le nouveau, le club « international » et le club de quartier, les terrains occupés de PME en  crise et l’ambition urbaniste. Les junkies décatis et déjà passés de mode se heurtent aux nouveaux caïds (arabes immigrés après Franco) qui se sont taillé un territoire au couteau à cran d’arrêt. Pepe Carvalho évolue dans tous les milieux, traînant son nez empathique et sa propension à boire plus qu’à déguster de bons plats car il semble en perdre le goût (une seule recette de poivrons farcis accompagnés d’une épaule d’agneau, trop farcie elle aussi).

En revanche, que d’acuité dans la description du milieu footeux ! Les entraîneurs se croient obligés d’en rajouter en matière de « bite » et de « couilles », émaillant leurs interjections aux joueurs d’un virilisme exacerbé un brin louche. Ils me rappellent les entraîneurs du Gamin, traitant les adolescents de « pédés » et les incitant à « se mettre des couilles au cul » pour « jouer avec la bite » – ce qui pouvait se traduire par galvaniser leur énergie pour en vouloir et gagner. Mais ce vocabulaire rudement sexué laissait planer un doute sur les penchants de l’adulte entraineur envers les jouvenceaux rosis par l’effort, surtout lorsqu’ils ôtaient leur maillot en fin de match. Le foot, Montalbán l’expédie en deux phrases, dans la bouche de Monsieur relations publiques du Barça : « En tant que sport, je le trouve d’une stupidité lamentable. En tant que phénomène  sociologique, je le trouve fascinant » p.22.

Manuel Vasquez Montalbán, Hors-jeu (El delantero centro fue asesinado al atardecer), 1988, in Les enquêtes de Pepe Carvalho tome 3 : Les thermes, Hors-jeu, Le labyrinthe, Seuil 2013, 656 pages, €25.00

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Patrice Montagu-Williams, BOPE

patrice montagu williams bope

Un roman policier très contemporain pour connaître le Brésil, ce pays de contrastes violents ; une tragédie en trois actes qui laisse un peu sur sa faim mais qui dit sur le pays bien plus que les statistiques de l’ONU ou les reportages superficiels des journalistes internationaux.

Le BOPE est le Bataillon des Opérations Spéciales de la Police Militaire de l’État de Rio dont le logo est « une tête de mort dont le crâne est transpercé verticalement par un poignard » p.39. « Au nom de la volonté qu’avaient les autorités d’offrir au monde entier les JO les plus festifs de l’histoire dans la capitale mondiale de la samba, le BOPE était devenu la voiture-balai policière des magouilles et des maux urbains sur lesquels le gouvernement brésilien se gardait bien de dire la vérité aux centaines de journalistes étrangers convoyés depuis deux ans pour constater la réhabilitation des favelas » p.16.

Le roman commence fort, par une descente de la police militaire dans une favela où la guerre des gangs a débordé sur la ville. Flanqué malgré lui du journaliste Marcelo en quête effrénée de scoop, le capitaine Bento Santiago et son commando pénètrent le bidonville. Un ordre venu d’en haut lui enjoint de faire une pause aux abords d’une école pour laisser faire les fédéraux. Lorsqu’il parvient à avancer, 25 enfants sont morts avec leur maitresse…

Car la guerre des polices entre le Département de la police fédérale et la Police militaire n’est qu’un épisode de la corruption endémique et du bon plaisir des privilégiés du régime, riches ou puissants. Il suffit d’avoir du pouvoir politique, de gagner de l’argent ou de se tailler un territoire par les armes pour exister dans ce pays volcanique. Tout est sans cesse au présent : on ne rénove pas, on construit à côté ; les vieux remplacent leur femme par des jeunettes de 14 ans ; le trafic et la drogue font et défont les richesses par vagues successives.

Le vrai pouvoir, ce sont les « narcos et groupes armés. Ce sont eux qui faisaient régner l’ordre. Ils rendaient la justice et réglaient les conflits entre les habitants. Ils contrôlaient les entrées dans le bidonville, taxaient les fournisseurs, procédaient à l’installation des branchements sauvages sur le réseau électrique et veillaient au ramassage des ordures. Il y a peu, ils avaient refusé que l’on installe le tout-à-l’égout car ils ne voulaient pas que les autorités mettent si peu que ce soit le nez dans leurs affaires. Ce sont eux aussi qui attribuaient les logements à ceux qui en avaient besoin et qui récoltaient les loyers » p.57. Tout comme voudraient le faire les islamistes dans les banlieues d’Europe – le vrai pouvoir est à ce prix lorsque l’État recule à faire appliquer le droit, y compris en son sein.

Même si « le pays est en état de coma dépassé » p.106, le Brésil est fascinant, à la fois très ancien et très vivant. Ni le droit, ni l’ordre ne règnent, et la loi de la jungle rend l’existence plus éphémère, donc d’autant plus précieuse. Survivre est la préoccupation de chaque jour, des enfants aux vieillards : il s’agit de ne pas se faire tuer, de trouver les bons protecteurs, de ne pas se laisser prostituer. Même quand on est journaliste en vue et qu’une actrice veut se venger d’un ex-gouverneur qui la mettait dans son lit.

Rio est « cette mégapole monstrueuse de plus de quatorze millions d’habitants, à la fois superbe et dangereuse » p.29. Chacun peut y rencontrer « l’une de ces filles qu’on ne rencontre qu’au Brésil, pour lesquelles faire l’amour est une fonction aussi naturelle que dormir, boire ou se laver les dents » p.24. De quoi rêver. Chacun peut y boire une « agua de Alentejo. C’était un cocktail à base de cachaça avec de l’ananas, du lait de coco et de la crème de menthe battue avec de la glace saupoudrée de cannelle » p.96. Miam ! C’est aussi le pays où « avec l’aide de la bière et de la maconha, les barrières sociales, raciales ou sexuelles ont sauté, donnant à ces corps agglutinés l’illusion que rien n’est impossible » p.140. Rien.

Après cet échec du BOPE, le capitaine Santiago réfléchit. Il n’est pas une machine à tuer, ni un robot aux ordres. Il s’informe, noue des contacts ; il devient le parrain d’une ex-pute de 15 ans, Euridice. Un colonel bien informé lui ouvre les yeux : « Tu croyais te battre pour défendre l’ordre et la justice. Pas pour servir les intérêts de flics corrompus. Moi, tu vois, j’ai fini par m’y faire. Tu connais le proverbe chinois qui dit que le poisson pourrit toujours par la tête ? Eh bien, c’est exactement ce qui se passe dans ce pays… » p.113. Le capitaine Santiago décide donc de se mettre en congé du BOPE, pour reprendre sa liberté, ne plus être manipulé ni pris dans un engrenage de vendettas croisées. Il veut rejoindre les Indiens d’Amazonie dont son père était originaire, et aider à leur survie.

Alléché par l’action du premier acte, édifié par la complexité de la corruption au second acte, le lecteur de roman policier se trouve un peu frustré de ce renoncement du troisième acte. Mais pour qui veut comprendre le Brésil d’aujourd’hui, quel bon livre !

Patrice Montagu-Williams, BOPE – Dans les soutes du Rio des JO, 2016, Asieinfo Publishing, 149 pages, €11.00

D’autres romans de Patrice Montagu-Williams chroniqués sur ce blog

Précision p.15 : on n’appuie pas sur « la gâchette » d’une arme, mais sur la détente, la gâchette est une pièce essentielle, mais interne à l’arme... Autre précision : on écrit métis et pas « métisses » comme si le mot était constamment au féminin.

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