
Un policier qui écrit sur la police, c’est peu courant. Hervé Jourdain est capitaine à Paris et écrit des romans policiers. Celui-ci se passe au mythique « 36 » quai des Orfèvres sur l’île de la Cité, attenant au Palais de Justice et à la Sainte-Chapelle. Ce bâtiment mal foutu et obsolète parce que reconstruit de bric et de broc après son incendie par la Commune, a été transféré en septembre 2017 au « 36 » rue du Bastion, Porte de Clichy. La Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris a déménagé dans ses nouveaux locaux ; seule la BRI reste Quai des Orfèvres, au centre de la capitale, pour intervenir plus rapidement.
C’est donc une sorte de chant du cygne que ce polar situé dans cette unité de lieu encore opérationnelle en 2013. En effet, un juge est assassiné dans l’enceinte même du Palais. Les caméras de surveillance n’ont rien noté, le tueur savait où elles pouvaient se trouver. Même l’examen des entrées et sorties ne donne rien. Pire : un second meurtre a lieu dans le Palais, un journaliste judiciaire affilié à l’AFP. Encore pire : un troisième meurtre, dans un bâtiment de la Place Dauphine, tout proche du Palais, un avocat célèbre. Toujours le même mode opératoire, un tir au revolver de 8 mm, calibre peu courant d’une ancienne arme française de 24 cm de long en dotation avant-guerre, une balle dans le torse, une autre dans la tête. Et toujours des indices pour titiller les enquêteurs : trois morceaux de sucre de taille différente dans la main du mort, et deux cartes postales ou livres de poche. Enfin l’apothéose : le tir pour tuer contre le Directeur de la Police le soir de sa retraite, dans la cour même du Palais.
La brigade criminelle est chargée de l’enquête. Le commandant Bonnot dirige une équipe formée du capitaine Guillaume Desgranges aigri et absent, du lieutenant Jean-Noël Turnier le procédurier (qui surveille la procédure et archive les preuves) et de la nouvelle jeune femme Zoé Dechaume, mutée à sa demande (et sur piston) de la brigade des Stups. La vie n’est pas rose pour les flics… Ils sont confrontés chaque jour au pire de la cruauté et de la bêtise humaine, des amoureuses de 13 ans vite droguées et servant de putes dans les caves à la bande de dealers, des assassinats pour un regard ou un porte-monnaie peu rempli, des « accidents » de voiture qui sont des homicides, des viols, des meurtres, des fugues, des pétages de plomb. Le roman décrit bien les fêlures des flics. La motivation enthousiaste des débuts finit vite en routine, divorce, vie de famille à éclipse, révolte des enfants qui ne voient jamais leur père.
En compensation, il y a le boulot, la fièvre des enquêtes, les relations avec les témoins, les suspects, les avocats, les juges. Celui qui se présente dès le chapitre 6 comme un descendant de tueurs en séries depuis des générations met en avant son sens de l’honneur, toujours au service de l’État. Son but ? Éliminer les traîtres à la mémoire du Palais de Justice. D’où les multiples rebondissements, les pistes prometteuses qui s’avèrent fausses, les suspects successifs. Et même la demande de rançon pour Victor, le fils de 17 ans du capitaine Desgranges, déscolarisé depuis deux ans et déprimé parce que sa mère est partie lorsqu’il avait 10 ans sans explications et n’a jamais donné de nouvelles, et que son père est trop peu souvent là.
La psychologie des personnages est un brin sommaire, le flic désabusé, la jeune recrue accrocheuse, l’avocat brillant à particule, le commissaire autoritaire. Mais tout est fait pour l’action, trépidante, décrite en détail par un spécialiste – et en hommage au « 36 » de l’Île de la Cité. Ce bâtiment mythique aux dédales de couloirs, est orné de symboles accumulés par l’histoire. La fin est tout à l’honneur de la police, qui ne se venge pas mais laisse la justice opérer, bien que les deux institutions se regardent en chiens de faïence. Contrairement aux policiers, les juges, « indépendants » selon la théorie, sont souvent mus par leur idéologie et… contrôlés par personne.
Prix du Quai des Orfèvres 2014
Hervé Jourdain, Le sang de la trahison, 2013, Fayard poche 2013, 441 pages, €9,90, e-book Kindle €6,99
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