Articles tagués : ski

Sylvain Tesson, Blanc

Pourquoi escalader les montagnes ? – Parce qu’elles sont là, tout simplement. Sylvain Tesson est un voyageur qui se ressource dans la solitude des paysages. Il ne se contente pas de gloser sur la nature, il la vit. L’auteur n’est pas un écrivain de bureau, ni un militant de cause abstraite, mais un voyageur. Un nomade, un « wandervogel », un « traveller », un errant – donnez-lui les noms que vous voudrez. Ce pourquoi il est contre les contraintes d’État, les contraintes sociales et les contraintes du politiquement correct. Cette salubrité fait l’attrait de ses livres.

Blanc est un dépouillement, un retour à l’essentiel – au Rien bouddhiste. C’est un récit médité d’une traversée des Alpes de Menton à Trieste, en quatre saisons, de 2018 à 2021. En plein confinement Covid pour la moitié, manière de marquer sa liberté à 46 ans sans empiéter sur celle des autres. Comment contaminer quelqu’un à 3000 m d’altitude, dans la solitude neigeuse du blanc ? « Nous étions des garçons bien élevés mais ce n’était pas à des ronds-de-cuir en chemise de décider de nos promenades. Plutôt qu’additionner nos voix aux protestations contre le nouvel ordre sanitaire, nous nous en soustrayions. En termes de contestation de l’autorité, je m’intéressais à l’escamotage davantage au sabotage » 222. Sylvain Tesson se révèle plus anarchiste que fasciste – contrairement aux préjugés envieux des « bonnes âmes » de l’édition du micro-milieu de Saint-Germain-des-Prés, trop vigilantes à exorciser le diable (mâle, blanc, bourgeois, parisien, héritier, aventurier) pour avoir son talent. Cette salubrité fait l’attrait de sa pensée.

Sylvain Tesson n’est pas parti seul dans cette aventure à skis. Son handicap dû à une chute de dix mètres en 2014, et sa lente et douloureuse rééducation, l’obligeait à être accompagné et à ne plus boire une seule goutte d’alcool. Il fait route avec Daniel du Lac, champion de France d’escalade, auquel se joint lors d’une étape Philippe Rémoville, ingénieur, père de famille, fasciné par le récit Sur les Chemins noirs de… Sylvain Tesson. Rencontre de hasard. Cette salubrité à le saisir fait l’attrait de l’auteur.

En quatre-vingt cinq jours, répartis sur quatre années, les chemins blancs sont arpentés. La montagne est toujours ce qui a séparé les hommes, alors que la mer les a unis. Le sommet, le col, sont des frontières naturelles entre « eux » et « nous ». Ce pourquoi Sylvain Tesson s’amuse de ce que les passeurs bénévoles accueillent les immigrés par les montagnes des Alpes, au nez et à la barbe des garde-frontières. L’effort, les conditions météo, les risques d’avalanche et de chute, donnent à ce périple la tension qui permet une pensée plus aiguë. Le contraste de la fatigue en journée et de la détente le soir donne sa pleine appréciation au fait de vivre tout simplement, naturellement. Avec des bagages réduits à l’essentiel : des vêtements, du matériel, de quoi chauffer le thé et des biscuits, un livre. Cette salubrité dépouillée fait l’attrait de l’existence.

