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Flaubert et les curés

L’Eglise catholique était à l’époque de Flaubert toute-puissante. Pleine de ressentiment pour avoir été bafouée à la Révolution, moins pour la perte de Dieu que pour celle de ses prébendes et de son pouvoir, elle a fait feu de tout bois jusqu’à la fin de l’Etat français instauré en 1940. La société moderne était anticléricale comme aujourd’hui les femmes sont anti-talibans, aussi naturellement. Flaubert avait été personnellement critiqué par les jésuites lors de la parution de son chef d’œuvre, Madame Bovary. Monseigneur Dupanloup, de l’Académie française, empêchait ses amis proches tels Renan, Taine et Littré entre autres, d’accéder à l’immortalité littéraire à ses côtés. Le « parti prêtre » sévissait en diable sous le Second empire puis la Troisième République. Résister était de salubrité morale.

Gustave Flaubert s’est donc moqué moins de Dieu (auquel il ne croyait que vaguement mais en respectait l’idée) que des pontifes imbus d’eux-mêmes de l’Eglise. Avec ses potes, il poursuit les farces de potaches du collège et croque des scénarios de théâtre et des textes de circonstances pour les fêtes entre garçons. Il se met alors dans le rôle convenu du Garçon, bourgeois épaissi dont on se gausse, ou du Cheick lors de son voyage en Orient, pacha à qui tout est dû. L’auteur de Madame Bovary n’est en effet pas un « ermite de Croisset » mais un bon vivant franchement rigolard qui aime la farce rabelaisienne et la vie bonne à la Montaigne.

Il signe parfois ses lettres R. P. Cruchard, révérend père du carafon, dont il finit par établir pour George Sand une biographie fictive dans Vie et travaux du R.P. Cruchard. Gamin, le futur révérend père gardait les bestiaux en chantant des cantiques et fut naturellement remarqué pour sa grâce angélique par Monseigneur Cuisse, évêque du diocèse de Lisieux, qui lui donna une bourse. A la fin de sa rhétorique, le jeune homme composa en hommage une tragédie intitulée La destruction de Sodome avant de s’intéresser à saint Thomas. Comme il en lisait toujours un ouvrage, « un de ses camarades disait spirituellement ‘qu’il couchait avec l’Ange de l’Ecole’ ». Quiconque a lu attentivement la Bible se souvient que les habitants de Sodome avaient abusés des anges de Dieu qui leurs avaient été envoyés, comme peut-être l’évêque de lui. Dans sa maturité, il prêcha aux Visitandines dont les Dames du Désespoir dépendent (nom inventé pour dire toute la mortification de chair que le christianisme impose à la gent femelle). Le R.P. Cruchard, en habile hypocrite d’Eglise qui sait manier la langue de bois cléricale, savait prendre les âmes : « Ne vous tourmentez pas du péché, disait-il, cette inquiétude est un levain d’orgueil. Les chutes ne sont pas toutes dangereuses et les vices deviennent quelquefois autant d’échelons pour monter jusqu’au ciel ».

Ce que Flaubert reproche au monde des curés est son hypocrisie : comment contourner « les jours maigres » imposés par la superstition destinée à assurer le pouvoir sur les âmes via leur estomac, alors qu’on est « Monseigneur » qui dit le vrai et le faux des Ecritures ? C’est simple : faites manger du poisson à un canard et il deviendra « viande maigre ». C’est ainsi qu’il le présente dans la comédie écrite avec Louis Bouilhet, intitulée d’un titre aussi ronflant qu’énigmatique La queue de la poire de la boule de Monseigneur. « M. le Grand vicaire est prêtre, il ne peut pas se tromper, nous sommes donc forcés de croire », dit une servante de Monseigneur.

