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Robert Merle, En nos vertes années – Fortune de France 2

Si Fortune de France (chroniqué sur ce blog) a conté l’enfance de Pierre de Siorac, cadet du baron de Mespech, et de ses frères (et fait l’objet d’une série télé 2024), En nos vertes années conte son adolescence gonflée de vie et de tumulte. Né, comme on se ramentevoit (se souvient) le 28 mars 1551, Pierre n’a que 15 ans lorsqu’il est envoyé par son père à Montpellier, y apprendre en faculté la médecine. Il est accompagné de son demi-frère Samson du même âge que lui, et de son fidèle valet Miroul de trois ans plus âgé. Les trois compagnons entrent dans la belle ville du Languedoc en juin 1566.

Entre temps, que d’aventures ! Pierre n’a d’yeux que pour les garcelettes et les trousse à loisir quand leurs beaux yeux y consentent. Mais il ne les prend pas en soudard, aimant plutôt les envelopper de paroles et de compliments, tant il a appétit de leur chair fraîche et tendre. « Je le vois bien, c’est le piège que nous tend l’exquise beauté, en toutes ses parties, le corps de la femme. On cuide de se contenter de la rondeur d’un bras. Mais le bras qu’on vous abandonne, baisé et mignonné, l’appétit croît de sa nourriture même : il y faut tout » chapitre 10. Comme le jeune garçon est, à 15 ans, beau et bien fait, fort et courageux, elles consentent bien volontiers. Dès l’auberge de Toulouse, il doit besogner la soubrette puis l’aubergiste à la suite, en la verdeur de ses 15 ans.

Il est le chef de la troupe, son père en ayant décidé ainsi, Samson tenant les pécunes et Miroul surveillant ses excès, étant vite échauffé et de folle bravoure. Samson est un éphèbe grec, blond-roux bouclé et musclé comme une statue. Mais, élevé dès son âge tendre dans la religion réformée, il tient pour péché la chair et ne suit pas son frère bien-aimé Pierre en ses débordements. Celui-ci doit s’entremettre pour qu’il tombe amoureux de la belle Dame du Luc, Normande veuve en début de trentaine, qui fait pèlerinage à Rome en compagnie d’une troupe commandée par le baron de Caudebec. Samson est si beau que la dame en tombe raide ; elle ne tarde pas à l’initier aux plaisirs de la couche, Pierre intrigue pour cela, sans que le bienveillant et naïf Samson n’y touche. Il en a du remord car c’est péché pour la sainte religion, mais Pierre le convainc habilement que c’est péché bénin, Dieu nous ayant créé ainsi. La méchanceté est péché, pas l’amour. «Je sais qu’en lisant ceci d’aucuns vont aller sourcillant, me voyant tout entier à Vénus, et non content de courir moi-même le cotillon, d’en jeter un, et des plus ardents, dans le lit de Samson. Mais c’est la grande affection que j’avais de lui qui me fit faire cela, et tout autant, mon souci quasi paternel que l’être de Samson répondit à son apparence qui, certes, n’avait rien d’escouillé ni d’efféminé, car outre sa grande beauté, il était plus fort, robuste et musculeux qu’aucun fils de bonne mère en France, et c’était grande pitié, à mon sens, de voir ce bel étalon vivre comme nonne desséchée en cellule » chapitre trois.

Pierre se taille une réputation de vaillant capitaine en luttant contre les Caïmans qui écument les Cévennes, bandits de grand chemin qui rançonnent et qui tuent les voyageurs. Par ruse et stratégie, il défait la troupe, et le baron de Caudebec lui en sait gré, avant qu’il ne soupçonne qu’il soit huguenot. Ce que Pierre, par ruse, détourne en se confessant à la chevauchée à un moine sourd mais gourmand, auquel il baille un par un les gâteaux et tartelettes données par son aubergiste reconnaissante du plaisir qu’il lui a donné.

