Articles tagués : années 80

Ready Player One de Steven Spielberg

Wade Owen Watts (Tye Sheridan) n’est pas encore né, il ne naîtra qu’en 2027. Mais, en 2049, orphelin depuis longtemps, il vit à 22 ans dans un taudis à Columbus (Ohio) avec sa tante qui l’a recueilli et le beauf macho qui est son compagnon. La société s’est effondrée avec la crise énergétique et climatique, et la société américaine « développée » s’est réfugiée dans l’illusion. La « réalité » virtuelle a remplacé la réalité tout court, tout comme les fausses vérités de Trompe remplacent dès aujiourd’hui la vérité réelle.

C’est ainsi que des petits génies de la tech, James Donovan Halliday (Mark Rylance) et Ogden Morrow (Simon Pegg), ont créé la société Gregarious Games – et fait fortune. Halliday est un inadapté social qui a voulu que l’Oasis remplace le monde réel où il se sentait mal. Il a inventé un système mondial de jeu vidéo multijoueurs, accessible par des casques de réalité virtuelle, des gants et des combinaisons qui simulent les sensations tactiles depuis chez soi dans son taudis. Dans ce métavers idéal, chacun compense ses frustrations dans la vie réelle. Une « bonne » façon (américaine) de se faire un max de fric avec la solitude et la psychopathie créée par le système économique où l’homme est un loup pour l’homme.

D’ailleurs, la compétition est ici encore encouragée. Halliday ne quitte pas le système américain lorsqu’il propose dans une vidéo, à sa mort en 2040, de « donner » les actions de son entreprise à celui ou celle qui parviendra à « gagner » (à l’américaine, où tous les coups sont évidemment permis) l’easter egg (œuf de Pâques) caché dans l’Oasis. Le gagnant des trois clés permettant d’ouvrir le coffre de l’œuf aura 500 milliards de $ et les pleins pouvoirs sur le jeu. De quoi devenir Maître du monde, même s’il n’est que virtuel.

Depuis cinq ans, rien. Nul n’a réussi à avancer dans le concours. Wade, sous son avatar de Parzival (le Perceval de la Quête du Graal) qui le magnifie en blond à la coiffure proliférante et aux yeux bleu clair, le corps tatoué de partout sous son tee-shirt noir et veste de jean sans manches ornée d’une épée d’or dans le dos, décide de devenir lui aussi un chasse-œufs. Il se mesure aux Sixers de la société Innovative Online Industries (IOI) dirigée par Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn). Cet entrepreneur qui n’a rien inventé veut mettre la main sur l’Oasis en remportant le concours, pour maximiser les profits avec de la pub. Wade veut que le jeu reste libre. Deux conceptions du capitalisme américain : le fric ou le divertissement – on ne sort pas du système, mais le jeune Parzival est plus sympathique que le technocrate Nolan qui s’est créé un avatar de gros con musculeux bien que lent du cerveau. D’autant que Parzival n’a pas une armée d’experts à sa solde, comme le business man qui les fait bosser à des horaires d’esclave, mais quatre amis et son astuce. Toujours le mythe du Pionnier, seul contre la nature hostile.

Il échoue dans l’épreuve de la course automobile, où il retrouve son grand ami Aech (sous avatar super-mâle Terminator et qui se révélera être… la fille Helen – Lena Waithe) et la fameuse Artémis (déesse de la chasse) sous l’avatar d’une jeune rousse à moto (Olivia Cooke). Il se tourne alors vers les archives de la vie d’Halliday, un ensemble d’enregistrements vidéo reconstitués en réalité virtuelle, guidé par le Conservateur du Journal d’Halliday. Il découvre que le fondateur d’Oasis regrette certaines de ses décisions et aurait voulu revenir en arrière : voilà comment il faut gagner la course, non en se précipitant en avant, comme les jeunes loups avides du système capitaliste, mais en arrière, pour les devancer à la fin de la boucle… Être à contresens permet de ne pas penser comme la horde. C’est le secret du génie.

La première clé obtenue permet un indice. Artémis l’imite, suivie par Aech ainsi que Daito (en vrai Toshiro – Win Morisaki) et Sho (Philip Zhao), autres amis de Parzival dans le monde virtuel. Notez que le politiquement correct est respecté dans la répartition des races dans le monde réel : un Blanc, une Blanche, une Noire, un Japonais et un Chinois (lequel est un geek de 11 ans). L’indice est « un pas non franchi ». Ce serait le regret d’Halliday de ne jamais avoir embrassé Kira, laquelle s’est accouplée avec son partenaire Ogden Morrow. Il semble qu’Halliday n’ait jamais fait l’amour à une femme, d’où sa fuite dans le virtuel. Parzival gagne son pari sur le Conservateur, qui croyait que Kira était mentionnée plus d’une seule fois. L’avatar lui donne alors une pièce de 25 cents, qui aura un rôle crucial par la suite.