La boule est un douillon de pâte qui cuit au four une poire dont la queue, avalée par le trop glouton Monseigneur, lui engendre une indigestion. Fort heureusement, ladite queue se retrouvera dans se selles que le fidèle zélé Onuphre, secrétaire de Monseigneur, touille d’une latte. Il faut dire que Monseigneur, archevêque in partibus, s’est tout d’abord goinfré de caviar, puis d’anguille, puis de canard « amaigri » par la velléité de manger le poisson avant que d’être tué, enfin des douillons. Dommage que son anniversaire tombe justement un vendredi maigre, quel festin aurait-il eu lieu un jour gras ! Monseigneur entraîne autour de lui le grand vicaire Cerpet (serre-pets), l’abbé Colard (qui colle), l’abbé Pruneau (indigeste) et l’abbé Bougon (râleur l’estomac vide), tous fort gourmands de chère à défaut de chair. Quoique Cerpet « traite comme son frère » Onuphre : « il a commencé avec lui »… lequel dévergonde sur cet exemple le jeune Zéphyrin encore adolescent, les yeux cernés, l’air bête : « voilà ce que c’est que de fréquenter Onuphre » sans compter en sus qu’il « prend sa leçon avec Monseigneur ». « D’ailleurs, ce n’est jamais décent de fréquenter si intimement les personnes de son sexe », ajoute Flaubert malicieusement pudibond. « Tout mon mal, comme dit Onuphre, est d’avoir avalée cette queue », rappelle Monseigneur. Une allusion grivoise dite comme on pense, sans y penser, tant c’est naturel aux curés de s’enfiler des queues. Onuphre, « le serpent qu’on a réchauffé dans son sein » en rajoute une couche dans le grivois ; il faut en effet prendre cette image au premier degré – physique.

Ce que reproche Flaubert à l’Eglise est d’avoir rendu le corps honteux et la pudibonderie obligatoire, dans la même ronde que la « punition des plaisirs sensuels » – tandis que les mœurs dans les alcôves demeuraient tout autres. Une hypocrisie physique reprise avec enthousiasme par la bourgeoisie qui, les aristos lanternés, s’est empressée de prendre leur place et d’imposer « les convenances » malgré la Révolution. Il en sera de même après mai 68, les pires gauchistes dévergondés se rangeront en bourgeois puritains, conservateurs en sexualité une fois la cinquantaine (et la méno ou andro pause) venue. C’est bête, les gens…

Gustave Flaubert, Vie et travaux du R.P. Cruchard, 1873

Gustave Flaubert, La queue de la poire de la boule de Monseigneur, 1867, avec la collaboration et les illustrations de Louis Bouilhet, Nizet Aubenas, imprimerie Habauzit 1958, occasion rare €150.00

Gustave Flaubert, Œuvres complètes IV 1863-1874 : Le château des cœurs, l’Education sentimentale 1869, le Sexe faible, le Candidat, La queue de la poire, Vie et travaux du RP Cruchard, Gallimard Pléiade, édition Gisèle Séginger, 2021, 1341 pages, €64.00

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Marie Desjardins, Ambassador Hotel

Marie Desjardins, auteur francophone nord-américaine, a publié plusieurs biographies et des écrits sur le jazz et la musique populaire (Sylvie-Johnny love story, Vic Vogel histoire de jazz). Elle se lance avec ce roman dans la carrière mythique d’un groupe de rock inventé, RIGHT, dont le nom est formé par les premières lettres de chaque homme du groupe (aucune femme). Outre le talent de chacun, Clive à la guitare basse, John puis Lincoln à la batterie, Bronte puis Mick au piano, c’est bien la voix de Roman, le chanteur, qui emporte tout. Il est le personnage principal, le héros, la star du rock.

Le dessin de couverture reproduit son portrait donné à la fin du livre, p.546, lorsqu’il était au tout début de sa vingtaine : « lors du concert spécial qu’il avait donné à Londres en 1968 pour souligner la sortie de [l’album] Right There, torse nu, pectoraux saillants, micro brandi devant sa bouche démesurément ouverte – une vraie gueule. » Curieusement, le puritanisme nord-américain qui monte censure les tétons, même des hommes. Or, l’auteur le montre, le rock est né dans les milieux populaires anglais des années 1960, Roman à Twickenham, et avait pour objectif de faire éclater le carcan rigide de conventions et de pudibonderie de la très petite bourgeoisie victorienne confite en macération religieuse. Le torse nu était de rigueur, sur scène et ailleurs, garçons comme filles, et les rock stars n’hésitaient pas à déambuler entièrement nus dans leurs loges ou autour des villas louées pour enregistrer les albums.