L’auteur, qui s’est documenté, nous fait découvrir l’état de la médecine en ce XVIe siècle de Rabelais et de Montaigne, laquelle consiste surtout à relire les Anciens en se méfiant de l’expérience et des dissections, condamnées par l’Église et à peine tolérées en faculté. Le trio loge chez Maître Sanche, un apothicaire marrane (juif faussement converti), chassé d’Espagne pour établir boutique de simples et de préparations dans Montpellier. Samson, voué initialement au droit, tombe en adoration devant cette profession, aimant par-dessus tout toucher aux remèdes plutôt qu’embarrassé à penser aux maladies. Ils font la connaissance de Fogacer, maigre et aux membres longs comme des pattes d’araignée, qui est Bachelier en médecine, tuteur des novices – et accessoirement sodomite.

Pierre, qui ne peut contenir sa crête haute, défie dès le jour de la rentrée des deuxièmes années qui veulent le chahuter malgré l’interdiction du Doyen, mais retourne la situation pour s’en faire des amis. C’est avec eux qu’il va déterrer deux cadavres dans un cimetière pour les disséquer, un orphelin de 8 ans mort de faim et une putain morte en couches, au logis d’un curé athée qui a écrit un libelle contre Dieu et le Diable, ne croyant ni à l’un, ni à l’autre. C’est dans ce cimetière sous la lune que Pierre est agrippée par une jeune folle, fille de sorcière et de sorcier brûlés pour cela, qui s’est fait prédire être engrossée à minuit par Belzébuth en cimetière. Pierre en profite, malgré lui, pour couvrir ses compagnons qui déterrent malgré les interdits. La fille lui happe sa semence, dont il espère qu’elle ne donnera pas naissance. Un peu plus tard, la fille sera brûlée pour blasphème et sorcellerie, tout comme le curé athée sera défroqué et brûlé lui aussi, moins pour ne pas croire que pour l’avoir écrit.

Dénoncé par le curé sous la torture, Pierre est obligé de se cacher, puis de fuir la ville au bout de quinze mois. Il a heureusement pris l’audace de faire la connaissance du vicomte de Joyeuse, père du magnifique petit garçon de 5 ans Anne de Joyeuse, qui fera sa gloire aux armées une fois adulte. Pierre a eu l’amabilité de donner au bel enfant des soldats de bois qu’il a fait sculpter par un caïman qui voulait l’’expédier, mais qu’il a sauvé, et ce jeu ravit tellement le garçonnet que son père en est tout ému et sa mère curieuse de faire sa connaissance. Pierre, en ses 15 ans, va donc conquérir l’esprit puis le cœur, enfin le corps de Madame de Joyeuse, la faisant vite se pâmer sous ses caresses manuelles et buccales, quasi nu sous son baldaquin, les suivantes renvoyées. Elle l’appelle son « petit cousin » pour une vague parenté de noblesse avec sa mère, née de Caumont. « Mon mignon, faites-moi cela que je veux », lui ordonne-t-elle sous les draps. Ce sont les Joyeuse qui recommandent Pierre aux Montcalm à Nîmes, pour qu’il aille avec son frère, le gentil Samson, et son valet fidèle, Miroul s’y mettrent au vert un moment.

Las ! C’est en cette année que les Protestants profitent des menaces des Catholiques, encouragée par la vipère changeante Catherine de Médicis, pour les attaquer dans les villes où ils ne sont pas assez nombreux, dont Montpellier et Nîmes. Pierre et sa suite se trouvent donc pris dans les Michelades de Nîmes, ce massacre de papistes opéré par les Huguenots, souvent convertis de fraîche date. Pierre en profite pour sauver l’évêque et le jeune frère de lait du capitaine huguenot. Il peut donc quitter Nîmes sain et sauf pour joindre le château de Barbentane, où Montcalm a pu se réfugier sur ses terres, avec sa femme et sa fille.

Mais d’autres Caïmans ont enlevé le trio, réclamant mille écus de rançon, avant de dépêcher les otages. Pierre de Siorac décide alors d’aller à leur recherche. Il s’adjoint des moines soldats d’une abbaye proche, plus l’intendant de Barbentane qui apportait la rançon, et maniant pistolet, arbalète, rapière, dague et arquebuse, réussit à occire tous les malfrats. Une fois au château, blessé au bras gauche, il fait l’objet de toute la reconnaissance de la famille et des soins attentifs des deux femmes. Il tombe amoureux de la fille unique, Angelina, qu’il séduit du plat de la langue en lui contant ses aventures, sans pousser physiquement ses avantages. Ils se promettent l’un à l’autre lorsque le père de Pierre et Samson, le baron de Mespech, vient les chercher en lourd équipage, en attendant des jours meilleurs.