Les Français, optimistes dans les années soixante, sont devenus peu à peu aigris et râleurs. La mondialisation, le rêve déchu et les mensonges de « la gauche », les normes de plus en plus proliférantes, la bêtise de masse véhiculée par les « réseaux sociaux » qui isolent et incitent au panurgisme, manipulée par les idées aberrantes testées Outre-Atlantique ou, plus récemment, par les fermes à troll de Poutine, les ont repliés sur eux-mêmes, se haussant du col par jalousie du succès des autres, faisant de la revendication par envie la nouvelle « valeur » du social. Sylvain Tesson, méditant depuis les pentes glacées de la montagne, a conscience de la chute. Il n’a pas de mots assez durs pour cette complaisance à soi, pour ces jérémiades de petit-bourgeois nantis (comparés aux pauvres du tiers-monde) qui en veulent toujours plus sans rien faire de mieux pour le mériter. « Que s’était il passé en quelques décennies pour que nous devinssions à ce point moroses, persuadés de notre place sur le podium du malheur planétaire ? À Paris, autour de moi, chacun se jugeait victime du sort, offensé par ses semblables, jamais reconnu à sa juste valeur, lésé par la vie et abandonné au mauvais vent par un État dont on exigeait le secours intégral tout en combattant la moindre immixtion. Même la gaieté avait rejoint le rang des vertus suspectes , remplacée par l’exercice d’indignation. La démocratie avait dépassé ses ambitions : tout le monde se gênait, chacun se haïssait » 169. Cette salubrité fait l’attrait de sa réflexion politique.

Pour compagnons de pensée, au fil des livres emportés ou trouvés dans les refuges, Rimbaud en voyant intuitif, Stendhal en volontaire énergique, un peu Proust en observateur aigu, vaguement Nietzsche. Tout en mettant en garde contre le délire de hauteur. « C‘était un danger de l’alpinisme : croire que le surplomb physique autorisait à mépriser le monde d’en bas. L’analogie était facile entre l’air de cristal et l’esprit pur, la grande santé et la haute pensée. Cette symbolique de comptoir avait inspiré une littérature d’acier sur les vertus purificatrices de la montagne où se confondaient conquête du sommet et domination morale. En réalité le sommet ne rehausse jamais la valeur de l’être. L’homme ne se refait pas » 77. Le décor ne fait pas le moine, pas plus que l’habit. Seul l’être intérieur compte, partout où il va. La nature, le dépouillement du roc et de la glace, peuvent seulement simplifier la pensée en faisant mouvoir le corps. Nietzsche pensait mieux en marchant, tout comme Montaigne à cheval.

Sylvain Tesson préfère Stendhal : « Comment devenir stendhalien  ? Il fallait tracer son sillage entre les marques de la splendeur et les effets de la fantaisie. Glisser à la surface des choses pour les sentir profondément. Ordre du jour : tout saisir, tout aimer, se garder des théories, mépriser les idées générales, rafler les impressions particulières » 244. Cette salubrité fait l’attrait de sa morale.

Un petit livre à lire, à relire, à méditer – à imiter. J’en témoigne, c’est dans l’effort de la marche et parmi les paysages de solitude que l’on est le plus profondément soi, prêt à converser le soir venu autour d’un feu et devant un thé, apte à réfléchir sur les autres et le monde. Comme Tesson, je suis un grand voyageur, même si je n’ai plus son âge. Pour faire cette traversée, il faut avoir, comme lui, moins de 50 ans. Avis aux amoureux.

Sylvain Tesson, Blanc, 2022, Folio 2024, 271 pages, €8,90, e-book Kindle €8,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Sylvain Tesson déjà chroniqué sur ce blog

Catégories : Livres, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Colette, Le voyage égoïste

Encore un autre recueil d’articles : quand un auteur n’a rien à dire, il publie ses articles en volume. Le thème, s’il en faut un, est celui de la vie quotidienne – facile quand on écrit dans les journaux, Le Matin, Vogue, Demain : c’est ce que les lecteurs/lectrices demandent. Mais ces textes sont riches et se lisent très bien encore aujourd’hui. Colette s’étonne, découvre du neuf, éprouve la joie des cinq sens. Même les mots qui décrivent sont remplis de saveur. L’éphémère du jour voisine avec le tangible du passé. Le souvenir fait voyager autant que l’aujourd’hui. Non sans plaisir mais aussi ironie.

Car Colette se moque.