Sorrento veut alors éliminer ce redoutable concurrent qui arrive mieux que ses équipes de petits besogneux à se retrouver dans le jeu. Il envoie son mercenaire i-R0k (T. J. Miller) rechercher l’identité réelle de Parzival, lequel a la niaiserie de révéler son nom à Artémis qu’il connaît à peine, dans une boite (virtuelle) où Halliday a rencontré Kira. Écouté par i-ROk, l’amoureux se vend, et comme le bataillon de Sixers ne parvient pas à le dézinguer dans la boite, il fait sauter la pile où il habite, pulvérisant sa tante et son mec. Le père de Wade est mort endetté dans un Centre de fidélité de IOI et a été contraint de servir pour payer ses dettes. Aussi, lorsque Sorrento propose à Wade de travailler pour lui pour un très gros salaire avec bonus s’il gagne le concours, il refuse.

Capturé par Artémis – qui est dans la vraie vie la rebelle Samantha Cook – il rejoint Aech, Daito et Sho et tous comprennent que la seconde clé se trouve dans une simulation de l’hôtel Overlook de Shining, le film que Halliday voulait voir avec Kira. Artémis est capturée, Parzival s’évade et rejoint ses trois autres amis dans un fourgon postal anonyme. Ils préparent la troisième épreuve, qui est de jouer sur la console de jeu favorite d’Halliday, l’Atari 2600. Elle se trouve dans une forteresse gardée par IOI et protégée par une orbe magique. Wade parvient à pirater le fauteuil de jeu virtuel de Sorrento, assez stupide pour avoir laissé écrit sur un post-it ses mots de passe, et à délivrer Samantha enfermée dans une cage de l’usine à jeu. Parzival lance alors un appel au peuple, comme une cagnotte virtuelle, pour attaquer en masse la forteresse. Le combat faite rage, Daito lutte contre le Mecha-Godzilla de Sorrento et meurt en virtuel, Aech aussi en Géant de fer, ce qui permet à Parzival, Artémis et Sho de pénétrer la forteresse. Pour que Samantha puisse s’enfuir de l’IOI, Parzival tue son avatar Artémis. Elle est cueillie dans le fourgon d’Aech, mais ils sont poursuivis par F’Nale (Hannah John-Kamen), cheftaine implacable des Sixers – une véritable executive woman yankee.

Sorrento, vaincu, réinitialise le jeu par une bombe qui anéantit tous les avatars… sauf un : Parzival, grâce à sa pièce de 25 cents, possède une vie supplémentaire. Il joue alors à Adventure pour y trouver l’easter egg en trouvant la salle secrète du jeu, et la troisième clé. Il découvre alors un avatar d’Halliday qui lui donne à signer le contrat de cession de ses actions. Mais Parzival est un pur ; il se souvient que qu’Halliday a perdu son seul ami, son partenaire Morrow, avec ce genre de contrat. Il refuse alors de signer – et Halliday est content. Cette tentation du veau d’or était la dernière épreuve (les Yankees restent très bibliques, et Sipelberg très dans les codes).

Après une dernière course-poursuite dans la tradition d’Hollywood (la trilogie grosses bagarres, grosse course, grosse explosion, auquel le film de Spielberg sacrifie largement), le Wade du monde réel décide de partager le contrôle de l’Oasis, qu’il a gagné avec leur aide, avec ses quatre amis. Le Conservateur était l’avatar de Morrow et il offre ses services de consultant pour un salaire de 25 cents. Le jeu qui aurait pu devenir totalitaire reste démocratique… jusqu’aux Tromperies depuis. Les cinq amis prennent la décision saluée d’interdire l’accès au jeu aux Centres de fidélité d’IOI. Ils prennent aussi une liberté très impopulaire : l’Oasis sera fermé deux jours par semaine, les mardis et jeudis. Il faut parfois être impopulaire pour le bien du peuple. Les gens doivent prendre du temps pour vivre et aimer dans le monde réel.

Le film a plu aux ados par ses nombreuses références à la pop-culture comme à la culture geek des jeux vidéo, des super-héros, des films et des séries télé cultes. Un film rempli d’effets spéciaux et sans aucune scène que la pudibonderie croyante pourrait réprouver (à peine un seul baiser, à la fin). D’innombrables souvenirs des années 80, ses jeux vidiots, ses héros super – toute une génération du divertissement, biberonnée à Hollywood sous Mitterrand, qui nous donne ces politiciens minables d’aujourd’hui. La génération des bébés boum, ceux qui animaient les boums et et y baisaient à loisir (et pas avec les curés), selon la nomenclature Bayrou. Pas la mienne. Reste un film qui se regarde une fois. Un vestige d’époque.