Le torse nu, montrer ses muscles, était le symbole viril du mâle qui s’affirmait, de l’artiste contre les valeurs du négoce et de l’abrutissement industriel, un appel sexuel et un symbole d’énergie. Car il y avait de la vie dans le rock, bien plus qu’aujourd’hui dans le rap ! Le bruit, le rythme, le cri, étaient autant que les inventions, les mélodies et les paroles, porteurs de sens. Il s’agissait de fusionner le temps d’un concert, de laisser entrevoir une autre vie, de porter le public dans un état que la société banale ne pouvait provoquer – sauf en guerre, peut-être.

Les filles ne s’y trompaient pas, qui tombaient amoureuses, s’enflammaient comme des groupies, n’hésitaient pas à tailler pipe sur pipe aux proches techniciens pour accéder aux coulisses et voir de près ou même toucher l’idole qui allait chanter. Roman profite d’un temps de soliste pour saisir une groupie qui cherche à se hisser sur la scène, l’entraîner dans les coulisses et la baiser tout de go (p.234). Aujourd’hui, les aigries diraient qu’il la viole, mais la fille était consentante, ô combien ; elle comme d’autres ont gardé longtemps des étoiles dans les yeux et des frissonnements dans le con d’avoir été baisées par un demi-dieu. Notre auteur reste muette sur les désirs des garçons pour leur semblable, cela ne semble pas être socialement correct au Canada aujourd’hui, même si elle a cette phrase ambigüe lors d’un déplacement à 17 ans de Roman avec deux potes, pour faire de la musique à Londres : « Il avait l’impression d’être Elvis. C’était divin. Il se foutait complètement d’avoir mal dormi sur le matelas de camping empestant le moisi dans la camionnette, aux côtés de Derek et de Burt, l’un ronflant, l’autre lui ayant grimpé dessus pendant la nuit » p.42.

Né en 1945, Roman Rowan au curieux nom dont les lettres m et w constituent comme les deux mandibules d’une mâchoire narcissique, a 15 ans en 1960. Il baise à 14 ans, lâche le lycée qui l’emmerde, envoie du « cause toujours » à sa mère qui veut régenter son adolescence, constitue un groupe de rock dans un garage avec deux potes et donne des représentations à 17 ans. Mais c’est le 5 juin 1968 que son groupe va enfin émerger, à l’Ambassador Hotel, rasé depuis, où Bob Kennedy se fait descendre par un taré. La chanson produite à chaud dans l’effarement et l’émotion, Shooting at the Hotel, deviendra célèbre, reprise en boucle sur les radios durant des années. L’un meurt pour l’humanité, l’autre chante pour l’humanité, ainsi se passe le flambeau, dans le hasard et la chance.

A 69 ans, pour ses derniers concerts dans le monde, Roman Rowan revient sur sa vie mouvementée et s’interroge : qu’en a-t-il fait ? Il a créé du lien, comme on dit aujourd’hui ; il a remué les foules, a enchanté des générations, a baisé des centaines de filles ravies ; mais un Mexicain s’est tué devant la scène, une fille s’est suicidée de désespoir – les dieux sont dangereux. Il a eu trois épouses – la première était une pute – et une fille, niaisement prénommée Chance. Mais la femme qui l’a le plus marqué, outre sa mère Eirin, fut une cubaine exilée, Havana. L’auteur ne se foule pas pour choisir les noms : Clive venant de Guernesey s’appelle Hélier comme la capitale de l’île, la cubaine comme La Havane… Havana a vu Roman lorsqu’elle avait 6 ans à l’Ambassador Hotel, ce fameux jour où… Elle a pris une photo au Kodak instamatic que lui avait offert sa grand-mère, et Roman lui a fait un grand sourire comme s’il la comprenait. Quarante ans plus tard, elle a repris contact pour faire un livre de photos sur cet homme, mais elle était trop réaliste et fouillait trop profond dans les intimités – Roman effrayé a pris ses distances. Pourtant, c’est peut-être elle qui a le mieux compris la solitude du chanteur de fond.