D’elle-même avec ses souvenirs égoïstes : « Oh ! petit garçon je te montre un vase enchanté, dont la panse gronde de rêves captifs, la grotte mystérieuse où je m’enferme avec mes fantômes favoris, et tu restes froid, déçu… » p.1095 Pléiade. De sa fièvre dans « J’ai chaud ! » – que dirait-elle ne nos,canicules ! De l’absence de l’Autre, mari ou jeune amant : « C’est qu’il n’y a plus, sur la plage lissée par la vague, la moindre trace de tes jeux, de tes bonds, de ta jeune violence, il n’y a plus tes cris dans le vent, et ton élan de nageur ne brise plus la volute harmonieuse de la lame qui se dresse, s’incline, s’enroule comme une verte feuille transparente, et fond à mes pieds… » p.1101. De sa fille qui, à douze ans, évolue et récuse ses yeux de l’an dernier, son imaginaire enchanté et les jeux de déguisement avec les coupons de tissu. « Elle cherche de l’œil un miroir et non plus une couronne de lambeaux radieux » p.1129.

Des autres, de la mode, du temps : comme ces « parents qui soupirent, déconcertés, devant une progéniture qui à dix ans réclame une fourrure, à douze ans une auto, à quinze ans un fil de petites perles » p.1107. Ou ces visites obligées aux uns et aux autres, même si l’on n’en a pas envie, jusqu’à ce « mien cousin laissa chez moi une carte de visite qui portait, gravés, ces mots : Raphaël Landoy, Vice-Président de la Ligue contre l’usage de la carte de visite. » p.1111. Des mannequins « américains », grandes juments garçonnières sans fesses ni seins, sveltes mais anorexiques, qui contraignent les robes et disciplinent les corps peu faits pour ça en latinité. Seuls les hommes apprécient les robes, à condition qu’elles soient sur les mannequins : ils ont le regard objectif, sensuel, et achèteraient bien le tout plutôt que l’oripeau.

La mode allonge en été et raccourcit en hiver, habille en sept ans d’âge les femmes mûres, art de transgression qui vise l’épate plutôt que le confort et surtout le bon sens. Mode garçonnière : « Chez les couturiers, le faste de Byzance se promène sur des collégiens tondus. Lelong drape de ravissants petits empereurs de la décadence, des types accomplis de la grâce sans sexe, si jeunes et si ambigus que je ne pus me tenir de suggérer au jeune couturier (…) : « Que n’employez-vous – oh ! en toute innocence ! – quelques adolescents ? L’épaule fringante, le cou bien attaché, la jambe longue, le sein et la hanche absents, il n’en manque pas qui donneraient le change sur… – J’entends bien, interrompit le jeune maître de la couture. Mais les jeunes garçons qu’on accoutume à la robe prennent, très vite, une allure, une grâce exagérément féminine au voisinage desquelles mes jeunes mannequins femmes, je vous l’assure, ressembleraient toutes à des travestis » p.1181. On notera qu’ainsi Colette se moque des féministes qui voudraient être garces et réduire l’homme à l’androgyne, en même temps quelle dit son goût pour l’extrême jeunesse, étant passée entre vingt et cinquante ans de gouine à cougar.

Sa copine Valentine est de ces écervelées riches et oisives qui suivent la mode et les engouements « à la Facebook » comme on dirait aujourd’hui : s’habiller court en hiver mais avec un long manteau, se payer une couturière à façon plutôt qu’une robe de prix, ou faire l’inverse six mois plus tard avec les mêmes arguments évanescents, « voyager » à toute allure en 11 CV en tenant une « moyenne de 80 », des vendanges en septembre mais habillée comme il sied, « en toile violet-pourpre, imprimée de raisins jaunes » p.1130.

Colette s’étonne que les vendeuses d’habillement étouffent dans les « odeurs de femmes » qui transpirent et ne portent plus de linge. Ou qu’en arrière-saison le « lamé démontre la grossièreté des sens féminins, particulièrement de l’odorat. Car le fumet d’une robe de lamé, humectée au cours d’une soirée chaude, oxydée pendant la danse, passe en âpreté le fier arôme du déménageur en plein rendement. Elle fleure l’argenterie mal tenue, le vieux billon, le torchon pour les cuivres » p.1163.