DVD Ready Player One, Steven Spielberg, 2018, avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Warner Bros. Entertainment France 2018, anglais doublé français, allemand, italien, 2h18, €3,45

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Poltergeist de Tobe Hopper

Un film d’époque, dans les 100 Thrills américains, qui reprend les fantasmes de Steven Spielberg, son scénariste et producteur. Occupé par le tournage d’E .T., il a laissé à Tobe, le massacreur à la tronçonneuse, le soin de la réalisation.

Comme toujours, prenez une famille moyenne américaine, trois enfants, habitant une banlieue pavillonnaire en Californie, un père agent immobilier qui fait bien son travail, réussit et lit une biographie de Reagan le nouveau président républicain, en bref Monsieur et Madame Tout-le-monde avec enfants et chien. Ajoutez quelques épices, des incidents inexpliqués comme cette télévision allumée après la fin des programmes qui scintille et dans laquelle la benjamine de 5 ans entend des voix, ou ces chaises qui bougent toutes seules. Agitez bien en faisant monter la mayonnaise dramatique des événements – puis faites exploser en apothéose, en livrant une explication sinon rationnelle, du moins crédible. Et vous avez un thriller à grand succès à sa sortie (123 millions de dollars), qui fera des petits (Poltergeist 2, Poltergeist 3, novelisation – et même une série). Spielberg sait y faire.

Fatigué, Steven (Craig T Nelson) s’endort devant la sempiternelle télé américaine, dont il regarde les émissions jusqu’à la fin sans vraiment les voir, juste en bruit de fond. Sa fille cadette Carol-Anne (Heather O’Rourke) se réveille et descend l’escalier ; elle s’assoit devant la neige qui a envahi l’écran après l’hymne américain qui clôt les programmes. Elle voit des choses, entend des voix ; c’est une enfant, elle perçoit ce que les adultes ne perçoivent plus.

La nuit suivante, un orage gronde et éclate, les petits ont peur, ils se réfugient dans le grand lit des parents. Une fois de plus, la télé se termine et émet de la neige. Carol-Anne se remet devant l’écran et une apparition surgit, nuée fantomatique qui envahit la chambre ; toute la maison se met à trembler comme sous séisme. Et la petite fille déclare : « ils sont ici » (They’re Here – titre du film en américain). C’est qu’une tornade est passée sur la maison, laissant planer un doute.

Le lendemain, grand soleil, mais au petit-déjeuner, le verre du garçon de 9 ans Robbie (Oliver Robins) se brise plein, inondant sa grande sœur de 16 ans Dana (Dominique Dunne)  ; ce n’est pas de sa faute. De même, ses couverts sont tordus. C’est le chien qui fait le beau devant personne, comme si un être se tenait au-dessus de lui. Puis ce sont des chaises qui se déplacent, la table qui est desservie sans intervention de quiconque, les chaises qui s’empilent alors que la maîtresse de maison Diane (JoBeth Williams) exige qu’elles soient toujours rangées à leur place contre la table ronde.

La nuit est pire, les phobies de chacun se révèlent. Le vieil arbre taillé et tordu du jardin fait peur à Robbie, mignon années 1980 avec ses cheveux en casque et ses dents de lapin, mais son père minimise : il a toujours été là. Au lieu de tirer les rideaux ou de baisser les stores, il laisse la vitre directement sur la nuit américaine, selon la manie de ne jamais fermer les volets du style ‘on a rien à cacher’. L’arbre tend soudain ses branches au travers de la vitre et emporte le gamin terrorisé en pyjama. C’est le père qui va le sauver, grimpant au-dehors par le tronc, les deux chuteront dans la piscine en train d’être creusée et ressortiront couverts de boue (autre fantasme quasi sexuel de Spielberg). Pendant ce temps, Carol-Anne est aspirée dans le placard à jouets de la chambre d’enfant par une force maléfique ; sa mère ne la surveille même pas, croyant « la chambre » un sanctuaire de sécurité (autre fantasme américain, au point de créer désormais la « pièce sécurisée » de la maison dans ladite chambre).

La piscine, justement. On sait les maisons américains bâties de préfabriqué en cloisons comme du papier à cigarette sur une charpente de bois sans aucune fondation. Or la piscine doit être creusée, entamer la terre. Un lieu qu’occupait jadis un ancien cimetière et que le promoteur a eu pour presque rien pour cette raison. Il a dès lors engagé des vendeurs pour ses pavillons, et Steven est le meilleur d’entre eux, responsable de 42 % des ventes. Sa maison est la première construite et lui a été confiée pour habiter. Le sacrilège – mais il ne le savait pas – est de creuser pour déterrer les morts car son patron (James Karen) n’avait pas fait « déplacer le cimetière » mais seulement les pierres tombales.