Ce pavé romanesque, c’est du lourd – 660 g, j’ai pesé. Il est obèse à l’américaine et aurait été plus séduisant un brin svelte, plus dynamique une fois musclé le texte, telle l’image donnée du héros. Il est construit en quatre parties : la première alternant les débuts dans les années 60 et la fin en 2014 ; la seconde faisant témoigner divers acteurs ; la troisième reprenant des moments-clés ; la quatrième contant les derniers concerts. Subsistent, pour les Européens, des anglicismes curieux comme « performer » pour offrir une représentation, « inspirante » qui ne veut rien dire et « publiciser » pour en faire la publicité. Ou encore « la » Nikon pour désigner « l’appareil photo » Nikon (donc au masculin), « le » party pour une partie (genre boum) ou « la » passe pour le passe (partout) destiné à entrer quelque part, confusion vite pornographique si l’on se laisse dire. Je reste dubitatif aussi sur « le corps éthérique » p.18 et « le système ambiophonique » p.277 qui sonnent plus furieusement globish que français.

Ces originalités et ce poids n’empêchent pas le roman de Marie Desjardins d’envoûter. Il fait revivre une époque révolue, celle de la jeunesse de beaucoup. Il montre surtout combien « le sexe » que l’on reproche à mai 68 et à ses suites comptait moins que l’énergie, et que le partage fusionnel comptait plus que l’éclatement individuel. Deux façons de voir le monde que nous avons perdues, régressant à la pudibonderie effarouchée et à l’égoïsme sacré. Pour comprendre ce changement du monde, je vous recommande vivement ce gros roman d’époque.

Marie Desjardins, Ambassador Hotel – La mort d’un Kennedy, la naissance d’une rock star, 2018, Editions du CRAM (Canada), 593 pages, €19.00 e-book Kindle €12.99

Une entrevue avec l’auteur sur YouTube

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Yasunari Kawabata, L’adolescent

Yasunari Kawabata L adolescent

Cet ouvrage est un grenier rassemblant divers écrits rédigés durant l’âge tendre. Il a ce côté poussiéreux et anarchique du grenier, pour cela même il est touchant. La prose de Yasunari à 15 ou 17 ans est naïve, sentimentale et fragmentaire. La famille et les souris ont mélangé et brouté nombre de pages, à moins que ce prétexte soit coquetterie d’auteur à 50 ans pour éliminer des écrits trop impudiques ou personnels. Il a lui-même jeté au feu les originaux une fois la sélection opérée.

Le livre débute par des Lettres à mes parents, publiées dans des revues de jeunes filles quand l’auteur avait 33 ans. Il y évoque son enfance, mais surtout sa douleur sourde d’être à jamais orphelin. Chacune des lettres aux défunts se termine par ce mantra : « Père et Mère, reposez en paix, vous qui êtes morts sans avoir laissé à votre unique fils aucun moyen de se souvenir de vous ».

Mais le cœur du recueil est L’adolescent, édité sous forme de ‘nouvelle’ mais qui reprend des passages entiers des journaux intimes écrits à 17 ans, une rédaction personnelle à 18 ans et des souvenirs rédigés à 23 ans à l’université. L’adolescent est lui-même qui se raconte et un autre, le beau Kiyono de deux ans plus jeune.

Suivent des fragments du Journal de ma seizième année, écrit à l’âge de 15 ans – car la coutume japonaise est de compter depuis la conception et non depuis la naissance, rajoutant une année de plus à chaque âge. Il y raconte les derniers moments de son grand-père, 75 ans, grabataire et constipé. Il va même jusqu’à noter les paroles du vieillard en continu, écrivant sur un tabouret flanqué d’une bougie, à côté du matelas.

Deux nouvelles évoquant l’enfance vague sont ajoutées au final, précédant deux postfaces pour préciser…