Elle ironise sur « les joyaux menacés », cet impôt sur les « biens oisifs » mobiliers que le Cartel des gauches voulait établir à 14 % en 1925 ! Les femmes, « jamais elles ne se sont senties si directement offensées » p.1134. Sur les fards dont les parfumeurs imposent le goût douteux aux hommes qui embrassent leur femme, au point que l’un d’eux vient en acheter lui-même pour en tester la saveur avant de l’offrir à son épouse. Sur les chapeaux qui cachent les visages, et l’habitude de les porter avec telles boucles d’oreille, ce qui fait confondre les amoureux qui attendent leur belle à la sortie du métro. Sur « les seins », « leur nom banni, leur turgescence, aimable ou indiscrète, morte et dégonflée ». On refait le sein, « qu’un profond soupir heureux émeuve vos tétons carrés de boxeur, ou votre troublante gorge d’élève de rhétorique, et maintenant vous pouvez choisir » p.1152 : renforts en coupelle de caoutchouc, poches de tulle pour les rentrer et les mouler, l’été le maillot de bain style fillette ou le tablier à carreau sans manches

Colette s’enthousiasme aussi.

De la neige avec le ski qu’elle découvre, des vacances des petits Parisiens qui ont déjà trop chaud en juin et qui vont aller nus tout l’été, des « chasses » en plein Paris d’un léopard échappé ou une perdrix égarée de ses champs. Des mots inventés par les couturiers de mode : « le los de la crepellaine, du bigarella, du poplaclan, du djirsirisa et de la gousellaine – j’en oublie ! – une griserie phonétique me saisit, et je me mets à penser en pur dialecte poplacote » p.1160. Plaisir des mots comme des fruits qu’on croque ou des gemmes qu’on admire. Les « soieries » sont son bonheur : « au sein d’un velours riche en moires, touché du reflet aquatique qui court sur une surface buveuse de lumière, le pavot est devenu méduse » p.1175.

Colette, Colette, Le voyage égoïste, 1911-1925, 1928, Fayard 1996, 128 pages, €14,00, e-book Kindle4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

Catégories : Colette, Livres, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ski nordique et sauna en Finlande

Le jour, le skidoo forme la trace dans la neige cristalline. Chacun la suit à skis, à son rythme, en vue des autres mais le plus souvent seul.

L’air est vif, la lumière froide, le silence minéral. Chaque son porte loin et est capté immédiatement par l’oreille, plus attentive dans ce vide. L’envol brutal d’une perdrix des neiges, surgissant d’un buisson, est un choc à chaque fois. Le paysage prend des nuances métalliques sous le soleil le plus souvent voilé. Une forêt, un lac ; une forêt, un lac…

Variété des chemins en forêt, monotonie des lacs où le rythme du corps atteint toute son ampleur, aucun obstacle, aucune montée ni descente ne venant rompre l’effort. Bras en avant, appui sur le bâton de tête, jambe qui glisse sur le ski, puis l’autre bras, l’autre jambe. Ran ! Ran !

Le cœur pulse au rythme de batterie, le sang irrigue avec joie les artères, les poumons s’enflent et se contractent, j’ai le sentiment curieux d’être une sorte de machine, d’actionner mes pistons, de relâcher ma pression, locomotive de chair fumante à l’effort, régulière, obstinée, mécanique. Il y a un plaisir de la machine, depuis le rythme du cœur maternel aux pulsations de la batterie des ados jusqu’à ces exercices physiques ancestraux qui font les abdos dont les jeunes ici sont bien pourvus.

Dans la solitude ambiante, avec le rythme qui irrigue mieux le cerveau et fait chanter les muscles, les pensées vont à leur gré, détachées. Nietzsche le savait : on pense mieux en marchant qu’assis immobile à digérer de lourdes nourritures.

Dans les rares villages que nous traversons, les enfants vont emmitouflés, trapus, la démarche un peu lourde. Un adolescent blond et bouclé, soucieux d’apparence américaine, va, les jambes fuselées sous le jean qui le protège mal du froid, coupe-vent blanc échancré sur un pull noir en V sur le cou, il balance les épaules. Nous croisons quelques adultes aux faces épiques, un gros au nez coupé, un géant aux cheveux et à la barbe fournis en proportion comme un vrai père Noël. Ou encore ce jeune homme roux à face de renard, les pommettes larges et saillantes, les yeux fendus, une large bouche et un nez allongé.