Morts dérangés qui se vengent via la petite fille blonde craquante (un vrai rêve WASP américain – qui mourra à 12 ans de septicémie par la carence du système de santé américain). Elle représente pour eux la vitalité qu’ils ont perdue, selon une médium engagée pour « assainir » la maison. Car les parents s’empressent d’aller consulter des parapsychologues de l’université de Californie, les docteurs Lesh, Ryan et Marty, après s’être enquis auprès de leurs voisins s’ils avaient eux aussi connu des événements anormaux chez eux. Ils sont les seuls, et les savants apportent une débauche de matériel d’enregistrement pour étudier le phénomène. Spielberg s’en moque un peu, celui qui photographie à la va-vite (Martin Casella) a oublié de retirer le bouchons de l’objectif, celui chargé de surveiller les écrans (Richard Lawson) ne voit rien, n’entend rien, ne sait rien, lisant un magazine tout en ayant des écouteurs sur les oreilles.

Dana l’ado va chez son petit copain, Robbie le gamin est envoyé chez ses grands-parents. Les parents restent, persuadés que Carol-Anne est encore là ; ils l’entendent parfois lorsqu’elle est appelée, mais elle ne peut revenir. La médium Tangina (Zelda Rubinstein) est alors convoquée, une naine au chignon qui parle d’une voix de petite fille mais s’avère efficace. Elle met en place tout un processus avec balles écrites et corde, pour récupérer Carol-Anne, prisonnière des âmes perdues qui ne « sont pas entrées dans la lumière ». L’entrée vers l’autre dimension est dans le placard de la chambre des enfants où Carol-Ann a disparu, et la sortie au travers du plafond de la salle de séjour… Après bien des cris et des extrêmes émotionnels, Diane revient avec sa fille Carol-Anne, toutes deux engluées de matières organiques comme si elles sortaient d’un ventre maternel. Signe de leur renaissance.

Tout va bien, la maison est désormais « assainie », les âmes perdues ont trouvé le chemin. Mais la famille veut déménager, le père ne supporte pas les mensonges de son patron sur l’origine du terrain, ce qui l’a obligé lui-même à omettre ces faits aux clients à qui il a vendu les pavillons. Sauf que… le film n’est pas fini.

La dernière soirée avant le départ, le camion des effets personnels et des principaux meubles étant déjà parti, tout recommence. Steven va régler les derniers détails de son départ au bureau, Dana l’ado va dire adieu à son petit copain, Diane, Robbie et Carol-Anne restent seuls dans la maison. Diane couche les enfants, prend un bain, se délasse en sécurité. Croit-elle.

C’est alors l’apothéose. Ce ne sont plus les âmes perdues mais carrément la « Bête » qui entourloupe Diane en la faisant grimper au plafond (métaphore sexuelle) et tente d’enlever Robbie à l’aide du clown qui est sur la chaise en face du lit. Spielberg a toujours eu peur des clowns. Moi-même je ne les aime pas. Leur sourire idiot et leur maquillage forcé au nez rouge m’ont toujours parus tristes, leurs rires grinçants et menaçants, comme s’ils voulaient se venger des autres par leur ressentiment déguisé en blagues. Robbie en a une peur bleue, il voile la face de clown chaque soir avant de s’endormir. Mais celui-ci lui saute dessus, tente de l’étrangler avec ses bras souples de poupée (il a failli en vrai, les fils de marionnette étant mal réglés!). Le gamin, robuste, se défend en pyjama rouge à col ouvert comme une tenue de judo ; il maîtrise le gnome et le jette dans le placard. Lequel tente alors d’aspirer les enfants dans « l’autre » dimension. Diane les sauve en parvenant à prendre la main de son fils tandis que lui tient la main de sa sœur (fantasme de fraternité familiale typiquement américain).

Ils fuient la maison hantée mais Diane chute dans la boue de la piscine, où les cercueils remontent à la surface, crèvent la terre, libèrent leurs cadavres décomposés et grimaçants (de vrais squelettes humains, non crédités). Steven vient tout juste de revenir et tous se précipitent dans la voiture, en happant Dana au passage, que son petit copain motorisé vient de ramener. Plus une minute dans cette maison ! Laquelle d’ailleurs implose et se replie comme un château de cartes, emportée dans la nuit – la seule du lotissement – sous les yeux des voisins suspicieux.