Qu’il est bon de relire cette prose pleine de verdeur des années soixante-dix, qui chante l’adolescence et le plaisir en sus de l’étude et du combat, formant un homme complet ! Robert Merle nous a laissé un bain de jouvence dans ces livres d’aventures à la langue si mignonne du français qui se cherchait encore. Tous les aspects du temps sont abordés, de la condition des servantes à l’ingratitude des hommes, des plaisirs de la noblesse aux querelles de pensée, de l’avidité d’Église pour l’argent à la rude morale des soldats.

Robert Merle, En nos vertes années – Fortune de France tome 2, 1979, Livre de poche 1994, 667 pages, €10,68

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Peter Tremayne, La septième trompette

peter tremayne la septieme trompette
L’attrait de Peter Tremayne est qu’il vous emmène en Irlande, sur les marges chrétiennes de l’empire romain finissant. Nous sommes en 670, au sud-ouest de l’île, dans une région où chaque vallée a un roi ou presque. Les clans se fédèrent auprès d’un « haut roi ». Malgré cette organisation féodale pour garantir prospérité agricole et protection contre bandits et pillards, les érudits et les flemmards, comme les ambitieux qui ne sont pas « nés », se placent dans le giron de l’Église pour mieux vivre, en savoir plus et donner libre cours à leurs ambitions.

Mais l’Église de Rome est à cette époque de bascule entre les usages libéraux des anciens temps celtiques et les nouveaux usages hiérarchiques et machistes du monde méditerranéen. Fidelma de Cashel, sœur du roi du Muman et ex-sœur en monastère, a obtenu un grade juridique élevé (celui d’anruth qui précède celui d’ollamh), il ne lui en manque plus qu’un pour être juge suprême. Mariée bien que religieuse, soucieuse de préserver les acquis du droit celte bien que chrétienne, avocate bien que sœur de roi, elle n’aime rien tant que s’imposer en tant que femme dans les complots masculins, et agiter ses petites cellules grises au détriment des hormones mâles qui croient que la force prime le droit.

C’en est parfois un peu agaçant, tant les répétitions de préséance pour s’imposer sont rituelles, mais le lecteur habitué n’y fait même plus attention. Même chose pour les noms imprononçables et à rallonge des clans celtiques et les imbrications de parenté qui rendent les derniers chapitres assez peu digeste.

L’action est rondement menée, débutant par un crime et finissant par un massacre, malgré une intrigue inutilement compliquée qu’on ne connaît heureusement qu’à la fin. Un paysan, près du château invaincu de Cashel, découvre un jeune noble mort de trois coups de poignard dans le dos sur le gué qui passe ses terres. Fidelma enquête, ce qui va la mener, flanquée de son fidèle mari et compagnon d’aventures Eadulf de Seaxmund’s Ham, à rencontrer un prêtre ivre qui va la traiter de putain, un jeune homme blond élancé qui se dit barde, d’horribles bandits sans scrupules qui vont l’enlever, un jeune garçon qui sera égorgé, un supérieur de monastère fanatique – mais pas pour son église -, une jeune écervelée avide de fêtes alors que la guerre est aux portes, quelques guerriers fidèles et musclés et un serpent élevé au sein de la famille.

Tout cela se lit fort bien sauf le final, heureusement égayé (si l’on peut dire) par un jeu de poignard en pleine cours de justice. La parution des œuvres n’est pas dans l’ordre, l’auteur regrettant manifestement avoir fait prendre sa retraite à Fidelma et Eadulf dans Le concile des maudits. Pour le bonheur des fans.