Les petites filles sont ici belles comme des enfants et vigoureuses comme des garçons. Nous ne voyons guère leurs mères, occupées en cuisine ou en courses, ou pour certaines à travailler à la comptabilité. Et nous faisons connaissance avec les rennes. Ils sont bas sur pattes, moins grands que des cerfs. Les mâles arborent cette ramure qui fait leur charme. Les troupeaux sont curieux, ils galopent en horde mais tournent autour de vous pour sentir le vent et avec une vraie curiosité.

Vers le milieu du parcours, nous nous arrêtons dans une cabane pour dormir, au lieu de la tente. L’intérêt est qu’elle a, attenant, un sauna.

Nous faisons comme les locaux : tout nus pour suer dans la chaleur, puis se rouler dans la neige glacée avant de venir nous réchauffer dans le sauna, puis de recommencer. Avec un peu d’aquavit pour nous détendre avant le dîner.

Catégories : Finlande, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Insolite sociétal à Paris

Phénomène de société, venu des pays anglo-saxons, cette mode des cadenas d’amour sur le pont des arts (et désormais alentours) à Paris. En 2010, rares exhibitions, en 2013, profusion. Et quand les grilles des ponts seront pleines ?

cadenas ponts de paris 2010 et 2013

Affinités électives d’un goût douteux près de l’hôpital Cochin : les Pompes funèbres en embuscade !

pompes funebre devant hopital cochin paris

Mais les bobos sont plus légers, qui transforment une antique pharmacie en magasin de fringues branchées, rue Soufflot.

pharmacie mode place pantheon

Alors que l’art de rue rappelle que tous finissent rongés jusqu’à l’os, les grilles d’égout étant le poumon de la ville…

squelette de rue paris

Profitez du jour qui vient car les roses ne durent que l’espace d’un matin. Autant montrer ses seins lorsqu’il en est encore temps – même au ski, ce loisir de bobo par excellence.

ski seins nus a paris

On laissera les gamins, trop jeunes pour faire ça, lire « Mes amis à poils ». Et tant pis pour les pisse-froid à la Copé.

mes amis a poil

Catégories : Paris, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Rotorua et retour via Auckland

Il faut regagner l’île du Nord. Un petit avion fait la navette entre Nelson et Rotorua. Nous sommes un groupe important (40) pour une capacité de 50 places ! On nous a réservé le dernier avion en partance.

Le spectacle est magnifique depuis l’avion : pâturages, ville de Wellington capitale de Nouvelle-Zélande, montagnes enneigées, cratères, lacs, rivières serpentant dans la plaine. Les photos parlent d’elles-mêmes. Voilà, nous sommes arrivés à Rotorua, dans une odeur d’œufs pourris.

La ville thermale de Rotorua sent en effet le soufre. Émanation du diable ? C’est en tout cas excellent pour nous, qui avions tous une petite toux ou un début de rhume à cause du climat de l’île du Sud… Tout ça est envolés  grâce à cette odeur tenace d’œufs pourris.

La ville se situe sur la rive Sud du lac, lac presque circulaire qui est l’un des plus étendu de la région. Le mont Ngongotaha, 778 m, domine la ville et le lac. Un téléphérique dessert Skyline (487 m d’altitude) d’où on embrasse un panorama  exceptionnel. On peut en descendre par des  luges  sur des pistes tracées telles des toboggans, et l’on rejoint le haut par des remonte-pentes tels une station de ski. Hardi les gars !

Ensuite direction l’agrodome où l’on présente les plus beaux béliers du pays, toutes races confondues ; on assiste à une démonstration de tonte, aux évolutions de chiens de bergers. Le magasin est attenant au dôme… au cas où les billets de votre portefeuille se manifesteraient pour en sortir.