Dans le motel où ils couchent durant le trajet vers leur nouvelle vie, Steven évacue le perpétuel téléviseur de la chambre sur le balcon…

Sous couvert de conte horrifique, le duo Spielberg/Hopper fait une satire de l’american way of life des années contentes d’elles-mêmes : la famille en banlieue, les enfants tous beaux et bien faits, le père qui travaille au mieux, le patron toujours véreux, les maisons en préfab, les frayeurs nocturnes des enfants en-dessous de 12 ans, la télé par laquelle le mal s’insinue dans la famille. Du grand art.

DVD Poltergeist (They’re Here !), Tobe Hopper, 1982, avec JoBeth Williams, Craig T. Nelson, Beatrice Straight, Dominique Dunne, Oliver Robins, Warner Home Video 2007, doublé français ou sous-titres, 1h54, €14,81, Blu-ray Universal Pictures €14,27

DVD Poltergeist 1, 2 et 3, Warner Bros 2020, anglais sous-titré français, 4h50, €19,95 Blu-ray €25,87

Pour les Poltergeist 2 et 3 doublés en français, voir les liens en début de texte.

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Daniel Pennac, Au bonheur des ogres

Zola vantait la consommation du capitalisme en plein essor, Pennac montre combien ses temples (les Grands magasins) attirent les cinglés autant que les enfants et les petits vieux. Inévitablement, des clients sont mécontents parce que les produits ne sont pas toujours d’une qualité irréprochable. Benjamin Malaussène est le directeur du Contrôle technique, ce qui lui permet de se faire engueuler à la place de tous les autres. Il est le Bouc émissaire biblique, celui sur lequel toute la communauté se décharge de ses péchés pour vivre en paix. Un vrai métier qui soulage.

Dans le civil, lorsqu’il a quitté la boutique, Malaussène est le frère paternel d’une tribu de gosses pondus successivement par sa mère, qui collectionne les géniteurs comme certains les timbres. L’aînée de ses sœurs commence d’ailleurs elle-même à pondre, à peine majeure. Et des jumeaux en plus ! Pour tenir toute cette petite bande, Ben raconte chaque soir une histoire – qu’il invente en fonction de l’actualité. Ce qui le fera convoquer par un éditeur… mais pas pour ce qu’on croit !

Ne voilà-t-il pas justement que l’actualité est au terrorisme et aux bombes dans le Magasin ? Un petit vieux qui joue avec un jouet d’assaut AMX 30 ? Deux autres qui s’embrassent goulûment avant de s’embraser conjointement ? Un quatrième qui s’astique dans la cabine du photomaton devant des photos pas très catholiques, lui le professeur réputé, anti-avortement ? Un cinquième à poil dans les chiottes de l’expo scandinave devant d’autres photos elles aussi pédophiles ? Quant au dernier, il est machiavélique… et veut à toute force impliquer le Benjamin, trop saint pour sa conviction. Malaussène en fait un roman, tapé chaque soir comme exercice par l’une de ses sœurs comme exercice de dactylo, tandis que sœur Thérèse prévoit l’avenir dans les astres, comme dans les années trente.

Au début des années 1980 en France, c’était « la mode » des attentats tout comme c’était « la mode » de la pédophilie et des « ogres » consommateurs : en témoignent Michel Tournier et Le Roi des aulnes (1970), Les Météores (1975) et Gilles et Jeanne (1983), ou encore les divers Carnets noirs de Gabriel Matzneff et ses essais sur Les moins de 16 ans et Les passions schismatiques (aujourd’hui introuvables en neuf et hors de prix en occasion).

Mais l’époque était à l’optimisme et c’est ce qui me frappe à la lecture de Pennac aujourd’hui. S’il vomit les bourreaux d’enfants, il les rattache aux fascismes et à leur mystique de l’instant : dès lors que tout est permis par absence de morale transcendante et que tout devient possible, autant jouir de tout, tout de suite. Libérer tous les fantasmes. Les sectes des années quarante s’invitent dans les années quatre-vingt, revivifiées par le grand bordel de mai 68. Pennac s’en amuse, il désopile, bien loin de ce sérieux protestant anglo-saxon qui gèle peu à peu toutes les fantaisies littéraires d’aujourd’hui au nom de l’exclusion culturelle des mal-pensant et mal-baisant (« Mâle »-quoi, s’interrogerait Lacan ?).

C’est donc un roman policier joyeux hanté de personnages hauts en couleurs, du Petit de 5 ans à la Louna de 19 ans, en passant par Jérémy 12 ans qui fout le feu au collège et Clara 16 ans qui photographie tout ce qu’elle voit, y compris son grand frère en Bouc dans le Magasin. Y a d’la joie ! car il faut exorciser le mal et les méchants, leur faire honte en donnant l’exemple du bonheur en marche, de la « sainteté » du quotidien.