Peter Tremayne, La septième trompette (The Seventh Trumpet), 2013, 10-18 mai 2014, 334 pages, €7.80 (€11.99 en format Kindle…)
Les romans de Peter Tremayne chroniqués sur ce blog

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Deon Meyer, 13 heures

Un roman policier sud-africain, cela change des éternels thrillers sordides des banlieues américaines ou des états d’âme des petit-bourgeois français. Nous sommes dans la « nouvelle » Afrique du sud, mosaïque ethnique multiculturelle où les Blancs sont minoritaires et les Noirs divisés entre Zoulous, Xhosas et autres Bantous. Sans compter les immigrés kenyans et zimbabwéens… Le pays va mal parce que l’ordre est loin de régner et que les chamailleries ethniques ont repris comme jamais. Peut-être est-ce une image prémonitoire de ce que sera l’Europe dans deux générations ?

La police n’échappe pas à ce mouvement de fond et les quotas cantonnent les Blancs comme les Zoulous et les Xhosas à des postes où le professionnalisme compte moins que l’appartenance ethnique. C’est dire si c’est le souk, où la bureaucratie amplifie l’incompétence tandis que certains en profitent. Rien de nouveau sous le soleil quand le peuple n’a plus d’unité. La police municipale méprise la police criminelle, que les douanes ignorent, tandis que les avocats s’en donnent à cœur joie pour défendre leurs clients nantis et que les pauvres se débrouillent dans les trafics.

Le roman est découpé en séquences horaires minutées, de 5h36 à 18h37. En 51 chapitres, eux-mêmes divisés en paragraphes de l’ordre du quart de page à une page, l’action se veut dynamique et haletante. Elle commence vivement mais hélas se perd dans les sables. Ce n’est que vers la page 350 qu’elle revient. Entre temps, tout un exposé lourdingue sur les particularismes locaux, le ressentiment ethnique et les ego misérables, l’arrivisme et l’alcool, la putasserie et les affaires. Rien de bien passionnant car la fragmentation d’une société est déprimante en soi. Même notre éventuel futur comme thème d’intrigue ne passionne pas.

Une Américaine est égorgée au matin tandis qu’une autre court la ville en jogging pour échapper… à qui ? Suspense. Est-elle une « mule » pour la drogue ? S’agit-il de trafic de chair blanche ? A-t-elle vu ce qu’elle ne devait pas voir ? Ceux qui la poursuivent sont une équipe mondialisée de Blancs et de Noirs, Afrikaans d’origines diverses, anglo-néerlando-russe d’un côté et xhosa-zoulou de l’autre. Ils sont tous jeunes, beaux, sportifs, armés, et évoluent en virtuoses dans une valse de 4×4 et autres puissantes bagnoles, sans aucune pitié. La séance de torture à laquelle nous fait assister l’auteur veut le prouver. Dans cet exposé de mondialisme exacerbé, Deon Meyer ne manque pas de caricaturer la « conne américaine » (ce n’est pas bien difficile…). La fille va trouver les bandits pour leur demander s’ils ont bien fait ce dont on a été témoin. C’est la meilleure façon de se faire égorger, mais les oies blanches de l’Indiana sont tellement connes que s’en est véridique ! Il y a évidemment les flics ripoux, la corruption sud-africaine, le papa américain qui a des relations, les maîtres du monde qui régentent les politiciens zoulous depuis Washington, et ainsi de suite.

Au total, le roman peut se lire mais traîne trop en longueur. Lorsque l’intrigue se dévoile sur la toute fin, le lecteur est un peu déçu : tout ça pour ça ? Meyer aime à compliquer une action banale sans que cela apporte d’épice à la lecture. La seule virtuosité technique (indéniable) ne remplace pas l’idée (indigente). Un pays qui a explosé en multiples baronnies et clans ethniques, pays qui se raccroche désespérément à l’international pour seulement exister, nous intéresse peu. Mais ne vous méprenez pas, ça se parcoure quand même. Lisez-le si vous avez un (très) long voyage en train (ce qui n’est pas rare avec la SNCF), sinon évitez l’heure de la sieste, ce serait mortel !

Deon Meyer, 13 heures, 2008, Points policier, Seuil, mars 2011, 566 pages, €7.41

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Le génocide arménien au musée d’Erevan

Le Président de la République française est en Arménie où il a fait hier un discours sur le génocide, appelant la Turquie à reconnaître son histoire. Les historiens débattent, et même les parlementaires (on se demande de quoi ils se mêlent). La question n’est pas politique, elle est historique : il s’agit de faits, pas d’idéologie.