Direction Taupo formé en l’an 1860 par une explosion volcanique. Le Taupo est le plus grand plan d’eau de Nouvelle-Zélande, 619 km². D’ici on peut voir dans le lointain les monts Tongariro et Ngauruhoe et la cime enneigée du Ruapehu 2797 m dont j’ai vu le cratère par avion.

Nous retrouvons les routes encombrées, les banlieues – et Auckland. Le démon du shopping poursuit son œuvre. Pendant trois jours complets, le menu sera toujours le même : shopping, shopping, shopping. Confection chinoise, vêtements made in China, objets fabriqués en Chine. On achète une deuxième valise. C’est toujours ainsi lors des voyages des Tahitiens. Attention, deux fois 23 kg par personne et 7 kg pour le bagage à main ! Les Néos veillent ! Ils calculent bien ces Néo et au détour de l’allée, après le free shop, une balance et deux Néo qui vous demandent poliment, et avec un grand sourire de poser votre sac sur la bascule…

C’était ma première découverte du pays Maori. Je comprends mieux maintenant pourquoi les Européens apprécient la Nouvelle-Zélande… Ce pays ressemble tellement à l’Europe qu’il y a peu d’efforts à faire pour s’y sentir comme à la maison !

Hiata de Tahiti

Catégories : Nouvelle-Zélande, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Réussir sa vie

Lorsque j’appris à jouer au tennis, dans un mien village où je passais l’adolescence, j’avais un partenaire plus jeune de quelques années. Il avait comme condisciple un garçon qu’il n’aimait guère, le trouvant un peu pédant. Comme je ne veux pas le blesser et que j’aimais bien ces enfants, je le nommerai Guy. Les années qui sont un fossé durant l’enfance réduisent à proportion qu’on avance dans l’existence et, aujourd’hui, son âge et le mien ne sont pas si éloignés que nous nous trouvions quasi de la même génération. Je l’ai vu sur un réseau social où il affiche publiquement sa position.

Dans l’école de ce village plutôt populaire, il se sentait égaré. Ses deux parents enseignaient dans le supérieur après agrégation et thèse. La famille respirait cet ascenseur social républicain dû à la méritocratie. Guy avait une sœur aînée obstinée et entièrement vouée aux études ce qui fait que, seul garçon et petit dernier, il en rajoutait pour s’affirmer. Je me souviens de lui fringant, vers ses douze ans, dribblant son ballon dans la rue, en face de chez lui, en short blanc et lunettes noires. Solitaire – au grand jamais il n’aurait joué au foot avec les autres. Il était mince et musclé, le teint ivoire, avec la touchante fierté du petit mâle.

Il a désormais quarante ans et expose sur le réseau le bilan de sa vie. Contrairement à beaucoup de cette génération, il donne de nombreux détails, somme toute assez content de lui. Comme ses parents il est professeur, comme ses parents il a deux enfants aujourd’hui prime adolescents, et dans le même ordre, une fille et un garçon. Mais à la différence de ses parents, il n’est ni agrégé ni n’a fait de thèse, passant directement de l’université à l’IUFM. A la différence de ses parents, il a divorcé et habite un appartement en ville plutôt qu’une villa en banlieue verte.

Le parcours professionnel qu’il détaille montre qu’il a changé d’établissement chaque année sauf les dernières, incapable de rester deux rentrées de suite dans le même. A cause d’élèves difficiles pour sa matière peut-être, ou parce qu’il lui est malaisé de s’entendre avec ses collègues et de s’intégrer à une équipe pédagogique. En primaire déjà, il ne voulait pas frayer avec le commun des élèves ; il a changé de collège et de lycée tous les deux ans, redoublant une fois. Je vois dans cette instabilité une conséquence de son milieu familial, involontaire car il était aimé. Moi-même je l’aimais bien, même si nos relations sont restées distantes parce que nous n’avons jamais joué au tennis ni pagayé sur la rivière, ni fait du ski, tout ce que j’ai fait avec l’autre garçon. Mais l’on garde un faible pour qui l’on a connu en ses enfances, vulnérable et en devenir.