Je n’avais pas lu Pennac à son époque, par préjugé contre la mode ; 35 ans plus tard, il témoigne de la gaieté brouillonne mais agréable à vivre de l’ère Mitterrand. Le temps des cerises où nul ne s’en faisait vraiment, sauf les aigris des extrêmes, amputés à vie du bonheur. Ils deviennent de plus en plus nombreux, comme les cafards. Relire les mésaventures de la tribu des Malaussène (car il y a d’autres tomes qui suivent), c’est faire exploser l’aigreur littéraire de notre temps.

Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, 1985, Folio Gallimard, 287 pages, €8.00 e-book Kindle €7.99

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Nick Hornby, A propos d’un gamin

nick hornby a propos d un gamin 10 18
Autobiographique ? Le jeune Nicholas Hornby, lorsqu’il avait 11 ans, a vu ses parents divorcer. Hornby a écrit aussi sur le foot, la pop, la dépression, les relations humaines, notamment sur les adolescents. Il s’est marié deux fois et n’a eu que des fils ; il n’en avait encore qu’un seul – autiste – lorsqu’il écrit en 1998 About a Boy.

Nous sommes au début des années 1990 et Will est un solitaire rentier de 36 ans. Il s’est créé une bulle et des occupations routinières comme aller au pub, lire des revues branchées et regarder des films en vidéos. Pour mettre un peu de sel dans ses rencontres, il s’inscrit à une association de parents divorcés et s’invente un fils de deux ans. C’est dans ces circonstances compliquées qu’il fait la connaissance de Markus, 12 ans, cet âge où l’enfance se perd avant que n’explose l’adolescence. Markus n’est pas rebelle, ni geignard ; il observe, logique, et se demande quoi faire lorsque les adultes censés s’occuper de lui défaillent.

Les deux se cherchent, inaccomplis, solitaires. Markus est mal attifé, mal coiffé, mal intégré dans sa nouvelle école de Londres. On le prend pour un looser puisqu’il n’aime ni le foot ni les chanteurs à la mode des autres gamins. Des tortionnaires se font les muscles sur sa personne, piquent ses lunettes, se moquent de lui – façon d’exister et de s’affirmer.

Un jour, Will est en pique-nique avec les parents divorcés et doit broder sur l’absence de non fils inventé. Markus, le gamin d’une adhérente, lance des morceaux de baguette aux canards. Brusquement, il en tue un. On ne sait pourquoi, la bête coule – humour anglais de l’absurde. Le gardien croit que Markus est le fils de Will. Au soir de ce Jour du canard mort, la mère de Markus fait une tentative de suicide et Will assiste le gamin avec l’amie de sa mère. Ce coup double en un seul jour, est-ce le déclic ? Will considère autrement le gosse et Markus crée un lien avec l’adulte.

Obstiné, il va rompre la glace de solitude confortable de l’homme pour, chaque fin d’après-midi, aller le titiller à l’heure du thé qui coïncide – miracle anglais quotidien – avec la sortie de l’école. La conversation a du mal au début, puis s’engage ; Markus découvre qu’il existe d’autres adultes plus normaux que sa déjantée de mère, ex-hippie végétarienne qui enseigne la thérapie musicale… et que son père geignard qui l’a largué sans remord pour rester exilé à Cambridge où sa principale occupation est de tomber du rebord d’une fenêtre.

Le roman a du mal à démarrer car chacun est dans sa bulle d’individualisme tellement années 80 (notre génération Mitterrand). Puis les liens se tissent, sans en avoir l’air, jusqu’à former « une pyramide » de contacts mutuels et d’entraide, juste pour ne plus jamais être seuls. « Tu n’as pas tout inventé à propos de Markus. Tu es concerné, tu fais attention à lui, tu le comprends, tu t’inquiètes pour lui… », dit à Will sa nouvelle petite amie Rachel (p.241). Car Will n’est pas pédophile – précaution de l’auteur contre les préjugés du temps. Est-ce de l’amour filial ? Ou le début d’un lien plus vaste et moins fort, quelque chose comme la bienveillance envers un proche et les proches de ce proche ? « Il avait organisé toute sa vie de façon à ce que les problèmes de personne ne deviennent les siens, et à présent les problèmes de chacun devenaient les siens, et il n’avait de solution pour aucun » p.277.

hugh grant pour un garcon dvd

Pas grave. Le simple fait d’exister avec les autres et pour eux, en interactions, suffit pour que chacun trouve sa place en ce monde et dans cette société. Markus, 12 ans, devient ami avec Ellie, 15 ans, folle de Kurt Cobain ; Will devient ami avec Rachel et avec Fiona, la mère de Markus qui, lui, devient plus ou moins ami avec Alistair – dit Ali – le fils de Rachel… Ils se tiennent chaud, ils s’épaulent et n’ont pas besoin de ces grands sentiments gênants pour un Anglais moyen encore englué profond dans le puritanisme victorien.