Refoulement ou nécessaire oubli, Kawabata se souvient très peu de son enfance ; la plupart de ses souvenirs personnels sont reconstitués à partir des récits familiaux. Il se souvient en revanche fort bien de son adolescence, dès son entrée à l’internat du collège, à 16 ans. Confronté pour la première fois aux autres, aux pairs, il les observe de toute sa sensibilité à vif, les aime ou les déteste, mais ne reste jamais indifférent. Part sombre, l’enfance ; part lumineuse, l’adolescence. Deux portraits : le grand-père, aimé mais en déchéance ; l’ami Kiyono, 15 ans, deux classes au-dessous, qu’il a protégé et étreint deux années durant au dortoir, sans aucun émoi sexuel réciproque. Kiyono était beau, Yasunari se trouvait laid ; Kiyono était confiant, Yasunari tourmenté ; Kiyono était aimé de ses parents et d’une fratrie de garçons délicats et fermes, Yasunari était désormais entièrement orphelin, souffreteux et malingre. Enfiévré de lectures, il a développé avec l’affable et candide Kiyono l’amitié éthérée de Platon, dormant le bras passé sur sa poitrine nue, caressant ses lèvres pour fusionner avec son âme. Le cadet était reconnaissant à l’aîné d’être tout pour lui et d’empêcher les grands d’abuser de son innocence, sans le savoir encore. C’est ce dont il se rend compte des années plus tard dans ses lettres. « Je n’arrive pas à m’habituer à l’idée d’être un adulte. Comment faire pour perdre mon cœur d’enfant ? » écrit Kiyono à Yasunari à 18 ans (p.161).

jeunes japonais endormis

Kiyono mutera en danseuse d’Izu et autres très jeunes filles des romans ultérieurs, mais jamais l’adolescent ne quittera l’imaginaire de l’écrivain. Le côté féminin de l’éphèbe Kiyono à 15 ans est accentué encore chez son petit frère de 12 ans, pris souvent pour une fille. Comme Kawabata a des doutes, un camarade lui montre : « Alors, se redressant, il prit l’enfant à bras le corps à la manière des sumos, révélant brusquement ce qui pouvait être considéré comme la preuve la plus élémentaire » p.109. Nous sommes en juillet et les enfants ne portent à cette époque que le haut d’un kimono, à peine retenu par une ceinture. Mais cette complexion gracile n’empêchait pas Kiyono d’être ferme en art martial : « D’après ce qu’il dit, il était capitaine des quatrième année [16 ans] et a battu celui des cinquième année [17 ans], son adjoint et un de ses subordonnés, en tout trois personnes. A lui tout seul, il a permis aux quatrième année d’être victorieux. Kiyono n’était absolument pas un être faible et efféminé » p.163.

Cette amitié particulière redonnera goût à la vie à l’auteur solitaire après la mort de son grand-père, dernier lien familial ; elle sera la base lui permettant d’aller vers les autres, les jeunes filles et les femmes. Il gardera toujours une inclination pour la beauté des corps, pour la fraîcheur de la jeunesse, mais se mariera et aura des aventures avec des servantes d’auberge. Le sexe n’est jamais ‘péché’ au Japon, jamais faute métaphysique contre Dieu ou le Bien en soi, mais toujours ramené au bon ou mauvais pour le partenaire et la société. Est bon ce qui fait du bien, pas ce qui entre dans les règles de la Morale transcendante. Rafraîchissant écart avec la pudibonderie les religions du Livre et de ses traînes moralistes chez les laïcs aujourd’hui les mieux affirmés.

Le lecteur néophyte lira L’adolescent après les romans de Kawabata, tant ce pot-pourri d’écrits autobiographiques sélectionnés et fragmentés n’est intéressant que si l’on connait l’œuvre. Il l’éclaire avec gravité, tant la jeunesse est toujours le bourgeon déjà formé qui va éclore, révélant à l’âge mûr ce qu’elle contenait déjà.

Yasunari Kawabata, L’adolescent – écrit autobiographique, 1921-1947, traduit du japonais par Suzanne Rosset, Albin Michel, 1992, 238 pages, €13.97

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Crise du clientélisme à Tahiti

Mais où sont partis les sous de Teva I Uta ? La chambre territoriale des comptes vient de rendre public un rapport sur la gestion de la commune de 2004 à 2010. Cette municipalité a « vécu au-dessus de ses moyens » masquant parfois la réalité budgétaire grâce à une présentation insincère des comptes ».