Je suis allé en Arménie, dans la capitale Erevan, je reviendrai dans le blog sur ce voyage. Je suis allé voir, au musée d’Histoire de la ville, la « salle du Génocide ». Aucune notice n’est en anglais, tout en arménien, sauf un texte d’historien, ce qui est assez curieux pour une revendication internationale… Est-ce pour pouvoir dire ce qu’on veut sans craindre de protestations turques ? Trônent en majesté des photos noir et blanc du début du XXe siècle, des foules en attente, des gosses dépenaillés à la chemise turque déchirée sur une poitrine maigre, d’autres nus étiques, un cadavre de gamins déshabillé, le trou de balle sur le sternum. Le 24 avril 1915 fut une date noire pour les Arméniens de Turquie. L’État a décidé de déporter les intellectuels à 600 km de Constantinople, dans une marche à la mort pour anéantir la culture arménienne en Turquie et libérer des postes pour les élites nationalistes. Des institutions américaines ont emmené quelques orphelins, des familles ont pu fuir au Liban, en Arménie orientale, en Europe. Des hommes jeunes ont même constitué une légion arménienne dans l’armée française pour combattre les Turcs durant la Première guerre mondiale.

Il est strictement interdit de photographier quoi que ce soit. Mais le texte en anglais d’un professeur arménien sur le génocide méritait que je passe outre pour connaître le point de vue officiel. La matrone de la salle regardait ailleurs, j’ai pu prendre le texte que voici :

« Arménocide –

Le premier génocide du XXe siècle, le génocide arménien, a eu lieu en 1915. Il est arrivé dans l’empire Ottoman, en Arménie occidentale, le berceau des Arméniens dans les six vilayets (Erzerum, Bitlis, Kharberd, Sebastia, Van et Diarbekit), la cité capitale d’Istanbul et toutes les parties de l’empire où existait une population arménienne. C’était le premier crime sans précédent de l’extermination totale d’une nation par une autre.

Le génocide des Arméniens a été organisé et exécuté par les autorités ottomanes, la partie au gouvernement des Jeunes Turcs appelée ‘Union du progrès’ et ses chefs – le ministre de l’Intérieur Talaat, le ministre de la Guerre Enver, le ministre de la Marine Jemal – et leurs supporters du complot.

Ce n’est pas l’initiative d’individus séparés mais une politique d’État soigneusement planifiée et mise en œuvre.

Aujourd’hui, tous les spécialistes réputés des études sur les génocides, qui ont de fermes principes scientifiques et qui ne donnent pas dans les considérations politiques, reconnaissent que le génocide arménien fut le premier génocide. Selon Franklin Little, professeur à l’université juive de Jérusalem, le génocide arménien a été le début d’une nouvelle ère. Il a écrit que, après les massacres (action de génocide) exécutés par les gouvernements au Cambodge, Soudan, Burundi, Rwanda et Bosnie, on peut appeler le XXe siècle l’ère des génocides, qui a commencé avec le génocide arménien.

Le génocide arménien, suivi par l’Holocauste juif exécuté dans l’Allemagne de Hitler durant la Seconde guerre mondiale, les génocides et tentatives de génocides au Cambodge, Burundi, Rwanda, des Balkans, du Soudan, d’Éthiopie, du Nigeria et d’autres pays indiquent que les génocides ne surviennent pas par accident. Ils sont possibles dans les États qui appartiennent à la typologie des États génocidaires et dans les sociétés classées comme génocidaires.

Tel était l’empire ottoman – un État réactionnaire, militaire-féodal, fondé sur la politique de la violence, de l’oppression, des persécutions et des massacres – une politique visant les peuples non-turcs sans préjuger de leur foi (Assyriens, Arabes, Bulgares, Arméniens, Grecs, Macédoniens, Serbes et autres). Il y a seulement un pas du massacre au génocide.