Le véritable héros de l’histoire est Markus, ni enfant ni ado, qui va mûrir de trois ans en quelques mois, et entraîner avec lui la kyrielle d’adultes immatures chargé par les conventions sociales de veiller sur lui. « C’était un gamin compliqué et bizarre et tout ça, mais il avait ce truc pour créer des ponts où qu’il aille, et très peu d’adultes étaient capables de parvenir à ça » p.295. Les monomaniaques sortent de leur coquille, les familles déglinguées retrouvent un semblant de communauté. C’est drôle, émouvant, profond. Une réflexion existentielle sur le passage à l’adolescence, sur la paternité, sur le fardeau des mères, sur la société soi-disant « libérée » des années post-68, mais enserrée dans tout un tas de préjugés, manies et hystéries.

Hugh Grant a créé un beau rôle en endossant la défroque de Will, dans le film sorti en 2002. J’avais lu le roman avant d’aller voir le film ; puis j’ai relu le livre. Les deux se complètent sans fusionner. L’écrit est plus grave que l’imagier, mais l’acteur en beau spécimen de mâle anglais hétéro montre sa vulnérabilité touchante. Pour un gamin.

Nick Hornby, A propos d’un gamin (About a Boy), 1998, 10-18 2010, 317 pages, €7.50
Film DVD Pour un garçon, réalisation et acteur principal Hugh Grant, 2003, Studiocanal, €11.70

Catégories : Cinéma, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Haruki Murakami, Danse, danse, danse

Danse3 est la suite de La course au mouton sauvage’,  avec le même personnage principal et son mystérieux homme-mouton. C’est qu’une existence conforme n’est banale que parce qu’on le veut bien. Le Japon de la fin des années 1980 est en plein boom économique et les sacrifices de la génération d’après-guerre payent enfin : belles voitures, appartements confortables, standing, musique et bars branchés. Nombre de gens sont pris par le système, bons élèves, bons professionnels, bon époux. Ainsi Gotanda, élève dans la même classe au lycée, devenu acteur célèbre : « jeune, beau et compréhensif. Il était grand, mince et doué en sport, et toutes les filles de mon lycée étaient amoureuses de lui au point de s’évanouir en entendant son nom » p.104.

C’était sa « tendance ». « Même si tu recommençais ta vie à zéro, tu referais sans doute exactement la même chose. C’est ça, les tendances. Et une fois passé un certain point, elles deviennent irréversibles. » Alors que faire ? « Danser (…) Continuer à danser tant que tu entendras la musique. (…) Il ne faut pas penser à la signification des choses. Il n’y en a aucune au départ. Si on commence à y réfléchir, les jambes s’arrêtent. (…) Même si tout te paraît stupide, insensé, ne t’en soucie pas. Tu dois continuer à danser en marquant les pas. (…) Et danser du mieux qu’on peut. » p.133 Nous sommes en plein existentialisme : le refus nietzschéen de toutes les croyances consolatrices, le Sisyphe de Camus qui roule éternellement son rocher en métaphore de l’existence, la définition de soi par sa seule action selon Sartre. Danser, c’est suivre le mouvement de la vie en soi-même, être ici et maintenant selon le zen. Haruki Murakami adhère pleinement à cette conception du monde. Même lorsqu’il fait la cuisine, « je la fais avec amour et soigneusement. (…) Si on s’efforce d’aimer ce qu’on fait, on finit par y arriver dans une certaine mesure » p.371.

Le narrateur a 34 ans et est en marge. Il a toujours été à côté du système, depuis l’école caserne jusqu’à la société commerçante. Il est considéré comme « bizarre » parce qu’il ne pense pas comme tout le monde au Japon, parce qu’il n’a pas les réactions attendues de cette société très codifiée. Son ami l’acteur l’envie : « Tu avais l’air de toujours faire ce que tu voulais, tout seul, sans te soucier de ce que les autres pouvaient penser, de leur jugement, tu avais l’air de toujours faire avec facilité uniquement ce que toi-même avais envie de faire » p.210. Il va jusqu’à échanger un temps sa Maserati sans âme pour la banale Subaru des années 80 du narrateur, sans chic mais fonctionnelle et intime. S’il connaît une activité sexuelle régulière, aucune fille n’a envie de faire sa vie avec un être aussi différent. S’il travaille comme un pro, très organisé et ponctuel, il met mal à l’aise son associé ou ses clients. Il est ici et ailleurs, socialisé mais pas impliqué. Ses références sont Kafka et Nabokov, l’absurde du Procès et le décalage de Lolita. Car, s’il est en marge, le narrateur n’est pas marginal. Il y a bien pire que lui !