Teva I Uta est sur deux communes Mataiea et Papeari, 8591 habitants. La juridiction financière pointe du doigt les dépenses de fonctionnement (71,3% de frais de personnel soit une augmentation de 25% des charges de personnel en cinq ans; des dépenses engagées non mandatées, etc.). Pour payer les salaires des agents municipaux la commune puisait dans ses recettes d’investissement (subventions du FIP principalement), n’arrivait pas à payer ses dettes. Il y a 120 agents municipaux dont le salaire moyen est supérieur à 290 000 FCP. L’eau est non potable quand nous avons la chance d’avoir de l’eau, et le réseau en très mauvais état. Pas d’autocontrôle, aucune information aux usagers, et pourtant la commune dispose sur son sol d’une ressource naturelle abondante et de qualité en eau. Où est la rigueur ?

La dernière étude du centre d’hygiène et de salubrité publique annonce une amélioration de la qualité de l’eau distribuée à Papeete, Bora Bora, Arue, Huahine, Faa’a et Rikitea. Elles seules présentent 100% de potabilité en 2011 contre seulement 2% en 2010. Trois communes demeurent au niveau zéro : Hao, Hitiaa O Te Ra et Teva I Uta. Les analyses n’y sont pas faites ! On garde tout de même l’espoir à Papeari (commune associée de Teva I Uta) d’avoir de l’eau courante au robinet, et pourquoi pas potable également lors de l’installation de la nouvelle prison. Un comble ! A défaut de boire de l’eau potable, vous souhaitez vous baigner ? Atation, atation (attention à la Polynésienne) la qualité des eaux de plage et de rivière laisse à désirer. Vu le prix du billet d’avion, vu le risque de se faire dépouiller et massacrer par des bandes de chenapans, vu le risque encouru en voulant boire l’eau du robinet quand il y en a, vu les lieux de baignade déconseillés… il serait plus sage, touristes, de rester chez vous ou d’aller ailleurs.

Titre de la Dépêche du 16/03, Transport : Bras de fer avec l’armateur des navettes. Gare maritime cherche bateaux désespérément. La situation a évolué depuis, l’armateur a gagné, il pourra se rembourser sur le dos des passagers. Le chantage a payé. De plus, il est seul sur la ligne Moorea-Papeete, en situation de monopole.

Même Dépêche, Finances : Pierre Frébault (ministre des finances du PEI, syndicaliste) a trouvé un prêteur pour le programme d’investissement du gouvernement d’Oscar Tane. Le pays souscrit un « forfait » à 5 milliards chez Tikiphone (l’Orange, le SFR, et autre du Pei !)

Dépêche du 21 mars, Justice : Le tribunal administratif prononce l’illégalité de certains emplois au cabinet du gouvernement Temaru. Annulation de 41 arrêtés de nomination sur 50. Onze ministères sur douze sont touchés ! Le gouvernement n’a pas souhaité commenter cette décision.

Surprise pour les automobilistes sur la route de Nuutania, Violette Tarahu réclamait un droit de passage aux automobilistes ! 100 balles ! Cette dame est mécontente parce que l’État « ne peut pas me payer ». « Que justice soit faite et que je sois dédommagée de cet acte de barbarie (un abattage d’arbres) que le directeur de la prison m’a fait ». « C’est lui qui est entré dans ma terre, dans notre propriété et c’est moi qui doit payer. »

Maiao est une commune associée à Moorea, sise à environ 70 km au sud-ouest. 250 habitants y travaillent le pandanus et le coprah. Sa vie est très communautaire. Mais 15 élèves n’ont pas fait leur rentrée scolaire 2011/2012. Depuis 6 ans un centre d’hébergement a été construit sur Moorea pour les collégiens de Maiao qui ne rentrent chez eux qu’aux vacances. C’est une navette communale qui les transporte, auparavant c’était un vol d’hélicoptère. Les parents considèrent que les enfants rentrant en 6ème sont trop jeunes pour partir seuls. Pour les plus grands, ils veulent les garder pour les aider au pandanus et au coprah. La vie communautaire à Maiao est responsable de leur refus de se séparer de leurs enfants en âge scolaire. Les parents exigent d’avoir sur place une classe de sixième et une de cinquième sur l’île pour leurs 15 enfants ! Seuls 9 enfants ont intégré à la rentrée scolaire le collège de la 6ème à la 3ème. Les affaires sociales, le chef d’établissement, le procureur de la République, le tavana de Moorea, l’administrateur des Iles du Vent, tout le monde est sur la brèche… mais les enfants toujours pas à l’école !