Guy me semble être resté de ces albatros baudelairiens, vastes oiseaux des mers que ses ailes de géant empêchent de marcher. Ces ailes sont l’illusion qui lui était donnée de faire encore mieux que ses parents, de réussir une carrière. Père et mère imposants, sœur trop brillante, le garçon a tenté d’exister autrement. Délaissant l’école ado pour qu’on s’intéresse à lui, il a opté pour la voie des lettres qui était celle de sa mère plutôt que pour la voie des sciences qui était celle de son père et de sa sœur. Son statut social actuel ne correspond pas à celui rêvé en son enfance, ce pourquoi on le sent déclassé. Devant se loger et payer une pension alimentaire, il lui reste peu de moyens d’un salaire de professeur déjà maigre ; il vend sur e-Bay ses raquettes de tennis et ses enceintes hifi. Ses loisirs ressortent alors de cette distinction sociale analysée par Bourdieu : la lecture alors que de moins en moins de gens lisent, la musique classique alors que la majorité aime la chanson ou le rock, voire le rap. Il a peu d’amis sur le réseau, dispersés dans toute la France. Les sports qu’il pratique sont ou individualiste, l’escalade où l’on se prouve tout seul sa puissance, ou élitiste, le ski où il emmène ses enfants – probablement dans le chalet de ses parents. Il n’a surtout pas la télé, « beurk ! » commente-t-il.

S’il sacrifie à la doxa prof « contre » le capitalisme (sans savoir ce que c’est), c’est parce ce tropisme de caste protégée rencontre les valeurs catholiques et universitaires familiales. « J’aime le Maroc, d’où je reviens, l’envers du capitalisme… » Sait-il que le Maroc est une monarchie féodale qui se revendique de droit divin et n’a rien d’une oligarchie fondée sur le capital ? Sait-il que le capitalisme est une technique d’efficacité économique née à la Renaissance dans les villes italiennes commerçantes, et pas une loi sociale de l’Histoire selon saint Marx ? « Beaucoup de gens pauvres, beaucoup de sourires », remarque-t-il à la Victor Hugo. Peut-être lui faudrait-il quitter le XIXème siècle où la bourgeoisie ne jurait que par le service d’État pour s’élever, en regardant avec un attendrissement romantique tout ce qui était social. Mais ne parle-t-il pas surtout de lui dans ces analyses ? Certes, l’argent ne fait pas le bonheur, mais la « pauvreté » heureuse est une consolation lorsqu’on a peu de moyens soi-même.

Cette insistance à affirmer, à écrire et à montrer qu’il est heureux dans son existence présente a quelque chose qui sonne faux à mes oreilles. Il affiche sur le réseau une trentaine de photos mettant en scène ses enfants, le ski, et lui-même en situation. Pas de groupe ni d’amis hors du noyau familial alors qu’il est dans le staff d’un groupe d’escalade. Il se présente en photo de tête torse nu dans l’effort, accroché à une aiguille terminale en plein ciel. Deux photos prises par lui à bout de bras au téléphone mobile le montrent au ski, torse nu encore, dans la neige.

Malgré ses quarante ans, l’acmé d’une vie, Guy affiche ce côté adolescent qu’on trouve sur les Skyblogs. Un tantinet narcissique et perpétuellement instable, il semble comparer toujours le réel à l’idéal, en lutte pour exister. Pourquoi donc s’afficher ainsi ? L’ayant connu petit, je trouve qu’il n’a pas si mal réussi sa vie durant l’époque de bouleversements que nous avons vécue. Mieux que son condisciple qui fut mon partenaire de tennis par exemple. Les idéaux de ses parents n’ont pas à être les siens, il devrait l’accepter, car le monde actuel n’est plus le monde où eux-mêmes ont grandi.

Cette fiche d’informations sur le réseau social, et son appel à « retrouver » des gens connus hier sans qu’il ait réussi à se les attacher m’ont touché. Mais que peut-on contre la psyché de chacun ?

Catégories : Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,