Notamment cette femme très belle qui « oublie » sa fille de 13 ans dans un hôtel de Sapporo et file à Katmandou pour faire des photos d’art. La fille s’appelle Yuki – Neige en japonais – et le narrateur l’a remarquée au bar de l’hôtel. Comme il retourne à Tokyo, une hôtesse lui confie l’adolescente pour le voyage en avion. Il n’y a rien de sexuel dans cette attirance, ni une paternité en germe. Ces deux êtres, séparés de vingt ans, ont en commun leur sensibilité, heurtée par la société affairiste et matérialiste du Japon des années 80.

Personne ne s’occupe de Yuki, ni sa mère déjantée, ni son père divorcé, ex-écrivain célèbre (et double parodique de Murakami puisqu’il l’appelle de son anagramme : Hiraku Makimura). Elle ne va plus à l’école parce que brimée d’être trop belle, trop riche, trop sensible – inadaptée. Elle n’a aucun ami. Ce pourquoi le narrateur lui fait du bien, rêveur comme elle, prenant la vie comme elle vient. Sa philosophie est résumée ainsi à la mère de la gamine : « Si vous restez attentive, si vous lui montrez que vous êtes liée à elle dans sa vie (…) si vous manifestez votre estime pour elle, (…) elle saura faire son chemin toute seule » p.408. Ainsi faut-il être avec les êtres, notamment avec les enfants. Cela les aide à grandir, sans leur imposer un modèle. Il faut simplement « être juste, et sincère si on peut » p.459.

Mais il y a l’homme-mouton, le passeur de l’entremonde, qui fait le lien entre le narrateur et la réalité parallèle. Qui n’a jamais rêvé d’un tel décalage, où tout pourrait être subtilement différent ? Murakami offre carrément des passerelles : il suffit de passer certains murs, à certaines périodes et en certains lieux, pour disparaître du monde réel. Ainsi de Kiki, ex-copine du précédent roman, retrouvée en pute dans un film avec Gotanda, rencontrée un soir par une organisation de call girls… et disparue depuis sans nom ni adresse. Ainsi de May, retrouvée assassinée nue dans un hôtel, on ne sait pas par qui. Ainsi de June, commandée par téléphone (attention du père de Yuki au narrateur pour qu’il assouvisse ses éventuelles pulsions en-dehors de sa fille…), venue de nulle part et retournée au néant. Il n’y aura pas de July…

Murakami critique impitoyablement la société moderne, occidentalisée et purement affairiste. Celle qui confère aux élites certains privilèges exorbitants… Ceux-ci ne se résument pas à la richesse, bien qu’elle en fasse partie. Être privilégié, c’est appartenir au club restreint de ceux qui sont en connivence au plus haut niveau du pouvoir : politiciens, hommes d’affaires, acteurs, grands artistes. Ceux-là commandent à la police, persuadent des hôteliers antiques de céder leur terrain, vont dans des restaurants chics et conduisent des Maserati parce que cela entre dans « les frais », louent des putes à Hawaï par téléphone depuis Tokyo, sautent dans un avion pour faire quelques photos.

Quant à la masse, elle suit la mode, manipulée par le marketing. Elle encense les chanteurs derniers cris alors que « si tu écoutes la radio une heure entière, tu en entends à peine un de bon » p.170. Elle va uniquement dans les restaurants dont parlent les magazines branchés. Déformée par l’école obligatoire, « un endroit affreux. Des types infects qui prennent de grands airs. Des profs ennuyeux à mourir qui font les arrogants. Pour te dire franchement, je pense que 80% des profs sont des sadiques ou des incapables. (…) Il y a trop de règles absurdes à respecter. C’est un système destiné à écraser l’individu, et ceux qui ont les meilleures notes ne sont que des idiots sans la moindre parcelle d’imagination » p.284.

Il parle du Japon, mais il parle aussi de nous, Murakami. De la difficulté de vivre, de l’imagination, du formatage social. De la nécessité de faire soi-même son existence pour être autre chose qu’un robot.

Haruki Murakami, Danse, danse, danse, 1988, traduit par Corinne Atlan, Points Seuil 2004, 575 pages, €7.60

Les autres romans de Murakami chroniqués sur ce blog.

Catégories : Haruki Murakami, Japon, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,