Dans la Dépêche d’un dimanche, un raerae sans complexe affirme : « Dieu nous a créés ainsi, nous sommes des humains aussi. L’intolérance n’a pas de couleur politique. Les regards désapprobateurs proviennent de représentants de tous les partis. Lui travaille à l’Assemblée de Polynésie en tant que collaborateur auprès de la représentante S. Birk. Ce sont surtout ceux qui sont dans la religion qui ne nous acceptent pas. Les raerae qui se prostituent ont dû fuir leur foyer parce que leur papa ne les acceptait pas. J’aimerais qu’un parti politique ait un raerae sur sa liste. Tous les raerae voteraient pour lui »

[Un réré – comme ça se prononce – est un garçonfille mahou qui refuse la virilité depuis l’enfance. On dirait aujourd’hui ’emoboy’. Jadis accepté parce qu’il régulait la démographie et rendait plus diverse la société – grands musiciens, cuisiniers émérites, amoureux initiant les adolescents au sexe – ils sont devenus avec la pudibonderie missionnaire et les relations mercantiles des marins, des prostitués. Donc exploités, méprisés, esseulés. Voir les liens sur ce blog – Argoul]

J’ai très chaud 32°C, 89% d’humidité, je suis fiu, je vous quitte, à la revoyure.

Hiata de Tahiti

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Lucas Cranach et son temps, musée du Luxembourg

A Paris jusqu’au 23 mai, après Francfort en 2007, Londres en 2008, Rome et Bruxelles en 2010 les bobos redécouvrent Lucas Cranach, peintre allemand luthérien de la Renaissance. Une soixantaine de tableaux font de cette courte exposition un délice d’érotisme, de religion et de culture. Affinité protestante ? On dit que le générique de ’Desperate Housewives’ emprunte à Cranach l’une de ses Eve.

Né allemand en 1472 en Franconie, Lucas prend le nom de sa ville natale Cranach. Il début par des scènes religieuses comme la Crucifixion et la Fuite en Égypte, présentes au musée du Luxembourg. Il est inspiré autant par la profusion rigide des gravures de Dürer et par les paysages d’Altdorfer que par les couleurs italiennes. En 1505, il devient peintre de cour de Frédéric de Saxe qui l’ennoblira en 1509. Cranach a du succès, il sait se plier aux demandes de son temps.

Il délaisse alors les scènes pieuses pour se lancer dans le portrait à la vêture riche et dans la décoration des demeures destinées aux fêtes. Il fait un séjour auprès de Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, entourée d’artistes humanistes. Ce brillant social lui inspire une élégance d’exécution et un attrait jamais démenti pour les femmes fortes et vertueuses. Ses dames sont d’autant plus célèbres qu’il les peint nues. Après une centaine de Vierges, il exécute sans voile pas moins de 39 Vénus, 35 Eve et Lucrèce, 19 Judith, 12 nymphes et d’autres Aphrodite… L’exposition retient une Nymphe à la source de 1518, une Vénus de 1529, une Lucrèce de 1532 et une Justice de 1529 qui fait l’affiche.

Pudibonderie catho – du temps et du quartier, le 6ème arrondissement – la fille est intégralement nue sur la grande affiche, mais le sexe voilé par le bandeau de texte sur la porte du Sénat ! Plus intégriste que Luther tu meurs… Nous avons vraiment la droite la plus tartufe d’Europe (majoritaire au Sénat). « Au temps où les faux culs sont la majorité, chantait Brassens, gloire à celui qui dit toute la vérité ! »

Si la Justice est nue, fors un voile si léger qu’il en accentue l’érotisme, c’est qu’elle est désirable. La Renaissance nous a donné le désir de retrouver la lumière grecque antique, la transparence des débats sur l’agora et le ciel des Idées. Luther combat le catholicisme car il obscurcit les textes tout en noyant les fidèles sous la pesante hiérarchie pontificale romaine, où l’autorité ne vient que d’en haut. Premier « renverseur » des choses (avant Marx), Martin Luther veut que tous puissent lire le texte littéral de la Bible et que chacun puisse devenir pasteur s’il est inspiré. Contrairement à l’islam hanbaliste ou déobandi, le protestantisme opère un retour au texte littéral pour une libération des hommes, pas pour figer la loi ! Ce sont tous les pays de l’arc germanique, de l’Autriche à l’Angleterre en passant par la Scandinavie, qui se dressent contre Rome et sa prétention à régenter le monde connu.