L’empire ottoman, considéré comme « malade », est entré dans une crise économique, sociale et politique profonde. Au lieu d’user de méthodes civilisées pour résoudre les problèmes, les chefs Jeunes Turcs ont recouru à la politique d’escalade des massacres et du génocide. Ils avançaient une thèse raciale pour forcer les conversions de tous les peuples non-turcs en Turcs, formant ainsi un État et une société ethnique « pure », une thèse fondée sur la suprématie turque. Les peuples qui rejetaient cette politique et restaient fidèles à leur identité nationale étaient sujets à l’extermination physique. Les Arméniens qui ont créé une civilisation unique et qui ont eu foi dans leurs valeurs nationale, culturelles et spirituelles pendant des siècles se sont refusées à devenir Turcs, par volonté ou par force, et ils sont devenus la première nation sujette à génocide.

Une autre circonstance qui a joué un rôle fut qu’en parallèle à la turquisation, les Jeunes Turcs poursuivaient l’idée du panturquisme, la politique d’unir toutes les populations de langue turcophone sous l’empire ottoman, créant le Grand empire Touran. L’Arménie était un obstacle sur la voie du panturquisme qui n’a jamais été levé.

Cette atmosphère de mentalité raciale qui a existé dans l’empire ottoman et la politique poursuivie par les Jeunes Turcs ont conduit au génocide arménien. Un million et demi d’Arméniens en ont été victimes, et environ un million d’enfants, de femmes et de vieillards ont été déportés de leurs maisons et pays pour être exilés dans les déserts d’Arabie ; beaucoup d’entre eux sont morts dans les sables brûlants, de faim, de soif et des férocités des bandits turcs.

L’exécution du génocide arménien a été aussi favorisée par la situation internationale de la Turquie, créée par la Première guerre mondiale, quand la plupart des pays européens étaient en guerre les uns contre les autres. En conséquence, la question de la solution arménienne a été laissée à l’empire ottoman en exclusivité, ce qui est revenu à la manière turque, ce qui veut dire le yatagan (sabre).

Comme résultat du génocide exécuté de sang froid, les Arméniens occidentaux ont perdu leur mère patrie, l’Arménie occidentale a été privée de sa population indigène, les Arméniens. Les survivants se sont éparpillés tout autour du monde aboutissant à la fondation de l’actuelle diaspora arménienne.

Le génocide arménien de 1915 est considéré comme la page la plus noire du XXe siècle. Comme génocide, c’est un crime non seulement contre les Arméniens mais aussi contre l’humanité.

L’historien arabe Moussa Prince a inventé le terme d’Arménocide pour décrire le génocide arménien, considérant l’Arménocide comme « le génocide le plus génocidaire ».

Le génocide arménien n’a pas encore été reconnu par la Turquie moderne, et ses chefs ne se sont pas encore excusés auprès du peuple arménien, comme on pourrait s’attendre d’une nation et d’un État civilisés, comme l’Allemagne s’est excusée auprès du peuple juif. L’Arménocide n’a pas encore été condamné par la communauté internationale, ce qui nous fait regretter que le génocide arménien n’ait pas eu son Nuremberg, comme l’Holocauste juif.

Cependant, dans les dernières décennies, des changements significatifs ont eu lieu sur le sujet, ce qui nous permet d’observer que le processus d’une reconnaissance internationale du génocide arménien a commencé. Le génocide arménien a été reconnu par le Parlement européen, des organisations internationales variées, le parlement d’une quinzaine de pays (Argentine, Belgique, Italie, Canada, Chypre, le Liban, les Pays-Bas, Grèce, Suède, Suisse, Slovaquie, Uruguay, France, Russie) et par le Vatican. » [L’ordre des pays suit probablement la chronologie de cette reconnaissance]

Nikolai Hovhannissian, PH.D en histoire, professeur.

La traduction depuis l’anglais est la mienne.

On notera la lourdeur du vocabulaire, l’inlassable répétition du terme « génocide arménien » puisque l’idée même en est rejetée par les Turcs, l’insistance à être une fois de plus dans les « records » (le premier génocide, le génocide le plus génocidaire)… Mais le texte existe. Il mérite qu’on en témoigne.

La revue L’Histoire a consacré un article sur le sujet : Génocide arménien le scénario, par Fuat Dündar, n°341, avril 2009

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