L’âge d’or, ce rêve des conservateurs qui veulent « revenir à », date des Grecs antiques. Reynal Sorel en fait une entrée dans son Dictionnaire. En fait, c’est une expression d’Ovide dans les Métamorphoses. Les Grecs parlent plutôt d’une « race d’or » ou du règne de Kronos. Cela désigne un genre de vie des humains périssables avant l’avènement de l’ordre de l’Olympe instauré par Zeus.
Selon Hésiode, l’historien de la religion grecque, la castration d’Ouranos est la condition de l’âge d’or. Kronos, son fils, a castré son père Ouranos qui ne cessait de copuler avec Gaïa sans permettre à ses descendants de voir le jour. Une fois castré, Ouranos s’éloigne définitivement de Gaïa, faisant lui le ciel et elle la terre. Kronos entame alors son règne dans un monde déplié.
Kronos est le dieu qui nie la génération en castrant son père, et la reproduction en avalant sa propre progéniture avec sa sœur Rhea, les futurs Olympiens. C’est le pouvoir brut qui se prend à fabriquer lui-même la première race d’homme périssable pour avoir matière à offrandes. Car la disparition de l’univers est toujours là sous la forme d’un couple issu de la nuit primordiale, Thanatos et Hypnos. Ces puissances ne peuvent rester vaines et inactives, d’où la nécessité des êtres périssables pour leur assurer du travail. Ces mortels, ce sont des hommes vivant comme des dieux. C’est-à-dire dans un temps suspendu. Ces préhumains succombent néanmoins au sommeil avant de renaître jusqu’à avoir épuisé leur stock de possibles. Ils vivent dans une nature qui produit sans cesse et sans problème. Kronos n’a pas fabriqué de véritables humains, mais seulement des asexués voués à périr.

Zeus va détrôner son père par ruse et le refouler dans l’obscurité brumeuse du Tartare. Fin de l’âge d’or. Introduction de la race des femmes, invention olympienne qui instaure l’âge de la nécessité de se nourrir soi et l’autre, mais également de se reproduire sexuellement. Platon, dans le Politique s’intéresse au genre de vie de l’ancienne humanité sous le règne de Kronos. Selon lui, il n’y avait point de constitution et point de de femmes ni d’enfants. Tous montaient du sein de la terre pour prendre vie et trouver une végétation toujours spontanée et généreuse pour leur permettre de vivre comblé, nus et a l’air libre. Mais Kronos parque les mortels en troupeaux régentés par des pasteurs divins. C’est ainsi que les hommes parlaient avec les bêtes.
Cet âge d’or du règne de Kronos semble a priori souhaitable : abondance de végétaux qui comble le moindre besoin, prise en charge des vivants répartis en troupeaux par des pasteurs divins. Aucune nécessité : ni celle de travailler, ni celle de se protéger, ni celle de se reproduire. Ce fut l’idéal du communisme soviétique – avant les dures réalités. Mais l’âge d’or vit dans l’absence : de mémoire, d’autonomie, de savoir-faire, de descendance. Aucun usage n’est fait de la partie rationnelle de l’âme : ce n’est pas un genre de vie au sens grec, mais une vie sans accomplissement – végétative. Ainsi la Russie issue de l’URSS a stagné depuis trente ans, à l’inverse de la Chine communiste, qui a pris son essor depuis trente ans. C’est que l’une a usé de pure obéissance, et l’autre d’intelligence.
Ce pourquoi Platon revient à la fin de sa vie sur le règne de Kronos comme mythe. Il évoque une forme d’autorité et d’administration particulièrement heureuse qui peut servir de modèle aux cités aujourd’hui. La nature incomplète de l’homme l’empêche de régner en maître absolu toutes les affaires humaines sans se gonfler de démesure et d’injustice. On le voit aisément avec Poutine (et Trompe). Kronos donne pour chefs des êtres d’une race supérieure aux hommes. Et aujourd’hui ? Sous le règne de Zeus, ce sont les humains qui dirigent les cités et nous devrions imiter Kronos pour faire des Meilleurs et des plus intelligents les dirigeants de nos troupeaux nationaux. Ce n’est pas toujours le cas, et la démocratie a ses inconvénients : on note la revanche envieuse des populistes attisée par Mélenchon, le faux bon sens populaire du RN incapable de nuances, la haine des hillbillies, ces ploucs des collines vantés par JD Vance.
Le mythe de la vie sous Kronos, l’âge d’or, est exemplaire.
Pour les revanchards conservateurs, tel Poutine, il s’agit de retrouver un moment historique de puissance et de stabilité sous un despote éclairé – comme les cochons d’Orwell.
Pour l’intelligence après Platon, il s’agit de s’affranchir de toute passion en se soumettant à ce qu’il y a d’immortel en nous. En surmontant la technique, l’internet, l’IA – et leurs dérives.
Bien sûr, l’âge d’or est un mythe. Une source d’enseignement pour les Grecs. Mais l’âge d’or n’est pas un âge humain. C’est à nous d’en tirer des leçons pour notre temps.
Reynal Sorel, Dictionnaire du paganisme grec, Les Belles lettres 2015, 513 pages, €35.50
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