Nous vivons les suites de ce mouvement d’un demi-millénaire lorsque les Anglais refusent l’Europe napoléonienne centralisée de la France, lorsque les Allemands refusent le césarisme bonapartiste dont ils ont souffert sous le nazisme, lorsque les Suédois refusent la gabegie de fonctionnaires irresponsables selon les mœurs latines.

Cranach, devant la demande, va établir à Wittenberg un atelier avec ses fils Hans et Lucas le Jeune, qui comprendra jusqu’à 14 employés. Il est élu bourgmestre de la ville, notable établi, anobli. Son style est reconnaissable entre tous : une taille souple et un corps longiligne, des seins menus qui n’ont jamais allaités, un visage en cœur à la Botticelli, les yeux en amande, le teint rose laiteux, lumineux. Ces corps désirables sont une érotique prépubère, tirée tant des anges éthérés qui peuplent le paradis que des Idées platoniciennes pour qui le meilleur amour reste abstrait, sublimé. Épilé, nu, gracieux, le corps des femmes de Cranach est celui d’adolescentes qui n’ont pas été mères. Un corps de houri délectable au-dessus duquel il est écrit « pas touche ! ».

La nudité effrontée contraste en effet avec les thèmes bibliques (Judith) ou de la vertu antique (Lucrèce) et avec les maximes moralisatrices que le peintre écrit au-dessus des têtes (Nymphe à la source). Vade retro, satyres membrus ! Une gravure dans l’exposition montre en effet la nymphe alanguie sommeillant, surveillée avec avidité par deux satyres aux pieds fourchus dont l’un arbore un dard dressé comme un bourgeon au printemps. Un jeune homme bien fait, sexe au repos, se tient placide et nu, assis tel Apollon bienveillant et sans désir, sur un côté du tableau (désolé, pas de photo sur le net…).

Tel est l’érotisme de Cranach : la pédagogie du monde tel qu’il est pour mettre en garde les humains. Le désir est diabolique, la séduction ensorcelle, l’oisiveté mélancolique rend vain. Les femmes sont capables de faire de vous un pantin, tel Hercule chez Omphale ou cette dame qui met la main dans la Bouche de la vérité, jurant que seul son mari et le fou l’ont touchée. Elle a déguisé l’amant en fou, avec deux oreilles ridicules, pour braver la vérité ! La société catholique, hiérarchique, romaine avec faste, est l’enfer sur terre pour les Luthériens. Cranach démonte ses artifices pour montrer la vérité nue : le désir pour la femme existe, il doit être maîtrisé pour servir le Seigneur. Loin de l’interdiction des images de l’islam intégriste, le protestantisme veut mettre en lumière l’entière vérité sur le monde tel qu’il est. Afin que chacun soit conscient de ce qu’il fait.

Est-ce un air du temps ? L’Europe redécouvre Cranach comme une Renaissance de sa culture – la France en retard, toute confite en hypocrisie catho-bobo politiquement correcte. Ô Molière !

Musée du Luxembourg du 9 Février au 23 Mai 2011, 19, rue de Vaugirard, Paris VIe.

  • Tél 01 40 13 62 00
  • Ouverture tous les jours de 10h00 à 20h00, le vendredi et samedi jusqu’à 22h00
  • Plein tarif : 11 €
  • Tarif réduit : 7,50 € étudiants, chômeurs, gratuit pour les minimas sociaux (sur justification)
  • Billet Famille (2 adultes et 2 jeunes de 13 à 25 ans) : 29,50 euros
  • Accès :
  • RER B, Luxembourg
  • Métro : ligne 4,  Saint Sulpice, ligne 10,  Mabillon
  • Bus : lignes 58, 84, 89, arrêt Luxembourg ; lignes 63, 70, 87, 86, 93, arrêt Saint Sulpice

Anne Malherbe, Lucas Cranach, peindre la grâce, À Propos, 11.40€

Naïma Ghermani, L’Europe au temps de Cranach, RMN, 8.55€

Guido Messling, Cranach et son temps, Flammarion, 271 pages

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